Chapitre 3
Agenouillé près de son lit, il venait de terminer sa prière du soir lorsque le téléphone posé sur sa table de chevet se mit à sonner. Antonio poussa un profond soupir. La journée avait été longue et fastidieuse, et il aurait bien eu envie de sauter à pieds joints dans un sommeil profond. Mais il repoussa cette idée, car depuis qu'il était arrivé ici, ses nuits étaient, de toute façon, tout sauf reposantes. Au contraire, elles étaient peuplées de rêves et de souvenirs dont il aurait préféré se passer. Se noyer dans le travail s'était alors présenté comme la seule solution viable pour aller de l'avant. Il décrocha machinalement le combiné en s'asseyant sur son lit.
- Père Antonio, souffla-t-il.
- Hey, salut frangin.
Les yeux marrons du prêtre se figèrent un instant, avant qu'un sourire ne vienne se dessiner sur ses lèvres. Il consulta sa montre : le Guatemala était en avance d'une heure sur Sunset Beach, il n'était finalement pas si tard que ça pour son frère.
- Ricardo, comment vas-tu ? Je suis content de t'entendre.
- Eh bien, si tu veux m'entendre, tu n'as qu'à m'appeler. On n'a aucune nouvelle de toi depuis ton installation là-bas, et… Si je ne dis pas de bêtise, ça fait plus de trois mois maintenant.
- Touché, murmura Antonio. J'aurais aimé t'appeler, mais c'est juste que…
- Laisse-moi deviner. Tu as beaucoup de travail, c'est ça ? demanda-t-il avec sarcasme.
- En effet. Comment tu vas ?
- Eh bien, à vrai dire… J'ai connu mieux. Mais ce n'est pas pour parler de moi que j'appelle.
La voix du prêtre se teinta immédiatement d'inquiétude.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? Est-ce que tout le monde va bien ?
- C'est… Gabi.
Son cœur se mit à battre avec la vigueur d'un tambour en plein défilé, et sa gorge se noua instantanément.
- Antonio… Tu es toujours là ? demanda l'inspecteur de police.
- Antonio se racla la gorge avant de répondre.
- Oui, oui, je suis là. Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce qu'elle va bien ?
- Pour tout te dire… Je n'en ai pas l'impression.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? Ricardo, qu'est-ce qui se passe ?
- Je n'en sais rien… souffla Ricardo, désespéré. Je ne comprends rien. C'est un peu tendu depuis quelques semaines… Et on s'est disputés il y a deux jours.
- À quel sujet ? demanda Antonio, de plus en plus anxieux.
- Je ne sais pas si c'est important. Toujours est-il que quand je suis rentré du travail ce jour-là, je l'ai trouvée allongée sur le lit. Elle ne bouge plus, ne parle plus depuis deux jours. Je ne comprends rien…
La voix de Ricardo se brisa au bout du fil.
- Et… Tu es sûr de ne pas vouloir me dire pourquoi vous vous disputiez ?
Après un silence, Ricardo tenta de s'expliquer.
- Écoute, j'étais à cran. Je sens qu'elle s'éloigne de moi. J'ai l'impression que je suis en train de la perdre… J'ai peut-être dit des choses que je n'aurais pas dû dire, c'est sûr, mais rien qui puisse provoquer ça.
À l'autre bout du fil, Antonio ferma les yeux et se massa les tempes. Savoir que Gabi était dans cet état le tuait. Il était parti pour s'éloigner, et, malgré tout, tout le ramenait à elle, tout le temps. Comble de l'ironie, c'était son frère qui tenait le mieux ce rôle. Après un silence, il tenta :
- Je suis désolé, Ricardo… Je ne savais pas que les choses allaient mal entre vous.
- Écoute, Antonio. Je t'appelle pour une raison précise.
- À nouveau, Antonio se racla la gorge.
- Ça fait deux jours qu'elle ne bouge quasiment pas, et qu'elle n'a pas décroché un mot non plus. Jusqu'à ce soir.
- Et qu'est-ce qu'elle a dit ?
- … Antonio.
- Oui ? Qu'est-ce qu'elle a dit, Ricardo ?!
Ricardo soupira, agacé par la situation et dépassé par toutes ses émotions.
- Elle a dit "Antonio". Je lui ai demandé ce dont elle avait besoin, et elle a répondu "Antonio".
Le jeune prêtre se pétrifia immédiatement. Gabi était une battante, pourquoi était-elle dans un tel état ? Ricardo n'avait, de toute évidence, toujours aucune connaissance de ce qui s'était passé entre eux, alors quoi ? Il ne put s'empêcher de se sentir coupable d'être parti, et en même temps, la colère et la frustration d'être celui vers qui elle se tournait alors même qu'il s'était effacé pour Ricardo faisaient battre son sang dans ses veines. Mais par-dessus tout, c'était son inquiétude pour elle et le besoin urgent de la voir qui prenaient le dessus.
- Faut croire que je suis incapable de prendre soin d'elle… lâcha Ricardo à l'autre bout du fil.
- Ricardo…
Et ce fut tout. Il n'avait aucun discours capable de rassurer son frère en tête. Il n'en ressentit même pas l'envie. Après un silence, il ajouta simplement :
- Je serai là demain matin.
- Merci, merci Antonio. Je ne sais plus quoi faire… Si jamais je suis au commissariat à ce moment, tu te rappelles de l'endroit où je cache le double des clés ?
- Bien sûr. À demain.
Et il raccrocha.
