La voix de Luna s'éleva, semblant provenir de partout à la fois.
– Drago. Tu penses que ton père est déjà venu chez moi. Qu'il s'est déjà tenu là où tu te tiens. Dans la position où tu te tiens. Imagine-le, ici, nu, entravé.
À mesure que les mots de Luna lui parvenaient, des images naissaient dans l'esprit de Drago, mélanges de fantasmes et de souvenirs. Son père privé de baguette, incapable lancer le moindre sort. Son père apeuré et servile. Son père nu, à genoux, suppliant.
Drago secoua violemment la tête. Non. Il ne voulait pas penser à ça. Il lutta avec force pour sortir ces pensées de sa tête. Mais rien n'y faisait. Plus il résistait, plus elles s'imposaient.
Et la voix de Luna, impossible à ignorer, ne cessait d'en planter de nouvelles, toujours plus atroces.
– Imagine, s'il était là, maintenant. S'il te voyait. Son fils unique, renonçant volontairement à ses pouvoirs magiques. L'héritier de sa maison à la merci d'une ancienne ennemie. Finalement, sans baguette, tu n'es rien de plus qu'un Cracmol.
– Arrête Luna. Ça suffit.
– Bien sûr Drago. Il te suffit d'admettre que tu n'es qu'un Cracmol.
Luna ne comptait pas continuer de parler de Lucius, par respect pour la demande de Drago. Sa dernière provocation n'avait qu'un but : amener Drago à lâcher prise.
– Je... je ne suis qu'un Cracmol, fit Drago d'une voix brisée.
Luna le félicita et dissipa ses sorts, rendant sa vue et sa liberté de mouvement à Drago. Ce dernier quitta avec soulagement les affres de son imagination. Il se leva et ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil autour de lui, pour vérifier qui était dans la pièce.
Il n'y avait que Luna, se tenant très droite dans sa tenue étrange qui la rendait presque belle. Il fut heureux de la voir.
Elle fit un pas vers lui, leur corps maintenant à un souffle l'un de l'autre. Drago baissa les yeux. Au lieu de voir le sol, il vu la naissance des seins de Luna. La chaleur qui lui brûlait les joues s'intensifia.
Du bout de sa baguette, Luna caressa les contours du visage de Drago. Puis, elle en plaça la pointe sous son menton et le releva avec vigueur, forçant Drago à la regarder. Le jeune homme se sentit prêt à basculer.
– Prosterne-toi devant le symbole de ma puissance, Cracmol, et vénère-le comme il se doit.
Sans la quitter des yeux, Drago s'agenouilla.
Luna passa sa baguette sur les lèvres de Drago. Il posa sa bouche contre le bois tiède et l'embrassa, rivant toujours son regard à celui de la maîtresse des lieux. Luna parut satisfaite. Contente de lui.
– Ne bouge pas.
Luna se saisit d'une Bougie d'Abondance, à la cire inépuisable, et l'alluma. Elle revint près de Drago et plaça la bougie au-dessus de sa tête.
– Drago. Tu as choisi de m'obéir. Tu as choisi de te mettre à mes pieds
Et c'était vrai, pensa Drago. Elle lui avait laissé l'opportunité de partir. Elle ne l'avais pas contraint à s'agenouiller. Il avait fait tout ça de lui-même.
Cette constatation produisit un déclic en lui. Drago cessa de réfléchir. Il lâcha prise et se laissa submerger.
Un frisson le traversa et ses muscles se relâchèrent.
En regardent Drago à ses pieds, s'abandonnant à elle, un sentiment de plaisir et de puissance enfla dans les entrailles de Luna.
– En échange de ton abnégation, voilà mon don.
Elle pencha un peu la bougie à la flamme tremblotante, faisant couler la cire qui s'accumulait à son sommet. Elle en versa d'abord sur les épaules de Drago, puis sur son front.
Tandis que la cire coulait en rivière de feu sur sa peau, Drago fut secoué d'intense spasmes de plaisir.
Il perdit contact avec la réalité, englouti par son tourbillon intérieur.
Jusqu'à ce qu'un contact lui fasse reprendre pied : la douceur un peu rêche d'une serviette sur son bras, essuyant les traînées de cire qui parcouraient sa peau.
Luna, accroupie devant lui, était en train de le nettoyer. Leur regard se croisèrent. Luna lâcha la serviette et récupéra une baguette qui était posée au sol. La baguette de Drago. Luna la lui tendit.
– Drago, c'est terminé.
Il récupéra l'objet et le laissa pendre mollement au bout de son bras. Il se sentait vidé.
En silence, Luna continua de nettoyer Drago.
.
Quelques instants plus tard, dans le salon qui faisait face à la chambre, Drago, douché et à nouveau vêtu de ses atours de sorcier, regardait Luna s'affairer en cuisine. Elle vint rapidement s'asseoir en face lui et déposa un lourd plateau sur la table basse.
Une odeur de chou cramé s'échappait de la théière. Luna en versa le contenu huileux dans deux tasses. Drago, épuisé, n'eut pas la force de repousser la tasse que Luna lui tendait. En boire une gorgée eut au moins l'avantage de lui redonner la force de se plaindre.
– Mais c'est immonde !
Luna haussa les épaules.
– Beaucoup de gens n'apprécient pas les infusions de Ravegourde. Ça doit être un goût qui se travaille. Comme le whisky Pur Feu.
– Ou bien ça nécessite d'avoir des papilles gustatives de Lovegood, marmonna-t-il.
Il envisageait sérieusement de vider sa tasse dans la plante à côté de lui, mais avant qu'il ait eut le temps d'amorcer le moindre geste, Luna avait remplacé sa boisson par un rafraîchissant jus de Syranthe.
Chacun prit quelques gorgées, en silence. Drago n'avait pas envie de parler. Il se sentait bien dans ce silence flottant, la tasse fraîche entre ses mains occupant toute son attention. Mais pour Luna, l'heure de la discussion avait sonné.
– Comment te sens-tu ?
Drago, empêtré dans ses ressentis, ne savait pas comment répondre à cette question anodine. Face à la complexité de ses émotions, il opta pour la simplicité et l'évitement.
– Ça va. Tes séances se passent toujours comme ça ?
– Pas du tout. C'est unique à chaque fois. Je préfère l'innovation et la répétition ! Et pour ceux qui viennent me voir, l'imprévisibilité fait partie du plaisir.
L'utilisation du mot « plaisir » mit soudain Drago mal à l'aise. Il voulait partir.
– Super. Et bien, merci beaucoup Luna. Je crois qu'il est temps pour moi de rentrer.
Il vida d'un trait les quelques gorgées qui restait au fond de sa tasse et se leva.
– Drago, l'interpella Luna. Nous devrions discuter un peu.
– Non. Vraiment. Je n'en ai ni le besoin, ne l'envie.
– Tu peux partir, Drago. Mais tu ne peux pas te fuir toi-même. D'ici quelques heures ou quelques jours, tu risques d'avoir un contrecoup. Tu ne devrais pas affronter ça tout seul.
Drago ne souhaitait entendre aucun de ces mots. Il se précipita vers la sortie.
Quand il se retrouva dans la rue, il se promit de ne plus jamais s'approcher du lampadaire.
Il rentra chez ses parents, en se sentant parfaitement normal. Quelle idiote, cette Luna, avec ses histoires de contrecoup. Si elle espérait pouvoir le ferrer ou l'effrayer en lui disant ça, elle faisait fausse route. Elle devait côtoyer des sacrés larves pour s'imaginer que lui, Drago Malefoy, réagirait mal à son petit passage chez elle. Et si elle côtoyait des larves, aucune chance que son chemin ait croisé celui de son père.
Dans sa chambre, Drago fut accueilli par un miaulement mécontent. Sombressence, la chatte de Tindalos familiale, sortit des ombres et bondit avec souplesse sur le lit. Drago lui gratta la tête, entre les deux oreilles.
– Ce n'est pas toi qui dicte les horaires ici, petit tyran domestique.
Il s'endormit rapidement, terrassé de fatigue, en touchant le pelage de Sombressence du bout des doigts.
.
De retour dans son appartement, du côté moldu de Londres, Luna laissa son esprit divaguer. Et celui-ci voulait visiblement remonter le fil de ses souvenirs.
Des images de Drago s'imposèrent à elle. Son arrivée, pleine de détermination. Sa gêne, en entrant dans son sanctuaire secret. Son départ hâtif, les cheveux en bataille et le regard égaré.
Drago n'avait pas la moindre idée de ce qui l'attendait en entrant chez elle. Il était venu parce qu'il voulait savoir si son père faisait partie des clients de Luna. Elle ne lui avait rien dit, mais Lucius avait effectivement déjà passé le pas de sa porte. Et plus d'une fois.
Par certains aspects, père et fils avaient des manières identiques. Il avaient tous deux opté pour des arrivées inattendues dans son sanctuaire.
Elle se souvint de sa nervosité, un doux après-midi de printemps, alors qu'elle attendait son prochain rendez-vous. Dans son calepin, aucun nom n'était marqué. Juste une brève indication : 《 visite pour un premier contact. Sorcier (mys)s(t)érieux 》.
Le rendez-vous avait été pris après un échange anonyme en poste restante. La personne semblait bien renseignée sur les activités de Luna, mais ne voulait pas se présenter à elle avant d'être sûre qu'elle acceptait tout le monde. Y compris les anciens ennemis.
Après réflexion, Luna avait invité l'inconnu à venir dans son sanctuaire. La guerre était une blessure à guérir, pas un fossé à creuser.
Précisément à l'heure convenue, Lucius était entré avec sa prestance habituelle de conquérant. Luna, un peu surprise mais pas décontenancée, ne lui lança aucun Expelliarmus. Il avait bien fait de la prévenir un minimum. Toutefois, elle ne put s'empêcher de penser qu'il avait dû se tromper d'adresse.
– Mrs Lovegood. Notre entretien se déroule-t-il sous le sceau de la confidentialité ?
– Effectivement. Et puis, qui prendrait au sérieux la fille de Xenophilius Lovegood si elle se mettait à raconter partout que Lucius Malefoy venait la voir pour se faire frapper et humilier. Car c'est bien pour ça que vous êtes là, non ?
Elle le sentit désarçonné. Sans doute cette entrevue s'était-elle jouée de nombreuses fois dans son esprit. Mais les scénarios qu'il avait échafaudé venaient de s'écrouler sous ses yeux. Il reprit rapidement contenance.
– Je vois que vous n'êtes pas du genre à tergiverser. Très bien. Je vais donc faire de même. J'aimerais me retrouver dans une situation où mon libre-arbitre et ma capacité de mouvement me seraient ôtés.
– Vous avez déjà pratiqué ce genre de chose ?
– Non. Je n'en ai même jamais parlé. Mais l'idée m'excite, depuis longtemps.
Luna n'en doutait pas une seconde. Les yeux de Lucius s'étaient embrasés à la simple évocation de son désir.
– Comment puis-je être sûr de la qualité de votre travail ? reprit-il de sa voix de dirigeant.
– En y succombant.
– Pourrais-je avoir le contact d'autres de vos clients ?
Lucius était passé en mode entretien d'embauche. Mais Luna savait que c'était elle qui tenait les rênes.
– Accepteriez-vous que je donne votre nom au prochain sorcier qui passera le pas de ma porte ?
La réponse était《 non 》et ils le savaient tous les deux. Lucius ne se donna donc pas la peine de la formuler à voix haute.
La discussion, toujours sur un ton commercial, se focalisa ensuite sur les souhaits et les attentes de Lucius. Ils échangèrent pendant de longues minutes. À chaque nouveau détail, à chaque nouvelle précision, la voix de Lucius se faisait plus grave et son souffle plus profond.
À aucun moment leur passé commun ne fût évoqué. Seul comptait l'accord présent.
Sûr de lui et de ce qu'il recherchait, Lucius accepta sans difficulté de n'être qu'un jouet entre les mains de Luna.
Luna hésita un peu plus. S'il lui avait demandé de se rendre au manoir des Malefoy, elle aurait certainement refusé. Mais puisqu'il était prêt à venir chez elle et à obéir à ses règles, elle l'accepta.
Une première date fut rapidement convenue. Bien d'autres suivirent.
