Isaac sécha ses joues humides des larmes qui floutaient sa vue. Il ne faisait que ça, de toute façon. Pleurer, puis s'essuyer. Ses mains, mouillées, allaient et venaient entre son visage et son jean.

- Concentre-toi, Isaac.

Le ton de Chris Argent n'était ni sec, ni froid, ni chaleureux, ni encourageant. Empreint d'un sérieux sans limite, il ne faisait rien de plus que lui demander d'accomplir la mission qui lui avait été confiée, à savoir celle de les protéger, ses chasseurs et lui. Il se devait d'écouter religieusement les sons provenant des alentours, de sorte à anticiper l'arrivée potentielle d'un loup ennemi. Un de ces enfoirés qui avaient attaqué leur meute, enlevé Stiles, blessé presque mortellement Lydia, dont l'état était stationnaire.

- Oui, pardon, souffla le jeune loup-garou en essuyant une dernière fois ses mains sur son jean.

Elles étaient tâchées par du sang séché… Et humides de cette peine qu'il peinait à restreindre.

Il savait qu'il devait se reprendre et faire ce qu'on attendait de lui… Prendre sur lui, oublier cette horreur qui lui fendait le cœur en deux et séparait un à un ses morceaux les uns des autres.

- On devrait bientôt rattraper les autres, l'informa Argent. Dès que tu les entends, fais-moi signe.

Isaac acquiesça en essayant de retrouver son sérieux. Se vider de ses émotions, il s'en sentait incapable… Mais il pouvait réussir à en limiter l'impact direct sur ses sens et ses actions pour l'instant. Il devait juste… Chasser les images tant haïes de son esprit, celles qui déjà le hantaient comme si elles dataient d'un temps largement passé.

Elles n'avaient même pas une heure.

Isaac serra les dents, prit la tête du cortège et poussa ses sens lupins à leur maximum. Il ne vit donc pas le regard que posa sur lui Chris Argent. Un regard des plus humains dans lequel sa propre peine transparaissait aisément. Ayant été père, l'homme ne pouvait se montrer véritablement insensible à la profonde tristesse qui écrasait l'adolescent de tout son poids. A vrai dire, il la comprenait parfaitement.

Mais Chris Argent avait toujours agi selon une méthodologie propre à la formation de chasseur qu'il avait suivi depuis tout petit, à savoir la priorité à l'instant « T ». Les émotions pouvaient attendre d'être traitées : pas le présent qui, par définition, devenait instantanément passé.

Alors oui, il se sentait triste et reconnaissait le fait qu'Isaac puisse l'être davantage… Mais il aurait tout le temps de pleurer une fois cette histoire terminée.

xxx

Jackson agissait en pilote automatique. Aux côtés de Deaton, il dirigeait la troupe dont on lui avait attribué la charge d'une main de fer. Mentalement, il n'était pas particulièrement fort… Mais sa façon de réagir au choc avait convaincu le vétérinaire de le faire diriger cette procession quelque peu funèbre.

On avait rapidement bricolé deux brancards de fortune, dont on n'était même pas sûr qu'ils soient véritablement utiles… Qu'ils limitent de façon efficace les secousses qu'occasionnait le rythme de l'avancée du petit groupe composé d'une dizaine de personnes valides : Jackson, Deaton et quelques chasseurs. L'on ne comptait pas les deux inconscients dont on n'a pas réellement idée de l'état. Quoique Deaton avait pu faire quelques observations… Qu'il avait gardées pour lui, ne communiquant rien de plus que l'essentiel à la troupe. La réaction d'Isaac avait été l'exemple parfait pour justifier la raison de sa retenue : dès qu'il avait aperçu Stiles, ç'avait été le drame.

Lorsqu'il avait posé les yeux sur Derek, le monde avait semblé s'écrouler pour lui : cela s'était aussi bien lu dans son regard qu'entendre dans le hurlement brisé qu'il n'avait pu s'empêcher de pousser par la suite. A côté de lui, Jackson n'avait rien fait de plus que fixer les deux corps immobiles, sans prononcer un mot ni lâcher la moindre larme. C'était bel et bien cela qui avait décidé Deaton. Il savait qu'Isaac aurait aimé rester auprès de Stiles et Derek, d'autant plus qu'il partageait un lien presque aussi fort que celui du sang avec ce dernier… Mais le vétérinaire avait jugé que de cette façon, ils se retrouveraient aisément ralentis. Or, c'était de temps dont ils avaient besoin et qu'ils se devaient de gagner…. Car c'était bien contre lui qu'ils jouaient.

Très franchement, Deaton n'était pas très optimiste. S'il considérait le cas de Stiles potentiellement « traitable », il n'entretenait pas beaucoup d'espoirs concernant celui de Derek, dont le corps… Témoignait parfaitement de la violence de son atterrissage. Quoiqu'à bien le regarder, Deaton s'attendait à pire. Il n'avait pas été difficile de deviner d'où Derek et Stiles avaient sauté. Par contre, il avait pu reconstituer mentalement la scène qui avait mené à la prise de cette décision plus que désespérée.

Le cadavre de l'alpha, retrouvé à quelques mètres des corps de Stiles et Derek avait été très parlant à ce sujet. Du fait de son atterrissage face contre terre… De son visage, il ne restait plus grand-chose. Quant à ses os… Certains sortaient de sa peau toute de blanche et de pourpre colorée. Sa mort avait été de l'ordre de l'instantané…

… Ce qui n'était pas le cas de Derek.

Par un horrible miracle, il respirait encore, son cœur battait… Il vivait. C'était ce constat des plus simples qui, malgré le peu d'espoir qu'il entretenait à son égard, avait poussé Deaton à donner l'ordre de le récupérer quand même sans attendre et de le mettre sur ce brancard en essayant de tout faire pour ne pas aggraver ses blessures. Terriblement nombreuses, elles lui laissaient penser qu'il agonisait, cependant… Jackson lui avait certifié qu'il ne ressentait aucune douleur – il n'avait pas réussi à la lui prendre. D'après lui, c'était comme si elle n'existait pas.

Ou comme si les nerfs de Derek étaient trop atteints pour qu'il puisse sentir quoi que ce soit.

- Les fourgons sont prêts ? Demanda Deaton à l'un des chasseurs.

- Ils vous attendent à la sortie de la forêt, lui répondit-on.

Il s'agissait de camions grossièrement transformés en semblant d'ambulances, que le vétérinaire avait demandé de rendre disponibles dès que possible. Au total, il y en avait quatre, mais force était de constater que seuls deux seraient nécessaires tant ils avaient peu de blessés à déplorer de leur côté. Leur attaque sur la meute ennemie avait été si bien orchestrée que les coups de griffes, pour la plupart superficiels, n'étaient que peu nombreux. L'on pouvait également remercier la présence et l'efficacité de Jackson Whittemore et Isaac Lahey qui, malgré leur rétablissement aussi récent qu'incompréhensible, avaient donné de leur personne pour encaisser ce qui aurait pu coûter la vie à nombre de ces chasseurs humains. En somme, c'étaient eux qui avaient attaqué et suffisamment immobilisé les troupes ennemies pour que les sbires de Chris Argent puissent ou endormir, ou blesser derrière, pendant que Derek parfaitement en forme à ce moment-là, partait en éclaireur. Le but n'était pas de tuer : simplement de sécuriser l'opération, la zone et récupérer les informations qui les intéressaient, à savoir l'emplacement de Stiles. Quoique Derek n'avait pas attendu le moindre aveu pour foncer… Et il l'avait trouvé, probablement sauvé… Au détriment de sa propre vie.

Cette vie que Jackson entendait lentement s'égrener.

- On accélère, décida-t-il.

Deaton le regarda un instant et s'il ne dit rien… Il n'en pensa pas moins. Pour lui, Derek était déjà mort. Le vétérinaire faisait l'expérience du surnaturel depuis nombre d'années déjà et il était fort bien placé pour savoir où s'arrêtaient les limites des bienfaits du métabolisme lupin. Si Derek devait survivre à cela, son corps aurait d'ores et déjà commencé à guérir, d'autant plus que s'il se fiait à la hauteur de la falaise de laquelle il avait sauté… Pour Deaton, il n'y avait aucun doute à avoir. Il pouvait néanmoins le remercier : il était clair que son sacrifice n'avait pas été vain car si son corps était un ramassis d'hémorragies et d'os brisés, celui de Stiles s'en sortait relativement bien. Ses blessures, plaies et ecchymoses confondues… N'étaient pas le résultat d'une chute. Il était facile pour lui de déduire qu'elles n'étaient rien de plus que le résultat d'une maltraitance claire et répétée : la marque de fabrique d'une meute dont l'alpha ne voyait que par le prisme d'un pouvoir qu'il n'obtiendrait jamais.

- On accélère, répéta le vétérinaire.

Car s'il n'entretenait pas grand espoir dans la guérison de Derek, l'abandonner ne faisait néanmoins pas partie de ses plans. Le respect qu'il avait pour lui, pour de feu sa mère… Ce n'étaient pas des choses que la potentialité de la mort pouvait effacer en un claquement de doigts.

Ainsi, la procession progressa aussi vite qu'elle le put, sous le regard des étoiles transcendant le velours noir du ciel de nuit, dont la lueur était un peu plus forte que d'ordinaire… Et qui se reflétait dans les yeux légèrement entrouverts de Stiles.