Je suis à la bouuuurre.
Non, ne vous trompez pas, j'aurais dû le poster mardi, avec les autres ^^' (commencé le 6 septembre, quand même... En pleine nuit, l'intrigue m'était venue subitement en demi-sommeil)
À force, j'ai trouvé que ça ressemblait de plus en plus aux intrigues des films de Noël (pas vu un seul, je crois) donc ce serait dommage de rater le coche ¯\_(ツ)_/¯
Nous voilà donc avec un gros bébé de 13 891 mots. C'était sensé être un "petit" texte.
J'ai volontairement pas donné de nom au fils de Twilight et ai même failli ne pas préciser son genre, parce que ça n'apporte rien à l'histoire (et j'avais pas d'idée).
Le verger de Legend et Zelda est une fusion du Verger du héros d'A Link to the Past et de la ferme des grands-parents de Link dans Oracle of Season.
J'ai cherché mes information sur le soin des pommiers sur mapassionduverger.
Bonne lecture !
Trigger warning : mort en couche, suicide, meurtre d'enfants (le véritable esprit de Noël, non ?)
— Vous le tenez mal.
Sursautant de surprise, Twilight se tourna vers son voisin de siège, ses yeux écarquillés soulignés par les cernes typique de jeunes parents.
— Je vous demande pardon ?
— Votre fils. Vous le tenez mal.
Du bout de ses doigts bagués, l'inconnu dessina des figures abstraites dans les airs.
— Si vous faites comme ça, ça devrait aller mieux.
L'esprit brumeux et complètement à la ramasse, il se contenta de cligner des yeux, tel un hibou.
— Filez-le moi, je vais vous montrer.
Suspicieux, il se détourna plutôt, imitant un simulacre de bouclier autour de son enfant. Au lieu de s'offusquer, l'inconnu soupira exagérément et prit le ciel à témoin.
— Des fois que ça vous ait échappé, nous sommes dans un avion. Je ne vais m'enfuir nulle part avec votre progéniture. Mais il est hors de question que j'ai la même tronche que vous à l'atterrissage, alors pour le bien de tous les passagers, laissez-moi le calmer.
Un rapide regard autour d'eux lui apprit qu'en effet, les sanglots de son petit commençait à venir à bout des nerfs des passagers.
Vaincu, il l'abandonna dans ses bras, l'anxiété lui mordant l'intestin.
Couvant son voisin d'un regard d'aigle - mais surtout son fils - il l'observa par la même occasion.
À première vue, il agissait exactement comme il l'avait fait lui-même, et pourtant les sanglots s'espacèrent avant de disparaître totalement pour de lents bâillements puis le sommeil. Enfin.
— Comment ? Ça fait une semaine que le faire dormir est une corvée titanesque !
Il était tellement épuisé qu'il manqua de fondre en larmes, mais il ne put empêcher son ton geignard.
— Baissez tout de suite la voix ou je vous étrangle avec les câbles des écouteurs, siffla-t-il.
Son regard était si noir qu'un frisson le parcourut.
— Désolé, chuchota-t-il. C'est juste que… merci. Avec tout le stress du voyage, du séjour, les valises, ajouté à ça son insomnie… je crois que je suis à bout.
S'affalant dans le fauteuil inconfortable, il se prit la tête dans les mains mais ça ne l'empêcha pas d'apercevoir son voisin emmailloter avec des gestes précis son fils dans la couverture à disposition.
— Oh Latouane, j'ai oublié sa couverture… déclara-t-il d'une voix blanche.
— Tant qu'elle est chez vous ou à un endroit où vous pouvez la récupérer, ce n'est pas grave. N'importe quoi peut faire l'affaire, tant que c'est propre.
— Mais les livres disent…
— De la merde, principalement. Il n'y a pas de vrais guides pour une enfance parfaite, c'est du cas par cas. Les principes essentiels, c'est de l'amour, de l'attention, de l'hygiène et être protégé des dangers existants. Cette couverture est supposément propre et neuve, mais évitez quand même qu'il la porte à sa bouche.
— Merci.
Installant précautionneusement le tout petit dans le berceau mis à disposition par la compagnie aérienne, il l'observa dormir quelques minutes, le cœur gonflé d'amour pour lui à la vision d'adorable, son épuisement momentanément oublié.
— Comment est-ce que vous avez fait ?
Ne s'attendant pas à ce que l'échange se poursuive, l'inconnu se pointa de l'index, l'air interrogateur, l'autre main enfonçant un écouteur dans son oreille.
Distraitement, Twilight se demanda comment il y parvenait sans arracher au moins un des multiples piercings qui les décoraient.
— Croyez-le ou non, mais je suis assistant maternel. Apaiser les marmots et les inciter à dormir, c'est le .
Bien malgré lui, il sentit son regard dériver sur lui, prenant pleinement conscience de son apparence.
Non seulement ses oreilles effilées étaient bordées de nombreux bijoux, mais le reste de son visage n'était pas épargné : ses arcades sourcilières étaient percées, tout comme le coin de ses lèvres et ses narines. Pas en reste, son cou était entouré de nombreux colliers, divers bracelets et bagues décoraient ses poignets et ses doigts. Quand au reste, hiver oblige, il aurait été difficile de le déterminer.
À cela, on pouvait ajouter les mèches pastel parsemant discrètement la chevelure blonde rassemblée en un chignon flou, l'eye-liner tracé avec soin et la tenue constituée de couches de vêtements aux couleurs passées et usés.
On était à des années-lumière de l'apparence soignée et lisse des assistantes maternelles qu'il avait pu croiser auparavant.
Et vu le sourcil levé et le sourire suffisant qu'il affichait, non seulement il avait dû être tout sauf discret, mais en plus ce gars devait être habitué à ce jugement.
— Vu les heures de sommeil qui me manquent, vous pourriez être le croque-mitaine que ça ne changerait rien au miracle que vous venez de réaliser.
Baillant à profusion, Twilight se rajusta contre le dossier de son fauteuil, cherchant une position confortable pour les quelques heures restantes, ne prêtant plus attention à son voisin.
Celui-ci, une fois la surprise traitée, enfonça son dernier écouteur contre son tympan et lança sa playlist, son regard dérivant de temps à autre sur le jeune adulte et sa progéniture, tel un gardien de leur sommeil.
L'insomnie était un fléau, il pouvait en témoigner.
— Vous allez vous en sortir ?
— Oui oui.
Jonglant entre le sac de langes, le bébé et la poussette qu'il tentait d'ouvrir, Twilight n'avait qu'une seule envie : tout lâcher et hurler à l'aide.
Non, il n'allait pas s'en sortir. Non, il n'allait pas bien. Non, il n'était prêt à « tourner la page » ou à « surmonter l'épreuve » ou peu importe le nom moisi qu'on donnerait à cet oubli pur et simple de la seule femme qu'il eut aimé.
— Je m'en charge, déclara quelqu'un en arrivant à sa hauteur, en direction de la jeune femme qui lui proposait son aide depuis cinq minutes. Bon, soit tu me files ton gamin et tu te charges de la poussette, soit l'inverse. Et si tu refuses, j'appelle la protection de l'enfance.
Relevant la tête à l'interruption, il fut surpris de reconnaître son voisin de siège.
Il avait enfoncé un bonnet mou sur son crâne et entouré son cou d'une immense écharpe triangulaire multicolore, mais son nez avait quand même pris une teinte rouge.
— Je peux me débrouiller seul, marmonna-t-il d'un ton acerbe.
— Dans l'état des choses, ton mioche va faire un vol plané dans une minute et tu commences à beaucoup trop le secouer. J'étais sérieux pour l'appel.
La pointe dure dans ses yeux n'était pas feinte et Twilight abandonna, lui tendant cet engin du diable et rajusta sa prise sur son fils, le berçant tout en s'assurant qu'il allait bien.
Quand il en détourna le regard, il découvrit avec surprise que cette satanée poussette était déployée correctement et n'attendait plus que son passager.
— Comment..?
— Assistant mat', vous vous en rappelez ? On passe une épreuve chronométrée éliminatoire. On doit réussir à déployer une poussette dans le temps imparti, sinon on est recalé.
Twilight lui offrit son plus beau regard sidéré et compatissant en l'apprenant.
— Je déconnais. C'est le modèle le plus répandu sur le marché. J'en ai eu tellement dans les mains que je pourrais le faire les yeux fermés.
Rougissant de gêne, il se pencha sur le couffin, installant soigneusement le bébé et le couvrant.
Il oubliait toujours à quel point il pouvait faire froid dans cette région, l'hiver…
Il se redressa subitement au claquement distinct d'une pierre à briquet, pour découvrir l'inconnu allumer une cigarette. Quand leurs regards se croisèrent, il n'avait pas l'air repentant le moins du monde.
— Un problème ?
— Un problème ? Vous fumez en présence de mon fils !
— Nous sommes dans le sens contraire du vent. La fumée ne va pas dans sa direction, je ne suis pas débile, merci.
Vexé et inquiet, Twilight n'ajouta rien et s'empara des poignées de la poussette pour placer le plus de distance possible avec cet énergumène et son enfant.
Mais petit aéroport de province signifiait seulement deux aires pour la récupération des bagages, donc il se retrouva à s'entasser avec tous les passagers de son vol pour attendre péniblement la demi montagne de valises qu'il avait dû préparer.
Sa mère le taquinait sur ses tendances papa poule mais avec le décès inattendu de Midona, il avait l'impression que rien de ce qu'il ferait ne serait assez bien pour leur fils.
Pour se distraire, il se concentra sur le petit bébé qui tendait les bras en direction des jouets pendus à la poignée, babillant doucement.
— Il est adorable.
Le commentaire inopportun le surprit et le sortit de ses pensées pour rencontre le regard tout aussi épuisé que le sien d'une hylienne poussant sa propre poussette.
— Il a quel âge ?
— Sept mois. Et la vôtre ?
— Oh, c'est un grand garçon ! Ma petite Félicia n'en a encore que trois.
Ils discutèrent légèrement alors que le tapis était enfin allumé, attirant l'attention de tous, l'impatience grimpant en flèche alors que chacun fixait les pièces en caoutchouc, attentif à tout indice de la venue de leurs bagages.
— Le vol a été si long, soupira la jeune femme. Le pire, ce sont ces enfants qui pleurent. N'ont-ils pas des parents pour les faire taire ? C'est juste insupportable !
Distraitement, Twilight failli lui répondre que le seul enfant qui ait vraiment pleuré était le sien, avant qu'il ne se fige en parvenant à cette conclusion.
— Il y a vraiment de mauvais parents, renifla-t-elle. Qu'est-ce que je disais…
Suivant son regard, il tomba sur son ancien voisin de siège qui avait dû finir de fumer et les rejoignait, apportant avec lui le vent froid de l'extérieur, s'attirant des regards colériques sur lui. Mais peut-être pas uniquement à cause de ça…
— On dirait bien que l'enfant prodige revient au pays, poursuivit-elle. Vu son apparence, il a du faire de bien vilaines choses, tout comme lorsqu'il était ici, à ternir la réputation de la région !
Les yeux de Twilight passaient de cette mère de famille à l'assistant maternel, tentant de comprendre ses sous-entendus. De quoi parlait-elle ? Certes, les vêtements qu'il portait avaient vu de meilleurs jours, mais ils étaient propres et présentables. Rien à voir avec sa propre tenue froissée et portant divers fluides, cadeau de sa progéniture !
Elle avait dû remarquer sa perplexité car elle lui offrit un sourire apaisant.
— Vous, vous êtes père, que vous ayez l'air négligé n'est pas choquant, dans ces circonstances. Mais si vous voulez un conseil, ne vous approchez surtout pas de lui, qui sait dans quelle affaires louches il a pu traîner…
Elle agita la main dans sa direction, grimaçant, avant de s'illuminer à l'arrivée de son mari et de leurs autres enfants, poussant un chariot recouvert de valises.
— En tout cas, ce fut un plaisir de faire votre connaissance ! Je vous souhaite un bon séjour à Latouane, vous vous y plairez sans doute !
Elle disparut avant qu'il ne puisse lui répondre, le sonnant.
— Euh, merci, mais je ne l'ai quitté qu'il y a cinq ans, marmonna-t-il dans le vide.
Il resta figé ainsi quelques secondes avant de se reprendre et de se rapprocher à son tour des tapis, scrutant les sacs pour dénicher les siens.
Ce fut totalement par pur hasard qu'il se rapprocha de l'objet de leur discussion.
Celui-ci avait l'air terriblement épuisé sous la lumière blafarde du bâtiment, à deux doigts de s'écrouler et les yeux légèrement rougis. Il mit ça sur le compte de sa cigarette.
— Ça va ? Vous avez l'air à deux doigts de tomber par terre.
— Vous êtes un vrai charmeur, vous le savez ?
Peut-être aurait-il répliqué quelque chose de plus vif, mais il aperçut alors sa première valise et il rompit leur échange pour la ramasser, la tirant sur le chariot.
Un sifflement admiratif retentit.
— Vous l'avez vraiment rempli ou vous voyagez avec un bagage vide, juste pour crâner ?
Surpris par la question, Twilight le fixa sans un mot, cillant.
— Laissez tomber.
Il se pinça le nez, les yeux fermés, et se détourna.
Peu importe la raison de son humeur, celle-ci semblait s'assombrir au fur et à mesure que le temps passait.
Twilight eut le temps de récupérer la valise de son fils avant qu'un bagage bariolé ne se présente, saisi difficilement par son voisin.
Il parvînt à grand peine à le faire tomber du tapis mais l'effort demandé était évidemment trop pour lui.
Sans un mot mais avec un petit sourire amusé aux lèvres, Twilight le repoussa d'un bras et attrapa à son tour le sac de voyage, le soulevant sans effort apparent, et le reposant sur son chariot, avec les deux valises.
— C'est à moi.
— J'avais un peu de place et vous n'avez pas de chariot.
— C'est mon sac !
— J'ai bien compris.
C'était petit, mais l'énervement sur son visage avait quelque chose d'amusant, alors il ne faiblit pas malgré le rougissement de colère qui s'étendait.
— Ma mère m'attend, on peut largement marcher ensemble, ce n'est pas comme si l'aéroport avait dix mille sorties.
Au lieu de lui répondre, il croisa les bras en serrant visiblement les dents avant de plonger le nez dans son écharpe.
Boudait-il ?
Décidant de ne pas s'appesantir dessus, Twilight cacha son sourire autant qu'il le put, faisant semblant de vérifier que tout était bien installé sur le chariot, avant d'arriver à la conclusion qu'il allait lui manquer une paire de main pour pousser à la fois le chariot et la poussette.
— Puis-je vous demander un nouveau service ?
Décroisant les bras, il haussa les sourcils avant de comprendre la situation et d'attraper la poussette.
— Ouvrez la voie, grogna-t-il.
Dans un silence presque embarrassé, ils cheminèrent ensemble jusqu'à l'extérieur où une bonne rafale de neige les salua. Une bordée de jurons jaillit en réponse.
Twilight tourna la tête vers son voisin, l'auteur de cette tirade poétique.
— Quoi ? Vous allez encore me reprocher mon comportement devant votre fils ?
— Je doute qu'il comprenne la moitié des mots prononcés. J'allais plutôt exprimer mon admiration. Ça faisait longtemps que je n'avais pas assisté à un pareil étalage de vocabulaire.
— Ah, euh, merci ? Enfin, je suppose.
Ils prirent quelques minutes pour se protéger du temps puis reprirent leur chemin jusqu'au parking bien vide à cette heure tardive.
Sous l'un des lampadaires grésillant, Twilight reconnut le monospace de sa mère et l'indiqua de la main, tournant le chariot avec un peu d'effort, les roues ayant décidé qu'elles n'aimaient pas la météo.
— Maman ! L'interpella-t-il.
Relevant le nez de son téléphone, elle adressa un large sourire à son fils, et celui-ci se sentit déjà à la maison, rien qu'à cette vue.
Elle lança les bras en l'air et l'accueillit dans l'un de ces câlins féroces dont elle avait le secret, chariot et bagages oubliés pendant ces quelques secondes. Quand, enfin, elle le repoussa, ce fut pour examiner attentivement son visage, sourcils froncés et yeux plisses.
— Tu as une tête à faire peur.
— Je crois que je vais retourner à la capitale, en fait, grogna-t-il pour la forme.
Une toux camouflant mal un rire retentit dans son dos, éveillant la curiosité de sa mère. Elle le décala sans effort et se dévissa la tête pour jeter un œil derrière lui.
— Oh ma parole ! Si ce n'est pas le neveu du vieil Alphonse ! Tu as bien grandi depuis la dernière fois ! De retour pour les fêtes ?
Quittant l'étreinte de sa mère, Twilight alla ouvrir le coffre pour y déposer les bagages, restant attentif, curieux.
Sa mère connaissait son voisin de siège ?
Elle s'était justement rapproché de lui, se penchant à l'ouverture de la poussette pour adresser le même sourire chaleureux de tantôt, mais à son fils cette fois.
— Et voilà la petite étoile ! Coucou toi, je suis ta grand-mère ! Tu devras m'appeler mamie avant papa, tu as compris ?
Avec un frisson traversant son échine, Twilight entendit, impuissant, un gazouillement heureux de la part du nouveau-né, tel un assentiment.
— Je vais y aller, déclara enfin l'assistant maternel qui n'en avait pas l'air. Ravi d'avoir fait votre connaissance.
— Hop hop hop, pas si vite jeune homme ! Où as-tu l'intention d'aller ?
— Euh… chez moi, principalement. Enfin, chez mon oncle.
S'approchant à son tour, Twilight l'observa perdre l'air assuré qu'il arborait depuis leur première interaction et ressentit une légère compassion à son égard. Sa mère était tout un phénomène.
Mais à la place d'intervenir, il récupéra son fils, le sortant de la poussette pour aller le déposer dans le véhicule.
— Je suis actuellement le dernier véhicule présent et c'était le dernier vol avant demain. En plus, la météo vient d'annoncer l'arrivée d'une tempête. As-tu l'intention de te lancer dans une carrière de sculpture de glace ?
Son ton était sec mais il n'y avait rien d'agressif dans son attitude alors qu'elle s'avançait, envahissant son espace, agitant l'index, l'air sévère.
Son interlocuteur avait clairement l'air perdu, ignorant comment réagir.
Twilight y était habitué, c'était une réaction fréquente en contact avec sa mère.
— T'inquiète m'man, j'ai déjà pris son sac en otage, il n'a pas d'autre choix que de venir avec nous !
Cette fois, il avait l'air positivement scandalisé, les poings serrés et la bouche ouverte sur sans doute une nouvelle vulgarité. Heureusement pour lui, il se retint à temps.
Sa mère avait beau être une fille de fermier et connaître un large panel de mots crus, elle ne se gênait jamais pour reprendre le moindre écart de langage.
Un jour peut-être, finira-t'elle par assumer que c'était auprès d'elle qu'il avait appris ses plus belles insultes.
— L'affaire est conclue ! Allez, montez les garçons, nous avons de la route et le vent empire !
Elle grimpa derrière le volant sans attendre, prévenant sans doute son mari de leur retour.
— Tu peux t'asseoir à l'avant si tu veux, lui offrit gentiment Twilight.
— Traître, siffla l'autre entre ses dents.
Au lieu de lui répondre, ledit traître leva les yeux au ciel, amusé, et monta à son tour.
— M'man ! Tu n'as pas apporté le siège que j'ai fait livrer chez vous ?!
— Désolée trésor, mais nous ne l'avons pas encore reçu. Mais ce n'est pas bien grave, tu n'as qu'à le porter dans tes bras. On a toujours fait ça quand tu étais petit et tu n'as jamais eu de problème ! Répondit-elle alors qu'elle quittait son stationnement.
— Ça explique tellement de choses, marmonna son voisin dans son souffle.
Quand leurs regards se croisèrent dans le reflet pâle du pare-brise, il afficha un air innocent avant de se tourner vers la portière, tentant sans doute de scruter le paysage assombri par la nuit tombante.
Soupirant de défaite, le nouveau père resserra sa prise sur sa progéniture, tentant de faire de son corps le meilleur bouclier qu'il soit.
— Ça fait bien des années qu'on ne t'a pas vu dans le coin ! Relança sa mère, en direction de son passager silencieux.
— Oui, je suis parti… pour des raisons personnelles.
— Les villages sont les pires viviers, confirma-t-elle en hochant la tête. J'espère que tu as trouvé ce que tu cherchais à la capitale !
— Tu le connais m'man ? Finit par demander Twilight.
— Bien sûr trésor ! Tu ne t'en souviens peut-être pas, mais sa mère et moi étions meilleures amies ! C'est elle qui m'a présenté ton père, je crois qu'elle en avait marre qu'il lui colle aux basques… et elle s'est dégotée un beau militaire !
Son rire retentit dans l'habitacle, réchauffant l'atmosphère, bien que personne ne l'accompagna. Son fils était toujours confus, quand à son passager… son visage s'était fripé, comme s'il se battait sur quelle émotion afficher.
— Pourquoi je ne m'en souviens pas ? Marmonna Twilight, abattu.
— Parce que ça fait plus de vingt ans qu'elle est morte, assena durement son ancien voisin de siège.
Pour le coup, la température perdit quelques degrés alors qu'il se rencogna contre la portière, les bras croisés.
— Déjà… j'ai l'impression que c'était avant-hier qu'elle venait m'annoncer sa grossesse. Et hier qu'elle me présentait ses jumeaux… soupira pensivement Malon.
— Oui. Déjà.
— Et maintenant ce pauvre Alphonse… surenchérit-elle. C'est bien que tu sois rentré, ça lui fera plaisir. Si ta sœur ou toi avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas à venir frapper à notre porte. Je l'ai déjà répété à Zelda, bien sûr, mais ça ne coûte rien de le répéter parfois.
Au lieu de répondre, il paraissait se recroqueviller encore plus sur lui-même.
Twilight croisa le regard de sa mère dans le rétroviseur cette fois. Il arborait son plus beau regard de chouette actuellement, copie conforme de celle de son père.
— Loretta et moi avons grandi ensemble, nous étions très proches. C'est elle qui a trouvé ton nom, Link. Que ton père porte le même n'est qu'un hasard, déclara-t-elle.
— Quoi ?
La voix des deux hyliens se mêlèrent pour prononcer le même mot bien que leurs intonations étaient différentes.
C'était définitivement une très longue journée pour Twilight, et l'assistant maternel ressemblait à un chat plongé dans l'eau froide.
— Oui, nous n'avons pas réussi à nous départager, c'est pour ça que vous avez le même nom tous les deux, ajouta-t-elle l'air de rien. Il faut dire que Link - Time - et Banzetta ont refusé de se mêler dans notre querelle. Soi-disant qu'il ne fallait pas contredire une femme enceinte ! Par contre, les laisser se tirer les cheveux, c'était bon !
— Maman, garde les mains sur le volant et les yeux sur la route, le supplia son fils.
L'autre Link renifla moqueusement avant de s'accouder à la poignée de la portière, retournant à son observation.
— Je n'y pense que maintenant, mais vous me conduisez où, madame ?
— Malon, s'il te plaît. Chez toi, comme promis ! Tu as prévenu ta sœur ?
— Mais je ne vous ai pas donné l'adresse, balbutia-t-il.
Il frappa ses poches à la recherche de son téléphone, grimaçant quand la luminosité de celui-ci lui agressa les yeux.
— Tu vas séjourner au Verger du héros, n'est-ce pas ? Sinon, tu n'auras qu'à passer la nuit au ranch et je te déposerai demain, les conditions météorologiques sont de pire en pire actuellement.
— Non non, c'est bien le verger… vous connaissez ?
— Petit, je volais des pommes à ton grand-père avant que tes parents ne se rencontrent. Ta mère et moi faisions souvent le mur pour nous retrouver chez l'une ou l'autre et passer du temps ensemble. On était les seules filles du coin, ça rapprochait.
Il se concentra sur son portable, les sourcils froncés, semblant réfléchir.
— Malon… le ranch Lon Lon?
— Lui-même ! Le bon lait Lon Lon~
Amusé malgré lui de la réclame publicitaire de la part de sa mère - elle ne ratait aucune occasion - Twilight se rencogna dans l'assise confortable du monospace, contemplant le sommeil paisible de son fils, malgré l'angoisse de la situation actuelle - ils roulaient de nuit, sous une pluie glacée et traversaient une forêt foisonnant de vie - et aussi ce petit flottement de son cœur que la vue de son fils créait en lui.
Quand s'apaiserait-il ?
Ils finirent par arriver à leur premier arrêt, la nuit camouflant les détails. Twilight confia son fils à sa mère le temps de sortir le sac coloré du coffre et le porter sur le seuil de la porte où se tenait l'autre Link qui toquait déjà à la porte.
— Du coup, c'est maintenant qu'on se dit au revoir ?
— Adieu, avec un peu de chance, grogna l'autre.
Twilight lui adressa un regard trahi mais la lumière émanant du bâtiment n'était pas assez forte pour être visible. Ou il s'en foutait.
La porte s'ouvrît sur une hylienne semblable à celui face à lui, sans doute sa jumelle. Elle se jeta au cou de son frère et éclata en lourds sanglots.
Conscient d'être de trop, Twilight adressa un dernier salut avant de rejoindre discrètement sa mère, s'asseyant à l'avant et cajolant son enfant avec un désespoir qu'il n'avait plus ressenti depuis… depuis… depuis elle.
— On dirait que tu as vu un fantôme.
— Je crois que c'était sa sœur ? Elle s'est mise à pleurer sans prévenir.
Au lieu de lui répondre, sa mère lâcha un lourd soupir fatigué et tendit la main, lui caressant les cheveux avant de démarrer.
— Tu as du le comprendre, Alphonse était leur dernière famille. Ils n'ont plus qu'eux. Ils ont vécu pas mal de décès, et ce depuis tout jeune.
— Quel âge pour leurs parents ?
Son fils occupait tout son champ de vision, lui permettant de se concentrer sur du positif alors qu'il grimaçait.
— C'est si vieux… mais vous avez le même âge, donc… on avait dû te porter lors de la cérémonie, tu marchais encore trop mal.
Durant les préparatifs de naissance, il avait lu des livres en relation avec le développement des bébés et des enfants, jusqu'à la nausée.
Si sa mémoire était bonne, l'âge moyen pour commencer à marcher se situait aux environs des un an. Un frisson glacial le parcourut alors que l'émotion lui prenait à la gorge.
— C'est… c'est tôt, bafouilla-t-il.
— Elle était si jeune… Banzetta a suivi peu de temps après, puis le reste de la famille. Une vraie malédiction ! Quand je dis qu'Alphonse était leur dernière famille, ce n'était pas une métaphore.
Le reste de la route se fit dans un silence pensif, brisé par l'accueil chaleureux de Time qui n'attendît pas que le moteur soit arrêté pour ouvrir la portière et engloutir son fils et son petit-fils dans une étreinte d'ours qui lui avait tant manqué.
Ou était-ce en réaction à la conversation plus tôt ?
Peu importe, Twilight la lui rendit avec autant de force, les larmes aux yeux malgré lui, le cœur serré.
Si son père en fut surpris, il ne le commenta pas et l'aida plutôt à sortir, accueillant son épouse d'un baiser avant de vider le coffre, leur tapant les mains pour leur empêcher de l'aider.
Le trajet avait dû les épuiser, il pouvait bien se charger de deux valises quand même !
Revenir à la maison de son enfance était bizarre, mais pas autant que cette réflexion. Comme il avait failli le faire remarquer à la malotrue de l'aéroport, il était partit seulement cinq années auparavant.
Si peu de temps mais tellement à la fois…
Flânant au travers de l'étage, Twilight berçait pensivement son fils, passant la tête dans l'entrebâillement des portes, subitement curieux de redécouvrir là où il avait passé presque toute sa vie. Il redécouvrait chaque pièce, chaque meuble, avec une étrange nostalgie dans son cœur. Était-ce ça être adulte ? Ressentir cet espèce de recul sur la vie que nous avions, enfant ?
— Chéri ! l'interrompit sa mère. Je crois que le siège auto est arrivé !
Avec deux jours de retard, mais c'est toujours mieux que rien… maugréa-t-il intérieurement.
Assurant sa prise sur son enfant, il dévala les marches jusqu'au rez-de-chaussée, mais sa mère était déjà ressortie. Il ne restait que le colis susmentionné.
Bien que leur cheptel soit restreint, le travail ne manquait jamais, gardant ses parents occupés, que ce soit dehors avec les animaux ou les cultures, mais aussi à l'intérieur avec l'administratif.
Avant qu'il ne quitte Toal, il participait aussi à cette routine mais à son retour aucun des deux n'en avait démordu : il devait s'occuper de son fils, ils n'avaient pas besoin de lui !
Bien sûr, il parvenait à aider ici et là, s'occupant des corvées de la maison, réalisant des courses pour eux, etc. Mais ça le frustrait de rester à ne rien faire et de les voir s'activer par la fenêtre.
— Alors, voyons ça…
Le modèle était exactement ce à quoi il s'attendait et après y avoir assis son fils pour qu'il donne son verdict, il décida d'aller l'installer dans le monospace autant pour s'occuper que pour être tranquille. La prochaine fois qu'ils auront à prendre la voiture, il sera déjà en place !
Si son idée était bonne, elle lui prit plusieurs dizaines de minutes et de nombreux jurons. Heureusement que Malon n'était pas à portée de voix, surtout que ça eut l'air de beaucoup plaire à son fils qui lui tira les cheveux à intervalles irréguliers, confortablement allongé dans son cosy.
— Au moins, y'en a un qui s'amuse, soupira-t-il. Vu qu'on est déjà sur place, ça te dit qu'on aille faire un tour ?
Le bambin continua de piailler joyeusement, alors Twilight décida que c'était un « oui ». Il le transféra du cosy au siège auto et une nouvelle bataille se présenta à lui : fermer les sangles.
Ce fut de nouveau de précieuses minutes qui furent gaspillées là-dedans et plus de tortures capillaires, mais il parvint à résoudre cette énigme et se redressa, manquant de se cogner, satisfait de lui.
— Tu vas te balader ?
Surpris, il se retourna pour voir sa mère s'essuyant les mains dans son tablier déjà bien sale.
— À la base, j'avais juste l'intention d'accrocher le siège, mais je me suis dis que ce serait bien de le tester.
— Papa poule, le taquina-t-elle.
Se rapprochant de lui, elle tendit la main, le recoiffant gentiment, un sourire tendre aux lèvres.
— Ne t'absente pas trop longtemps, d'accord ? On va bientôt manger.
— Aucun risque, j'ai le meilleur rappel au monde, rit-il.
Il indiqua sa progéniture d'un geste de la main, celle-ci agitant la sienne avec enthousiasme.
— En effet, je ne vois pas comment j'ai pu m'en inquiéter ! Fais attention sur la route !
Se glissant derrière le volant, il n'eut qu'à baisser le pare-soleil pour en sortir la clé et démarrer le moteur. Sa mère frappa à la vitre alors qu'il s'attachait, attirant son attention. Il l'abaissa, curieux.
— Quand tu passeras au verger, invite donc les jumeaux pour le réveillon, d'accord ? Tu seras un ange.
— Mais je n'avais pas l'intention de…
— À d'autres mon chéri, à d'autres…
Et sur ces derniers mots, elle retourna dans l'étable, affichant un sourire mystérieux.
Confus, Twilight échangea un regard avec son fils via le rétroviseur. Du moins, il le tenta mais celui-ci était très concentré sur sa petite chaussette qu'il essayait de retirer.
Bon, ce n'est pas ici qu'il aurait du soutien.
Lorsque le panneau annonça la direction du verger, il avait roulé un peu, redécouvrant les environs. Il avait passé son permis à la capitale mais en tant que fils d'agriculteur, ça faisait longtemps qu'il savait conduire. Le plus dur fut de lisser les mauvaises habitudes afin d'en acquérir les bonnes.
Les changements étaient assez peu nombreux. Une clôture repeinte. Un panneau de signalisation endommagé par un tracteur. Une fois majeurs, les jeunes reprenaient les affaires familiales ou partant vers les grandes villes ou même la capitale, comme lui, que ce soit pour de plus grandes études ou juste y tenter leur chance. Certains revenaient dans les cinq années, d'autres se réinstalleront une fois un bébé en route.
Lors de leurs appels hebdomadaires, ses parents avaient tenu de le tenir au courant des situations de ceux de son âge, donc il savait vaguement qui avait épousé qui, qui était encore célibataire, qui avait repris un commerce…
Enclenchant le clignotant, il s'engagea dans le virage.
Malgré les propos de sa mère, il n'avait aucun souvenir de s'être déjà rendu ici alors qu'effectivement, ils n'étaient qu'à un poignée de minutes de marches.
Découvrant les petits pommiers des deux côtés de la route, il eut du mal à garder son regard sur celle-ci. Il faisait tellement noir l'autre nuit qu'il avait raté tous ces détails.
Il entra timidement dans la cour et alla se stationner entre deux bâtiments, espérant très fort ne pas gêner le passage – l'agriculteur avait le tracteur facile, il l'avait vécu plus d'une fois – et sortit de la voiture, claquant le plus discrètement possible la porte. Durant leur promenade sans but, son fils avait piqué du nez, c'était déjà une sieste de moins à faire pour aujourd'hui !
Grimpant les marches du porche aménagé pour aller frapper à la porte, il observa les environs, curieux.
La cour était à moitié pavée, quelques cocottes s'y égayant. Le petit bâtiment à côté duquel il avait garé le véhicule était entrouvert, semblant avoir été aménagé en atelier, du peu qu'il pouvait apercevoir.
Se rendant compte qu'il était en train de se dévisser le cou pour espionner très impoliment, il se retourna pour fixer prudemment la porte scellée, les pommettes rouges. Mais malgré lui, il se retrouva à observer les meubles sur le porche, pensif.
S'il se fiait aux traces sur le plancher, tout ne se trouvait pas là, sans doute rangé dans l'attente d'une température plus clémente, mais il restait quelques panières de plantes à la terre craquelée, un banc de travers et une couverture abandonnée.
— Je peux vous aider ?
Surpris, il ne put s'empêcher de sursauter alors qu'il pivotait sur ses talons pour faire plus ou moins face à une hylienne d'environ son âge. Elle portait un balai au travers des épaules et un pulvérisateur dans la main droite, dans une tenue proche de celle de sa mère et qui n'était sûrement pas la sienne à la base, rapiécée à de nombreux endroits, à la couleur passée et un peu trop grande pour elle.
— Bonjour, navré pour le dérangement, ma mère m'envoie vous inviter à nous rejoindre au ranch pour le réveillon. Enfin, si vous le voulez, bien sûr, aucune obligation !
Il l'avait rejoint au milieu de la cour pendant qu'il parlait, ce qui lui permit de voir qu'il était plus grand qu'elle mais aussi que le bleu de ses yeux était aussi saisissant que celui de son frère, bien qu'une teinte plus clair. Mais sinon, dans l'ensemble, ils étaient aussi ressemblants que ce à quoi on pouvait s'attendre de la part de jumeaux.
— Votre… mère ?
Elle pencha la tête sur le côté, méfiante, les sourcils froncés.
— Décidément, j'en rate pas une, râla-t-il en se frottant le visage de ses mains. Je m'appelle Link. Twilight. Je suis le fils de Malon et Link, Time, du ranch Lon Lon.
La réalisation éclaircit son expression alors qu'un sourire réjoui bien qu'aux contours épuisés prit place.
— Oh, c'est toi ! Elle m'a parlé à de nombreuses reprises de son fils à la capitale, à moins que je ne me trompe ?
— Non non, c'est bien moi, je suis fils unique. Je suis revenu l'autre jour… avec votre frère, d'ailleurs !
Elle avait déposé ses outils au sol entre-temps, lui permettant de lui claquer le biceps avec une force surprenante au vu de son cadre assez mince.
— Hé, on a le même âge si je me souviens bien, et on aurait pu être cousins dans une autre vie, alors pas de « vous ». D'ailleurs, en parlant de mon frère, où est-il allé se planquer, encore ? LINK !
Le rugissement fut si soudain que Twilight passa en apnée avant que les pleurs de son enfant ne surgisse à leur tour, le faisant accourir à la voiture pour le désangler et le bercer, le rassurant à mi-voix.
— Oh non, désolée, je ne m'attendais pas…
— Qu'est-ce qu'elle me veut, la mal embouchée ? râla-t-on vers l'entrée de l'atelier. Mais qu'est-ce que tu fous là, toi ?
Vêtu d'une tenue similaire à celle de sa sœur – la combinaison typique pour le travail agricole – bien que la sienne avait les manches nouées autour de sa taille, le laissant en débardeur vert forêt troué et chiffonné. L'absence du moindre bijou lui sauta aux yeux mais il avait déjà les bras plein de son fils et préféra sagement se concentrer sur ses sanglots, l'apaisant en un tour de main.
— Oh, on dirait bien que tu t'es amélioré, ricana-t-il en s'approchant, les mains sur les hanches.
— Mon père m'a enseigné ce truc. Et toi, plus je te vois et moins tu ressembles à un assistant maternel, c'est un vrai tour de force !
Avec les batteries enfin chargées et la possibilité de se reposer sur ses parents, loin d'un appartement où tout lui faisait penser à feue son épouse, Twilight pouvait répondre du tac au tac, ce qui parut le surprendre au vu de ses yeux légèrement écarquillés ainsi que le recul esquissé, mais il semblait avoir besoin de plus pour être déconcerté.
— C'est parce que Zel est celle qui chouchoute les pommiers. Je peux enfin faire une pause avec les sales marmots !
Malgré son ton sec et son attitude vantarde, son sourire annonçait la couleur : c'était une blague. Et il n'y avait qu'à regarder sa sœur au besoin, celle-ci ne se fatiguant pas à cacher son propre sourire.
— Bref, qu'est-ce que tu fous sur nos terres désolées ? reprit-il.
— M'man vous invite pour le réveillon. Mais rien d'obligatoire, comme je l'expliquais à ta sœur.
Il soupira bruyamment avant de se tourner vers cette dernière qui n'avait pas perdu son sourire pour autant.
— Je tente quand même d'argumenter ou c'est mort d'avance ? grogna-t-il à son encontre.
Elle se contenta de prendre un air innocent, cillant exagérément, mais son frère lui tournait à nouveau le dos, fourrageant dans ses cheveux méchés.
— C'est bon pour nous. On devra attendre que les chevaux et ces maudites cocottes seront couchés, mais je me doute que vous savez ce que c'est.
— Oh, largement, et encore, t'as pas la traite du soir, toi !
— Les déesses nous épargnent…
Semblant le reconnaître, son fils agita les bras en sa direction marmonnant des sons.
— Oh, il veut que tu le portes, il est trop adorable ! s'extasia Zelda dans l'oreille de son frère.
Énervé, il la repoussa d'un bras et se frotta le tympan de l'autre main, grinçant des dents.
— C'est juste un putain de réflexe, calme tes hormones et va dorloter les poussins, claqua-t-il en accueillant le bambin dans ses bras.
En vengeance, elle appuya de tout son poids son pied botté sur celui plus chichement protégé de son frère. Ce n'est que grâce à ses dents fermement serrées qu'il n'exprima pas sa douleur malgré des yeux légèrement humides.
— Franchement, je comprends pas comment vous avez pu le supporter durant les trois heures d'avion, soupira-t-elle en haussant les épaules.
— Il tenait mon fils en otage, avoua Twilight.
Il ne chercha pas à cacher son sourire quand il se fit fusiller du regard.
— J'aurais dû vous laisser lyncher par les passagers, maugréa-t-il en se détournant.
— Hé ! Arrête de vouloir me piquer mon fils, d'abord !
Il s'empressa de lui emboîter le pas alors qu'il rabattait la porte de l'atelier avant de le contourner, peu curieux des pas précipités derrière lui.
— Au fait, sœurette, je t'ai posé le bac des gâtées ! jeta-t-il par-dessus son épaule.
Une exclamation positive lui répondit alors qu'il continuait sur sa lancée, rentrant dans le bâtiment principal par une porte latérale, les faisant entrer dans une cuisine paraissant surchauffée en comparaison avec les températures extérieures.
— Voilà, on va vite te réchauffer, marmonna-t-il en se baissant près du poêle dont il remua les braises.
À ces mots, Twilight prit un air coupable en remarquant le nez et les oreilles rouges de son enfant, mais surtout en se souvenant que s'il l'avait laissé poursuivre sa sieste dans la voiture… il en avait coupé le chauffage en même temps que le moteur.
Un poing de glace parut se refermer sur ses intestins à la réalisation alors qu'il chancelait, soudainement étourdi.
— Ah non, tu vas pas nous claquer dans les pattes !
Et pour souligner cette injonction, il lui asséna quelques gifles de sa main libre avant de l'attraper par un bras et de le tirer à une chaise dans laquelle il le poussa avant de s'en désintéresser, faisant on-ne-savait-quoi, tenant toujours le petit métisse contre lui.
La culpabilité continuait de tourmenter le jeune père, lui faisant presque rater la tasse abruptement claquée devant lui. Il s'en empara, surpris puis reconnaissant quand la chaleur remonta à travers ses doigts engourdis en petites piqûres.
À côté de lui, l'autre Link buvait déjà à son propre verre, affalé dans l'autre chaise.
Soufflant sur le liquide encore trop chaud, il remarqua une troisième chaise reculée contre le mur, comme dans l'attente de quelqu'un. Le rappel du décès qui les frappait lui fit resserrer sa prise et il finit par goûter à son tour.
— Mmh ! Qu'est-ce que c'est ?
— Le célèbre cidre chaud du Verger du héros ! Presque aussi connu que le lait Lon Lon.
La petite pique le fit sourire alors qu'il prenait une nouvelle gorgée. Mais les nouveaux pleurs le firent sursauter, prêt à sauter sur ses pieds.
— Ah. Couche sale.
— Oh non, tout est resté au ranch…
Il se sentait littéralement se décomposer alors qu'il se rendait compte des bourdes qu'il accumulait.
— Hé, respire, c'est pas le moment de faire un malaise. C'est qu'une couche, tant que tu la changes dans l'heure et s'il n'est pas malade bien sûr, ce sera surtout des pleurs. C'est tout.
Mais ses mots ne l'atteignirent pas et Twilight se sentait à deux doigts de la crise de panique alors que son souffle se coupait dans sa gorge et qu'il se courbait au-dessus de la table, serrant son pull comme si c'était lui qui obstruait sa respiration.
— ZELDA !
Lointainement, il entendit plus de sanglots et des meubles être poussés, ainsi que des courses précipitées.
— Doucement mon grand, tu reviens de loin.
— Papa ?
Sa tête lui semblait peser des tonnes alors que Link luttait pour ouvrir les yeux.
Il était à moitié allongé sur la banquette arrière du monospace, son fils mâchonnant sa peluche paisiblement dans son siège auto, l'observant avec ses petits yeux curieux.
Il se redressa aussitôt, l'examinant avec des mains tremblantes avant de prendre une profonde inspiration de cette odeur si caractéristique des petits enfants.
Ce ne fut qu'une fois rassénéré qu'il prit un peu plus conscience qu'il se trouvait dans la voiture conduite par son père, avec Link – l'autre – sur le siège passager.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquit-il.
Il s'accrocha aux têtières et plaça sa tête entre elles, intrigué.
— Tu nous as fait une bonne frayeur ! rit son père.
La cicatrice de son œil borgne se froissait sous le sourire qu'il affichait, le contraire du troisième Link qui paraissait encore plus boudeur que lors de leur première rencontre.
— T'as fait une crise de panique puis tu t'es évanoui dans la cuisine. Heureusement, tu t'es cogné nulle part et Zelly avait le numéro de tes parents alors ils sont venus te chercher.
— Où est m'man ?
— Sans doute déjà rentrée. Comme tu es parti avec notre unique voiture, on a chevauché à deux Épona.
Ah, c'était peut-être pour ça la bonne humeur étrange de son père. C'était la jument qui avait rapproché ses parents, aussi étrange que cela puisse paraître, et trop de fois avait-il eu l'impression qu'elle était plus leur enfant que lui ! Mais la période de jalousie n'avait tenu que jusqu'à sa première session d'équitation et depuis la pauvre était gâtée par eux trois !
— Et, du coup, pourquoi Link…? Sans offense, rajouta-t-il maladroitement.
— Ils ont décidé d'en profiter pour nous kidnapper, soupira-t-il. Et c'est Legend.
— Twilight, se présenta-t-il à son tour.
Le porche à l'entrée du ranch fut rapidement visible avec son message d'accueil si familier.
— Mais alors, ta sœur… percuta-t-il.
— Avec ta mère, maugréa le jumeau laissé pour compte.
À ces mots et sans doute sa mauvaise humeur, un nouvel aboi de rire secoua le plus âgé.
— Zelda ne lui a laissé aucune chance, expliqua-t-il à son fils. Ta mère a à peine eu le temps d'en inviter un à monter derrière elle qu'elle était pratiquement déjà en place ! Je crois bien qu'elle en mourrait d'envie.
— Tu parles…
— Et je crois aussi que celui-ci a dû mal à le digérer.
Lâchant le volant le temps de pointer du pouce son voisin, Time échangea un sourire amusé à son fils par l'intermédiaire du rétroviseur.
Ce n'était pas très gentil de se moquer de lui, surtout avec tous les services qu'il lui avait rendu, mais Latouane que ça lui faisait du bien !
— C'est ça, c'est ça, foutez-vous de moi.
Mais lui-même luttait pour ne pas sourire à leur hilarité.
Quand ils se garèrent et quittèrent le véhicule, ils furent accueillis par Malon et Zelda qui leur tirèrent la langue en chœur, les taquinant sur leur retard.
— Je me demande bien à quoi servent tous ces chevaux dans ce moteur s'il suffit d'une vieille carne pour vous faire mordre la poussière !
— Oh, j'ignorais que c'était toi qui portais Épona sur ton dos, ma chérie, renchérit Time en venant l'enlacer.
— Tu !
En représailles, elle lui tordit violemment le nez avant de l'embrasser.
— Attendez qu'on soit hors de vue pour me faire une petite sœur, les charrie leur fils en les dépassant.
Son fils dans les bras, il entraîna les jumeaux dans son sillage.
Loin de se laisser démonter, le couple se sépara un court instant, le temps que Time puisse lui rétorquer :
— Si c'est ton unique souhait pour Noël, tu peux compter sur nous !
Un bruit étranglé leur parvint, suivi d'un haut-le-cœur.
— Papaaaa ! T'es dégueulasse !
Seuls dehors, les deux moqueurs gloussèrent, l'un dans les bras de l'autre, bien contents de leurs méfaits.
— J'vous jure, de vrais gamins, marmonna leur fils.
— Sacrée ambiance ! commenta Zelda. C'est tout le temps comme ça ou c'est pour l'occasion ?
Ayant légèrement oublié leur présence, Twilight se sentit embarrassé, et ce fut pire encore lorsqu'il croisa le regard goguenard de son frère.
— Désolé pour le spectacle, c'est, euh…
— Laisse-moi deviner : le fameux cocon familial où s'échangent blagues compréhensibles uniquement par les élus et références datées ?
Elle souriait, mais la douleur et la tristesse étaient parfaitement visibles dans le bleu céruléen, rappelant un peu tard à Twilight leur récent deuil.
— On peut dire ça, balbutia-t-il. Si vous voulez bien m'excuser un instant…
Il avait l'intention de changer son fils, se souvenant la raison initiale de sa perte de connaissance, mais fut coupé par un reniflement grossier de l'autre Link.
— Si tu pars en mission couche, c'est bon, j'avais demandé à tes parents d'apporter le nécessaire. Par contre, il doit avoir faim, maintenant.
— Ah. Merci ?
Ils allèrent tous les trois en cuisine, Zelda faisant la conversation pour la plupart pendant que Twilight berçait son fils, participant de temps à autre et que Legend se murait dans un silence désintéressé. Il se sépara d'eux une fois en place, commençant à réunir les éléments du biberon, le lait en poudre, etc.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je m'assure que tu ne vas pas empoisonner le petit, répliqua-t-il d'un ton mordant.
La pique le fit broncher et resserrer ses bras sur sa progéniture, mais il était incapable de répliquer. Il était en-dessous de tout, et ce depuis le début… Avait-il seulement le droit de le tenir contre lui ? D'en revendiquer la paternité ?
— T'en tires une tête mon poussin, l'interpella sa mère en arrivant à son tour.
Elle lui pinça affectueusement la joue mais ça ne suffit pas à ce qu'il lui sourit, ses pensées beaucoup trop sombres pour se réchauffer à son sourire maternel.
Inquiète, elle se tourna vers les jumeaux pour obtenir plus de réponses.
— Link a fait son Link, souffla sa sœur, consternée.
— Hé ! Je connais à peine ce gars mais il enchaîne les conneries ! C'est mon boulot de remarquer ce genre de trucs afin d'alerter les services sociaux !
Au lieu de s'en offusquer, Malon gloussa à cette réponse et s'éloigna pour permettre à son mari d'ébouriffer leur fils.
— Tu sais, la paternité, c'est un chemin rempli d'embûche. Si tu ne penses pas être à la hauteur pour élever un mini-toi, qu'est-ce que je devrais dire ! Je ne compte plus le nombre de fois que ta mère t'a arraché de mes bras ou m'a gueulé dessus à cause des conneries que j'ai pu faire !
— Langage ! répliqua la concernée en fronçant les sourcils. Mais ton père a raison, trésor. J'ai même dû décrocher la cravache pour qu'il enregistre une bonne fois pour toute !
L'anecdote obtint quelques rires, mais il était évident que ça ne suffit pas à extirper le jeune père de sa culpabilité.
— Hé, chéri, faire des erreurs, ça fait partie de la vie, et plus encore quand notre vie seule n'est pas à prendre en compte. Et compte donné des circonstances, personne ne va te blâmer.
Il ne put s'empêcher de jeter un œil au dos de Legend qui patientait devant le chauffe-biberon. Il avait dû le sentir ou simplement deviner qu'il allait le faire, car il se retourna presque aussitôt, les bras croisés.
— Y'a des lois, rappela-t-il. Mais t'as surtout besoin de te détendre car c'est évident que tu veux juste trop bien faire. Tu ne peux pas faire une crise de panique dès qu'un doudou tombe.
— C'était pas…!
Mais il se coupa en comprenant ce qu'il voulait vraiment dire.
Était-ce vraiment la mauvaise manière ? Il ne pouvait pas s'empêcher de couver leur petit, de rester éveillé des heures durant, autant pour vérifier qu'il respirait toujours que pour se demande ce que Midona ferait, ce que Midona dirait, à sa place.
Elle n'avait même pas eu le temps de lui dire le nom qu'elle avait choisi, le forçant à en balbutier un quand il fut temps de remplir le dossier de naissance.
— Le biberon est prêt. Tu comptes lui donner ou tu t'es changé en pierre ?
Tout concentré à se tourmenter, il l'entendit à peine, laissant sa mère récupérer sa petite charge et la nourrir. Quand il se reconcentra, ce fut pour tomber sur la chaleureuse scène de son fils tentant d'attraper le jouet que son père agitait hors de sa portée, la tétine du biberon glissée entre ses lèvres, dans les bras de sa mère qui affichait ce sourire si doux. Penché par-dessus son épaule, Time observait son petit-fils tout en détournant son attention.
Zelda s'était aussi rapprochée, attrapant une petite main pour lui lisser les doigts, s'extasiant sur leurs tailles.
Même son frère, accoudé au comptoir, affichait un sourire attendri en les contemplant.
Lui, par contre, se sentait de trop.
Il savait bien que c'était stupide, que c'était une jalousie mal placée, un épuisement, le contrecoup de la crise d'angoisse de tantôt, mais ça ne suffit pas et il s'empara de gants, d'un bonnet et d'une écharpe pour compléter sa tenue, la porte claquant pratiquement derrière lui alors qu'il sortait.
— Ah, première fuite, commenta Malon sans relever la tête.
— Je pensais que ça arriverait plus tôt, ajouta son mari.
Les jumeaux échangèrent un regard écarquillé, inquiets. Le jeune père ne venait quand même pas de prendre la fuite ?
— On devrait aller le chercher, non ? demanda timidement Zelda.
— Il a besoin d'être un peu seul, cette année a été compliquée pour lui. Il reviendra quand il sera calmé, pas besoin de s'inquiéter.
— Le laisser seul ? Pas besoin de s'inquiéter ? s'emporta Legend. C'est une blague ? C'est de l'abandon, là !
Le couple pouffa à ces mots alors que la grand-mère se levait et changeait de position le bébé, l'incitant à faire son rot.
— Si tu savais combien de fois j'ai croisé vos parents ou votre oncle dehors à râler, alors que j'errai pour la même raison ! C'est très fréquent par ici, on sort pour gueuler un bon coup et on rentre une fois que ça va mieux. C'est plus une mesure de prévention pour la tranquillité du foyer qu'un abandon. De toute façon, il ne peut aller nulle part, il n'a que ses affaires sur le dos. Il a même oublié son portefeuille ! rit Malon.
— Et puis, ce petit n'est pas rien, à ses yeux. Il est tout ce qui lui reste de la femme qu'il aime, alors croyez-moi, aussi douloureux que soit ce rappel constant, il l'aime plus que tout.
Une main sur le crâne recouvert de mèches blond foncé, il embrassa son épouse pour illustrer ses propos.
— Beau parleur, le taquina-t-elle. Je vais le coucher.
— Le vent s'est levé, je vais ranger les cocottes, lança Time.
— Je vous accompagne.
Accompagné de Legend, il sortit à son tour.
Il ne fut pas compliqué de rassembler les gallinacés. Ceux-ci s'étaient pour la plupart amassé dans le poulailler, fuyant le froid. Juste le temps de compter tout le monde, d'aller récupérer ceux qui s'était réfugiés ailleurs puis de fermer hermétiquement leur abri.
— On va aller s'occuper des vôtres, si tu veux ? La neige va bientôt retomber et je doute que Malon vous lâche avant que la nuit ne soit complète.
— Quelle chance alors qu'elle tombe tôt, en hiver.
Loin de s'en offusquer, Time rit de bon cœur à la pique alors qu'ils s'asseyaient de nouveau dans le monospace.
Ce fut à leur retour qu'ils aperçurent la silhouette maussade du fuyard de tantôt, celui-ci donnant des coups de pieds peu énergiques à un poteau de la clôture entourant le ranch.
S'arrêtant à sa hauteur, son père l'interpella :
— Hé, bonhomme, si tu laissais tranquille ce pauvre piquet et que tu nous rejoignais bien au chaud ? Connaissant ta mère, la p'tite et elle doivent se noyer dans le chocolat chaud !
— « la p'tite » ? Priez pour que jamais elle ne vous entende, rit son frère.
Souriant à ce commentaire malgré lui, Twilight grimpa à l'arrière, secouant les flocons s'étant agrippés à son bonnet. Il était plus monté pour l'invitation que par réel besoin, étant juste à l'extérieur du manège, et ils purent rapidement se réchauffer autour de la cheminée ronflante, une tasse du précieux breuvage entre les mains.
Le niveau sonore des conversations était bas, ajoutant au côté chaleureux du moment.
En bon enfant du pays, il n'était pas rare que Malon invite une famille ou des amis à les rejoindre pour les festivités de Noël, rendant la présence des jumeaux absolument pas intrusive pour Twilight qui se détendait doucement contre le dos de son père.
Il eut le souhait de fugitif de rester ainsi éternellement même s'il savait pertinemment que c'était impossible. Alors il espéra, un jour, éveiller cette impression à son fils. Celui d'un roc sur lequel il pourra s'appuyer, un abri sûr où se réfugier, une ombre sous laquelle se blottir quand tout devenait trop.
Sa mère n'avait pas été en reste, bien sûr, et les quitter tous les deux lui fut aussi douloureux que nécessaire. Pour grandir, avancer de lui-même.
Aimer.
Il avait rencontré Midona au travail, elle avait tout pour lui être inatteignable : si belle que les miroirs devaient se briser de honte de ne pas réussir à lui rendre fidèlement son reflet, la supérieure hiérarchique de tellement de supérieur de ses supérieurs qu'elle travaillait plusieurs dizaine d'étages au-dessus de lui, rendant chaque possibilité de la voir comme un miracle illuminant ses minables journées.
Il soupirait tellement derrière cette beauté sculpturale que ses parents avaient pris l'habitude de mettre le haut parleur et de vaquer à leurs occupations en attendant qu'il eut fini, dès que le sujet était abordé.
Autant dire que lorsque ses yeux se croisèrent par inadvertance, il n'eut pas besoin d'ingérer de café trois jours durant, tellement il était survolté !
Et que dire quand elle prit les devants et s'approcha la première, l'invitant à boire un verre dans la semaine !
Il aurait pu illuminer la Citadelle rien qu'avec son sourire.
Puis ils avaient commencé à se fréquenter.
Il lui avait demandé sa main.
Elle lui avait annoncé sa grossesse.
Leur fils était né.
Elle était morte.
Comme l'avait deviné Time – après, il n'avait pas vraiment de mérite à ça, l'ayant épousé presque trente ans auparavant – Malon avait refusé de libérer les jumeaux avant le lendemain matin, utilisant la tempête faisant rage dehors comme prétexte. Ainsi que le fait que Link avait rangé les animaux un peu plus tôt dans l'après-midi.
Celui-ci ne l'avait pas cru et n'avait donc pas jugé pertinent d'emballer des affaires pour eux donc Twilight n'hésita pas à leur ouvrir son placard quand il fut clair qu'ils étaient pratiquement séquestrés jusqu'à ce que la météo soit plus clémente.
Passé les premiers instants d'embarras, ils avaient décidé de tourner la situation à l'humour et ça tourna bien vite aux essayages les plus ridicules qui soient.
— Nooon, tu as gardé ça ? rit Zelda en se jetant sur le lit aux côtés de l'habitant.
— Hé ! J'ai gagné honnêtement ce match ! se défendit-il mollement.
— Tu parles, tout le village savait que tu avais triché !
Le sujet de leur discussion provenait de la découverte de la banderole célébrant l'un des nombreux matchs de sumo que le maire Bohdan, passionné, organisait chaque année depuis le début de son mandat.
Lors d'une des représentations, Twilight y avait participé avec toute cette fierté crâne des adolescents, s'entêtant à s'opposer aux participants adultes et taillés par le travail aux champs ou auprès des bêtes depuis plus longtemps que lui.
Et, effectivement, il l'avait remporté, à la grande surprise de tous. Jusqu'à ce que les célèbres bottes de plomb de son père soit reconnues et qu'on le taquine à ce sujet, des mois plus tard.
On lui avait laissé le titre mais il était banni de la compétition. C'était de bonne guerre.
C'était bizarre de savoir qu'ils avaient les mêmes souvenirs, avaient grandi à quelques minutes l'un de l'autre, avaient fréquenté les mêmes établissements scolaires aux mêmes années, que leurs familles se connaissaient… et qu'ils étaient pratiquement des étrangers les uns pour l'autre.
Affalé de travers sur son lit, Zelda tenant toujours la banderole à ses côtés, Twilight ferma les yeux un instant, pensif. Il se sentait étrangement léger durant leur échange, il ne parvenait pas à comprendre pourquoi. Ils ne faisaient rien d'extraordinaire, pourtant !
— Quel bazar ! les taquina Malon.
Son petit-fils dans les bras, elle s'arrêta un instant dans l'encadrement de la porte pour observer l'état de la chambre, secouant la tête, avant de reprendre son chemin.
La réalisation le frappa comme une vague.
Ce n'est pas qu'il se sentait léger. C'est juste qu'il était tellement occupé à agir comme un jeune de son âge, à raconter des souvenirs stupides et à rire de blagues idiotes que durant ce moment volé au temps, il était parvenu à tout repousser. À tout oublier. À sourire de nouveau.
Cette constatation lui serra le cœur encore plus que le jour des funérailles, quand ses parents avaient débarqué dans son minuscule appartement. Il était encore sous le choc à l'époque et les voir avait comme brisé une digue en lui et il s'était écroulé en larmes dans leurs bras, pleurant comme jamais il ne l'avait fait auparavant.
La femme qu'il aimait allait être incinéré, leur enfant était en surveillance au service des prématurés, il était plus seul que jamais.
Et le voilà, à quelques jours de Noël, à se remémorer des souvenirs d'avant avec deux enfants du pays dont il ignorait jusqu'au nom une semaine auparavant, à rire à gorge déployée, entre deux essayages catastrophiques, pendant que ses parents se chargent de son fils, lui permettant d'être à nouveau insouciant. Encore quelques minutes…
Mais aussi ridicules que pouvaient être certaines de ses vieilles tenues, leur potentiel comique prit rapidement fin et ils furent rejoints pas Legend qui s'assura de les atteindre tous les deux quand il s'affala à son tour sur le lit, obtenant des râles de sa sœur et des plaintes de sa part à lui.
Un silence relatif prit place, entrecoupés de respirations sifflantes mais aussi des sons du quotidien. Sa mère sifflotant alors qu'elle cuisine, s'adressant parfois au bébé, son père lisant le journal en râlant sur sa vue toujours plus mauvaise.
L'émotion parut se réunir une fois de plus dans sa gorge.
Jamais il n'aurait pensé que tout ça lui avait autant manqué et il regrettait en partie d'avoir fait ses valises pour la Citadelle, d'être si peu revenu, trop occupé par sa nouvelle vie d'adulte indépendant pour se rendre compte que ses parents vieillissaient sans lui. Mais dire qu'il regrettait d'être parti serait aussi piétiner les leçons que cette expérience lui avaient enseigné, ce serait cracher sur le souvenir de Midona, sur leur enfant…
Il était encore trop tôt pour parler du futur mais Twilight ne se fait pas d'illusion : un jour, il devra bien se pencher à nouveau dessus.
Attrapant un pied nu sous son menton, il entreprit d'en caresser la plante d'un index léger, s'assurant de ne pas le lâcher malgré les soubresauts, jusqu'à ce que Legend n'abandonne et ne se décale jusqu'à un coin vide de la couette, le libérant.
— Je vous laisse vous installer, leur lança-t-il en se levant, moi je vais descendre.
Lui grogna quelque chose d'imperceptible, elle se redressa pour lui sourire et le saluer avant de s'attaquer à son tour à son jumeau qui tenta de lui échapper.
Descendant les escaliers en souriant, il profita de passer par le salon pour enlacer son père par l'arrière, le surprenant, avant de le relâcher et de filer en cuisine, préférant éviter les éventuelles remarques liées à ce geste affectueux impromptu.
Comme il l'avait deviné, sa mère avait assis le petit héritier dans la vieille chaise qui avait été exhumé du grenier, jonglant entre la cuisinière, le four et un petit arrêt bébé pour lui glisser une cuillère de ceci, une cuillère de cela, un petit bisou sur le front, une tentative de lisser la mèche rebelle…
— Navré de te briser le cœur, mais t'as aucune chance avec celle-là, déclara le père.
Surprise, elle manqua presque de lâcher sa spatule mais elle se contenta de lui faire face, faussement courroucé.
— Est-ce ainsi que nous t'avons élevé, jeune homme ? Te faufilant derrière les honnêtes gens pour leur faire peur ?
— Les honnêtes gens, je l'ignore, par contre les vilaines grands-mères qui gavent leurs petits-fils dans le dos du père de ceux-ci, oui. Je suis sûr que si je rapporte le menu spécial auquel il a eu le droit, il te fout dehors.
— Il n'oserait pas ! Je suis chez moi ! s'offusqua-t-elle faussement.
— Oh, ne le sous-estime pas, il est très bon dans ses menaces.
Il rit à sa propre déclaration, ayant pu les tester de première main. Il ignorait si Legend avait vraiment l'intention de contacter les services sociaux à chaque fois qu'il le mentionnait, mais il l'en sentait capable.
— Tu entends les vilains propos de papa, mon trésor ? pleurnicha faussement la grand-mère en prenant le petit à témoin.
Mais à défaut de prendre sa défense, il lui balança une poignée de purée au visage, coupant net l'hilarité de son paternel qui se précipita, mortifié, pour nettoyer les dégâts. Sa mère n'était absolument pas coopérative, finissant par le repousser.
— Oh, franchement Link, ce n'est rien qu'un peu de nourriture ! J'ai déjà reçu bien pire, rien qu'au contact de nos vaches ! Et tu étais plutôt adroit à la visée, si je me souviens bien…
— Ah, on en est au chapitre des souvenirs honteux ? s'incrusta Time venu rapporter sa tasse vide.
Son rougissement prenait de plus en plus de terrain sur son visage, en lien avec son embarras, et il choisi l'option qui lui parut la plus intelligente : attraper son fils et fuir ces vilaines gens qui prenaient plaisir à le faire tourner en bourrique.
Comme option la plus intelligente suivante, il entra dans les écuries, surprenant les chevaux cette fois.
Boudeur, il rentra dans le box d'Épona et alla s'adosser à elle alors qu'elle était paisiblement allongée sur sa litière. Elle ouvrit les paupières et leva un peu la tête à son entrée mais reprit rapidement sa position initiale, habituée.
Ce n'était pas la première fois qu'il cherchait refuge auprès d'elle, et ce ne sera sans doute pas la dernière.
Appuyé contre ses jambes repliées, son fils observait les environs avec une concentration adorable. Quand il revint sur lui, il lâcha un « da ! » très fier puis agita les bras, comme pour demander à être porté. Mais quand il pencha la tête vers lui, Twilight dut accepter la cruelle vérité : son fils n'avait que ses cheveux pour objectif et il s'amusa à tirer sur les épis à sa portée, gazouillant de longues minutes avant que des bâillements de plus en plus longs ne viennent les troubler.
— Oh putain, je l'ai trouvé, c'est bon ! râla-t-on soudainement.
Malgré l'intrusion, Twilight ne bougea pas, curieux du mouvement suivant. Évidemment, il avait reconnu Legend, autant pour son verbe gracile que par sa voix, mais il était confortablement installé là où il était, contre le flanc d'Épona.
Et, effectivement, armé de la torche de son téléphone, monsieur bougon finit par apparaître entre les colonnes du box toujours ouvert de la jument âgée qui ne se fatigua pas cette fois à regarder qui venait.
— Sérieux, c'est quoi ton problème ? cracha l'assistant maternel. Ça t'éclate de savoir qu'on est à ta recherche ? T'étais une putain de proie dans ton autre vie, et dans celle-ci tu as décidé d'en faire un fantasme ?
Passé les premières secondes d'étonnement, il se contenta de se décaler légèrement et de tapoter l'espace à côté de lui, l'invitant à le rejoindre, ce qu'il fit, clairement à contrecœur.
Bras et jambes croisés, il avait rangé son portable, les plongeant de nouveau dans l'obscurité, le temps que leurs yeux s'habituent à la légère pénombre.
— Pour répondre à ta question, non je ne « m'éclate » pas à vous savoir à ma recherche. Et je parie même que mes parents t'en ont dissuadé.
Il n'obtint qu'un grognement pour réponse mais savait avoir visé juste.
— J'ai passé des heures ici à parler avec Épona, c'est pratiquement ma seconde chambre, et mes parents le savent très bien. Combien de fois m'y ont-ils découvert, emporté par le sommeil ? rit-il doucement. Trop de fois, tu peux me le croire.
Mais Legend garda le silence. Il sentit un peu de mouvement et conclut que soit il s'apprêtait à se lever et partir, soit il s'installait plus confortablement.
— Désolé, finit-il par déclarer. Déformation professionnelle, j'imagine.
— Y'a pas de mal.
De nouveaux bâillements retentit et Twilight sentit son fils se blottir dans son étreinte, le pouce dans la bouche. Ses respirations s'espacèrent alors qu'il lui caressait le dos, l'incitant à se détendre et dormir.
Papa était là.
— Tu as peut-être entendu parler de ces quadruplets qui ont disparu ?
— Qui l'ignore ? Quatre enfants d'un coup, disparaissant subitement sans laisser de trace, avant d'être découverts morts, par leurs parents… Je ne peux imaginer ce qu'ont dû vivre leurs proches.
Il l'entendit se trémousser mais était trop concentré sur le souffle doux de son fils pour s'y intéresser.
— Moi, je le sais exactement, déclara-t-il enfin. C'était moi qui était chargé de veiller sur eux. J'ai été le premier suspect, ce qui était logique vu que j'étais le dernier à les avoir vu vivants. Enfin, avec l'autre salopard, bien sûr.
La confidence le choqua moins que ce à quoi s'était attendu Twilight. Peut-être la présence réconfortante de son fils ? La chaleur solide d'Épona dans son dos ? L'intimité de l'obscurité ?
Toujours est-il qu'il tendit le bras à peu près dans sa direction, butant contre son épaule avant de l'attraper, en un geste de soutien silencieux.
La disparition remontait à quelques années, mais sa fin morbide à seulement quelques mois, revenant en force dans l'esprit des gens.
— C'était les fils d'une voisine, adorable avec nous mais clairement dépassée. Elle avait eu un cinquième enfant depuis peu et les quadruplets avaient été jugé assez grands pour rentrer chez eux par eux-même.
Lui parlait-il encore ? Ou était-ce à lui-même qu'il racontait ça ? Peu importe, Twilight garda le silence.
— Mais pas cette fois. Je ne sais pas quel souvenir me marque le plus. Leur salut alors qu'ils passaient la porte, se chamaillant et se bousculant ? Les gendarmes sonnant le lendemain matin ? Les photos de leurs corps mutilés ? Les visages de leurs parents à la nouvelle ?
Et là, juste là, Twilight jurerait avoir entendu très clairement le bruit que fit sa psyché lorsqu'elle se brisa et qu'il pleura.
— Je sais même pas pourquoi je te raconte tout ça, grommela-t-il quand il le put.
— Mmh ? Tu me parlais ? feint-il du mieux qu'il put.
Le coup d'épaule dans la sienne lui rappela à quel point il était un très mauvais menteur. Au moins aura-t'il essayé !
Ils restèrent encore ainsi quelques longues minutes, entrecoupées de reniflements de plus en plus fréquents et les sanglots qui se tarirent.
— C'est pour ça que tu es rentré, hein ? souffla-t-il finalement.
— Oui, répondit-il d'une voix creuse. C'est pour ça et que je pouvais enfin le faire sans me sentir coupable ou que ça ait l'air d'une fuite. Mais c'était trop tard, tonton vivait déjà ses derniers instants et je n'ai pu que soutenir ma sœur à distance. Je suis même arrivé trop tard pour ses funérailles…
S'assurant que son fils était correctement installé dans le berceau de son bras gauche, Twilight tendit l'autre pour attraper l'épaule opposée et le forcer à se coller à lui, ne le lâchant pas malgré leur inconfort évident.
— Marine n'a pas pu supporter la pression, autant celle des médias que les regards trop lourds et accusateurs des voisins. Pour eux, on était la cible idéale ! Un jeune couple sans histoire dont la petite maison accueillait des enfants du matin au soir, c'était forcément des tueurs en série ! renifla-t-il sarcastiquement. En fait, c'est plutôt son corps à elle dont le souvenir me hantera le plus. Et ce sang… tout ce sang…
La confession avait énoncée sur un ton tellement détaché que Twilight se sentit glacé de l'intérieur. Bien malgré lui, les souvenirs de l'accouchement précipité lui revint, les cris de douleur, la peur brisant la voix ordinairement si assurée et taquine, le personne qui le refoule dehors alors qu'il réclame des réponses…
Bien sûr, leurs deux expériences n'étaient pas comparables, mais perdre la personne à laquelle on tient le plus, sans signe avant-coureur, il l'avait vécu. Alors, à la place de bégayer des platitudes ou de s'emmêler sur un discours inepte, il se contenta de l'étreindre plus fort encore.
— Par contre, si ton projet est de me rompre les os, je te l'annonce tout de suite : ça ne m'intéresse pas. Alors relâche-moi tout de suite, Moosh.
— Moosh ? Sérieusement ? ricana-t-il en obtempérant.
— Quoi ? C'était un dessin animé cool ! Ma sœur préférait Ricky, mais elle n'a jamais eu de goût, la pauvre, renifla-t-il, faussement hautain.
— J'ai jamais accroché. Je préférais Dimitri, il était drôle.
Leur petite parenthèse derrière eux, ils rentrèrent dans la maison en se chamaillant sur quel héros était le meilleur. Une fois que Zelda eut compris de quoi il en retournait, elle donna de la voix à son tour, et même les parents furent invités à donner leur avis, ayant eu à supporter les interminables visionnages de leur fils unique, sans que personne ne parvienne à trancher.
Les Noëls blancs étaient la norme dans la région de Latouane. Twilight ne pouvait pas citer une année où il n'avait pas été accueilli par le paysage recouvert de blanc jusqu'à l'horizon.
La vie dans le coin était un peu ralentie mais ce n'était pas comme la capitale où personne ne savait réagir. Juste le temps de modifier les habitudes et de s'adapter, et on était repartit !
Les chevaux s'ébrouèrent avec plaisir, piétinant la neige fraîche sous la surveillance étroite de Malon qui s'assurait que, tout entier à leurs jeux, ils n'aillent pas se blesser, pendant que Time s'attelait à la traite du matin et que Twilight libérait les cocottes, même si tout le monde savait qu'elles rentreraient aussi sec dans leur poulailler, une fois la température ancrée dans leurs petites têtes.
Chargé de la corvée la plus simple et rapide, il fut évidemment celui désigné pour conduire les jumeaux jusqu'au verger.
— Dîtes, tant que j'y suis, vous voulez un coup de main ? leur proposa-t-il.
Après cinq années à tenter de s'immerger dans la vie citadine, ses muscles s'étaient réorganisés et il avait encore un peu de mal à réaliser des actions qu'il pouvait faire en dormant, auparavant, mais il en fallait plus pour le décourager.
— Oh, tu sais, en hiver, nous n'avons pas grand-chose à faire, expliqua Zelda en quittant l'habitacle. On a pu pallier au plus pressé jusque là. Les nouveaux plants ont été mis en terre, j'ai traité les arbres hier, Link a trié la cueillette…
Elle comptait sur ses doigts, concentrée.
— Pour le reste, ça se fera une fois le temps un peu plus réchauffé ou sur le temps.
— Et pour vos bêtes ?
— Quelques chevaux et des cocottes, notre activité principale, c'est nos pommiers ! En tout cas, merci pour tout, c'était très agréable !
Elle souriait toujours alors qu'il faisait sa manœuvre ou quand il s'éloigna entre les rangées bien droites.
Tout le contraire de son frère qui avait à peine desserré les dents depuis le réveil. Mais bon, vu les sujets abordés hier, ça ne l'avait pas beaucoup surpris.
Quand il se gara dans la cour, il croisa sa mère qui revenait du manège, son fils sanglé dans le dos, chaudement emmitouflé et tentant d'attraper les flocons virevoltants autour de lui.
Cette simple image le réchauffa plus efficacement que tous les chocolats chauds de sa mère, mais il n'ira jamais le lui répéter, ne voulant pas en être privé en conséquence de cette pensée malheureuse.
— Da ! Da !
— Oh oh, voilà un petit gars qui sait ce qu'il veut !
— Me tirer les cheveux, principalement, soupira dramatiquement Link. Je te libère ?
— Je veux bien mon trésor, je préfère monter sans lui, c'est encore un peu trop tôt, je pense.
Si Link s'écoutait, son fils ne monterait pas avant d'avoir sept ans, au moins. Cinq ans, c'était définitivement trop jeune… Et dire que sa mère aurait été collé sur le dos de sa première monture avant même de savoir marcher !
Famille de tarés…
Décidant qu'observer les poussins était une activité sans risque, il alla se caler non loin du poulailler et permit aux boules duveteuses trop curieuses de les approcher, au grand émerveillement de son fils qu'il dut empêcher de les déplumer.
On allait attendre un peu avant la carrière de zoosadique, hein…
Qui disait contrée enneigée, disait activités liées à la neige.
Et si le maire était connu pour sa passion des sumotori, il était célèbre pour son organisation chaque année de la plus grande bataille de boules de neige du pays !
Bon enfant, l'événement était avant tout là pour aider les enfants désœuvrés à canaliser leur trop plein d'énergie et aux adultes de se réunir pour l'occasion.
Iria, la fille du maire, passait en revue chaque candidat, vérifiant qu'ils étaient correctement habillés – les gelures et autres rhumes ne faisaient pas vraiment bonne presse – et rappelait les règles assez élémentaires. Pas de mauvais esprit : quand on était touché, on avait perdu, point. Pas de boule « piégée », le dernier à avoir tenté la plaisanterie avait fini devant les forces de l'ordre et quasiment ostracisé par le village, avant que la famille entière ne décide de quitter leur domaine ancestrale pour de plus verts pâturages. On évitait autant que possible le visage. Et, surtout, on s'amusait !
Si, à la base, ça ciblait les enfants, n'importe qui pouvait participer, en réalité. On demandait juste aux adolescents et adultes de ne pas se mêler aux plus jeunes, même si c'était eux qui démarraient les hostilités. Les projectiles n'étaient juste pas pris en compte.
Et ce fut ainsi que Twilight retrouva les jumeaux. Il était clair que c'était Zelda qui avait traîné son frère, celui-ci contrastant avec les autres participants avec sa mine grincheuse et sa tenue inadéquate.
Sans y réfléchir plus en détail, il retira rapidement sa grosse écharpe doublée et la passa au cou maigre, alors qu'Iria s'approchait d'eux.
— Merci maman, cracha-t-il en reconnaissance.
— Mais de rien mon enfant. J'espère que tu as pris un petit-déjeuner solide, ajouta-t-il.
— Pourquoi ?
— Parce que j'ai bien l'intention de te faire bouger de la neige.
Il ne devait pas s'attendre à la réplique car il se figea l'espace d'un battement de cœur, avant qu'un sourire ne se fraye sur son visage, lissant la contrariété.
— Tch, ça jappe, ça jappe, mais ça ne mord pas, répliqua-t-il. Tu peux faire croire à qui tu veux que tu es un loup, tu n'es qu'un chiot à mes yeux !
— Très bien papy, on verra qui de nous deux éjectera le premier l'autre !
Ils se tapèrent dans la main pour clore leur pacte stupide avant d'écouter les recommandations d'Iria, bondissant dès que le top départ fut donné.
La neige virevoltait dans tous les sens, manquant bien trop souvent sa cible. L'hilarité était de mise, bien plus que la victoire. Il n'y avait pas de prix, d'ailleurs, essentiellement pour éviter de provoquer la naissance d'un esprit de compétition qui pourrait mener à de nombreux embêtements. Au mieux, une distribution de cidre et chocolat chaud sera proposée une fois que la neige ne volera plus en des directions absolument pas naturelles.
Repérer Legend n'était pas bien difficile, sa tenue étant très vives au milieu des couleurs plus ternes portées par les habitants. Twilight mit un genou à terre et commença à réaliser ses munitions, appliqué.
Bien vite, les premiers forts furent construits, des cris et l'excitation retentissant de partout, la belle couverture immaculée n'étant plus qu'une boue piétinée à la teinte incertaine.
Et le duo tenait bon, esquivant les tirs hasardeux, concentré l'un sur l'autre.
Ce qui fut leur perte.
En effet, Zelda avait été là lorsqu'ils avaient parié et avait décidé de tirer parti de l'égo de ces deux idiots. Elle n'eut qu'à attendre patiemment l'occasion et parvint à les toucher tous les deux en même temps, fanfaronnant une demi-seconde avant d'être prise pour cible, trop occupée qu'elle était pour rester à couvert.
Elle se fit charrier sans fin durant le trajet jusqu'où différents sièges avaient été tiré pour permettre aux non participants d'observer leurs familles s'égayer parmi les flocons, accueillis par les mouvements énergiques de Malon et ceux plus réservés de son mari. Celui-ci avait retiré son unique petit-fils des bras de son épouse, sachant d'avance qu'elle allait être tellement pénétrée par toute l'action qu'elle serait capable d'oublier sa présence et de le faire tomber dans une action malencontreuse.
Heureusement que leur fils avait la tête dure, il s'en était tiré avec une simple bosse et avait oublié aussi sec l'anecdote !
— Très jolie victoire Zel ! les aborda-t-il.
— Merci, merci, se rengorgea-t-elle.
— Ouais, c'est facile de gagner quand on triche.
Bon à savoir, Legend était très mauvais perdant ! C'est tout juste s'il ne bouda pas tout le long de la journée, au grand amusement de la famille Lon.
Twilight ignorait s'ils passaient tout ce temps ensemble par volonté de ses parents ou si c'était par pitié pour leur perte récente, et il n'osa pas demander, craignant que ce soit la deuxième réponse. Et puis, quelle importance, au fond ? Ils passaient un bon moment et c'était tout ce qui comptait, au fond.
— Au fait mon chéri, tes affaires ont commencé à arriver, on les a mis dans le hangar, lança sa mère pendant le repas.
Son fils fronça les sourcils, surpris d'avoir raté la livraison. Le camion n'avait sûrement pas été discret, pourtant !
— J'y jetterai un œil tout à l'heure, promit-il. Il va falloir que je trie ce que je peux utiliser et ce que je vais devoir entreposer.
Incapable d'y faire face après les funérailles, il avait préféré rester à l'hôtel jusqu'à leur départ, sacrifiant ses économies pour que des professionnels empaquettent tout ce qui pouvait bien traîner et que ceux qui auraient pu devenir sa belle-famille n'avaient pas récupéré.
La tâche serait ardue et sans doute chargée de trop d'émotions, mais il ne pouvait pas non plus laisser ses affaires prendre de la place dans le hangar et une partie des fournitures de puériculture s'y trouvaient, alors bon… Avec un peu de chance, l'ambiance chaleureuse et détendue de ces derniers jours avait suffi pour l'aider à passer cette épreuve ?
Il faisait nuit noire depuis bien longtemps mais Twilight n'était toujours pas rentré. Ce n'était pas la première fois et Legend s'en inquiétait tout en se fustigeant de se miner pour ça. N'avait-il pas dit l'autre soir que c'était habituel ?
Si.
Mais cette fois, ses parents s'échangeaient des regards inquiets même s'ils savaient parfaitement donner le change à sa sœur et lui. Juste était-il habitué à déceler ces expressions à force.
— Je vais voir ce qu'il branle, balança-t-il avec sa grâce habituelle.
Ne réagissant pas à la plainte de la maîtresse de maison, il attrapa ses affaires et les enfila en même temps qu'il sortait, frissonnant lorsqu'une bourrasque s'enroula autour de lui grâce à son manteau encore ouvert.
— Bon, le hangar… Mais lequel ?
Ce fut finalement plus simple que ce à quoi il s'était attendu, tout simplement car la lumière était toujours allumée et agissait tel un phare dans cette obscurité.
— Oï, qu'est-ce que tu fous ? Ça fait des blindes que t'es partis, qu'est-ce que…
Mais sa plainte mourut dans sa gorge alors qu'il prenait pleinement conscience du spectacle devant lui.
Il y avait des piles bien droites de cartons, comme mentionné par Malon, et une pile légèrement moins soignée où ils avaient été ouverts, prouvant que l'idée initiale avait bien été commencé.
Et, entre les deux, il y avait deux cartons renversés, leur contenu répandu sur le sol et un Twilight pratiquement catatonique, plié en deux.
Affolé, il se précipita à ses côtés, tentant de l'allonger un peu, au moins sur le flanc, afin de pouvoir mieux l'examiner. Ce fut une lutte car l'autre Link n'avait pas l'intention de l'aider, des grondements déchirants résonnant dans sa poitrine dès qu'il gagnait.
En nage, il tomba à genoux à ses côtés, observant son visage pour un indice, mais il s'arrêta dès qu'il plongea ses yeux dans les siens.
Ce regard.
C'est celui qu'il croisait dans le miroir, chaque matin depuis… Depuis.
Tout énervement ou colère disparut, remplacé par la résignation et sans doute un brin de compassion.
Le deuil d'un être cher était sans doute la plus grande douleur qui soit.
Lui tapotant la main en un soutien maladroit, il remarqua qu'il tenait en une prise serrée – si serrée que ses phalanges en étaient blanches – un cadre. Le lui retirer était autant pour éviter qu'il ne se blesse que par curiosité, mais surtout aussi frustrant que l'allonger.
La photo représentait une grande femme aux longs cheveux roux – son cœur se pinça à ce détail mais c'était bien le seul point commun qu'elle avait avec sa petite amie – un large sourire lui dévorant le visage alors qu'elle présentait à l'objectif ce qui ressemblait à une échographie.
Nul besoin de poser des questions, relier les points étaient d'une facilité déconcertante. Surtout entouré de ce qui devait être ses affaires, la ressemblance avec le petit garçon qui se trouvait dans les bras de son grand-père quand il était sorti, le retour au bercail précipité et confus…
— Elle s'appelait Midona, finit par articuler Twilight.
Il avait roulé sur l'autre flanc, lui tournant le dos, un bras sous la tête. Mais nul besoin de voir sa tête pour deviner l'expression qu'il avait. Il n'y avait plus d'émotion dans sa voix, juste du vide. Un vide qui ne se remplira peut-être jamais et dans lequel il voudrait sans doute s'enrouler, comme dans une couverture, et oublier, tout oublier…
Le sol était glacial et dur mais lui non plus n'était plus capable de rester assis, se sentant lourd, si lourd, alors qu'il s'allongeait pesamment, le cadre tenu entre le pouce et l'index, alors qu'il fixait le plafond du même regard vide que devait avoir son voisin.
— Elle s'appelait Marine, souffla-t-il dans l'air froid.
Dehors, la neige avait recommencé à tomber.
"Bonjour, votre enfant pleure et je suis assistant maternelle. Heureusement, nous sommes assis l'un à côté de l'autre dans l'avion. Ne vous inquiétez pas, je m'en charge."
Voracity Karn
