Bouleversée, Luna s'était réfugiée dans sa retraite, cette partie de son sanctuaire qui n'appartenait qu'à elle. Prenant bien soin de verrouiller la porte derrière elle, elle s'était avancée jusqu'au centre de la pièce, immobile au cœur de la tempête.

Elle faisait face à un grand miroir, affrontant du regard son reflet. Elle n'aimait pas ce qu'elle y voyait. Elle ne voulait pas être la personne qui lui faisait face, une personne au souffle accéléré par la colère, aux joues rougies par la soif de violence. Et au milieu de ces traces de fureur, l'ombre de la honte et de la crainte vacillait au fond de ses yeux.

Elle ne savait pas comment, mais George et Ginny lui avaient transmis une partie de leur colère. À moins qu'ils ne se soient contentés de réveiller une colère ancienne qui dormait depuis longtemps en elle, comme un dragon surgissant soudainement de sa tanière.

Jamais elle n'avait ressenti une envie si intense de faire mal, vraiment mal.

L'envie de blesser quelqu'un.

Tétanisée par ce qu'elle avait failli faire, Luna ne parvenait pas à sortir de la pièce, ni même à quitter des yeux son double de verre.

Soudain, la voix de Drago transperça ses entrailles et le silence.

– Luna ?

Il l'appelait. Mais elle était incapable d'y retourner.

– Luna ?

À chaque répétition de son nom, l'interrogation se muait un peu plus en incompréhension.

– Luna !

L'inquiétude, maintenant, teintait sa voix.

– Luna !

Et, finalement, la colère.

Luna n'esquissa pas un geste, laissant les sentiments de Drago la traverser sans l'atteindre. Un rocher sous une cascade.

Puis les cris cessèrent.

Elle sentit au moins autant qu'elle entendit les mouvements qui s'intensifiaient au cœur de son temple. Des frottements de tissu. Un coup donné contre un objet métallique, suivi d'une exclamation douloureuse.

– Foutu lampadaire !

Puis, des bruits de pas. Il avait réussi à se libérer. Sans son aide. Tant mieux.

Il arriva devant sa porte et y toqua.

– Luna ! Je sais que tu es là ! Ouvre-moi !

Luna l'ignora. Drago tenta d'entrer, s'acharnant sur la poignée, faisant trembler les charnières.

Il finit par abandonner. Il ne se dirigea pas vers la sortie, mais continua à s'agiter dans l'appartement.

Ses pas étaient maintenant ponctués de grognements indistincts, de coups frappés contre les murs et de crissements de bois arrachés.

Des bruits de destruction.

Au bout d'une éternité passer à respirer, Luna entendit le claquement de la porte d'entrée se refermant sur les derniers éclats d'une voix fulminante.

– Inadmissible ! fut le dernier mot clair qui parvint à ses oreilles.

Il était parti. Il n'y avait plus de risque. Elle ne pouvait plus lui faire de mal.

Libérée de la présence de Drago, Luna s'autorisa à fondre en larmes.

.

Quand Luna ressortit de son vestiaire et traversa les différentes pièces de l'appartement, elle se sentit anéantie. Rien n'avait changé. Pourtant, elle avait l'impression de traverser un champ de bataille. Seule trace tangible de la violence qui avait traversé les lieux, le support à baguette avait été arraché, laissant des copeaux de bois au sol et une ouverture béante entre le bureau et la salle de jeux.

En regardant le trou dans son mur, Luna sentit une intense solitude lui nouer les entrailles.

.

Le soir même, enfouie sous sa couette et ses coussins, Luna remontait le fil de la journée.

Ça ne pouvait pas continuer comme ça.

Elle avait crû que ce serait facile, de séparer le passé du présent, le personnel du professionnel. Comme ça l'avait été avec Lucius.

Il n'y avait pas de raison que ça soit difficile. Pas de raison pour que ça soit différent.

Et pourtant, elle avait été à un cheveu de déraper.

Il était hors de question que ça se reproduise.

.

Après une nuit sans sommeil, hantée par la colère, l'incompréhension et la frustration, Drago avait débarqué chez Cythère & Fille au petit jour. Avec les potions et les outils que contenait l'atelier, il espérait être en mesure de désencastrer sa baguette du dôme qui l'emprisonnait avant que quiconque n'entre dans la boutique.

Il se saisit tout d'abord d'un flacon opaque qui contenait un dissolvant particulièrement sensible aux rayons du soleil. Avec précaution, il en déversa une rasade sur le dôme. Le liquide en dévala la pente dans un crépitement aigu. Sans l'altérer. Drago essuya rapidement la flaque qu'il venait de créer et qui s'étendait maintenant sur le plan de travail en émettant un sifflement enfumé.

Il sélectionna ensuite un tourneperce particulièrement pointu, renforcé en écailles de dragon. Il le maintint fermement contre la protection magique et le frappa d'un coup de marteau, un coup porté avec toute la violence de sa colère. Le tourneperce rebondit contre la coque dans un Dong sonore, sans y provoquer la moindre fissure.

À mesure que les solutions se raréfiaient, l'inquiétude de Drago grimpait.

Il remplit un chaudron à ras bord d'une solution concentrée d'Absorbe-Magie. Il y immergea complètement le morceau d'étagère. Et le ressortit dans le même état qu'avant son bain.

À nouveau, un échec.

Soudain, le très reconnaissable chuintement de la porte d'entrée parvint aux oreilles de Drago. Il tenta de placer le dôme derrière son dos, ne voulant pas que l'intrus le sache démuni de toute arme.

Une chevelue frisée surgit dans l'atelier.

– Drago ? s'étonna Anthéa. Tu es sacrément matinal aujourd'hui.

– J'avais besoin de faire... quelque chose.

– Hmm hmm. Utilisation du matériel de la boutique pour des raisons personnelles sans demande préalable ? Ça va bien te valoir trois semaines de récurage de fonds de chaudron !

La répartie de la sorcière ne parvint pas à arracher le moindre sourire au blondinet qui lui faisait face. Il affichait sa mine renfrognée des grands jours, accompagnée de ses cernes noirs des petites nuits.

– Te réveiller aux aurores ne te réussit pas, si tu veux mon avis. Mais puisque tu es là, tu veux bien venir avec moi dans la salle à côté ? J'ai ramené un jeu d'échecs sorciers où les pièces s'insultent au lieu de se frapper. Je crois que c'est son fonctionnement normal, mais j'en serai sûre une fois que je t'aurais mis une raclée.

Elle se mit en marche puis, se rendant compte que Drago ne bougeait pas d'un pouce, se contentant d'éviter son regard d'un air gêné, elle fit demi-tour et se rapprocha de lui. Il se décala un peu, vaine tentative pour dissimuler derrière lui le morceau d'étagère arraché.

– Qu'est-ce qu'il y a derrière ton dos ?

– Rien. Rien du tout, marmonna-t-il sans conviction.

Anthéa se pencha un peu et ses lèvres s'entrouvrirent d'étonnement.

– C'est ta baguette ?

Le sorcier hocha la tête. La jeune femme éclata de rire et Drago s'enfonça encore un peu plus dans sa honte.

– Comment c'est arrivé ? Tu l'as placé dans ce coffre pendant la nuit et, à ton réveil, tu ne te souvenais plus du code ?

– Je ne sais pas comment ça s'ouvre, avoua-t-il. Tu peux m'aider ? finit-il par demander du bout des lèvres.

– Bien sûr. Seulement si tu me donnes quelques explications. En fait, je veux tout savoir !

Le regard de Drago alla de sa baguette au visage d'Anthéa, évaluant ses recours, soupesant les possibilités qui s'ouvraient à lui.

– J'étais avec... une amie intime hier.

Utiliser le mot « amie » pour désigner Luna lui laissait un goût âcre dans la bouche. Mais ça lui semblait plus simple d'habiller ainsi la vérité que de la faire défiler nue sous le regard d'Anthéa.

– Dans le cadre de nos... activités, elle avait mis ma baguette à l'abri. Mais elle a dû partir précipitamment et elle a oublié de me rendre mon bien. Du coup... Voilà, termina-t-il pitoyablement en désignant l'établi.

Anthéa plissa les yeux.

– Laisse-moi tenter de traduire ça en termes plus clair. Tu as fricoté avec quelqu'un hier, et ce fricotage nécessitait de te priver de ta baguette. Le fricotage a été interrompu, mais ta baguette ne t'a pas été rendue. Alors, tu as arraché l'étagère sur laquelle elle se trouvait et tu es parti avec.

– C'est à peu près ça, admit Drago.

– Je pense que ton amie ne va pas être ravie que tu détruises ses meubles juste parce que tu es impatient !

– J'ai fait ce que j'avais à faire, grommela le jeune homme, le regard noir.

– Ça a vraiment l'air agréable d'être ami avec toi, Drago, fit Anthéa en levant les yeux au ciel. Tu es ensuite venu ici pour tenter de forcer la protection. Sans succès, à ce que je peux voir. Et maintenant, tu voudrais que je te donne un coup de main.

– Tu as ta baguette. Ça devrait être plus facile pour toi, se justifia-t-il.

Elle sortit sa baguette et en frappa le dôme tout en prononçant un antisort de base. Et le dôme disparut immédiatement. Anthéa fanfaronna :

– Plus que facile ! Un véritable jeu d'enfant. Pour contrer un sortilège, rien de mieux qu'un autre sortilège !

Drago aurait voulu disparaître. Il n'avais pas réussi à se dépêtrer seul de la situation, se retrouvant dans l'obligation de recourir à une aide extérieure. Pour couronner le tout, Anthéa avait solutionné son problème en moins d'une minute, avec simplicité et rapidité. Il ne parvint pas à articuler le moindre mot de remerciement. Anthéa leva à nouveau les yeux au ciel.

– Ne me dis pas merci surtout ! Tsss, ces sorciers de bonne famille, toujours persuadés que tout leur est dû.

Elle avait beau râler, elle souriait.

– Puisque me remercier risque d'écorcher tes nobles lèvres, je te propose autre chose. À la fin de la journée, on va boire un coup ensemble. J'ai envie d'entendre d'autres de tes histoires. C'est toi qui paye, évidemment. Étant donné que tes ressources monétaires doivent être bien supérieures à tes ressources de politesse, ça devrait une dépense indolore pour toi. À moins que tu ne sois aussi avare de ton argent que de ta bonne humeur ? Si tu refuses, je pourrais peut-être vendre l'histoire à un journal à scandales. Je devrais pouvoir me faire quelques Gallions.

Drago fit semblant de soupeser les pour et les contre.

– Ton offre me paraît acceptable, finit-il par répondre, un peu plus détendu.

En fin d'après-midi, peu de temps avant de fermer boutique, Drago reçu un hibou. À en croire le message, Luna voulait discuter avec lui. Drago en éprouva un vif soulagement. La sorcière semblait être revenue à de meilleures dispositions à son égard.

Les étoiles s'alignaient pour lui offrir une belle soirée. Grand seigneur, Drago laissa à Anthéa le choix du lieu pour la sortie promise.

À partir de ce jour-là, les virées au bar après les heures de travail intégrèrent la routine d'Anthéa et Drago et cimentèrent leur amitié naissante.