Dans les jours qui suivirent, Drago se sentit plus léger, à nouveau connecté avec le monde. Ses larmes avaient nettoyé ce qui le salissait depuis des semaines.
Plusieurs fois, son père posa sur lui un regard appuyé, valant invites de conversation. Invites auxquels Drago ne donna pas suite. Maintenant qu'il se sentait à nouveau capable de regarder son père dans les yeux, il se contentait avec plaisir d'échanges de banalités insipides et de discussions sans aucune référence intime. D'autant que Lucius prenait un peu plus de pincettes qu'à l'ordinaire avec lui.
Luna, de son côté, s'interrogeait sur cette cérémonie qui avait été si peu libératrice pour elle. Ses entrailles le lui criaient, elle voulait bousculer le fils de bonne famille.
Il ne restait plus qu'à savoir comment.
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Luna, Ginny et Neville avait leurs habitudes et leurs lieux préférés pour passer du temps ensemble. Parmi ceux-ci se trouvaient l'auberge de l'Effraie Effarée et les Jardin de Verre de la veuve Poppy. Ils traversaient ce jour-là les magnifiques serres de la sorcière Elizabeth Pommereul, dite veuve Poppy, connue pour avoir fait le tour du monde grimé en homme afin d'étudier les plantes du monde entier.
Après avoir traversé l'aride salle des cactacées et ses plantes à mirages, les trois amis déambulaient maintenant dans la serre préférée de Luna, celle qu'ils appelaient entre eux l'Ondoyante.
L'allée sinuait entre de multiples variétés de Nautilae. Celles-ci avaient pour particularité de relâcher des spores qui donnaient à l'air une étonnante apparence aqueuse. À cet endroit, les rayons du soleil dansaient comme s'ils traversaient une étendue d'eau. Et les plantes elles-mêmes agitaient leurs tiges et leurs feuilles comme si elles dansaient mollement au gré du courant.
Y marcher provoquait la sensation surréaliste d'arpenter des fonds marins. Des fonds marins tout à fait respirable.
À l'aise dans cet environnement flottant, les sorciers discutaient des dernières nouvelles tout en s'amusant à faire danser les mèches de leurs cheveux.
– Vous savez quoi ? demanda Neville sans réellement attendre de réponse. Drago Malefoy pointe à nouveau le bout de son nez pointu dans les rues sorcières.
– Dommage, déclara Ginny avec sérieux. Son isolement au sein du manoir Malefoy me convenait plutôt bien. Enfin, j'imagine que ça ne pouvait pas durer éternellement... Et quelles sont ses nouvelles occupations ?
– Il est employé dans une boutique du nom de Cythère & Fille, un atelier spécialisé dans les artefacts uniques.
– Et en magie noire ? questionna Ginny, une lueur d'intérêt au fond des yeux.
– Pas à ma connaissance.
– Oh ! s'exclama Luna. Je vois de quelle boutique il s'agit. Mr Cythère est venu une fois voir mon père. Il lui a posé des questions à propos d'un bracelet. Une œuvre d'art des lutins de Cornouailles, m'a dit papa. Mr Cythère a dû trouver d'autres sources d'information par la suite, car il n'est jamais revenu le voir.
Ginny et Neville se lancèrent un regard de connivence, mais ne prononcèrent pas un mot. Certains sujets étaient sacrés.
– En tout cas, repris Neville, j'espère que leur commerce est solide. Parce que la présence de Malefoy à tendance à faire fuir les clients potentiels.
– Normal. Qui aurait envie de respirer le même air que cette fouine ? Pas moi en tout cas, affirma avec force Ginny.
Luna fit éclater une bulle aux reflets bleus en la touchant du bout du son index, avant de dire, pensive :
– N'a-t-il pas le droit de vivre ?
– Bien sûr que si ! réagit Ginny. Mais pas sur la même planète que moi.
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Dans l'intimité du bureau de Luna, Drago et elle discutaient de leur prochaine entrevue.
– As-tu déjà quelque chose en tête ? demanda le sorcier.
– Si cela ne te fait pas peur, je préférerais t'en dire le moins possible cette fois. J'ai envie de tenter quelque chose. Une cérémonie au cours de laquelle j'essaierais de t'amener à un endroit précis...
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Drago, lavé de frais, pénétra dans la salle des plaisirs. Il avait gardé l'habitude d'y entrer en peignoir, même s'il l'enlevait dès qu'il refermait la porte derrière lui, ne portant finalement le vêtement que le temps de se rendre de la douche à la chambre.
La salle n'était pas très différente des autres fois, sauf qu'un imposant bureau de chêne, accompagné d'un non moins imposant fauteuil et d'une banale chaise en bois, avait fait son apparition au milieu de la pièce, donnant une touche scolaire à l'ensemble.
Avant même que Drago ne se soit assis, Luna entra, vêtu de l'imposante tenue noire qu'elle portait déjà lors de leur dernière entrevue. Drago hésita sur la conduite à tenir, mais, d'un signe de la main, la sorcière lui indiqua qu'il pouvait rester debout.
– L'heure de la punition a sonné, Drago.
– N'est-ce pas toujours l'heure de la punition ici ? lui demanda-t-il avec un sourire en coin.
– On peut dire ça, admit-elle. Mais ce n'est pas tout le temps l'heure de ta punition.
Elle l'invita à prendre place sur la chaise, tandis qu'elle même s'octroyait le fauteuil.
– Pour commencer, je veux que tu écrives deux-cents fois « Je suis un mauvais garçon ».
Sur le bureau se trouvait un rouleau de parchemin vierge et une plume blanche d'apparence classique.
Drago s'installa, un peu perplexe de l'absence d'objet coupant, mordant ou contondant, mais prêt à commencer ses lignes, quand il interrogea :
– Où se trouve l'encrier ?
– Ne t'occupe pas des détails. Écris, c'est tout. L'encre trouvera son chemin.
Dubitatif, il posa la pointe de la plume sur le parchemin, le griffant pour y inscrire son premier mot. Une douleur transperça sa main gauche tandis que, à sa grande surprise, des lettres d'un rouge intense se mirent à doucement briller sur le papier. D'une écriture identique à la sienne, un "je" se déployait sur le dos de sa main, rose vif sur peau pâle, comme une blessure récemment cicatrisée.
– Ingénieux, murmura Drago, fasciné par l'artefact qu'il tenait entre ses doigts.
D'un coup de règle cinglant, Luna le rappela à l'ordre.
– Tes lignes, Drago. Ce n'est pas le moment d'admirer la qualité, fabuleuse par ailleurs, de mon matériel.
Drago savait que Luna attendait quelque chose de précis de sa part. Sans grand conviction, mais avec un ton enjôleur, il lui lança un compliment.
– Il n'y a pas que ça de fabuleux, ici.
– Tentative de corruption ? Ça mérite bien quelques lignes en plus, constata Luna d'un ton neutre accompagné d'un sourire sadique.
– Mais...
– Insolent et insatiable. Veux-tu que j'augmente encore ta punition ?
– Non. Dame Hécate, ajouta-t-il à la hâte en voyant les sourcils de Luna se froncer. La voie de la flatterie semblait être une fausse route.
– Alors, moins de discussion, plus d'action, comme dirait Elvis.
– Elvis ?
Ce nom invoqua la silhouette du Seigneur des Ténèbres dans l'esprit de Drago. Mais Luna avait une toute autre personne en tête.
– Oui, Elvis. Tu ne vois pas de qui je parle ? Un fugitif dangereux, spécialisé dans les transes gestuelles ? Il a œuvré aux États-Unis dans les années 50. Il devrait te plaire : il s'en prenait aux moldus.
Drago la regarda, perplexe.
– J'ai parfois du mal à te suivre, Luna.
Drago n'avait pas fermé ses lèvres à temps. Il avait laissé passer son prénom. Et elle, elle n'allait pas laisser passer un tel manquement aux règles.
Elle lui arracha la plume des mains et en planta la pointe dans la poitrine du jeune homme, juste à côté de son téton droit, la trempant allègrement dans la plaie. Ainsi, la plume se souviendrait dans quel sang elle devait puiser son encre et ne serait pas tentée de griffer la peau de Luna.
Luna se mit à écrire dans le creux de sa paume et Drago sentit chaque lettre s'inciser sur son torse dénudé. Elle tourna ensuite sa main vers lui, et il put y lire, inscrit en lettres majuscules, le nom « Hécate ».
– N'oublie pas à qui tu appartiens.
Il déglutit.
– Oui, dame Hécate.
Elle s'empara du parchemin se trouvant devant Drago et se mit à le recouvrir de phrases dégradantes qu'elle prononçait en même temps qu'elle les écrivait. Celles-ci apparaissaient toutes, une à une, sur la peau blanche du sorcier, barrant le torse frêle de mots de sang.
– Je suis la honte de ma famille. Je ne suis qu'une fouine lâche et servile. Je resterai pour toujours un employé sans envergure ni talent.
À ces mots, Drago vrilla.
– Ça suffit. Je ne suis pas "juste" un employé !
– Ah oui ? fit Luna avec dédain, voyant jusqu'où elle pouvait le pousser.
– Je suis un vrai professionnel. Et je n'en ai pas honte ! Quoi qu'en disent et quoi qu'en pensent les gens qui m'entourent.
– Quel genre de fierté pourrais-tu bien en tirer ?
– C'est toi qui me poses une telle question ? Ça ne te semble pas limpide ? J'aime manipuler des objets puissants, étonnants, pleins d'histoires. Et je suis fier de pouvoir en tirer le moindre secret. Ça me prends parfois du temps, mais aucun artefact ne me résiste !
Il s'était relevé au milieu de sa tirade, oubliant un instant sa nudité – son sexe au niveau du visage de Luna. Quand il s'en rendit compte, il se rassit, gêné par cet instant de proximité, rassuré par la matérialité du bois entre eux qui la tenait à distance et cachait son érection.
– Et bien, si tu es si fier de toi, fais-moi une démonstration de tes "talents". Tu vois l'objet là-bas ?
Elle lui désigna un tube argenté qui trônait entre un long fouet se terminant par une tête de serpent et une pyramide de billes colorées.
– Prends-le et dis-moi à quoi il sert.
Drago se leva avec une dignité un peu raide et se dirigea vers l'étagère. Piqué au vif, il ne réclama même pas de baguette.
Il prit l'objet entre ses mains et le fit tourner, l'inspectant sous toutes les coutures. Il s'agissait d'une sorte de timbale en métal assez haute. Drago l'effleura, laissant son index courir le long de sa surface froide, ressentant un léger engourdissement. La magie y était à l'œuvre, il en était certain. Il plaça ses doigts de différentes façons, obtenant vibrations et changements de température.
– Alors ? Viendras-tu bientôt me présenter tes conclusions ? demanda Luna d'un air lointain, ennuyé.
Drago regagna sa place avec le gobelet allongé, sans que la sorcière, faussement intéressée par le parchemin qu'elle tenait ne lui jette un regard. Elle ne releva les yeux que lorsqu'il se fut assis.
– Il s'agit d'un ustensile de bar, affirma Drago. Un shaker, dotés d'enchantements maison de qualité. Un charme de réfrigération localisé au fond s'active d'un tapotement ici. Et, selon la pression exercée, les liquides contenus dans le shaker seront remués avec plus ou moins d'intensité. De quoi préparer de délicieux cocktails sans effort.
Luna sourit.
– Impressionnant, admit-elle.
Son sourire s'accentua, prenant un air carnassier.
– Question bonus. Que peut bien faire ce shaker ici ?
Drago sentit une rougeur envahir ses joues et descendre le long de son cou jusqu'à la naissance de ses épaules. Un regain de vigueur durcit son entrejambe tandis que des images passaient dans son esprit.
– J'imagine que la réponse "pour offrir un verre à tes convives" n'est pas la bonne, hasarda-t-il.
Luna appuya ses coudes sur le bureau et approcha son visage de celui de Drago.
– Tu ne peux pas imaginer une utilisation plus en adéquation avec les activités abritées dans mon temple ?
