Afin de fêter l'arrivée de l'été en l'an 289, les Îles de Fer décident de se rebeller contre les Sept Couronnes. En rétrospective, il fallait s'y attendre : tout allait un peu trop bien ces derniers temps.
Ce n'est pas surprenant que les Fer-nés causent des troubles, cette fois-ci ; ils ont toujours été un peuple batailleur et pillard, bon à rien d'autre qu'à la navigation et trouvant plus simple de voler les richesses des autres que d'essayer d'en arracher à leur archipel étique et rocheux. Chaque fois que le Trône de Fer s'efforce de les dompter, de les civiliser, ils finissent toujours par cracher sur la main offerte – mais que peut-on attendre de fous qui tiennent la piraterie pour un commandement sacré et le marchandage pour un blasphème ?
Quellon Greyjoy a été un suzerain étonnamment avisé pour son fief, et suffisamment craint pour que ses vassaux ne s'opposent pas à ses tentatives de réforme, ou le fassent avec si peu de conviction que cela ne mérite pas d'être remarqué. Hélas, il s'en est allé périr en mer, et l'aîné de ses fils survivants tient davantage de ses ancêtres pirates que de son père.
Balon Greyjoy s'imagine vraisemblablement que Robert Barathéon ne pourra pas rallier suffisamment de nobles maison à sa couronne pour écraser la menace des pillards, et c'est facile de voir pourquoi il pense de la sorte. Cinq ans après avoir terrassé la famille Targaryen, Robert demeure fermement l'Usurpateur pour une majorité de ses vassaux et une proportion sans doute pas insignifiante des petites gens, et qui voudrait défendre un roi impopulaire ?
Dans le Nord, il existe un dicton qui proclame que la meute survit, mais que le loup solitaire crève lorsque les temps sont durs. Inutile de demander qui fait figure de loup solitaire, ici, avec les autres loups attendant de le voir périr pour se repaître de son cadavre.
Cette insurrection, fille d'une antique tradition devenant irritante à force de ne pas se laisser étouffer, commence lorsque Balon Greyjoy, sa couronne de bois flotté fièrement perchée sur son crâne, envoie son frère Victarion incendier les vaisseaux Lannister mouillant à Port-Lannis. Question stratégie, c'est assez habile de chercher à détruire l'opposition avant même que celle-ci ne soit consciente du danger, et s'il y a un ennemi avec lequel il est fortement recommandé de frapper brutalement et sans pitié, c'est lord Tywin, le vieux lion des Lannister.
Bien sûr, maintenant que lord Tywin a été attaqué, nul doute qu'il se prépare à riposter avec toute la furie d'un homme ne voyant aucun scrupule à noyer une maison vassale dans leur propre château. Et en cela, il sera secondé par Stannis Barathéon, à qui Robert a transmis l'ordre de prendre la flotte royale pour l'emmener aux Îles de Fer et démontrer à Balon ce que les Sept Couronnes pensent de son désir de ressusciter l'Antique Voie, recrutant au passage tous les navires et les hommes désireux de se joindre au conflit.
Bruce ne doute pas qu'il y en aura à profusion : le chemin de Stannis passera par le Bief, dont l'abondance et la fertilité a causé tant de raids et de razzias qu'une immense hostilité à l'endroit des Fer-nés constitue pratiquement un fait de vie parmi les vassaux de Mace Tyrell. Donnez à ces drôles l'opportunité de jouer le rôle de l'agresseur plutôt que de se retrouver cantonné à celui de l'agressé, et ils la saisiront des deux mains, autant motivés par la revanche que par la perspective de trouver l'ennemi héréditaire à leur porte une fois les Terres de l'Ouest trop ravagées pour leur conférer plus de satisfaction.
Robert veut également que Bruce accompagne Stannis, après avoir expédié une lettre à Dorne pour signifier que des renforts ne seraient pas mal considérés, si les vassaux de Doran Martell désirent en envoyer. Du côté de la couronne, bien entendu après tout, les Îles de Fer sont si abhorrées que leur apporter secours verraient le reste de Westeros se liguer contre l'audacieux à la vue trop courte pour prévoir les conséquences de ses actes.
Bruce croit entrevoir la main de Jon Arryn dans cette recommandation, le vieil homme s'efforçant encore et toujours de panser des blessures qui ne datent pas d'hier mais persistent à entraver le bon fonctionnement du royaume. Robert n'aurait certainement pas la naïveté ou le culot de lui suggérer pareille entreprise, trop bien conscient que les Dorniens préféreraient le voir succomber sous l'effort. Que leur importent les Fer-nés, quand ils vivent de l'autre côté de Westeros ?
Le suzerain d'Accalmie rédige la lettre et la remet à Alfred pour qu'un corbeau s'envole à Lancehélion, mais il ne nourrit intérieurement pas grand espoir de voir la démarche aboutir. Le Bief, les Terres de l'Ouest, les Terres de la Couronne et les Terres de l'Orage (celles-là, Bruce se charge de les rallier avant d'embarquer avec son second frère aîné) devront se débrouiller contre les forces de Greyjoy – et devraient largement suffire. Les Fer-nés sont des pirates, pas de véritables combattants : ils ne savent que s'en prendre aux faibles, et finissent toujours par succomber pour peu qu'un commandant militaire conscient de la bonne marche à suivre ne se laisse pas démonter par leurs frappes éclair.
C'est une tactique de razzia, la frappe éclair, pas une tactique de guerre. Quand la pression cesse d'accabler l'adversaire, il se relève et se défend pour le garder à terre, il est nécessaire de camper sur ses positions.
Aussi, les Fer-nés n'ont aucun refuge si ce n'est leur archipel. Bouchez leurs issues de sortie, et ils seront des rats dans un trou que le paysan excédé par leurs déprédations enfume : condamnés à l'asphyxie sans aucune pitié, car ils n'en demandent pas et n'en méritent pas.
Les haut lords de Westeros exigeront-ils que, de même que les rats, les Fer-nés soient entièrement exterminés ? Ils ont démontrés encore et encore qu'ils ne feront que se rebeller, trop têtus et trop attachés à leur religion de pillards pour suivre la lumière des Sept et de la civilisation. Ne vaudrait-il pas mieux tout raser, réduire les Îles de Fer à un immense cimetière, afin d'assurer la sécurité des Sept Couronnes à l'avenir ?
Le second frère cadet de Robert Barathéon, Premier de ce nom, n'en sent pas moins la nausée lui retourner les entrailles à cette perspective. Il connaît la guerre, il y a participé cinq ans auparavant, pour une cause tout aussi noble que celle d'éradiquer la piraterie, et il l'a vue finir dans l'éradication de la menace.
Il l'a vue finir avec les cadavres hideux, martyrisés d'une femme frêle et de ses deux petits enfants, enveloppés de capes rouges pour cacher tout le sang coulant de leurs plaies et présentés devant le Trône de Fer, si minuscules dans la salle que c'était impossible de ne pas les prendre en pitié.
Balon Greyjoy aussi a des enfants. Le plus jeune doit avoir l'âge de Renly, ou celui de Dickon. L'aspirant à la royauté du sel et du roc a-t-il seulement pensé, seulement imaginé ce que Tywin Lannister se ferait une joie d'infliger à sa progéniture avant de se lancer dans sa quête grotesque pour remettre les valeurs de ses ancêtres à l'ordre du jour ?
Probablement pas, les Îles de Fer ont tendance à recracher des imbéciles avec une profusion déprimante. Nul doute que si Quellon Greyjoy pouvait voir la conduite de son successeur, il l'enverrait lui-même rejoindre le Dieu Noyé, tant pis pour la damnation éternelle réservée au parricide.
À la lueur de circonstances exceptionnelles, les dieux Anciens comme Nouveaux accordent forcément des dispenses, non ?
