Dans un autre recoin du Chemin de Traverse, tandis qu'Anthéa dégageait la baguette de Drago de sa gangue de magie, un autre duo devisait.
Dans l'arrière-boutique d'Ollivander, au milieu des copeaux de bois, des écheveaux de crins de licorne soigneusement étiquetés, de l'odeur de sève et de résine, Garrick et Luna étaient réunis autour d'une tasse de thé et d'un plateau de gâteaux secs.
Luna avait tenté de lui expliquer la situation. Elle n'était pas sûre d'avoir été très claire, mais le vieil homme hochait la tête d'un air compréhensif. Elle comptait sur lui pour lui apporter un nouvel éclairage, un éclairage qui éclaircirait ses idées.
– Que devrais-je faire maintenant ? s'enquit la jeune femme.
– Si tu me poses la question d'un point de vue purement professionnel, je te dirais de mettre fin à cette relation.
Il but une gorgée tandis que Luna attendait, certaine qu'il allait développer son point de vue. Ce qu'il fit dès qu'il reposa sa tasse.
– Les baguettes et les sorciers se composent de différentes facettes. Une baguette a une longueur, une essence et un cœur. Un sorcier est un assemblage complexe de traits de caractère, de sentiments et de souvenirs. Parfois, un aspect du sorcier s'oppose à un aspect de la baguette. Alors leur relation peut se gripper. On peut essayer de trouver une solution. Changer le cœur de la baguette, modifier le caractère du sorcier ou pratiquer la magie d'une autre façon.
– On peut aussi complètement changer la nature de la relation, avança sérieusement Luna. Par exemple en utilisant sa baguette pour redresser un pied de tomate plutôt que pour lancer des sorts.
L'artisan ne se laissa pas distraire par l'intervention de la sorcière et continua son discours.
– Mais le plus simple est souvent de simplement trouver une autre baguette. Referme la porte que tu as ouverte en débutant cette relation, Luna. Et fais-le correctement. Tu es une professionnelle. Tu dois respecter un certain décorum pour annoncer cette séparation. Une lettre officielle. Un rendez-vous dans ton bureau. Quelque chose dans ce goût-là.
– J'ai entendu dire que ce genre de règles s'appliquait aussi aux relations intimes, fit remarquer Luna, songeuse. Sauf qu'il faut le faire ailleurs que sur son lieu de travail… Et si je ne veux pas mettre fin à la relation ?
– Hmph. J'imagine que les mêmes conseils s'appliquent.
Luna secoua la tête, tentant de dissiper les brumes qui l'habitaient.
– Ça ne marche pas aussi bien quand c'est moi qui pose des questions… Vous, Mr Ollivander, posez m'en une.
Elle croqua dans un biscuit, laissant à son vis-à-vis un temps de réflexion pour formuler son idée. Finalement, la voix éraillée du marchand retentit :
– Quand ta colère s'est réveillée, tu n'as pensé qu'à Poudlard ? Pas à notre enfermement dans le tréfonds du manoir des Malefoy ?
Luna pencha légèrement son visage, réfléchissant un instant avant de répondre :
– Notre emprisonnement… ce souvenir-là est comme un Joncheruine agaçant qui tournicote sans cesse autour de ma tête. Mais il ne s'impose presque jamais dans mon esprit. À cette époque, Drago et moi, nous n'étions que deux pions dans une gigantesque partie d'échec. Des pions opposés. Des pions sacrifiables. D'une certaine manière, ce n'était pas lui contre moi, mais Voldemort contre Harry. Nous n'étions que des petites portions de cette grande guerre. Alors qu'à Poudlard, les agissements de Drago me ciblaient moi, personnellement. Il n'avait pas d'autre raison de me faire du mal que le fait qu'il le pouvait.
Garrick hocha la tête. Il comprenait.
– Et quand Drago est parti de chez toi, est-ce que ça t'a soulagé ?
– Au début, oui. Mais quand le bouillonnement en moi a cessé, le soulagement s'est évaporé en même temps que la colère et la peur. Et maintenant, je me sens juste... insatisfaite, je crois.
Luna inspira profondément, rassemblant dans ses poumons tout ce qui palpitait dans son cerveau et sous sa peau. Elle leva légèrement son menton et souffla doucement en l'air. Puis, elle sortit sa langue, la dardant dans le vide afin de déterminer la saveur de ses états d'âme.
– Tout ça a un goût… d'inachevé, estima-t-elle.
– Tu ne veux donc pas que votre relation se termine comme ça, hein ?
Elle tourna ses yeux grands ouverts vers le vieil homme.
– Oui et non. Mais aussi, ni l'un, ni l'autre. Je n'arrête pas de changer d'avis. C'est étrange, de se sentir aussi tiraillée à l'intérieur.
Ollivander sourit doucement. Il n'avait pas l'air de trouver ce tiraillement si étrange que ça.
– Luna, est-ce que tu peux faire comme si ce que tu avais ressenti à ce moment-là n'existait pas ? Comme si rien ne s'était passé ?
– Non. Maintenant que je sais que c'est là, en moi, je ne peux pas faire comme si ça n'existait pas. Je ne peux pas me voiler la face. Il faut que je le prenne en compte.
Au moment où ces mots s'échappèrent de sa bouche, elle sut qu'elle avait trouvé la réponse qu'elle cherchait.
Elle devait prendre en compte ce morceau de passé qui avait soudain resurgi dans sa vie. Et Drago le devait aussi.
Dès qu'elle rentra chez elle, Luna écrivit une lettre à Drago, l'invitant à la rejoindre le lendemain.
.
Drago entra dans le sanctuaire de dame Hécate en conquérant, certain d'obtenir les excuses qu'il méritait de recevoir. Mais un premier doute l'assaillit quand il vit Luna assise à son bureau, non pas éplorée et désolée comme il s'y attendait, mais portant le visage grave et sérieux de qui s'apprête à mener une discussion de première importance.
Ses doutes furent rapidement confirmés. Elle ne lui présenta pas d'excuses. Elle ne se justifia pas pour la manière dont elle l'avait traité. Elle ne promit pas de réparer le tort qu'elle lui avait causé. Bien au contraire.
– Lors de notre dernière cérémonie, je me suis rendue compte qu'une part de moi était en colère contre une part de toi, déclara Luna d'un ton formel. Je ne peux pas continuer à invoquer dame Hécate dans ces conditions.
– Une part de moi ?
– Oui. Celle qui s'en est prise à moi pendant des années lorsque nous étions à Poudlard.
Drago avait du mal à relier ses années d'études avec sa cérémonie désastreuse avec Luna.
– Je ne te suis pas.
– J'ai souffert des moqueries et des mesquineries que tu m'as faites. Et cette souffrance survit encore en moi, prenant parfois le visage d'une colère vengeresse. Pour faire taire cette colère, pour apaiser cette souffrance, j'aimerais que tu t'en excuses.
– Ce n'était pas si grave, protesta Drago. Juste des petites blagues sans conséquence. Tout le monde rigolait.
– M'as-tu entendu rire ? demanda-t-elle en penchant sa tête sur le côté. Parce que je ne m'en rappelle pas.
– Bon, peut-être que toi, tu ne riais pas, admit-il à contrecœur. Mais les autres, si.
– C'était pour rire, mais je ne riais pas. Te rends-tu compte de l'illogisme de ton explication ?
Drago se tortilla dans son siège, mal à l'aise face au regard franc de Luna.
– C'est de l'histoire ancienne tout ça ! Franchement, Luna, tu fais des histoires pour pas-grand-chose. Et puis, ajouta-t-il en haussant les épaules, tu n'avais pas l'air d'aller si mal.
– De toutes les fois où tu t'es moqué de moi, y en a-t-il seulement une où tu te sois demandé ce que je ressentais ? M'as-tu demandé une fois comment j'allais ?
– Euh… non, je ne crois pas.
– Alors comment peux-tu savoir que je n'allais pas si mal ?
Luna avait parlé à voix basse, pour masquer l'éclat de douleur dans sa voix et son regard. Drago, empêtré dans ses pensées et ses contradictions, ne perçut que l'aspect moralisateur de sa phrase. Il n'en pouvait plus de cette discussion et de ces questions. Il ne voulait pas se rendre là où Luna tentait de l'amener.
– Bon, ça va, trancha-t-il. Tu veux que je m'excuse ? Très bien. Luna, je te présente mes excuses. Je ne sais pas trop pourquoi, mais je m'excuse. Ça te va comme ça ? On peut passer à autre chose ?
Luna réfléchit un instant.
– Non, ça ne me convient pas. Je veux que tu comprennes ce que j'ai ressenti. Pas que tu me bâillonnes avec tes mots.
– Que veux-tu à la fin ? Qu'attends-tu exactement de moi ? Je t'ai présenté des excuses, comme tu me l'as demandé, mais ça ne te suffit pas. Tu ressors des histoires vieilles de plusieurs années et, toit, tu ne t'excuses même pas pour ce que tu m'as fait subir i peine quelques jours !
– Tu penses vraiment que le fait que je t'ai ignoré une fois est comparable à toute une scolarité de brimades ? s'étonna-t-elle.
– Alors tu ne me présenteras pas d'excuse, hein ? Ne parlons même pas de me rembourser, m'offrir une ristourne, ou d'un geste commercial quelconque. Ce qui me semblerait pourtant être le minimum…
Luna ne répondit rien. Elle se contenta de le regarder, de ses grands yeux où elle sentait les larmes monter. Elle aurait voulu qu'il l'écoute. Mais il s'était refermé sur lui-même, ne prêtant attention qu'à ses propres émotions. Comme si cela avait pu effacer celles de Luna.
Constatant que la discussion était rompue, qu'aucun échange n'était plus possible, Luna ouvrit un tiroir et en tira quelques pièces d'or qu'elle déposa sur le bureau. Il s'en empara d'un mouvement rageur avant de quitter l'appartement.
Quand la porte se referma, la tristesse et la déception s'abattirent sur les épaules de Luna. Elle se doutait qu'il ne comprendrait pas. D'ailleurs, ne l'avait-elle pas dit à George ? Et pourtant, elle aurait aimé que les choses se passent autrement. Elle aurait aimé se tromper.
Un chapitre un peu court et qu'en plus j'ai mis un peu de temps à poster, pour plusieurs raisons :
Raison perso : j'ai accompagné la fin de vie de mon chien, ça a occupé mon temps, mon énergie et mes pensées.
Raisons liées au texte : à la base, ce chapitre ne formait qu'un bloc avec le chapitre précédent, mais ça faisait un gros chapitre (par rapport aux autres) et, en plus, le passage avec Ollivander m'a donné du fil à retordre. Et comme on est à un pivot de l'histoire, j'avais pas envie de publier quelque chose qui ne me convenait qu'à peu près. J'ai eu le besoin de rédiger plusieurs chapitres avant de publier celui-là, histoire d'être sûre que tout s'articule bien. Le bon côté, c'est que, comme j'ai pas mal de matériel d'avance, si je me motive sur l'étape de relecture (qui n'est pas vraiment mon étape préférée, loin de là, mais qui est une étape nécessaire), je devrais pouvoir publier la suite relativement rapidement.
