Lucius se révéla être un adepte assidu, joueur et imaginatif.

Il aimait obéir. Il aimait être rabaissé. Il aimait être puni.

Il aimait ne plus être Lucius Malefoy.

Attaché contre un mur, accroché sur le lit, menotté à une chaise ou suspendu dans une balançoire : Luna l'avait entravé dans toutes les positions. Et il avait adoré.

Elle le revit, allongé sur une couverture, son corps frémissant étroitement enserré par la Tentacula Étrangleuse tandis que Luna, d'un coup de pinceau humide, guidait les lianes sur sa peau, là où elle le désirait.

Dans son appartement londonien, les yeux de Luna se posèrent sur la serviette pleine de cire qu'elle s'apprêtait à laver. Cela lui rappela une autre serviette. Une serviette qu'elle avait volontairement salie pour en vêtir Lucius et pouvoir jouer avec lui à la maîtresse et à l'elfe de maison.

La première fois qu'elle lui avait présenté la loque, les traits de Lucius avaient laissé transparaître sa répugnance. Puis, c'était devenu un de ses scénarios favoris. Avec celui de la sorcière et du moldu, bien sûr.

Rien ne lui plaisait plus que d'abandonner son carcan de puissance pour se glisser dans le cocon de l'obéissance.

Puis, les visites s'étaient espacées. Jusqu'au jour où Lucius, embrassant ses pieds, lui avait annoncé :

– Je pense, déesse, que ce passage dans votre sanctuaire est le dernier pour moi. Mais je n'oublie pas, je n'oublierais jamais ce que nous avons partagé. Et si jamais mon chemin croise celui de personnes cherchant à arpenter de nouvelles voies vers le plaisir, je saurais vers qui les guider.

Et il l'avait quitté ainsi, sur la promesse de lui envoyer de nouveaux clients. Un adieu d'homme d'affaires.

Luna ne connaissait pas la raison de son départ. Lucius n'était pas du genre à s'étaler sur vie personnelle.

Mais même s'il ne venait plus la voir, Luna était persuadée qu'il n'avait pas abandonné l'exploration de ses plaisirs. Il avait dû trouver une autre personne auprès de laquelle les assouvir.

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Le lendemain de l'irruption de Drago chez Luna, la vie reprit son cour.

Enfin, c'était ce que Luna vivait et ce que Drago croyait

Au réveil, il se sentit un peu fatigué. Il ne s'en alarma pas. La nuit avait été courte et la soirée mouvementée. Il écouta d'une oreille distraite ses parents discutés des derniers articles de La Gazette tout en mordant sans appétit dans un toast de marmelade.

Pendant la matinée, il se surprit à agir de manière automatique, distant de tout ce qui l'entourait. Un esprit embrumé voguant dans un monde de brume.

L'après-midi, un violent sentiment de décalage s'empara de lui. Rien ne lui semblait vrai, rien ne lui semblait à sa place. Il avait l'impression de respirer dans une version altérée de la réalité.

Plus étrange encore, personne d'autre ne semblait s'en rendre compte. Les Cythère, père et fille, agissaient normalement, comme si de rien n'était. C'était incompréhensible.

Le soir, la dissonance s'accentua encore. Le monde ne tournait pas rond et personne ne s'en rendait compte. Et quand il vit son père et sa mère rirent ensemble, le peu de sensation de normalité qui lui restait se fissura et s'écroula.

Les apparences de son monde tombaient en éclats, tintant douloureusement à ses oreilles, dévoilant un autre monde brisé, ravagé.

Il s'enferma dans sa chambre et enfouit sa tête dans son oreiller pour étouffer un cri. Puis il se roula en boule sur son lit, le corps secoué de spasmes et le visage noyé de larmes. Brisé, ravagé.

À aucun instant il ne songea à prendre contact avec Luna.

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La nuit s'écoula, dans un sommeil précaire entrecoupé de réveil en sursaut et en sueur. Parfois, sa peau revivait sans son autorisation ce que Luna lui avait fait. Il frissonnait alors, béat et blessé. Parfois, l'image de son père s'imposait à son esprit, et son sourire ne lui inspirait pas confiance.

Le lendemain s'ouvrit pour Drago sur un ambivalent sentiment de vide et de plénitude. Dans les jours qui suivirent, il tenta d'agir de manière normale, mais il avait l'impression de jouer un rôle. Un rôle qui sonnait faux.

Il avait pensé qu'aller jusqu'au bout de la proposition de Luna lui aurait permis de savoir pourquoi il avait trouvé cette adresse dans les affaires de son père. Finalement, il n'en était rien. Le doute était toujours là. Persistant, envahissant, omniprésent.

Dès que Drago apercevait son père, ses interrogations revenaient, toujours plus vives, toujours plus vaines. Alors, il se mit à l'éviter, ne le croisant que lors des repas familiaux qu'il écourtait autant qu'il le pouvait.

Chaque fois qu'il regardait son père, il essayait de l'imaginer en train d'utiliser le lampadaire.

Chaque fois qu'il entendait sa voix, il essayait de l'imaginer en train de supplier Luna.

Parfois ça lui semblait impossible, d'autre fois atrocement envisageable.

Et il n'arrivait jamais à trancher. Peut-être que son père était déjà allé chez Luna. Ou peut-être qu'il y avait une autre explication.

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Un soir, alors que Drago, une part de tarte à la mélasse à la main, s'enfuyait de table plus qu'il ne la quittait, il entendit sa mère dire son nom. Il s'arrêta au milieu de l'escalier, sa main poisseuse de sucre posée sur la rambarde de fer, et tendit l'oreille.

– Drago nous a encore quitté prématurément ce soir. Est-ce que tu crois que nous devrions nous en inquiéter ?

La voix grave de son père lui répondit :

– Je ne pense pas. À son âge, je parierais sur la douceur et le beauté d'une jeune sorcière.

Et ils se mirent à rire. Un poing serra les entrailles de Drago. Il se sentait si éloigné du jeune homme insouciant que décrivaient ses parents.

Les rires de ses parents, tels une nuée d'oiseaux vindicatifs au bec pointu, le poursuivirent de leurs piques jusqu'à ce qu'il atteigne son étage. Il claqua la porte et colla son dos contre elle, soulagé d'être enfin seul.

Autant que possible, il évitait aussi de penser à ce que lui-même avait subi, fait et dit chez Luna. Les souvenirs de cette soirée créaient en lui un mélange visqueux de fascination et de répulsion dans lequel il ne voulait pas baigner.

Le monde n'était que mystère et mensonge, et lui y vivait jusqu'à ce jour en ignorant heureux.

Mais maintenant, le voile avait été déchiré et il savait qu'il ne savait rien. Il ne savait pas s'il avait aimé ou non sa soirée chez Luna. Il ne savait pas si son père s'y était déjà rendu ou non. Il ne savait pas de quoi demain serait fait.

Et chaque jour, ses questionnements revenaient, érodant peu à peu ses barrières mentales. Jusqu'à finalement s'imposer à lui en permanence.

Il ne voyait qu'un remède possible à son tourment : parler à son père. Mais on ne parlait pas de ces choses-là chez les Malefoy.

Il avait déjà tenté une approche discrète auprès de sa mère, un peu plus loquace que son père sur les sujets intimes. Et cela s'était soldé par un échec.

Restait l'option de la confrontation. Avouer qu'il avait fouillé dans le bureau, s'exposer volontairement aux foudres paternels, dans l'espoir que Lucius lui révèle la vérité.

Mais Drago savait pertinemment qu'il manquait d'éléments matériels. Son père nierait. Ou balaierait ses interrogations à propos de l'adresse en quelques phrases, dont Drago serait incapable de juger la véracité.

S'il se donnait même la peine de lui répondre, car il pourrait simplement se mettre en rage et se focaliser exclusivement sur le comportement inacceptable de son fils.

Un plan consistant essentiellement à attiser la colère de son père sans rien obtenir en retour n'attirait guère Drago.

Une autre chose le freinait également. Si son père lui demandait s'il c'était déjà rendu à l'adresse ? Ou si, dans un moment d'emportement, Drago donnait trop de détails sur ce qu'il savait ?

Il ne voulait pas que son père sache qu'il s'était rendu chez Luna. Il ne voulait pas qu'il sache ce qu'il y avait fait.

Surtout s'il s'avérait que lui-même n'y avait jamais mis les pieds.

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La Providence lui vint finalement en aide, sous la forme d'un objet puissant. Un Œil Perçant, légèrement défectueux, fut apporté à la boutique. Un artefact identique à celui de Maugrey Fol Œil. Le sorcier à la robe magenta qui l'avait emmené s'en sépara pour un prix honnête. Drago jubilait : c'était l'objet rêvé, offert sur un plateau, pour espionner ses parents.

Les affres du doutes cédèrent face à la fièvre de l'action. Drago se mit à établir un plan.

La journée, chez Cythère et Fille, il décortiquait le fonctionnement de l'Œil. Il en comprit rapidement les principes de base. Il trouva et répara la fissure au niveau de la cornée, celle qui était à l'origine de son dysfonctionnement.

Pendant son temps libre, son attention restait obnubilé par son projet. Il lisait, beaucoup, cherchant la moindre ressource magique pouvant lui être utile.

Un samedi matin, dans l'ouvrage Mon Corps en Morceaux de F. Einstein, Drago tomba sur un sort de Greffe qui lui semblait convenir à la situation. Amélioré d'un sort de Longue Distance, il ferait parfaitement l'affaire. Le seul risque était qu'un de ses yeux soit remplacé par l'Œil magique, ce qu'il préférait éviter.

Drago décida qu'un peu de pratique était nécessaire, pour tester le sortilège et s'entraîner.

Son choix se porta sur la Chante-de-Jour se trouvant dans la salle de musique du manoir. Cette fleur tropicale avait pour particularité d'émettre un air guilleret quand la lumière du soleil touchait ses pétales.

De nuit, Drago subtilisa la plante et l'enferma dans l'appentis où le personnel de jardin stockait les différents engrais. Il avait emmené avec lui une feuille de papier qu'il déchira en plusieurs morceaux. Il toucha l'un d'entre eux de sa baguette et prononça la formule qu'il avait arrangé :

Extenso Graphium Corpum.

Il voulait que la plante considère les morceaux de papier comme des pétales à part entière, des bribes de sa corolle, même s'ils n'y étaient pas physiquement reliés.

Cela ne fonctionna pas du premier coup. Mais au cinquième essai, quand Drago disposa les morceaux sur un rocher ensoleillé, il entendit une mélopée s'échapper de l'abri proche.

Il avait réussi. Maintenant, il lui fallait récupérer l'Œil.

Convaincre les Cythère de lui confier l'artefact se révéla être d'une facilité déconcertante. Sous prétexte d'étude, il obtint immédiatement l'autorisation de ramener l'Œil au manoir, sans avoir besoin de déployer l'ensemble de l'argumentaire qu'il avait préparé.

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L'aboutissement de son plan approchait.

Un matin, Drago fit quelques achats dans un magasin de fournitures magiques. L'après-midi même, il s'enferma dans son salon et tissa une Boîte d'Invisibilité en poil de Demiguise. Celle-ci était destinée à accueillir l'Œil en son sein.

Un peu fébrile, il ouvrit le précieux coffret qu'il avait ramené de son lieu de travail. L'Œil, posé sur un coussin rebondi, semblait le fixer. Drago déglutit d'appréhension. Il espérait que son entraînement avait porté ses fruits.

Il lança le sort.

Ferma les yeux.

Et vit.

Il vit un jeune homme aux cheveux blonds, à la bouche pincée et au front plissé, qui soupirait de soulagement.

Il souleva les paupières, les deux en même temps, puis les abaissa, l'une après l'autre. Ses yeux d'origine allaient bien. Tout fonctionnait comme prévu.

Il encastra l'Œil magique dans la cavité de la Boîte d'Invisibilité. Puis il installa le dispositif devant la serrure de la porte de la chambre de ses parents.

Il jaugea le tout avec satisfaction : parfaitement invisible.