Si les Paludiers ressemblent tous à Howland Reed, Sebas ne visitera probablement jamais l'endroit.

Bon, il y a très peu de chances pour que cela se produise – ce sera bien plus facile de prendre le bateau pour le Nord au cas où l'envie lui prendrait d'aller visiter Ned à Winterfell – mais néanmoins, l'Héritier du Val ne veut pas faire un détour par le marais hanté de lézard-lions et de moustiques, et pas uniquement à cause de ces créatures.

Le regard du Paludier lui donne envie de se cacher derrière un mur, une armure ou encore un autre noble invité à Harrenhal, n'importe quoi du moment que ça intercepte l'attention de ces yeux verts qui donnent l'impression d'en savoir beaucoup trop, sauf lorsqu'ils se tournent vers Sebas car à ce moment, ils deviennent entièrement aveugles.

Howland Reed également semble perturbé par le phénomène, et se tient respectueusement à distance du jeune homme blond. Personne ne commente là-dessus, c'est tout naturel pour le grêle jouvenceau, issu d'un domaine boueux contraignant ses habitants à déguster des grenouilles, de se sentir intimidé en présence d'un futur seigneur suzerain appelé à gouverner l'une des Sept Couronnes de Westeros.

Et puis, Lyanna se fait une joie de fulminer à cause des écuyers ayant eu l'audace de porter la main contre un banneret Stark. Lord Rickard commente qu'il s'en ira parler aux chevaliers responsables de ces gredins, mais à la façon dont sa fille plisse les yeux, il est évident qu'elle n'attend aucun résultat de ce côté.

Lyanna Stark serait-elle une pucelle élevée dans la lumière des Sept, selon les principes d'obéissance et d'humilité si chers aux septas, l'affaire s'arrêterait là. Seulement, Ned n'a jamais hésité à discuter de ses frères et de sa sœur avec ses deux compagnons, et si Robert ne considère le tempérament incandescent de la jeune louve que comme un addendum charmant mais au bout du compte négligeable pour le visage et la silhouette allant avec, Sebas soupçonne que la demoiselle mijote un vilain tour.

Il a visité plusieurs fois le chenil sous la surveillance attentive du maître piqueux, lequel lui a expliqué que les chiens attendent de leur maître une main ferme mais bienveillante et raisonnable. Si cette main frappe sans bonne raison, le chien mordra – et les loups ne sont après tout qu'une race de chiens sauvages, laissant les humains en paix quand ceux-ci ne les chassent pas pour leur fourrure ou leur viande.

Ces trois écuyers ont attaqué quelqu'un appartenant à la famille Stark. Et lady Lyanna est fière d'être une Stark, aussi fière que Ned qui mine de rien commente que les pires chutes de neige dans le Vale ne sont rien comparés au Nord et continue de traiter par le mépris les soi-disant fanfreluches et frivolités du Sud.

C'est lorsqu'elle déclare nécessiter les latrines que Sebas s'empare de l'occasion et lui offre son bras pour l'accompagner. Elle grimace autant de furie que d'incrédulité, protestant non sans véhémence qu'elle n'a pas besoin d'escorte pour un si court trajet, seulement pour que lord Rickard la réprimande pour son manque de courtoisie et la force à accepter.

Craignant de se faire arracher les yeux ou fourrer un serpent dans les bottes, le jeune homme blond attend à peine que la porte se referme avant de poser la question :

« Dites-moi, madame, comment exactement comptez-vous procéder ? »

Lyanna Stark hausse un sourcil épais surplombant un œil gris pas du tout impressionné.

« Emprunter ce couloir jusqu'à la troisième porte de gauche, me vider les tripes et revenir. Devrais-je agir autrement, peut-être ? »

L'Héritier du Val lui renvoie un sourire poli.

« Certes pas, mais je m'intéressais plutôt à votre rétribution envers les agresseurs du banneret de votre père. »

Lyanna s'apprêtait à le laisser sur place pendant qu'elle partait à grandes enjambées vers sa destination, facile à deviner d'après le frémissement impatient de ses pieds. Mais à ces mots, la voilà qui se fige, une statue funéraire taillée dans le granit le plus pétrifié, le plus inerte, à l'exception de sa gorge qui se contracte, cherchant visiblement à ranimer ses cordes vocales.

Le sourire poli de Sebas demeure fermement sur ses lèvres. Un chevalier du Val se doit de rester galant en toutes circonstances.

« Vous devez bien avoir le début d'une idée » insiste-il.

La jeune louve le considère. C'est difficile de déterminer la nature exacte de son expression, méfiance, surprise ou plaisir ? Peut-être un mélange des trois, les émotions et sentiments peuvent s'avérer si complexes que Villevieille pourrait étudier le sujet des siècles et des siècles sans parvenir à l'épuiser.

« … Et vous ne semblez pas vouloir m'empêcher de la mettre en œuvre » déclare-t-elle, l'hésitation sur la fin de sa phrase suggérant un point d'interrogation.

L'Héritier du Val hausse nonchalamment une épaule, sentant sa nuque chauffer discrètement alors qu'il croit percevoir le soupir déçu de son père par-dessus son épaule.

« Qu'est-ce que le devoir d'un chevalier, si ce n'est de porter secours à une dame dans le besoin ? Même si la dame en question n'a besoin que d'un bon plan pour terrasser ses ennemis de ses propres mains, si elle manifeste suffisamment de courage et d'habileté. »

Lyanna se détourne pour reprendre le chemin vers sa destination initiale, mais le jeune homme est prêt à jurer avoir aperçu un éclat rose vif sur les joues de la pucelle. Apparemment, la louve n'est pas insensible aux flatteries, un défaut très répandu parmi les hommes et les femmes et que déplore fréquemment l'Etoile à Sept Pointes.

« Ils étaient trois contre Howland » dit-elle, « et ils étaient trois contre moi, mais c'est devant moi qu'ils ont fui. Trop couards pour affronter une fille, ha ! Belles graines de chevaliers que vous avez là. »

En son for intérieur, Sebas pense que l'effet de surprise a probablement joué un rôle dans la retraite précipitée des écuyers, ça et Lyanna mugissant qu'ils agressaient un banneret de son père, dévoilant qu'elle est la fille d'un lord important et sous-entendant qu'il y aurait des conséquences déplaisantes si elle venait à être blessée dans la lutte.

Passe encore de casser le bras d'un gamin dépenaillé, les écuyers et les pages s'infligent des sévices à n'en plus finir, le propre père de Sebas s'est lamenté plus d'une fois sur l'excès de vigueur et de cruauté propre aux garçons développant du poil au menton. Mais casser le nez d'une pucelle, qui plus est une pucelle de haute naissance avec un père, des frères et des gardes pour riposter et laver son honneur ? C'est tout de suite plus périlleux.

« Ne devient pas chevalier qui vient » se borne-t-il à commenter. « Avez-vous l'intention de leur administrer une seconde raclée ? Auquel cas, je vous préviens qu'ils se cacheront probablement à votre approche. Ou prétexteront que combattre une femme n'est pas glorieux. »

« Mais jeter Howland par terre alors qu'il est désarmé est acceptable ? » renifle hautainement la demoiselle.

« Il reste un homme. Si vous étiez un homme, le défi serait accepté, mais vous ne l'êtes pas. »

Sebas s'attend à ce que la furie de la jeune louve déborde et lui éclate à la figure. Pendant un instant, il semble que ce sera bel et bien le cas, le visage de Lyanna s'empourprant et sa bouche se tordant dans une grimace digne d'un loup feulant. Et puis ses traits se figent, deviennent contemplatifs.

« Si tout le monde croyait que je suis un homme, mon défi serait accepté. »

Le jeune homme entend immédiatement la nuance dans la phrase. Il sait ce qu'il a dit, mais Lyanna a évidemment entendu tout autre chose – en passant, voilà pourquoi la diplomatie nécessite de parler le plus clairement possible, et en dépit de cette précaution cruciale les interlocuteurs réussissent l'exploit de comprendre de travers.

Tant pis. Un chevalier se doit d'accorder son aide à une femme, fusse-t-elle princesse ou pauvresse, pour une cause aussi bien folle que glorieuse. Car dès qu'il s'agit de femmes, tous les hommes sont preux, et tous les hommes sont fous.

Et pourtant, Sebas n'a jamais eu trop de goût pour la geste de Florian et Jonquille.