La première idée de Drago était de se rendre chez Barjow & Beurk. Mais en marchant, il s'imagina l'accueil qu'il recevrait dans la boutique. Barjow, à la fois obséquieux et condescendant, marchandant la moindre information. Aurait-il quelque chose d'intéressant à lui dire ? Et saurait-il par la suite tenir sa langue ? Il repoussa finalement l'idée et tourna les talons.
Il poussa la porte de la gare de cheminée, échangea deux Mornilles contre une poignée de poudre verte et annonça : « Manoir Malefoy, 2ème étage ».
Il pénétra dans une gerbe de feu verte à l'intérieur d'un petit salon meublé de quelques fauteuils de cuir confortables, d'un échiquier à l'abandon en corne d'éruptif neutralisé et d'un épais tapis émeraude. Un chat au pelage intensément noir, qui s'était approprié un des fauteuils, se réveilla en sursaut et quitta la pièce en feulant. Sur les murs, le dernier balai de Drago, un Tranche Azur cinq profilé et flambant neuf, côtoyait une dizaine de livres et quelques photos.
Il dévala les escaliers, laissait derrière lui l'étage du manoir qui lui était dédié pour se rendre au rez-de-chaussée. Il entendit la voix claire de sa mère :
– Que ceux qui savent préparer des puddings étincelants avancent d'un pas.
Dans la cuisine, une quinzaine d'elfes de maison, tous plus difformes les uns que les autres, se tenaient sur deux lignes. Bien des années après l'odieuse trahison de Dobby, Narcissa s'était finalement décidée à recruter un nouveau serviteur. Elle avait déjà rencontré les elfes de la Liste Ministérielle des Elfes Sans Propriétaire, ceux formés par « La sorcière est servie » et même quelques jeunes elfes que leur famille souhaitait céder, mais elle hésitait toujours.
Drago fit un signe de tête à sa mère pour lui manifester sa présence et patienta près d'un guéridon orné d'une fleur argentée très odorante. Elle le rejoignit quelques minutes plus tard, après avoir demandé aux trois elfes qui avaient retenu son attention de préparer le repas du soir. Elle se laissa tomber sur une chaise en face de son fils et soupira :
– Ses recherches m'épuisent. Il est devenu si difficile de trouver du bon personnel. Que fais-tu ici Drago ? Il y a eu un problème à la boutique ? As-tu un eu souci ?
– Non, maman, tout va bien. J'ai fini plus tôt aujourd'hui et j'ai eu envie de discuter un peu avec toi.
Narcissa accueillit les propos de son fils avec un large sourire. Elle appréciait l'attention, mais n'en était pas dupe. D'une main, elle défit son chignon et libéra ses longs cheveux blonds.
Drago se mit à parler de sujets anodins, comme la floraison du parterre de lys de sang ou la dernière exposition d'Aquakasa, tout en essayant d'obtenir des informations sur son père.
Sa mère participait à la conversation d'un air détendu, en ne donnant jamais de réponses claires à ses interrogations les plus brûlantes. Peut-être qu'elle ne savait rien. Peut-être qu'elle ne voulait rien dire. Drago nota toutefois qu'au cours de leur échange, elle s'était mise à arborer un sourire léger et énigmatique dont il n'avait pas la clé.
Le soir même, il refusa d'accompagner ses parents au Théâtre du Salsifleur, prétextant l'écriture urgente d'une notice pour Cythère & Fille.
Il était heureux d'être seul dans la maison, sans elfe qui aurait pu le surprendre et le dénoncer. Il préférait que ses investigations restent secrètes.
Il poussa avec fébrilité la porte du bureau personnel de Lucius et pénétra dans une salle lambrissée de bois sombre et de marbre blanc veiné de vert. Il entrait dans un lieu privé, quasiment interdit. Ses pas grincèrent sur le parquet ancien tandis qu'il approchait de l'imposant bureau. Dans un coin, un meuble accueillait un assortiment de vins français et italiens ainsi qu'un buste d'Armand Malefoy, l'ancêtre qui avait fondé le manoir.
Enfant, quand Lucius voulait sermonner Drago, il le convoquait dans ce bureau, doublant son regard sévère de celui vide et froid de la statue. Encore maintenant, en passant cette porte, Drago se sentait impressionné et vaguement craintif.
Drago se mit à ouvrir un à un les tiroirs, les mains tremblantes. L'un contenait un coffret d'écriture, avec encre nocturne de Kraken et plume d'Hyppogriffe. Un autre renfermait un livre de compte. Enfin, Drago trouva ce qu'il cherchait, posé derrière la carte de membre du Cercle Intersorcier : l'agenda de Lucius.
Il le feuilleta rapidement. La plupart des annotations contenaient beaucoup d'abréviation, parfois au point d'en être incompréhensibles. Cela ressemblait à une liste infinie de rendez-vous et de repas d'affaire. Toutefois, une note retint son attention. Elle indiquait :
Lampadaire, croisement AdE/IdV
L'enserrer et se frotter
Annoncer « immobilise-moi »
Il recopia l'étrange message sur une feuille vierge et ressortit rapidement, soulagé d'être à nouveau dans le couloir. Il monta quatre à quatre l'escalier pour rejoindre son étage. Il pénétra dans sa chambre et en verrouilla magiquement la porte avant de s'asseoir au bord du lit.
Il défroissa du bout des doigts la feuille qu'il avait serré convulsivement dans son poing et l'étala sur son couvre-lit. L'énigme sous les yeux, sa réflexion se mit en marche.
Le mot « croisement » devait faire référence à un lieu, une intersection entre deux rues. Le reste du message ressemblait à un mode d'emploi tordu. Une succession d'actions à faire, un peu comme pour la Salle sur Demande.
Plus il y pensait, plus son explication lui semblait logique. Le texte devait être une adresse, permettant de se rendre dans un lieu secret. Il ne restait plus à Drago qu'à trouver où se trouvait l'intersection et son lampadaire.
Pendant la nuit, Drago se tourna et se retourna dans ses draps. Mais le sommeil ne vint pas, sans doute chassé par le feu de son imagination galopante.
Le message lui ouvrirait-il les portes d'un bar élégant réservé aux Sang-Pur ? Ou d'un confortable lieu de rencontre pour pouvoir discuter de magie noire entre sorciers de bonne naissance ? À moins qu'il ne soit téléporté dans une réserve de chasse peuplée d'animaux rares et dangereux ?
.
Le lendemain, Drago se comporta comme si de rien n'était, mais son cerveau était ébullition, à l'affût du moindre indice. Alors qu'il marchait dans le Chemin de Traverse pour se rendre chez Cythère et Fille, la solution lui sauta au visage : « AdE » signifiait Allée des Embrumes.
Le soir-même, il se rendit au pied du lampadaire, au croisement de l'Allée des Embrumes et de l'Impasse des Vipérines. En se sentant parfaitement ridicule, il se mit à suivre les directives qu'il avait trouvé dans le bureau de son père. Rien ne se passa.
Il se félicita d'avoir choisi des vêtements amples et couvrants. Même si les rues étaient vides, ça lui donnait l'impression de pouvoir cacher la honte qu'il ressentait. Son père avait-il vraiment déjà fait ça ? Se donner en spectacle dans une position si humiliante ?
Le temps semblait s'étirer à l'infini. Depuis combien de temps était-il là ?
Vérifiant encore une fois qu'aucun être vivant n'était dans les parages, dans un dernier espoir, il frotta plus vite et plus fort son bassin contre le poteau en disant, la mâchoire serrée :
– Immobilise-moi.
Et il s'arrêta, frustré que rien ne ce soit produit. Sa frustration se volatilisa quand un bruit attira son attention. Une porte venait d'apparaître dans la façade d'un immeuble en brique.
Une volée de marche en bois l'amena jusqu'à une porte anonyme. Il hésita un instant à toquer, mais décida finalement d'entrer sans indiquer sa présence. Il se retrouva dans un couloir, avec deux portes de chaque côté. Et en face, une cinquième porte ouverte lui laissait voir une présence.
Il fit quelques pas, ôta sa capuche et reconnut la personne qui lui faisait face.
– Lovegood ? s'exclama-t-il.
La réponse ne tarda pas :
– Tu as donc si peu confiance en tes yeux, Drago, pour que tu ressentes le besoin de poser cette question ?
Drago, prit au dépourvu, se figea dans un silence médusé.
– Par ailleurs, pour toi, ici, ce sera dame Hécate.
– C'est quoi cet endroit ?
– Tu as l'air perdu alors que c'est moi qui devrait être étonnée. Tu prends l'entrée des habitués et tu ne sais même pas où tu es ?
Rien de ce que Drago avait imaginé ne l'avait préparé à ça. Son père fréquentait un lieu tenu par une membre du groupe de Potter et Dumbledore ?
Fréquenter était peut-être un terme excessif. Peut-être n'était-il venu qu'une fois.
Peut-être lui avait-on juste transmis l'information, en lui disant de ne jamais, au grand jamais, se coller au lampadaire de manière obscène en tenant des propos équivoques.
Cette dernière idée n'avait pas beaucoup de sens, mais les autres possibilités semblaient en cet instant tout aussi insensées dans l'esprit de Drago.
– Est-ce que mon père est déjà venu ici ?
– Un mystère n'a plus d'intérêt s'il est résolu par quelqu'un d'autre que soit.
Le ton de Drago se fit plus menaçant.
– Est-ce que mon père est déjà venu ici ?
Luna ne se laissa pas impressionnée.
– C'est mal de fouiller dans les affaires des autres, Drago, dit-elle d'un air détaché. Tout à fait le genre de comportement méritant une punition. Ça tombe bien, tu es au bon endroit pour ça.
– Mais qu'est-ce que tu racontes, bon sang ?
Drago commençait à s'alarmer. Normalement, un début de saine crainte aurait dû naître chez Luna. Mais au lieu de lui céder, elle parlait de le punir !
– Je sais garder des secrets. Je ne dirais rien de ton passage. Ni des autres.
La tête de Drago tournait. De quels autres passages parlaient-elles ? Imaginait-elle qu'il reviendrait la voir ? Ou parlait-elle d'autres sorciers ? De son père ?
– Qu'est-ce que mon père viendrait faire ici ? s'interrogea Drago à voix haute.
– Je peux t'expliquer ce qui se passe entre les murs de mon sanctuaire. Ou mieux. Je peux te le montrer.
– C'est une façon de me dire que tu as envie de coucher avec moi, Lovegood ? demanda Drago, retrouvant un instant son habituel sourire narquois.
– Pas du tout. Je te propose juste de vivre une nouvelle expérience. D'acquérir un nouveau savoir.
Aux yeux de Luna, Drago était un cas à part. Il n'était pas seulement un membre du camp d'en face, celui de Voldemort et de ses comparses. Drago avait fait partie de ceux qui se moquaient systématiquement d'elle pendant sa scolarité. Plus d'une fois, il lui avait lancé des sortilèges simplement parce qu'elle passait près de lui dans un couloir. Elle était incapable de compter le nombre de fois où il avait ordonné à ses acolytes de cacher ses affaires, juste pour rire un peu.
Il était un ennemi intime. Et elle avait enfin l'occasion d'inverser leur rapport de force.
Les yeux de Drago se plantèrent dans les siens.
– Très bien. Explique-moi.
– Des sorciers viennent me rendre visite pour que je les humilie, que je leur fasse du mal. Ce que j'accepte de faire, contre rémunération. Ils en tirent une forme de plaisir, physique et mentale. De nature plutôt sexuelle, même si je ne couche pas avec eux.
Drago secoua la tête.
– Tout ça n'a strictement aucun sens.
– Tu n'as pas envie d'arrêter de te tourmenter avec toutes ces questions ? De lâcher prise quelques instants ? Je peux te permettre de lâcher prise. Il suffit que tu me fasses confiance.
Ce dernier mot fit tiquer Drago. Dans quel monde un Malefoy ferait-il confiance, ne serait-ce qu'un instant, à une Lovegood ? Mais d'un autre côté, il était venu là pour savoir.
Il jeta un coup d'œil vers la porte d'entrée. Il ne maîtrisait pas la situation, et il détestait ça. Il resserra sa main sur sa baguette. Le temps de la discussion était peut-être révolue.
– Je ne crois pas que tu bénéficiera de beaucoup d'indulgence de la part des juges une fois que tu m'auras agressé chez moi, dit rêveusement Luna. Si tu veux visiter Azkaban, il y a sans doute des moyens plus simples pour y parvenir.
Les doigts de Drago se relâchèrent. Ceux de Luna n'avaient pas bougé, se tenant toujours à quelques centimètres de sa baguette.
Drago se sentait nerveux et fatigué. Il n'en pouvait plus des mystères et des secrets.
Soudainement, il n'eut plus envie de lutter. Il abdiqua.
– Montre-moi.
