Hello hello!
Ceci est un petit OS sur mes propres circonvolutions philosophiques nées du jeu Owlboy que j'ai fini il y a peu et qui, il faut bien le dire, donne à réfléchir avec les thématiques qu'il aborde. Clairement, le peuple chouette a fait des conneries en gros XD Mais bon, je me suis dit que y'avait peut-être matière à écrire un petit truc la dessus et voila le résultat des nœuds que je me suis fait au cerveau avec cette histoire.
Attention, ça spoil la grosse révélation du jeu et un des secret de la fin si jamais donc je préviens!
Evidemment, l'histoire et les personnages du jeu Owlboy ne m'appartiennent pas, ceci est une fanfiction.
Bonne lecture!
Mémoires de Noctae
Je vais bientôt mourir… Et le monde après moi.
Je n'aurais jamais cru écrire cela un jour et pourtant. Tous mes calculs, la quintessence même de l'art des Mathématiques l'affirme. Depuis mon plus jeune âge j'ai appris, étudié et repoussé les limites de cette connaissance infinie que sont les équations. De ces chiffres si obscurs pour mes pairs et pourtant si clairs à mes yeux sont nés toutes les merveilles de notre civilisation actuelle. Sans elles, jamais nous n'aurions pu créer et faire naitre les machines dont tu es si fier Aegolius. Ni même les Temples, ou quoique ce soit d'autre. Elles étaient la réponse autant que la question que cherchions tant à obtenir.
Les Mathématiques sont absolues.
Elles ne mentent pas, ni trichent pas. Elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles ne sont qu'un moyen d'en savoir plus, un outil que seul un esprit suffisamment aiguisé peut manier correctement. Je croyais être doté de cet esprit. Je croyais que grâce à elles je parviendrai à nous élever et à rendre notre société plus florissante que jamais. Aujourd'hui… Je n'en suis plus si sûr.
Sont-elles notre salut ou notre chute ? J'aurais voulu ne pas le savoir, ne jamais parvenir à le découvrir. Peut-être… Peut-être que les Chouettes n'étaient pas destinées à autant en apprendre, à autant s'élever. Peut-être est-ce nous - ou bien moi ? - qui sommes les artisans de tout cela. Je ne le saurais jamais. Tout ce que je sais, c'est que la fin approche, et qu'elle est inéluctable.
Cela fait des jours que je ne sors plus de mon laboratoire. Ma dernière découverte aurait dû être fabuleuse, une révolution de plus destinée à marquer l'histoire. J'étais si heureux lorsque cette piste s'est dévoilée à moi au travers de calculs auparavant insolubles. Durant des semaines j'ai cherché à les comprendre, à en percer le secret. Je ne faisais plus rien d'autre et sans toi Aegolius je serais certainement tombé d'inanition à ne plus faire que cela au point d'en oublier de même m'alimenter.
Mon très cher… Toi qui as tant pris soin de moi lors de mes propres errements, tu seras tellement triste quand tu connaîtras la vérité de mon trépas… Je ne sais pas si je dois te le dire ou bien me taire. Quelle différence cela fera-t-il quand tu te blâmeras ? Probablement aucune, car tout ceci est déjà écrit. Rien de ce que je pourrais te dire, de ce que tu pourras faire, ne l'empêchera.
La voilà, cette vérité absurde. L'ultime secret que les Mathématiques m'ont révélées il y a quelques temps. Pour cela aussi peut-être aurais-je du me taire. Les Chouettes l'ont si mal accueillie qu'aujourd'hui c'est comme si j'avais précipité notre fin. Et en même temps, comment leur en vouloir ? Ce n'est pas comme si ce savoir pouvait être si facilement compris ou accepté. Et de toute façon, qu'ils choisissent d'y croire ou de le rejeter, cela non plus ne fera aucune différence.
La Boucle est inéluctable.
Comme les étoiles dans le ciel qui suivent un schéma dont elles ne peuvent dévier. Comme la succession du soleil et de la lune qui ne varie jamais. Comme chacun nait, vit, et fini invariablement par mourir. Je me suis vu, à travers les équations, vivre et mourir inlassablement. J'ai vu le monde s'élever et chuter, périr et tout recommencer. Toujours de la même façon, chaque fois les mêmes événements. Un futur invariable, qui ne fait que revenir à son point d'origine pour avancer vers sa fin.
Je ne comprends pas.
Pour la première fois, mes calculs me laissent perplexe malgré la logique imparable de mes conclusions. Toutes nos recherches, toutes nos avancées. L'œuvre de nos vies entières, pourquoi cela doit-il finir ainsi ? Et surtout pourquoi ce destin semble-t-il si immuable, si figé ? J'ai tenté de tout recalculer, des milliers de fois au moins. D'ajouter des variations, des inconnues, des formules plus avancées les unes que les autres, mais rien n'y a fait. J'ai même songé à appliquer une réciproque à ce Théorème. Une contraposée pour voir si nous y étions pour quelque chose dans cette fin programmée. Hélas, si nos découvertes ne semblent pas particulièrement nous y pousser, revenir à une civilisation bien moins évoluée n'est pas non plus la solution.
Qu'importe les moyens, cela n'empêchera pas notre fin.
Je ne peux pas laisser les choses ainsi. Je ne peux pas nous laisser dériver vers un destin si funeste. Malheureusement, je sais déjà que je n'aurais pas le temps de nous sauver. La Boucle est inéluctable et programmée. Peu importe à quel point nous nous élevons ou pas, peu importe que j'élabore un tas de théories ou de machines pour la contrer. Les Lois de ce monde ne me le permettront pas.
Aegolius… Je ne sais pas si notre Sortilège sera à même de mettre fin à la Boucle. Mon cher et tendre, ton obstination t'honore plus que tu ne puisses le comprendre, mais ta foi en moi est vaine. Je n'ai pas toutes les réponses contrairement à ce que mon arrogance le laisse penser. Ou plutôt, mes réponses ne se sont pas celles que toi, ou notre peuple, ni même le monde entier, souhaite connaitre et accepter. Parfois je me demande s'il ne vaudrait pas mieux cesser cette folie et laisser la Boucle se répéter encore et encore puisque tel est notre chemin tout tracé. Peut-être que les choses doivent se dérouler ainsi.
Ce que je comprends de tout ceci, c'est que peut-être nos fautes doivent être punies. Peu importe que nos avancées soient ou non vecteur de notre disparition, notre arrogance est bel et bien artisane de nos dissensions et de notre désillusion. Pourtant je l'avoue honteusement : je ne suis pas capable d'abandonner. Je ne peux pas admettre que ce problème n'a aucune solution. Et aujourd'hui, penché sur mes schémas plus complexes les uns que les autres, je conserve toujours un peu d'espoir.
L'espoir que nous y parvenions, toi et moi, à parachever ce Sortilège pour échapper à notre destin. Je ne te l'ai pas dit, je ne l'ai dit à personne, mais il subsiste peut-être une autre voie. Tout comme j'ai vu ma propre mort, et celle de tous ceux à venir, il existe néanmoins une faille. Une singularité dans la Boucle. Une infime chance de changer les choses, je l'espère.
Face à notre mort inéluctable, je sais que Surnia a conçu un moyen de conserver notre savoir et nos avancées afin qu'éventuellement cela puisse être transmis même une fois que nous aurons disparu. Mais ce Sanctuaire Eternel… Je n'étais pas d'accord avec ça au départ. Je ne voulais pas donner aux générations futures un espoir vain. Je ne voulais surtout pas qu'ils apprennent une si sombre vérité quand je constate à quel point cela a empoisonné et détruit notre société et mon propre esprit quand je l'ai découverte. Je pensais qu'il valait mieux que la Boucle ne soit pas connue. Que nulle ne sache que le monde marche inlassablement vers sa fin sans aucun recours possible. Quel serait le sens de nos vies, de leurs vies, s'ils apprennent cela ? La vacuité de l'existence est une chose que personne ne devrait avoir à appréhender.
Nous ne sommes pas immortels, et c'est un tabou que personne ne devrait songer à franchir. Mais savoir que le monde lui-même trouvera sa fin et recommencera à l'infini… Je ne souhaite pas que le poison de cette connaissance empêche tout espoir de faire mieux, de faire différemment de nos prédécesseurs. C'est pourquoi le Sortilège doit être achevé. Cela doit fonctionner. Mais contrairement à ce que tu crois Aegolius, ce n'est pas lui qui nous sauvera.
Je sais à quel point tu seras tourmenté lorsque je ne serais plus là. La tristesse et la culpabilité seront ton propre poison en plus de l'héritage que je vais te laisser. Je suis conscient que tu ne comprendras pas. Mes choix, mes schémas, l'injustice de mon trépas. Sache que je ne t'en veux pas mon amour, car ce n'est pas de ta faute. Tu dois accepter que tout est déjà écrit, que rien n'aurait pu l'empêcher. Il m'est apparu que nous ne sommes pas plus les artisans de notre fin que nous n'avons le pouvoir de nous sauver. Nous sommes tout au plus une étape, un moyen, mais pour cela nous devons dépasser cette pensée que les Chouettes ont tout pouvoir, car il y a un après.
Après toi, après moi et même après notre Sortilège.
Le Contre-Sortilège, voilà la véritable clef, ou du moins une qui serait viable. Mais hélas, mes calculs ont clairement démontré qu'aucun d'entre nous ne sera à même de le mettre en place. J'ignore pourquoi. Sans doute requiert-il quelque chose que malgré toutes nos avancées, notre savoir et nos technologies nous ne possédons pas par essence. Le comprendre et l'admettre fut tellement difficile… J'espère que tu me pardonneras un jour de ne rien t'avoir dit à ce sujet, mais tu ne l'aurais pas compris. Comment le pourrais-tu, si je te disais que notre fin doit advenir afin qu'un autre futur soit envisageable ? Que le Sortilège doit en quelque sorte échouer afin de fonctionner ?
Cependant, pour que ce plan ait une chance, il nous faudra acquérir ce qui nous manque. Et je ne parle pas ici de puissance, de savoir ou de technologie. Il parait évident que nous en possédons déjà plus que nécessaire et que cela ne fait aucune différence si nous sommes pourtant incapable de nous élever vraiment.
Peut-être que finalement les Mathématiques absolues ne suffisent pas et qu'elles ne sont pas LA réponse…
Mais toi, mon descendant, tu es l'anomalie que j'ai entrevue. Tu es celui que j'ai vu à la fois périr dans cette bataille au-dessus d'une ville volante et pourtant me retrouver dans le Sanctuaire Eternel. Tu incarne ce paradoxe impossible, cette faille en laquelle je place tous mes espoirs.
Je crois en toi, Otus. Je t'attendrais au Sanctuaire. Tu es la Chouette qui nous sauvera du déclin. Celui qui dépassera cette arrogance hautaine qui caractérise notre peuple et qui le mènera à sa perte. Tu possèderas ce qui nous fait tant défaut aujourd'hui, et tu seras à même de le transmettre bien mieux que notre savoir ne le fera et ne le sera jamais.
Au final, il me semble que c'est tout cela qui nous empêche de véritablement avancer. Nous qui croyons déjà avoir atteint le sommet, l'apogée, nous sommes tout simplement incapables de voir et comprendre que nous n'avons pas fait tout ceci dans le but d'être bienveillants ou altruistes. Non, nous ne sommes rien d'autre qu'égoïstes et persuadés de notre propre justice et vérité. Nos inventions ne sont que des tentatives absurdes d'autoglorification futile. C'est pour cela que nous ne pouvons pas nous sauver. Le monde lui-même est façonné par ceux qui le composent et notre peur de péricliter est ce qui nous y pousse invariablement.
Alors voilà, bien que ma fin apparemment écrite et bientôt actée approche, j'espère pourtant. Je défie les calculs, les probabilités et les théorèmes que j'affectionne tant. Je les remets en question, remplaçant le savoir par l'espoir. L'espoir d'un monde meilleur, car il n'est pas à blâmer, lui. Je persiste à croire dans le futur et la possibilité que les choses changent durablement grâce aux efforts de ceux qui nous succèderont et feront, sinon mieux, au moins différemment.
Qu'un jour peut-être, dans une autre vie, dans une autre Boucle, le monde en sera libéré…
