Stiles rêvait beaucoup et il faisait partie du clan de ceux qui se réveillaient en se souvenant de ces images nées de son sommeil. Bien sûr, il s'agissait d'une chose aléatoire… Mais oui, la plupart du temps, il se souvenait. Et sortait de sa nuit aussi fatigué qu'il s'était couché, si ce n'est plus.

Ce matin-ci, il n'avait pas la moindre envie de se lever. Tout son corps était d'une lourdeur incroyable, faisant concurrence avec sa tête, qu'il n'arrivait pas à se résoudre à décoller de l'oreiller. Seules ses paupières se montraient coopératives et se soulevaient malgré ce besoin de se refermer et de replonger dans un état où sa conscience passait au second plan. Le sommeil n'était pas toujours agréable, mais Stiles lui trouvait une qualité de taille : le temps. Dormir, c'était chronophage et ça mangeait des heures qu'il ne vivait pas vraiment. Du temps en moins à penser, à ruminer, à subir l'attente, l'ennui, le néant.

Déjà deux jours qu'il était de retour au loft, deux jours qu'il vivait sans exister, deux jours qu'il se laissait manipuler. Il n'était même pas certain que son abandon soit volontaire tant toute forme de force l'avait quitté. Il avait du mal à marcher, et… Lorsqu'il bougeait, il sentait. Il savait. Et chaque fois, ce petit truc lui rappelait qu'il n'était rien, que l'on pouvait se servir de lui avec une aisance folle, que toute résistance de sa part était vaine. Il n'y avait plus rien à protéger, plus rien à préserver. Pourquoi vivait-il encore ? La question lui revenait régulièrement, tout aussi fréquemment que la réponse et Stiles savait qu'il ne pourrait mourir sous ce toit. Et même si Derek n'était pas là pour le surveiller, il était clair qu'il n'aurait rien tenté tant le simple fait de rester conscient était une épreuve. Il en était de même pour cette obéissance plus qu'anormale à chaque demande de Derek – Stiles était d'ailleurs surpris du fait que celui-ci n'ait encore rien tenté. A ce stade-là, l'hyperactif n'avait même plus l'envie ni la force d'essayer de résister : il n'était plus qu'une coquille vide que rien ne pourrait plus illuminer. Alors Derek pouvait bien faire ce qu'il voulait de lui. Il se passerait forcément quelque chose, tôt ou tard. Stiles était bien placé pour savoir que la vulnérabilité faisait grandir des instincts qui, pour lui, étaient forcément là. Et si ce n'était pas le cas, elle les faisait naître. La gentillesse n'était rien de plus qu'une apparence, un masque servant à rendre les êtres agréables, de sorte à leur faire gagner la confiance d'autrui… Pour enfin assoir cette domination qui les chevillait au corps. Le pouvoir était souvent plus fort que la raison. Pourquoi ? Lui-même se le demandait encore. Le fait est qu'il ne comprenait pas, qu'il se sentait à part.

Qu'il n'avait plus envie de parler. D'ouvrir la bouche. De prononcer le moindre mot.

Stiles entendit des pas, légers. Tellement discrets que seul le silence le plus complet permettait à son oreille humaine de les percevoir. C'était Derek, bien sûr. Il venait le réveiller… Sans doute parce qu'il était déjà tard. Il referma les yeux quelques secondes avant d'entendre les coups que le loup porta à la porte, avant que celle-ci ne finisse par s'ouvrir. Derek faisait toujours en sorte de le prévenir de son arrivée, de ses intentions alors qu'il n'en avait pas besoin. Stiles n'y voyait là aucun intérêt, aucune logique. Pourquoi prendre toutes ces précautions avec lui ?

D'autant plus que son rêve continuait de peupler ses pensées.

- Stiles, l'entendit-il l'appeler.

Sa voix lui paraissait étrangement douce. Quoique l'adjectif ne correspondait pas complètement à Derek, ni même à son intonation. C'était plus de l'ordre du comparatif avec le Derek qu'il avait connu autrefois… Et celui de ses derniers temps. Plus patient, plus calme. Il l'avait toujours été, mais différemment. Avec lui, il avait changé. Et ce qu'il prenait au départ pour une forme de pitié lui paraissait désormais risible. Derek n'avait pas pitié pour lui. Sa gentillesse cachait quelque chose de plus sombre, latent – Stiles attendait juste de découvrir le jour où ça déraperait. Où Derek se rendrait compte du pouvoir qu'il avait sur lui.

Son hôte était un loup-garou depuis toujours, mais le dernier rêve de Stiles lui avait rappelé un élément qu'il avait vu mais auquel il n'avait jamais accordé d'importance. Et pourtant, ça en avait. Parce que l'hyperactif était certain de ce qu'il avait remarqué ce jour-là. Derek avait laissé ses yeux de loup apparaître et leur bleu électrique avait cédé sa place à un rouge vif, sanguin. Le rouge d'un alpha.

Stiles devait avouer qu'il regrettait de ne pas s'être penché plus tôt sur ce détail qui prenait une importance considérable maintenant qu'il prenait enfin la peine d'y songer… De s'en souvenir. Voilà ce qu'il en retenait : alpha, puissance, domination. Trois mots qui le terrifiaient intérieurement, qui représentaient parfaitement tout ce qu'il craignait mais, parallèlement à cela, acceptait. Que pouvait-il faire d'autre, de toute façon ? Stiles était parfaitement résigné quant à ce qui l'attendait. Il était certain que la réalité le frapperait, tôt ou tard, qu'elle emporterait l'image du Derek qu'il connaissait et qui, déjà, avait commencé à changer. Le loup-garou faisait pourtant tout pour le mettre à l'aise, tout pour essayer de l'aider malgré sa personnalité très renfermée et cette solitude qu'il aimait tant. Mais c'était plus fort que Stiles… L'imaginer prendre le dessus et changer la nature de leur relation était préférable. Il ne voulait pas connaître la surprise ou la déception. Si quelque chose devait arriver, il serait préparé.

Des pas, encore. Sans être un loup, Stiles le sentit près du lit.

- Je sais que tu ne dors pas.

L'hyperactif finit par ouvrir les yeux et le regarder, sans répondre. Il n'en avait plus envie. Par contre, il le regardait sans se cacher, ne baissait pas le regard… Ne s'empêchait pas de fixer ces prunelles vert d'eau qu'il imaginait déjà rougir, prendre cette teinte si singulière qui faisait de lui un être supérieur.

Derek lui tendit la main, qu'il retirerait si Stiles ne la prenait pas. Le choix, il le lui laissait toujours… Mais il était bien placé pour savoir que la faiblesse physique de l'hyperactif se faisait grandissante. Il ne bougeait plus, mangeait moins et ce, même si Derek faisait au mieux pour qu'il se nourrisse correctement. Alors, sa main était une aide physique. Rien de plus, rien qui pourrait être interprété d'une manière étrange et Stiles le savait, parce que Derek le lui avait dit.

Mais il n'avait plus envie de faire confiance. De croire en qui que ce soit. Pourtant, seule une personne lui avait fait du mal et il savait parfaitement de qui il s'agissait. Quoiqu'à bien y réfléchir, ils étaient deux.

Emile était son agresseur, mais Noah en était le protecteur. Qu'il le soit consciemment ou pas, c'était du pareil au même. Partant du principe que celui qui devait être là pour lui avait choisi son camp, adverse au sien, comment croire aux balivernes du premier venu ? Son père lui avait toujours dit qu'il pourrait compter sur lui, qu'il le protègerait lui, son fils unique, la prunelle de ses yeux. Elles étaient belles, toutes ces formules.

Alors que dire de Derek ?

Stiles s'efforça de se lever seul et suivit le loup-garou jusqu'à la cuisine. C'était toujours la même chose. Semblant de petit-déjeuner, retour à la chambre, déjeuner, retour à la chambre, dîner, retour à la chambre. Stiles ne vivait pas, il fonctionnait… Fonctionnait selon le rythme que lui proposait Derek.

Ainsi, la journée se déroula comme les précédentes à la différence que Stiles pensa beaucoup à ce détail dont il s'était rappelé grâce à son rêve. En revanche, toujours rien concernant le dernier enfer qu'il avait vécu. Il n'en avait aucun souvenir, mais au fond… En avait-il vraiment besoin pour comprendre ce qu'il s'était passé ? Son corps parlait pour lui.

Néanmoins, Stiles ressentit le besoin grandissant de s'exprimer, de parler à Derek de cette chose qu'il n'avait pas l'air d'avoir remarqué. En tout cas, son attitude n'avait pas encore changé et même si ça viendrait sans doute rapidement… Il eut une envie, celle de lui dire qu'il savait. Qu'il ne serait pas surpris du jour où les choses bougeraient. Il ne se posa aucune question concernant la meute : Scott et Derek étaient civilisés, ils trouveraient un terrain d'entente. Si deux alphas ne pouvaient toutefois pas diriger une meute, ils pouvaient scinder la leur en deux et les garder alliées. Rien n'était impossible dans un monde qui n'admettait pas de véritables règles.

Mais voilà, Stiles voulut faire une chose avant de se coucher, de céder au sommeil qui chaque jour s'épaississait. Était-ce étonnant dans la mesure où celui-ci était instable ? En tout cas, l'hyperactif choisit de s'exprimer sans prononcer un mot, sans voir Derek non plus. Il se saisit d'une feuille qui traînait avec un stylo sur le bureau de la chambre parmi un matériel d'écriture conséquent dont Derek ne devait sans doute que rarement se servir et écrivit quelques mots. La feuille, il la glissa ensuite sous la porte, de sorte à ce que Derek la voie le lendemain avant de l'ouvrir. Le désormais de nouveau alpha était un homme qui faisait attention aux détails et un papier dans le couloir, il le remarquerait.

Le message était clair, lui montrerait que Stiles savait.

« Tu avais les yeux rouges. »