CHAPITRE 29 : Une lumière éclatante

Indigne. Misérable. Bon à rien. Raté. Erreur. Honte.

Les rires mesquins, moqueurs, cruels, de ses frères emplissaient sa tête de leur écho. Le regard déçu, et dégouté, de son paternel était tatoué derrière ses paupières, et ses paroles désobligeantes, imprimées dans ses oreilles. Son désaveu.

- Sanji-kun ?

La douce voix, un brin soucieuse de Nami, se faufila entre les souvenirs qui revenaient à la surface le hanter et les repoussa dans le coin sombre où ils se tapissaient en attendant sa prochaine faiblesse. Le blond croisa le regard de la jeune femme assise dans ce lit, échevelée, avec des hématomes sur le corps, des empreintes de doigts violacées autour du cou, et qui pourtant rayonnait d'une grâce éthérée avec cette enfant dans les bras. Elle lui sourit tendrement, comme une invitation à sortir de son coin et à la rejoindre. La maternité la rendait encore plus éblouissante. A côté, il n'était rien. Il ne devrait même pas être dans cette pièce, mais il n'avait pas envie que les autres remarquent sont état d'esprit et détournent leur attention des nouveaux parents. C'était leur moment, pas le sien.

Avec un sourire factice, Sanji se mit en autopilotage, et avança vers Nami, la gorge serrée. Cependant, il garda ses distances et évita de baisser les yeux vers la petite. Hikari. Elle s'appelait Hikari. Il refusait obstinément de la contempler. Il ne l'avait pas fait jusqu'à présent, pour une raison différente, mais désormais il en était indigne. Pas après tout ce qu'il c'était passé, pas après ce qu'il avait pu penser…

- Je suis heureux de voir que vous allez bien toutes les deux. Tu peux être fière de toi, Nami-chérie. Cette petite a bien de la chance.

Des banalités, sans excès, c'était tout ce dont il était capable. Cela ne l'empêchait pas d'être sincère, il n'avait juste pas l'énergie d'en faire plus. Et puis se serait déplacé de la courtiser avec un nourrisson dans les bras. Nami sentit que quelque chose n'allait pas et baissa les yeux sur son enfant, vexée ou bien déçue qu'il ne daigne la regarder.

Tout à coup, Zoro le dépassa pour se placer entre eux et marmonner quelque chose à la jeune femme, qui échappa au blond. L'instant d'après, il se retournait vers lui avec l'enfant… Hikari, dans les bras. Son expression était ferme, déterminée et Sanji recula un bref instant. Non, non, non, non ! Il n'allait quand même pas… Zoro fit un pas dans sa direction et tendit les bras pour lui coller le paquet enveloppé de couverture contre le torse. Le cuisinier garda les mains profondément enfoncées dans ses poches, les yeux rivés sur un point au niveau du cou de l'épéiste. Il n'était même plus capable de le regarder en face.

- Prend-là, ordonna-t-il de son ton bourru.

Sanji serra les mâchoires autant que ses poings cachés dans son pantalon. Ce satané gorille le mettait dans une position délicate, où il pouvait difficilement refuser sans faire de la peine à Nami-chérie. Maudit soit-il ! Et pourquoi tenait-il tellement à ce qu'il prenne cette enfant… Hikari… dans ses bras ?! Pourquoi ne comprenait-il pas qu'il ne pouvait pas tenir ce bébé ?! Pourtant il devrait bien s'en douter ?!

N'y tenant plus, Sanji releva les yeux qu'il gardait abrité derrière ses mèches blondes, et s'apprêta à lui faire passer le message. Mais sa colère retomba comme un soufflet sorti trop tôt du four, et les répliques acerbes moururent étouffées dans l'œuf. Tout ça parce que, dans le regard de ce crétin d'épéiste, il put y voir une confiance aveugle, ainsi que l'envie sincère de lui présenter sa fille. Zoro tenait vraiment à ce qu'il la prenne dans ses bras, et le cuisinier se remémora les paroles de son nakama, de la tristesse dans sa voix lorsqu'il parlait d'eux, de lui. « J'aimerais vraiment que tu le rencontres ».

Ses épaules s'affaissèrent et il baissa la tête, résigné et incapable de supporter plus longtemps le regard intense de son ami. Il sortit ses mains de ses poches et enveloppa la petite forme avec ses bras, non sans une certaine maladresse. Zoro attendit quelque peu puis se retira doucement une fois qu'il fut assuré que Sanji la tenait bien.

Elle ne pesait presque rien, malgré le volume que représentait sa couverture. Un petit être si fragile.

Indigne. Tu n'es qu'un raté. Tu ne mérites pas de poser les yeux sur elle ! Sanji déglutit difficilement. Les voix de ses frères et de son père se faisaient de plus en plus en fortes. Quoi qu'il fasse, ses vieux démons le rattraperaient toujours. Le mieux qu'il pouvait faire, c'était qu'ils ne déteignent pas sur cet être innocent.

Voilà, il l'avait tenu pendant quelques secondes, cela devrait suffire pour contenter Zoro et Nami. Un petit soupir provint d'entre ses bras, et ses réflexes l'emportèrent sur sa réticence à poser les yeux sur cette enfant.

Son cœur loupa un battement.

Elle était… elle était… si… si…

Les mots lui manquaient. Elle était tout. Parfaite. Innocente. Adorable. Pure. Jamais son cœur n'avait battu si fort dans sa poitrine. Cela n'avait rien à voir avec ce qu'il ressentait habituellement en voyant une femme. Aucune pensée salace ne lui traversait l'esprit, juste de l'admiration sans limite.

Ses petits yeux étaient entrouverts sur des prunelles d'un vert sombre, telles deux émeraudes, et le fixaient sans le voir. Sa vue n'était pas encore faite, mais Sanji eut l'impression qu'elle le transperçait jusqu'au plus profond de son âme. Elle était une lumière blanche, éthérée, qui venait chasser les ombres dans son esprit et apaisait son âme. Elle était sa salvation.

Sanji renifla bruyamment et la serra doucement contre lui.

- Elle…, fit-il d'une voix étranglée. Elle est magnifique.

Zoro porta sa main sur son épaule pour l'étreindre et il vacilla. Ses jambes étaient devenues soudainement molles à cause de l'émotion. Il releva la tête et vit que le bretteur lui adressait un sourire heureux, auquel il ne put que répondre de la même façon.

Quelque part dans la pièce, Franky éclata en sanglot derrière son bras, en évoquant la beauté de l'amour fraternel, pendant que l'émotion gagnait également le reste de leur nakamas.

Quelques minutes plus tard, le bretteur s'extirpa de l'infirmerie pour prendre l'air. Le soleil matinal illuminait la mer calme et dont les rayons dorés venaient faire chatoyer la surface. Dès que le vent frais lui caressa le visage, il prit une profonde inspiration. De l'air. Puis se dirigea vers le bastingage. Les coudes posés sur la surface lisse en bois, Zoro observa l'horizon infini. La quiétude de l'océan, le chant des vagues qui venaient lécher la coque du Sunny, le bruissement des voiles, le murmure des feuilles des mandariniers.

La boule qui s'était formée dans son estomac remonta dans sa poitrine pour venir se loger dans sa gorge. Ses mains étreignirent le rebord vernis du balustre, et l'épéiste ferma sa paupière tout en prenant une lente inspiration. Elles allaient bien. Il devait se concentre sur ça.

Dans son dos, la porte s'ouvrit, laissant échapper le ronronnement joyeux des voix de ses camarades qui se dissipa quand celle-ci se referma. Il n'eut pas besoin de tourner la tête pour voir de qui il s'agissait, sa démarche et l'odeur de tabac froid le trahissaient. A dire vrai, Zoro aurait aimé être seul encore un peu, afin de décompresser. Il avait fait bonne figure devant ses nakamas, et il était sincèrement heureux d'être avec Nami et leur fille, mais plus la pression redescendait et plus il se sentait oppressé. Ces dernières heures avaient été intenses, et l'incertitude difficile à vivre. Tout ce qu'il voulait, c'était un peu de répit.

Toutefois, même cela, le cuisinier ne semblait pas enclin à lui accorder. Il savait ce que Sanji lui reprochait, il le lisait dans son regard à chaque fois qu'il posait l'œil sur lui. Avant que Zoro ne saute sur le navire de la Marine, un accord tacite s'était opéré entre eux, celui de régler leurs différends une bonne fois pour toute, lorsque tout ceci serait passé.

La venue au monde d'Hikari avait juste mis cela en stand-by. Zoro aurait juste aimé que le blond n'entende pas ce qu'il avait confié à sa fille à son sujet. Evidemment, il avait senti sa présence de l'autre côté du mur, bien que cela ne changeait pas le fait qu'il pensait chacun de ses mots. Malgré tout, ça ne signifiait pas qu'il était désireux de revenir sur le sujet, et il espérait sincèrement que Sanji n'allait pas ramener ça sur le tapis.

Le claquement de ses talonnettes s'arrêta à quelques pas derrière lui. Est-ce qu'il allait d'abord lui faire des reproches ? Ou bien l'attaquer directement pour défendre l'honneur de Nami pour l'avoir mise en danger et parce qu'il n'avait pas été à ses côtés lors de l'accouchement ?

Mais rien ne vint. Le cuisinier resta silencieux derrière-lui, et Zoro se demanda ce qu'il pouvait bien attendre comme cela.

- Tu comptes me mater les fesses encore longtemps ? demanda-t-il avec lassitude sans se retourner.

D'habitude, Sanji réagissait au quart de tour face à ce genre de provocation, mais là, rien. Depuis qu'il était sorti de sa leur chambre, avec Hikari dans les bras, le blond se comportait de façon étrange. Son regard était fuyant, il se tenait en retrait avec une expression fermée, y compris devant Nami, et Zoro aurait juré avoir vu une lueur terrifiée dans l'œil visible de son nakama lorsqu'il lui avait tendu sa fille. Était-ce à cause de ce qu'il avait dit à son sujet ? Voilà qui était fort dommage.

- Je t'ai haï, tu sais ? marmonna Sanji.

Tiens ! Il se décidait enfin à parler. C'était prometteur. Que les festivités commencent ! Il était prêts à les recevoir.

- Pas dès le début, bien sûr. Ton attitude désinvolte et ton excès de confiance en toi, m'énervaient. Mais pas seulement… Ta détermination absurde aussi, comme lors de ton combat face à Œil de faucon, où tu préférais mourir plutôt que de renoncer sachant que tu n'avais finalement aucune chance. C'était admirable, je dois bien l'avouer, mais complètement stupide.

Bizarre comme façon de commencer son procès. Mais qu'importe, Zoro était curieux d'entendre le fond de la pensée de Sanji.

- Tu m'énervais parce que tu me faisais prendre conscience de mes propres faiblesses, que je me cachais derrière mon abnégation pendant que toi, tu vivais pour ton rêve et que tu étais prêt à te sacrifier pour lui. Alors quand j'ai rejoint l'équipage, j'ai tout fait pour être à la hauteur des ambitions de chacun, je voulais être digne de Luffy, d'Ussop, de Nami, et je refusais qu'un crétin comme toi soit meilleur que moi. J'espérais aussi que de cette façon, Nami me remarquerait. Mais lorsque nous avons battu Arlong et son équipage, j'ai très vite compris que tu n'étais pas seulement mon rival en termes de force. Tu aurais vu son regard quand Ussop lui a raconté comment tu avais obtenu cette blessure, et que malgré ça, tu t'étais battu pour elle. A ce moment-là, mon exaspération à ton égard s'est lentement muée en quelque chose de plus… intense. Tu ne m'énervais plus seulement par ton comportement, mais parce que j'avais l'impression que tu valais mieux que moi en tout point.

On ne pouvait pas appeler ça un scoop. Leur rivalité avait démarré à Cocoyashi, lorsqu'il ignorait encore comment labéliser ses sentiments étranges qu'il ressentait pour Nami. Tout ce qu'il savait à l'époque, c'était que ce cuisto avait fait une fixette sur elle, comme s'il voulait se l'approprier, sans même la connaitre, alors que lui, l'avait côtoyé depuis plus longtemps que ce crétin. Toutefois, avoir la version de Sanji par rapport à cela, s'avérait intéressant.

- Alors j'ai redoublé d'effort, et par moment, j'ai cru y arriver. J'ai cru que Nami voyait la même chose en moi qu'elle voyait en toi, puis il suffisait d'un regard entre vous deux, d'une phrase de Nami, pour que tout cette animosité que je ressentais envers toi, ne grandisse. Ça me rongeait lentement de l'intérieur et j'essayais de ne pas y prêter attention. Pendant les deux années où nous avons été séparés, j'ai longuement réfléchi, et j'en suis venu à la conclusion, que le meilleur moyen de me débarrasser de ce sentiment, c'était de faire part de mes sentiments à Nami-chérie. J'avais espoir qu'ils soient réciproques, j'y croyais ! Sans savoir que c'était perdu d'avance… Une fois encore, tu me devançais.

Jamais il n'aurait pensé que le cuisinier le mettait sur un tel piédestal. La frustration brodait chacun de ses mots et les faisaient vibrer d'une colère sourde. Tout au long de leur rivalité, Zoro avait ressenti la même chose, ce n'était pas toujours qu'une question de force, mais de l'entendre de la bouche de Sanji, cela prenait une tout autre dimension. Une dimension plus grave, qui le rendait presque désolé pour son comparse. Pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, ils se parlaient franchement, sans détours. Des mots étaient enfin mis sur ce qui couvait dans le relation conflictuelle et anarchique.

- Je t'ai détesté à ce moment-là, et chaque jour un peu plus. Ça me bouffait continuellement de l'intérieur, je ne comprenais pas pourquoi elle t'avait choisi, toi. Elle méritait mieux, quelqu'un qui prendrait soin d'elle, qui la traiterait comme une reine, quelqu'un pour qui elle représentait tout... quelqu'un comme moi. J'étais certain que mes sentiments pour elle étaient bien supérieurs à ceux que tu pouvais éprouver. Tout ce temps, j'étais persuadé que votre histoire était vouée à l'échec, qu'un jour elle finirait par voir que j'existais, que je l'aimais… ça m'aidait à supporter de l'entendre crier ton nom lorsque la nuit tombait et que vous pensiez que personne ne pouvait vous entendre.

Sanji se mordit la lèvre et serra les poings le long de ses jambes, alors que la voix de Nami résonnait encore dans sa tête, essoufflée, éraillée, comblée par le plaisir qu'un autre lui procurait.

- C'était douloureux… ça me vrillait les tripes… mais la voir sourire et la savoir heureuse était une compensation suffisante. « Ce n'est qu'une question de temps ». Tu n'imagines pas combien de fois cette phrase a tourné dans ma tête afin de m'aider à m'endormir.

Oui, comme lorsqu'il était enfant, il s'était raccroché à ce mince espoir, de pouvoir un jour connaitre le bonheur. Et il était certain que son bonheur était auprès de Nami.

- Mais la fois où j'ai vraiment commencé à te haïr, c'est quand Nami a annoncé être enceinte. J'ai commencé te haïr, non pas parce que cela anéantissait mes espoirs, mais plutôt parce qu'à partir de ce moment précis, tu l'as mise en danger. On est des pirates, bordel ! Pas des enfants de chœurs ! On approche du One piece et notre capitaine revendique à tout va qu'il sera le Roi des pirates ! Avoir un enfant dans ces conditions était de l'inconscience pure !

La colère lui brulait les doigts, lui faisait trembler les mains. Son regard accusateur semblait vouloir percer un trou dans le dos du bretteur, qui demeurait immobile, face à l'océan. C'était frustrant, mais tellement plus facile pour lui déballer son sac, pour vomir toute cette rancœur qui pourrissait à l'intérieur de lui, et lui empoisonnait le sang.

- Comment as-tu pu ne pas le voir ? Toi qui es, le soi-disant second de cet équipage ?! Grommela Sanji en serrant les dents.

La question, plus que rhétorique, resta en suspens, et toujours aucune réaction chez l'épéiste. Pourquoi ne réagissait-il pas ?!

- Tss ! Encore une fois, j'ai dû accepter sans rien dire, pour le bonheur de Nami, parce qu'elle paraissait heureuse. J'espérais me tromper et que tout se passerait bien, que la chance nous sourirait une fois de plus.

Il marqua une pause dans son récit, le temps de ravaler la bile qui infestait sa gorge. Il arrivait au point de non-retour de ses confidences, il était au bord de la falaise, les pieds au-dessus du précipice à contempler la noirceur de ses pensées qui louvoyaient dans les tréfonds de son âme. Une dernière incision, et la tumeur qui gangrénait son esprit apparaitrait dans toute sa laideur. Elle était synonyme de fin, la fin de cette camaraderie concurrentielle, la fin d'une vie.

- Plus le temps passait, plus son ventre grossissait, et plus mon aversion pour toi déteignait sur cet être qui grandissait en elle. Vous étiez tous heureux de suivre son évolution, de le sentir bouger, d'entendre les battements de son cœur, de le voir en image… alors que tout ce que voyais, c'était la fatigue sur le visage de Nami-chérie, ses traits tirés par le manque de sommeil, les gémissements de douleurs lorsqu'il lui donnait un coup de pieds, la frustration d'être privée de certaines choses et certaines activités… ça me faisait le détester, et toi encore plus car tu n'étais jamais présent pour elle. Toujours à t'entrainer, à boire, à faire comme si de rien n'était !

Plus d'une fois, il avait eu envie d'exploser, de lui botter le cul, d'étaler sa tronche par terre afin qu'il ne fasse qu'un avec la pelouse. Comme si ce n'était pas suffisant, il avait fallu qu'ils échangent de corps grâce à ce cher Torao, et c'était un passage de sa vie qu'il préférait occulter. Au moins suite à ça, Zoro s'était montré un peu plus présent auprès de Nami.

- Puis on a débarqué sur cette île…, soupira-t-il d'un ton grave.

Sanji ferma les yeux en se remémorant cette scène, et lorsqu'il les réouvrit, c'était comme si elle se jouait à nouveau devant lui. Un fantôme de plus.

- Il la tenait par le cou, suspendue à cinquante centimètres du sol pendant qu'elle se débattait de toutes ses forces. Le temps que j'arrive, ses bras étaient retombés de chaque côté de son corps et elle ne bougeait plus.

Il se souvint de la peur qu'il avait ressenti, viscérale, étouffante.

- Pendant une seconde, j'ai cru que j'arrivais trop tard.

Sanji déglutit difficilement à cause de ce collier invisible qui l'étranglait.

- Heureusement elle respirait encore.

Ça c'était joué à quelques secondes près, si Zeus n'était pas venu le chercher, s'il ne l'avait pas trouvé… l'horreur de ce qui aurait pu se produire était encore imprégné dans sa chair.

- Ce type en avait après toi, cracha le blond avec l'espoir que ça le blesse. Je ne sais pas comment il l'a su mais, il était au courant qu'elle était enceinte de toi, c'est pour ça qu'il s'en ait pris à elle ! Lui rétamer la gueule n'a été qu'un bref défouloir par rapport à ce que j'avais envie de te faire subir.

La chaleur fourmillait dans sa jambe, menaçant de l'embraser, mais il se retint.

- Elle était terrifiée, elle souffrait. Il y avait tout ce sang qui coulait sur sa jupe, mais tu sais ce qu'il y avait de plus terrible ? C'était qu'elle demandait où tu étais ? Qu'est-ce que j'étais censé lui dire, parce que moi-même j'en savais rien ?! Tout ce que je pouvais faire, c'était lui tenir la main et lui dire que tu allais bien.

La voix de Sanji vacilla, perturbée telle une flamme, par le souffle virulent de la rage. La rage d'être impuissant, de se sentir inutile, de ne pas être assez, de ne pas être celui qu'elle attendait…

- A chacun de ses cris de douleur, je haïssais plus encore cette chose que tu avais engendrer ! Lorsque tu as décidé de foncer dans le tas de Marines qui nous poursuivaient, je t'ai maudit de la laisser souffrir seule encore une fois.

Son visage s'assombrit derrière ses longues mèches blondes.

- Mais le pire a été quand Robin est venue m'annoncer que tu avais été chercher ce bébé pour t'enfermer avec lui dans votre chambre ! Tu n'avais eu aucune considération, à peine un regard, pour Nami, alors qu'elle avait presque donné sa vie pour ce… ce… cet enfant qui n'avait pas lieu d'être !

Voilà, il l'avait enfin dit.

- Je vous ai haï sans commune mesure, l'un comme l'autre, pour avoir fait souffrir Nami !

Sa voix se brisa, suivit du bruit sourd de ses genoux qui s'écrasaient lourdement sur le pont. La vision de Sanji se brouilla et se lèvres se mirent à trembler.

- J'étais tellement aveuglé par ma colère et ma jalousie…

Un premier sanglot ébranla son corps et il porta une main à son visage, un geste futile pour cacher ses larmes tandis que la culpabilité pesait de tout son poids sur ses épaules.

- J'ai… j'ai… j'ai souhaité que ce bébé ne s'en sorte pas !

L'horrible vérité le fit fondre en larmes. Agenouillé dans l'herbe encore humide, Sanji pleura un long moment. Pathétique. Ignoble.

- Tout ce temps, je n'ai été qu'un égoïste, à me demander ce que tu avais de mieux que moi ! Tout ce temps où je croyais être le seul à aimer Nami ! Où je croyais l'aimer !

Ses doigts se resserrèrent sur son front, pour l'agripper à vouloir s'arracher la peau du visage.

- J'avais tort… Ce n'est pas de l'amour… Ce que tu as fait pour cette petite… pour ta fille…, à ta place, j'en n'aurais été incapable !

Il se vouta, accablé par son dégout de lui-même, et enfonça un peu plus sa tête dans sa main.

- Je ne vaux pas mieux qu'eux, murmura Sanji.

Derrière ses paupières closent, ses trois frères le toisaient avec un sourire goguenard, sous le regard austère de leur père. La pression fut trop grande et il s'inclina, plié en deux, jusqu'à ce que son front touche le sol.

- Je… je suis désolé, Zoro.

Sanji n'arrivait plus à s'arrêter. Les larmes roulaient sur ses joues, les hoquets secouaient ses épaules. A croire que quoi qu'il fît, il blessait ceux qu'il aimait, comme si ce qui c'était passé sur Whole Cake Island ne lui avait pas servi de leçon. On lui avait pardonné une première fois, mais il n'espérait pas que cela se reproduise. Pourquoi lui pardonnerait-on ? Comment Zoro le pourrait-il ? Il n'osait même pas le regarder.

- Si tu dois t'excuser, fais-le auprès d'Hikari, maugréa l'épéiste d'une voix épaisse. Elle n'y est pour rien dans cette histoire.

Son intervention surprit le cuisinier, car il n'y avait aucune rancune, aucune colère dans son intonation, et Sanji cessa de sangloter. Il redressa la tête et leva les yeux vers la silhouette de son compagnon, toujours tourné vers l'océan.

- Mais, je ne te blâmerais pas de m'avoir haï…

Il avait du mal à y croire, pourtant Zoro ne mentait pas, il paraissait tout à fait sincère, mais le blond ne comprenait pas. Il avait toutes les raisons du monde de le blâmer, de lui hurler dessus, de vouloir lui défoncer la gueule.

- Parce que tu avais raison. J'aurais dû être présent. Si j'avais été avec elle, jamais ce type n'aurait posé un doigt sur elle. Personne ne me déteste plus que moi pour cela…

De là où il était, Sanji pouvait voir les épaules de son nakama se mettre à trembler. Elles faisaient échos à sa voix, lourde de ressentiment envers lui-même. Le jeune cuisinier n'en revenait pas, jamais il n'aurait cru que Zoro puisse faire preuve de regret, et encore moins, de culpabilité, lui avait toujours clamer haut et fort, vivre sans regarder en arrière. Cette réalisation lui fit encore plus mal. Ce Zoro qu'il avait entendu la nuit passée, était là sous ses yeux, à admettre ses faiblesses.

- Mais on ne peut pas changer ce qui s'est passé, et l'important est qu'elles aillent bien toutes les deux. C'est tout ce qui compte. Par contre, tu as effectivement tort…

Une bourrasque, plus forte que les autres, lui fouetta le visage et dégagea ses cheveux de ses yeux.

- Tort de dire que ce n'est pas de l'amour. Les sentiments ne se contrôlent pas, et même si ça me fait chier de l'admettre, je sais que tu aimes Nami, à ta façon. Alors arrête de te morfondre et de raconter des conneries, Sourcil-en-vrille.

Un sourire s'étira fébrilement sur ses lèvres tremblantes. Voilà qui sonnait plus comme lui, et qui ramenait un semblant de normalité à leur conversation. C'était sa façon de dire qu'il lui pardonnait, qu'ils étaient toujours des nakamas, toujours des rivaux, toujours des amis, et cette fois, les larmes qui lui montèrent aux yeux n'avaient rien d'amère. Elles étaient le symbole de sa libération.

Cependant, Sanji les essuya très vite d'un revers de manche, puis se leva malgré les fourmis qui s'étaient installées dans ses jambes. Il allait pouvoir changer de costume, mais cela attendrait, car on le héla depuis l'infirmerie.

- Oi ! Sanji ! C'est l'heure du festin ! s'écria un Luffy surexcité.

Lui aussi avait retrouvé sa bonne humeur habituelle, ainsi que son appétit gargantuesque.

- Ouais ! J'y vais ! répondit-il en haussant le ton.

Maintenant qu'il le mentionnait, son estomac à lui aussi commençait à crier famine, et ils ne devaient pas être les deux seuls. Personne n'avait touché au repas d'hier soir, et une quantité faramineuse de plat patientaient sagement dans le frigo. Ça ne faisait rien, il les réserverait pour ce midi, mais pour l'heure, Sanji avait envie de cuisiner un bon petit déjeuner pour tout son équipage, quelque chose qui remettrait du baume au cœur de tout le monde, qui donnerait de l'énergie à ce début de journée. Mais avant cela :

- Oh Marimo ! J'ai quelques bonnes bouteilles que je garde dans un coin pour les grandes occasions, que même ton nez de poivrot ne peut pas débusquer. J'peux t'en sortir une le temps que je cuisine, si ça te tente ?

L'épéiste baissa la tête et ses épaules tressautèrent. Sanji ne sut dire s'il reniflait ou bien s'il ricanait.

- Ok, j'veux bien gouter ta piquette, acquiesça Zoro sans se retourner mais avec un sourire dans la voix.

Sanji hocha la tête, esquissant également un sourire, puis s'éloigna pour rejoindre sa cuisine, afin de laisser à l'épéiste, le temps nécessaire pour se recomposer. En attendant, il allait lui déboucher le meilleur saké qu'il avait en réserve.


Ce chapitre marque la fin de cette histoire en ce début de nouvelle année. Toutefois, je n'écris pas encore ces trois petites lettres car il reste un épilogue à venir pour conclure ce récit comme il se doit.

En tout cas, j'espère que vous aurez apprécié ce chapitre. A bientôt !