Merci beaucoup à Anya Kristen et Sarah Maes pour leur review !
Chaque commentaire de lecteur est une gorgée de motivation pour l'autrice que je suis.
Dans ses mains en coupe, Drago recueillait avec fascination l'eau qui tombait en pluie depuis le pommeau de douche. Simplement heureux face à cette profusion.
Il se sentait apaisé, comme rarement depuis des années.
Non pas vide, ni vidé. Mais calme. En paix.
L'eau que lui avait offerte Luna quelques instants auparavant ne l'avait pas seulement désaltérée. Elle l'avait comme nettoyée de son marasme interne. Un marasme qui avait été secoué, retourné par sa discussion avec Anthéa.
Était-ce là l'objectif de Luna ? Réveiller ses peurs, invoquer ses doutes, les transformer en tempête pour finalement lui proposer un remède pour les apaiser ?
Certes, cela exigeait de lui qu'il fasse des choses qu'il n'avait pas envie de faire. Qui le répugnaient. Mais au bout du compte, il se sentait mieux.
Plus fort.
Plus propre.
.
Drago, la peau encore légèrement humide, et Luna, débarrassée de ses apparats de déesse, se tenaient face à face dans le petit salon. Sur la table entre eux fumaient une des sempiternelles tisanes de Luna à l'origine douteuse, à côté d'une grande carafe d'eau et d'un bol débordant de légumes racines crus.
Tandis que Drago remplissait son verre au pichet pour la troisième fois consécutive, évitant soigneusement l'infusion à l'odeur agressive de Jubola, Luna croqua dans un radis et posa sa première question. Une question qui la chatouillait depuis qu'elle avait lu que le jeune homme avait accompli sa mission.
– Qui est la personne que tu as interrogée, Drago ?
– Anthéa Cythère, répondit-il sans hésiter. Tu sais, celle qui a fondé avec son père une enseigne sur le Chemin de Traverse. Là où je travaille, crut-il nécessaire d'ajouter.
Luna hocha la tête avec un air entendu.
– Oh, bien sûr. À la fois une personne que tu côtoies quotidiennement et une personne dont la vie t'est inconnue.
– C'est ma cheffe en fait, fit-il d'un rire gêné, comme si l'idée qu'il ait une supérieure était en elle-même ridicule et le couvrait de honte.
– Et tu as voulu parler de ce sujet avec la personne pour laquelle tu travailles ? s'étonna Luna.
– C'est aussi… une amie, je crois.
La curiosité de Luna fut immédiatement piquée.
– Dis-m'en plus sur Anthéa. À quoi ressemble-t-elle ?
– Elle est plus petite que moi. Des cheveux frisés. Des yeux dorés. Des épaules carrées et un menton pointu.
Luna secoua la tête en riant.
– Ce n'est pas ce que je veux savoir. Je veux en savoir plus sur elle. Quel genre de personne est-elle ?
Drago s'enfonça un instant dans ses pensées, peu habitué à l'exercice que lui demandait Luna.
– Elle…
Drago repensa à la manière très directe, parfois brutale, qu'elle utilisait pour s'adresser à lui. À l'énervement que cela provoquait parfois chez lui.
– … elle n'a pas sa langue dans sa poche. Elle est parfois un peu rentre-dedans, continua-t-il en se remémorant certaines de leur discussion. Si elle a quelque chose à te dire, elle n'ira pas par quatre chemins. Discuter avec elle, c'est parfois plus fatigant et plus dangereux qu'un duel de sorcier ! C'est aussi une sorcière très douée dans son domaine. Et au bar, elle a une sacrée descente. Je crois qu'elle pourrait coucher n'importe quel gobelin.
Un demi-sourire étira ses lèvres fines à l'évocation de leurs virées nocturnes.
– Elle est vive, dynamique, continua-t-il. Débrouillarde et pleine d'inventivité. Elle…
Il chercha les mots capables de rendre justice au caractère flamboyant d'Anthéa.
– ... vit dans le présent. Et même si elle peut être un peu brute avec les gens, elle s'adresse à eux sans préjugés. Ou en étant capable de les mettre de côté, en tout cas.
À la grande surprise de Drago, Luna se mit à frapper joyeusement dans ses mains à la fin de sa tirade, l'acclamant avec ferveur.
– Fabuleux ! Exactement le genre de personne qu'il te faut ! s'enthousiasma-t-elle. Et qu'est-ce que tu as ressenti quand tu as découvert ma demande ?
Drago se tortilla sur son siège, mal à l'aise.
– Je n'avais pas envie d'évoquer la Guerre. Avec qui que ce soit. Mais maintenant que je l'ai fait... C'est étrange. À la fois, cette discussion a remué beaucoup de choses en moi. De l'autre, après coup, j'ai ressenti comme un sentiment d'apaisement. Comme si un abcès dont j'ignorais l'existence venait d'être crevé.
Luna posa sur Drago un regard plein de compréhension et d'empathie. Celui-ci se racla la gorge, avant d'avouer :
– C'est un peu comme tout à l'heure, dans le désert, avec l'eau que tu m'as donné. Au début, je n'avais aucune envie de le faire. Toute une partie de moi luttait contre cet acte. Mais d'un autre côté… j'en avais besoin. Et une fois que j'ai accepté ton don, après avoir bu, tout était plus simple. Plus évident. C'était ce qu'il fallait faire.
Il regarda le verre qu'il tenait entre ses mains.
– Quand j'ai bu, j'ai été submergé par un sentiment d'adoration. Tu m'as donné ce dont j'avais besoin, avoua-t-il dans un souffle.
Il osa ensuite vocaliser l'idée qui lui avait traversé la tête un peu plus tôt.
– Comme les missions dans le carnet.
À sa grande surprise, sa déclaration déclencha un grand éclat de rire chez la sorcière.
– Qu'est-ce qu'il y a de si drôle, bougonna-t-il, vaguement vexé.
– C'est au moment où je t'autorise à m'appeler par mon prénom pendant les cérémonies que tu deviens un adorateur de dame Hécate !
– Un adorateur de dame Hécate ?
– Oui ! C'est le mot que j'utilise pour parler des personnes qui viennent ici.
– Tes clients ?
– Si tu veux. Même si je trouve le terme adorateur bien plus précis.
Et dans l'esprit de Luna, les visages de ses fidèles défilèrent, leurs yeux et leur visage empreints de l'émotion intense, unique, qu'elle faisait naître en eux, une émotion dont elle était la seule à profiter et dont elle devait prendre soin. Être une déesse à temps partiel, aussi tyrannique soit-elle, ça nécessitait du travail et de l'abnégation !
Mais pour le moment, son fidèle le plus récalcitrant rechignait à continuer seul ses confidences. Alors, Luna le relança :
– Et comment ça s'est passé, la Guerre pour Anthéa ?
– Difficilement. En exil.
Et Drago lui raconta dans les grandes lignes ce qu'Anthéa lui avait confié, se concentrant sur les choses concrètes sans s'attarder sur le reste, évoquant la perte de couleurs des photos d'Énigma Cythère ou encore la naissance de la vocation de la jeune fille.
Quand il eut fini, Luna fronça les sourcils.
– Tu m'as bien décrit ce qui est arrivé à son corps. Mais ça ne me dit rien sur la manière dont elle a vécu les choses. Sur son ressenti. Elle t'a parlé de ça ?
La jambe de Drago se mit à tressauter. La colère et la frustration se dressaient à nouveau sur son chemin. Le jeune homme avait envie de marcher pour évacuer cette gêne, mais l'encombrement de la salle ne le lui permettait pas.
– Oui, elle m'en a parlé, marmonna-t-il en croisant le bras et en enfonçant sa tête dans ses épaules.
Luna ne dit rien de plus. Elle se contenta de le fixer de ses grands yeux interrogatifs jusqu'à ce qu'il finisse par céder.
– Elle était en colère, elle souffrait. Comme s'il n'y avait rien eu de bien à l'époque. Et comme si tout était de ma faute !
– Tu penses que ses sentiments sont faux ?
– Non ! s'insurgea-t-il.
– Tu aurais préféré ne pas savoir ?
– Non ! répéta-t-il avec plus de force.
– Tu as raison, fit-elle platement. L'ignorance n'efface pas la réalité.
Et il était heureux de savoir. Vraiment. Comme il l'avait confié un peu plus tôt à Luna, il sentait confusément que cette discussion avec Anthéa lui avait été bénéfique. Mais une part de lui restait blessée, meurtrie par les propos entendus.
– Je ne suis pas un monstre, éructa-t-il.
– Personne n'a dit ça, Drago. À part la voix dans ta tête.
Drago s'emporta, laissant les sentiments qu'il avait enfoui en lui déborder d'un seul coup.
– Elle a quitté l'école ! Alors qu'elle avait le choix ! Les Cythère auraient pu faire autrement. Poring aurait pu rester en Angleterre avec sa fille. Évidemment, pour sa femme, ça aurait été plus compliquée, mais…
– Les gens ont parfois envie de rester ensemble, Drago. Unis. Ils se protègent les uns les autres face à un danger. Parce qu'ils s'aiment.
La phrase mura le jeune homme dans le silence. Avec douceur, Luna lui demanda :
– Et toi, qu'as-tu ressenti ?
Après un long silence, il répondit :
– Tu sais, j'avais peur d'en parler avec elle. J'avais le sentiment que cela ferait renaître la période des Procès. Qu'Anthéa me tournerait le dos, comme tout le monde l'a fait à ce moment-là. Et finalement, j'ai l'impression que ça nous a rapprochés. Je me suis senti comme connecté à elle. Alors, oui, je crois que nous sommes amis. Même si c'est un lien que je ne comprends pas bien et qu'elle m'a bien fait comprendre à quel point il pouvait être fragile. En fait, je crois qu'elle m'a un peu menacé, ajouta-t-il avec un léger ricanement en passant sa main dans ses cheveux.
– Une amitié, fit Luna, pensive... Pour qu'elle continue, il faut que vous le vouliez tous les deux. Comme un fil tendu entre deux personnes. Si l'une des deux lâche la corde, le lien tombe et disparaît. C'est une relation sur un pied d'égalité.
– D'égalité ? s'étonna Drago.
– Oui, confirma Luna. Anthéa est ta supérieure chez Cythère et fille. Et elle est ton inférieure de par son sang, ajouta-t-elle en embrassant la vision du monde de l'héritier des Malefoy. Du coup, c'est logique que tu la vois comme ton égale.
Drago secoua la tête. Logique, oui. Selon la vision personnelle et incompréhensible de Luna.
– Est-ce que c'est la première fois que tu traites une personne en égale ? lui demanda Luna. Que tu la côtoies non pas parce que tu le dois, ou pour ce qu'elle pourrait t'apporter, mais pour ce qu'elle est et ce qui vous relie ?
– Ce qui relie les gens, c'est le pouvoir, affirma Drago. Des liens hiérarchiques où chacun a une place bien définie. Ce dont tu parles n'a pas de sens.
– Ce dont je parle, c'est l'amour.
– Pfff. Une chimère pour ceux en bas de l'échelle.
– Les relations entre les personnes sont une toile plus qu'une échelle, le corrigea Luna. Quant à l'amour...
– L'amour ? la coupa sèchement Drago, agacé. Un sentiment de perdant. Une faiblesse dangereuse. Vous avez failli perdre la guerre, à cause d'un père aimant sa fille.
Il plongea ses yeux dans ceux de Luna, soulignant par son regard accusateur qu'elle était cette fille qui aurait pu faire perdre la guerre à son camp.
– Mais nous l'avons gagné, Drago, répondit-elle d'une voix douce. Voldemort a perdu. Deux fois. Et deux fois pour la même raison. En raison de l'amour d'une mère pour son fils. D'abord, Lily Potter. Ensuite, Narcissa Malefoy.
– Ne dis pas n'importe quoi, s'emporta aussitôt Drago. Ma mère n'aurait jamais trahi notre cause !
– Ça ne devrait pas t'étonner pourtant, reprit Luna calmement en buvant une gorgée de thé brûlante. Voldemort ne comprenait rien à l'amour. Du coup, toute action motivée par ce sentiment lui était incompréhensible, inconcevable, imprévisible. Et tous ceux capables d'aimer ont fini tôt ou tard par le trahir.
