Bon, finalement l'été était peut-être un peu ambitieux (dixit la personne qui se pointe avec trois ans et demi de retard sur le planning annoncé. Bonne année à tous au passage). Mais ! J'ai bien avancé sur le plan de cette partie et à défaut d'avoir récupéré l'envie de l'écrire et d'avancer l'intrigue j'ai quand même rédigé trois chapitres, donc de quoi poster jusqu'en mars !

Pleins feux sur les intrigues de la maison Serpentard et des OC qui se sont multipliés sans mon consentement.

Ocelaw : merci pour ta review sans laquelle j'aurais continué de procrastiner jusqu'à avoir écrit quelques autres chapitres (vu ma vitesse d'écriture actuelle, je n'aurais pas posté avant un certain temps).

Bonjour à musme, Lupinette et Cinder et merci pour vos encouragements.

Il fallut un mois avant que les attaques des maraudeurs ne cessent, aussi rapidement qu'elles avaient commencé. Le délai prouvait que l'inquiétude sur le visage de Potter à son petit discours n'avait pas duré longtemps face à la rancœur de Black. Severus soupçonnait Dumbledore d'avoir resserré la laisse de ses chiens et l'invitation à se rendre dans son bureau pour un thé le confirma. Dumbledore avait cessé ses tentatives à l'occasion de la coupure des vacances d'été et ne les avait pas renouvelées depuis. Severus brûla la missive sous le regard inquisiteur de Regulus.

-Ne devions-nous pas faire de notre mieux pour rester dans les bonnes grâces de l'équipe professorale ?

Severus ne réagit pas à la pointe moqueuse dans son ton. Elle l'aurait davantage inquiété si elle avait été accusatrice, mais Regulus ne semblait véritablement avoir aucune envie de régner et avait depuis longtemps délégué l'administration quotidienne. Il n'avait généralement aucun problème à accepter les actions proposées par Severus, d'autant que celles-ci partageaient généralement l'objectif de Regulus.

-Dumbledore sait. Cela nous laisse le temps de préparer une réponse.

Assise à côté de Regulus, Sophie Rowle lui adressa un regard curieux que partageait sa sœur dans un des fauteuils adjacents.

-Severus en recevait en moyenne deux par mois à l'an passé et elles finissaient toujours de la même manière, commenta Orphée, installé de l'autre côté de Regulus, avec un signe de tête en direction de la cheminée.

Orphée et Regulus semblaient tous les deux être entrés dans une période d'arrogance que Severus trouvait irritante. Il n'avait pas, comme avec Albus Severus, l'option de s'éloigner jusqu'à ce qu'ils regagnent leurs sens et comprennent que les petites réussites qu'ils avaient accumulées ne justifiaient pas ce degré de morgue. Il avait connu des Gryffondors moins plein d'eux-mêmes que ces deux-là. Severus se souvenait que dans une autre vie, Orphée n'avait jamais émergé de l'ombre de Regulus et était mort quelques mois avant lui dans un raid mangemort dans des circonstances que Severus n'avait jamais jugées assez intéressantes pour daigner les approfondir. Quant à Regulus, son manque d'intérêt pour le trône était patent et sa mort prouvait qu'il n'avait jamais eu la force de caractère pour devenir un des mangemorts au sujet desquels il collectionnait les articles de la Gazette. Severus avait survécu au deux ce qui, dans la société sorcière, était le stade minimal de l'intelligence. Ces deux-là avaient eu le défaut de se croire plus intelligents qu'ils ne l'étaient et en conséquence de se mettre dans des situations qu'ils auraient mieux fait d'éviter.

Severus n'avait que très peu de patience pour les imbéciles, malheureusement l'autorité dont il jouissait sur la maison Serpentard dépendait de ses bonnes relations avec Regulus, aussi supportait-il les interminables soirées de politicailleries de la cour qu'il aurait plus volontiers passées à tester les idées de recettes de potion dont il noircissait des carnets. Objectivement, il était fort probable que ces rendez-vous lui étaient profitables à plus d'un titre, puisque contrairement à lui la majorité des membres de la cour maniaient les codes sang-purs que Severus, pour tous ses efforts, ne maîtrisaient encore qu'imparfaitement. Bien assez pour se faire passer pour un sang-pur, mais pas pour l'un des plus traditionnels. Ce qui serait nécessaire si ses échanges avec les Black se concrétisaient. Tout du moins, il était désormais engagé dans un vif échange épistolaire avec Arcturus Black sur le sujet de la Tue-loup nouvellement publiée par Belby, et maintenait un contact plus sporadique avec Narcissa, partie faire un tour d'Europe avec quelques amis.

-Si Severus ne s'y rend pas, le directeur forcera une confrontation ou cherchera un maillon faible, analysa Sophie Rowle, s'attirant un regard discrètement courroucé de sa sœur ainée.

La cadette Rowle n'avait que récemment commencé à l'appeler par son prénom, une familiarité que désapprouvait sa sœur ainée. Gonfalon lui avait rapporté dernièrement une amusante conversation des deux sœurs sur le sujet où Sophie insistait qu'il s'agissait d'une manœuvre volontaire pour se rapprocher de Regulus qui le considérait visiblement comme un parent, plutôt qu'un lapsus involontaire qu'elle avait par la suite dû assumer et qui signalait que Severus améliorait ses manières sang-pures.

-Encore faudrait-il que Dumbledore sache qui convoquer, répondit Regulus d'une voix douce en se rembrunissant comme chaque fois qu'il était question de Gryffondor ces temps-ci.

Un bref silence tomba sur la cour, l'amertume ayant laissé transparaître une pensée moins calculée que celles qui étaient la norme de ce gouvernement de cohabitation. Regulus avait progressé ces derniers temps, mais comme Sophie sa jeunesse rappelait souvent son souvenir par des maladresses. Phoebe s'épargnait ces faux-pas en n'intervenant que sporadiquement et il devait être clair pour Dolores Rowle que son véritable adversaire était Severus qui témoignait d'une égale politesse et de la capacité de la briser si le besoin s'en faisait un jour sentir.

Le ton calme de Regulus pouvait laisser penser que cet écart était calculé, qu'une opposition le séparait de Severus, alors que celui-ci savait que de toutes autres causes étaient à l'origine de sa colère. Le désaveu de son frère, qui clamait sans discontinuer la lie sur la maison Serpentard et refusait d'admettre désormais qu'il eut un frère autre que Potter. La situation précaire dans laquelle se trouvait la maison Serpentard. Le besoin de ne pas faiblir dans un rôle dont il voulait la responsabilité plus que l'apparat. Regulus lui aurait volontiers laissé la royauté si cela ne lui avait pas attiré les foudres de sa famille, si fière de compter un autre roi en leur sein. N'était-il pas ironique que Severus lui-même préfère le pouvoir à son apparence ? Rowle aurait pu être reine par défaut entre eux deux et sans doute appréciait-elle la large marge de manœuvre que lui laissait leur désintérêt mutuel auprès des Serpentards qui préféraient les intrigues aux duels. Leur cour était indéniablement composée de plus de duellistes que de courtisans, à l'inverse de celle de Narcissa, un changement qui allait avec l'époque mais n'était pas sans laisser les courtisans mécontents. Chaque roi équilibrait ces deux partis durant son règne et Rowle avait effectivement en charge la moitié de la maison qui avait déjà choisi un parti.

-Tu es le roi, répondit Severus, bien que d'eux trois l'autorité de Regulus soit surtout symbolique et s'étendent davantage vers ceux de son âge et plus jeunes tandis que ses aînés se partageaient les plus âgés.

Ne restait qu'à espérer qu'Albus le reconnaisse aussi. Une autre convocation pour Severus était attendue et bien que la confrontation au directeur soit désagréable elle n'aurait aucun impact sur la cour. Si Rowle était convoquée, en revanche, sa grâce sociale était suffisante pour préserver la maison mais l'implication devrait être gérée avec un soin que Severus ne maîtrisait pas encore. Quant à Regulus, son statut en sortirait grandi mais Albus obtiendrait de lui toutes les informations qu'il voudrait sans même que le jeune roi ne s'en rende compte.

De manière prévisible, toutefois, ce fût Severus que le directeur choisi d'interroger. Une embuscade qui somme toute avait été anticipée, aussi Severus ne vacilla qu'imperceptiblement en l'apercevant en grande conversation avec Lily. D'après l'agitation de son expression et de ses mains, elle trouvait la conversation fascinante et ne l'interrompit qu'une fois son argument fini tandis que Severus attendait patiemment à deux pas d'elle, son attention délibérément portée sur l'élève plutôt que le directeur qu'il aurait dû saluer. Il avait toutefois établi depuis longtemps auprès du directeur sa passion pour tout ce qui pouvait toucher à Lily, aussi se permit-il d'attendre jusqu'à la fin de son propos pour offrir un « Monsieur le directeur » au ton poli contrastant avec son manque de respect. Dumbledore l'avait sans doute perçu, quoique l'on ne puisse jamais être sûr avec les Gryffondors. Généralement on pouvait insulter ceux-ci pendant des années sans qu'ils ne le perçoivent pour peu de faire preuve d'un peu de subtilité. Mais Albus était plus fin que la majorité de son ancienne maison, qui ne percevait sans doute pas le message que communiquait les robes qu'il avait choisi de porter ce jour-ci. Les étoiles dansantes y étaient assez distrayantes pour faire oublier le ciel nocturne où elles étaient piquetées, le bleu sombre et l'or rappelant les couleurs de la maison Fenwick. La lecture du journal la veille lui avait remémoré un peu plus du jeu de chaises musicales auquel les dirigeants des Brauhz s'étaient livrés pendant la première guerre.

Il se disait que Comgall Fenwick avait été un des compagnons d'arme de Dumbledore lors de la guerre contre Grindelwald, et c'était en tout cas à la faveur de celui-ci qu'il s'était imposé comme le sous-directeur des Aurors à l'issue de la guerre civile de 1960. Il s'était montré un second reliable pour Thésée Dragonneau, qui dirigeait quant à lui les Aurors, et qui le remplacerait bientôt par Amélia Bones, laquelle le remplacerait à son tour quand il deviendrait directeur de la justice magique jusqu'à son assassinat, un mauvais calcul du Seigneur des Ténèbres puisque Croupton se révélerait autrement plus radical. Que Dumbledore porte le deuil d'un vieux compagnon de route n'était pas étonnant, mais qu'il le fasse d'une manière si commune aux sang-purs rappelait qu'il n'était pas uniquement le défenseur des nés-moldus.

Severus ne pouvait qu'estimer si Dumbledore méconnaissait ces usages, s'il les insultait ou si Fenwick avait véritablement été si important pour lui, car seul un membre de sa famille, un affilié ou un ami très proche arborait généralement les couleurs du défunt. Comprendre les intentions et raisonnements du directeur avait toujours été un exercice complexe, bien loin des tentatives balbutiantes de ses élèves. Qui aurait pu dire s'il était sincère en assurant à Lily que leur conversation actuelle était suffisamment engageante pour qu'il les accompagne ou seulement suffisamment patient pour commencer son interrogatoire quand Severus serait moins alerte ? Probablement les deux, la recherche avait toujours été une de ses passions et les idées de Lily révolutionnaires.

-Monsieur le directeur, salua à son tour Phoebe quand ils la rejoignirent, son regard surpris rapidement remplacé par la compréhension en voyant son inhabituelle escorte.

Les premières années furent moins discrets, dévisageant avec insistance le directeur en sortant du cours de Sortilège, leur brouhaha se coupant brusquement quand ils réalisaient en quelle compagnie ils se trouvaient. Leur manque d'astuce était proprement effroyable. Pour l'honneur de la maison Serpentard, Severus espérait vivement qu'ils s'améliorent, mais n'allait certainement pas ajouter cette tâche titanesque à l'entrainement de ses sycophants. Le première année dont il était le mentor lui suffisait amplement. Le directeur ignora avec bonhomie les coups d'œil qu'ils pensaient discrets en devisant sur la résonance magique, tandis que Lily tentait d'expliquer la ressemblance avec les champs électriques, que Severus hasardait leur similarité avec les effets des syllabes de puissance et que Phoebe demandait quelques éclaircissements sur des théories de métamorphoses relevant de la fin de maîtrise. Aucun Serpentard digne de ce nom ne laissait passer une opportunité d'avancer deux objectifs en même temps.

La conversation était suffisamment agréable pour que Severus oublie un moment qu'Albus n'était plus celui de son professorat mais de sa scolarité et ne se prenne à discuter de la création de sorts. Une discipline qui, si elle n'était pas interdite, était mal vue du ministère, particulièrement en temps de guerre où trouver un contre-sort à temps pour sauver un Brauhz relevait de la gageure. Son interdiction à venir d'ici à quelques années – une des nombreuses libertés perdues et jamais recouvertes à l'issue de la première guerre de sang – était une hérésie selon Severus, opinion qu'il savait partagée par Dumbledore. Le directeur n'avait cependant rien à craindre du ministère tandis qu'une simple suspicion était malvenue pour Severus dans le climat actuel. Une remarque de Dumbledore, mésestimant le nombre de décennies qu'il avait en avantage sur Severus, lui rappela la situation :

-Il a dû falloir beaucoup d'efforts pour mettre en place une telle organisation.

Les yeux de Severus suivirent ceux bleus froids du directeur, balayant du regard les premières années qu'ils escortaient à leur deuxième classe de l'après-midi, puis Lily et Phoebe engagées dans une conversation académique agitée devant le groupe. L'interrogatoire commençait finalement et si la manœuvre n'avait pas déstabilisé Severus, elle l'avait tout du moins perturbé, aussi était-il assez mécontent de sa première réponse, somme-toute trop transparente dans son premier degré :

-Nous venons à Poudlard pour apprendre, arriver en cours est l'une des premières conditions, rappela Severus, choisissant avec soin les sous-entendus qu'on pouvait attendre d'un Serpentard de seize ans.

-Le climat scolaire a été quelque peu hectique, reconnut de bon gré le directeur, mais la situation est en voie d'amélioration désormais, assura-t-il sans toutefois que Severus ne se risque à détacher les yeux de la joie de Lily.

Une bouffée de colère monta dans sa poitrine, qu'il réprima fermement. Il savait que Dumbledore ne voulait pas sous-entendre qu'il avait sciemment laissé faire. Ce n'était pas le genre d'actions auxquelles Dumbledore se livrait, mais il était toujours tellement perpétuellement occupé qu'elles arrivaient quand même, leurs auteurs voyant dans son manque de réaction une approbation tacite et non une ignorance. Bien plus que ses actions, c'était les inactions du directeur qui le rendaient si répulsif. Parce que Dumbledore aurait dû savoir. Aurait dû agir. Aurait dû accorder la priorité aux élèves de Poudlard, la sécurité aux enfants qui étaient à sa charge. Aurait dû leur accorder une première chance au lieu d'excuser leurs actions quand l'environnement délétère de leur scolarité les poussait à celles qui arrivaient au Président du Magenmagot. Et c'était une chose que Dumbledore n'avait jamais fait, ni quand Severus avait maintes fois insisté sur le sujet, ni quand McGonagall avait soutenu le même propos. Ce manque d'adaptation rendait Dumbledore fondamentalement nuisible aux Serpentards.

-Et nous espérons que les choses continuent ainsi, assura Severus sans parvenir à masquer entièrement sa colère.

-Nous ? interrogea Dumbledore, sans évoquer la menace tacite que les mangemorts recevraient un généreux don si la situation se dégradait pour les Serpentards.

-Quand je suis arrivé à onze ans on m'a dit que Poudlard serait ma maison, mes condisciples ma famille, rappela Severus en adoucissant sa voix pour renforcer l'effet de ses paroles. Il est naturel qu'une famille assure la sécurité de ses plus jeunes membres, ne pensez-vous pas directeur ?

Dumbledore ne le réprimanda pas pour son impertinence et fit ses excuses à Lily et Phoebe tandis que les premières années entraient avec un air désespéré dans la salle de métamorphose. Leur jeu d'acteur, au moins, s'améliorait. Pleine d'enthousiasme pour les théories qu'elle venait de découvrir, Lily les entraina dans un débat qui les occupa pour la suite de l'après-midi, et Severus chassa de son esprit cette désagréable rencontre pour ne se concentrer que sur leur conversation. A peine échangea-t-il quelques mots avec Phoebe sur le sujet en ramenant les premières années au bercail avant d'en faire état à la cour. Severus connaissait bien la reluctance à se laisser inéluctablement charmer par Albus, il l'avait expérimentée maintes fois et elle n'était somme toute pas si différente de la capacité du Seigneur des Ténèbres à infuser une douce ivresse qui rendait même le désespoir joyeusement meurtrier. Certains sorciers étaient bien plus que cela, et la fascination qu'ils et elles avaient inspirés traversait les siècles. Ne pas les fuir revenait à se trouver aspirer dans leur orbite, misérables insectes dont la vénération ou la haine n'influençaient que peu la trajectoire de ces géants.

Le directeur était l'un de ceux-là et Severus comprit fort bien le conflit qui animait Phoebe quand elle reçut une invitation à discuter métamorphose, là où les autres membres de la cour ne perçurent que la répugnance et la crainte. Une fois entrainé, seule une intervention externe pouvait éjecter le satellite de son orbite et Phoebe devait savoir que personne ici ne se risquerait à la remplacer dans ce ballet céleste. Severus n'avait échappé à l'emprise du Seigneur des Ténèbres que par la force de gravité d'Albus sa vie passée et aujourd'hui encore il se débattait pour ne retomber dans aucune de leurs attractions. Phoebe lutterait. Elle perdrait, à moins que le directeur ne se désintéresse d'elle en premier et même ainsi elle resterait un astre à la dérive, sa trajectoire à jamais modifiée par cette rencontre. Severus avait espéré qu'il vise Regulus dont la famille contrebalancerait le poids par sa propre importance habilement maniée par Pollux. Regulus dont la jeunesse pouvait paraître une faiblesse et qui aurait dû sembler un meneur naturel à un Gryffondor. Mais le directeur avait visiblement décidé d'éviter un conflit stérile. S'il avait choisi Rowle il se serait réjoui des tensions qui, si elles étaient délicates à gérer et pouvaient facilement dégénérer en coup d'état, auraient diminué l'influence de celle-ci. Mais il avait choisi Phoebe Beurk, passionnée de métamorphose et sans soutien, comme il avait précédemment choisi Severus, passionné de potion et sans soutien, mais rétif et ultimement trop difficile à manipuler. Phoebe le serait-elle également ? Severus avait une vie vécue derrière lui et il subissait encore l'attraction de Dumbledore. Phoebe, à dix-sept ans, n'avait pas cette expérience et avait-elle seulement le caractère pour résister ? Comprendrait-elle que fuir était la seule échappatoire, qu'un séjour impromptu à l'infirmerie à défaut d'une lettre brûlée étaient la meilleure stratégie ? C'était là deux faiblesses auxquelles Phoebe n'était pas prête, pas quand tous les membres de la cour étaient intimement conscients qu'ils ne pouvaient fléchir devant les autres. Que même Phoebe qui se tenait en marge savait qu'elle pouvait être un collatéral ou un premier assaut s'ils s'entredéchiraient. Ils étaient des Serpentard, et leur ambition était leur force et leur faille.

Severus n'avait aucun doute qu'elle ait gravi l'escalier du bureau du directeur avec la conviction qu'elle apprendrait bon gré mal gré d'un Maître en métamorphose et ne dirait rien de Serpentard. Qu'elle serait gagnante et reproduirait cet exploit. Et peut-être ressortirait-elle également avec cette conviction, inconsciente qu'elle avait été ferrée. Il n'y avait aucun moyen de gagner, seulement de mitiger les dégâts. Phoebe n'en avait visiblement pas encore conscience :

-Il a évoqué Serpentard, rapporta-t-elle à leur réunion suivante, convoquée en urgence à son retour tardif. J'ai chaque fois redirigé vers la métamorphose. J'ai l'impression qu'il veut des noms. Des meneurs. Je ne pense pas qu'il ait acheté l'effort collectif sans meneur clef.

Severus doutait que ce soit la seule chose que Dumbledore ait appris, mais il ne le fit pas remarquer. Phoebe n'avait pas été préparée à être convoquée, simplement parce qu'aucun d'eux n'avait envisagé qu'elle le soit. Elle était la moins manifeste des membres de la cour. Peut-être était-ce pour cela qu'Albus l'avait ciblée, mais cela supposait qu'il ait dévolu suffisamment de temps à la situation pour le découvrir. Improbable quand la guerre l'occupait tant.

-Sait-il que tu fais partie de la cour ? demanda Orphée.

-Je ne sais pas.

-Il veut une guerre civile, déclara Dolores Rowle.

Severus garda le silence tandis que tous se tournaient alarmés vers elle. Il était surpris que ce soit elle qui ait mentionné cette éventualité, mais pas qu'elle ait abouti à cette conclusion. Connaître les acteurs, les meneurs et les contestataires, ceux qui dirigent, ceux qui suivent, ceux qui pourraient être suivis, il n'y avait pas besoin de plus pour déstabiliser une situation déjà précaire. Si un élément exogène voulait disloquer la fragile unité de la maison Serpentard, il suffisait de pousser Rowle, de lui donner des garanties pour qu'elle défie Regulus. Pris dans un conflit interne, ils cesseraient d'être une menace. Très Serpentard comme plan. Probablement pas celui de Dumbledore, mais un qu'un groupe de Serpentard accepterait sans difficulté.

-Je vais renforcer la surveillance autour de Prince, murmura Severus en regardant Rowle dans les yeux.

Regulus prit la parole tandis qu'ils continuaient de se fixer. Tous deux savaient que le temps d'Artémis était passé, que ses soutiens autres que ses sycophantes s'étaient pour la plupart dissipés et qu'il faudrait beaucoup d'efforts pour les fédérer à nouveau. Un investissement coûteux quand Rowle avait déjà une solide base. Lui seul savait que ce n'était pas le plan d'Albus mais que, planifié ou non, celui-ci avait déjà porté un coup décisif à la royauté. Rowle avait toujours été une menace latente, depuis la formation de cette cour, savamment contrecarrée par la présence de ceux hérités de la cour précédente. Regulus, avec ses faiblesses. Orphée, trop jeune pour être un réel danger pour quiconque. Severus, qui ultimement n'était qu'une seule personne. Phoebe, discrète mais indispensable à l'équilibre. Le calcul était simple : Severus devait être écarté avant de s'attaquer à Regulus. Mais Severus serait protégé par Phoebe, par son talent de métamorphose et ses deux solides sycophants, par son manque d'ambition et sa loyauté aux Black, par juste assez de talent relationnel pour ne pas être menaçante mais assez pour tenir, et assez d'aptitude au combat pour que nul n'oublie jamais qu'elle était une duelliste. Severus ne pouvait être attaqué si Phoebe n'avait pas été neutralisée au préalable. Phoebe ne pouvait être neutralisée sans alerter Severus. Neutraliser les deux ensemble supposait un complot assez grand pour qu'il arrive aux oreilles de Severus avant sa mise en œuvre. La cour s'était soigneusement mise en échec mutuellement et nul ne profiterait d'une rupture de cet équilibre.

Nul, sauf Albus qui l'avait rompu. Le savait-il ? Probablement pas, mais l'effet était le même. Un risque et une taupe potentielle étaient trop dans une seule cour. Il ne serait pas le seul à avoir cette pensée et les opportunités qu'elle ouvrait. S'il n'écartait pas lui-même Phoebe de la cour, Rowle le ferait et en récolterait le crédit auprès de la maison Serpentard, une première victoire dans un défi à l'autorité dérisoire de Regulus. Regulus qui ne verrait probablement aucun problème à ce que Phoebe pactise semaine après semaine avec celui que la maison haïssait, lui qui se montrait plus gêné que Severus vexe le directeur qu'il ne l'était par ses invitations. Mais si Severus écartait Phoebe, il minait l'autorité de Regulus, sabotait sa propre position et récoltait la haine de Phoebe. Qu'importe que ce soit Dumbledore qui lui fasse perdre sa place à la cour quand c'était Severus, dépourvu du charme des géants, qui était l'exécuteur de cette décision. Dumbledore qui l'avait rappelé deux semaines après leur première entrevue pour discuter de métamorphose comme ils avaient un jour discuté d'alchimie.

Le front sur le carreau strié de gel, Severus soupira. Il avait perdu. De quelque manière qu'il retourne le problème, mitiger les dégâts était la seule possibilité. Une main délicate se posa sur son épaule.

-Quoi que ce soit qui te préoccupes, il doit y avoir moyen d'en faire moins, Sev, murmura-t-elle.

Il posa sa propre main sur celle de Lily, si innocente, si loin de la guerre, que ce soit celle en dehors des murs ou celle feutrée de la salle commune. Lily qui ne comprenait pas que protéger les premières années n'avait jamais été son objectif, que ce n'était pas parce que les attaques des maraudeurs avaient cessé qu'il pouvait se détendre. C'était les Black que Severus courtisait et là était toute la difficulté du problème. Quelle que soit la décision qu'il prenait, il s'affirmait au-devant de Regulus qui apparaîtrait comme un pantin creux, et combien de temps celui-ci l'accepterait-il ? Le luxe d'attendre lui avait été ôté quand Dumbledore avait insisté et Phoebe n'avait pas osé dire non. Ses sycophantes étaient formés au combat, mais les dévoiler anéantissait leur utilité en tant qu'informateurs. En entrainer d'autres était un aveu de faiblesse envers Rowle et de manque de confiance envers Phoebe. C'était faillir à masquer que le contrôle lui échappait, et presque un signal pour Rowle que plus rien ne lui barrait la route. Mais ne pas le faire n'était que repousser l'inévitable, puisque tôt ou tard Rowle testerait les limites de son pouvoir contre Phoebe. Pousser Regulus à considérer Sophie Rowle qu'il ignorait pour l'instant serait malvenu, un aveu et une assertion qui ravirait Rowle et dont la présomption enragerait Regulus.

Ne restait que la rupture de l'équilibre, élargir le conflit au-delà de la salle commune, répondre à une attaque externe par un bouleversement externe. Black vociférait avec endurance contre les Serpentard et les remontrances et consignes de Dumbledore ne pourraient pas contenir longtemps son enthousiasme à l'idée d'infliger aux Serpentard les fruits de sa haine. Et dans son sillage il entrainerait inévitablement Potter et Pettigrew. Les maraudeurs rompraient le statu quo, il n'y avait aucun doute à cela. Le feraient-ils à temps pour resolidariser la maison contre un ennemi commun, pour coaliser leurs ambitions autour d'une trêve comme cela avait été le cas les mois précédents ? Un retour des maraudeurs éliminerait tous les dangers, non pas tant qu'il étouffe les ambitions mais parce qu'aucun Serpentard ne se serait risqué au suicide social de la désapprobation générale de ceux avec lesquels il devait composer. Assurer cette union serait simple. Il suffirait de les leurrer, avec un groupe de deuxièmes années pour plus d'impact. Se porter volontaire pour une rotation auprès d'un groupe toujours escorté par un ainé mais infiniment moins gardé que les premières années, choisir un itinéraire croisant celui des maraudeurs. La haine que Severus leur inspirait ferait le reste.

-Impossible, souffla-t-il.

Une telle manœuvre, aussi discrète soit-elle, laissait des traces que Rowle au moins pourrait comprendre et utiliser. La méthode manquait de finesse, éveillerait trop de soupçons. Ceux de Rowle, certes, mais aussi de Dumbledore auquel il tentait de faire oublier son talent de combattant, et pire Rowle ne se priverait pas de les pointer à Regulus pour lequel la protection des plus jeunes était le seul objectif. Un suicide.

-Tu dois tenir jusqu'à la fin de la période, insista Lily, ses préoccupations à mille lieux de celles de Severus.

Peut-être était-ce pour cela qu'il avait choisi un plan moins efficace mais moins risqué. Ou peut-être était-ce parce qu'il savait qu'il la perdrait et qu'il avait déjà causé sa perte. C'était pour le piéger lui que Dumbledore avait rencontré Lily, écouté ses hypothèses et probablement été séduit par son esprit comme il l'avait été une vie précédente, ainsi qu'il l'avait mentionné dans les rares moments où Severus avait toléré que l'on évoque son souvenir. Maintenant que Dumbledore savait quel trésor elle était, il était inévitable que Lily lui parle, adhère à ses convictions, puis à l'Ordre du Phénix et qu'elle succombe au charme de l'époux qui causerait sa mort. L'enchainement des événements était inéluctable et Severus se rendait compte à présent qu'il en était devenu sans son consentement un des maillons. Il est certaines choses auxquelles l'on ne peut échapper, comme l'attraction d'un corps céleste ou le poids d'une prophétie. Etait-ce l'influence de celle-ci qui s'exerçait avant même que les mots ne passent la bouche de Trelawney ? Etait-ce la croyance de Severus qui forçait celle-ci à s'accomplir ? Ou n'était-ce que les désillusions avec lesquelles il justifiait son geste ?

-Phoebe me préoccupe, murmura-t-il et elle l'écouta avidement, sans aucune idée du sort auquel il la condamnait.

Lily l'écouta car il était pour elle un ami à défaut d'un confident – comment pourraient-ils l'être puisqu'ils avaient tacitement décidé depuis Amy que certaines choses ne seraient jamais évoquées entre eux, que jamais il ne pourrait percevoir l'affirmation chez elle de convictions avec lesquelles il était en tout point opposé ? Lily l'écouta et en bonne amie elle l'assura de son soutien, joyeuse à l'idée d'en apprendre plus du maître, heureuse d'aider Phoebe à s'extraire d'une délicate situation.

Phoebe comprit sans doute que la présence de Lily en bas de la gargouille directoriale ne tenait pas de son envie irrépressible de discuter de sa dernière théorie. Que Dumbledore l'ai compris importait peu, puisque c'était une relation qu'il aurait de toute manière cultivée. Severus lui avait renvoyé la même configuration qui avait menacé de fracturer la cour. Et il importait bien moins aux Serpentard que Phoebe se rende au chevet du directeur, pourvu qu'elle ne s'y rendait pas seule. Les suspicions d'espionnage qui auraient pu voir le jour n'émergèrent jamais, étouffées par l'évidence d'un club improvisé de passionnés de métamorphose.

Et quand, au tournant de la nouvelle année, les maraudeurs se laissèrent emporter par l'ambiance festive en de nouvelles violences, tout danger fut écarté. Sa stratégie avait porté ses fruits. Il avait gagné.

Il avait perdu.