Luna sautillait le long du Chemin de Traverse lorsque la devanture de Mapple et Maplle l'arrêta net dans son élan. Une représentation féminine d'un blanc de neige, irréelle et farouche, la transperçait de ses yeux soulignés de noir. Sur un fond mêlant un vert d'eau profond à l'or le plus pur, elle levait une jambe avec grâce tandis que ses mains relevaient farouchement ses cheveux. À ses pieds, s'étalait en larges lettres l'intitulé de l'exposition qui se tenait au deuxième et au troisième étage : Ballet d'albâtre – voyage à travers des opéras figés.
Poussée par l'inspiration du moment, Luna pénétra dans la galerie. C'était un lieu qu'elle connaissait bien. Elle s'y rendait régulièrement, non pas pour y acquérir la moindre œuvre, les tarifs pratiqués excédant de beaucoup son budget, mais pour le plaisir de l'art et de la découverte, les collections s'y renouvelant fréquemment.
Luna se dirigea directement vers les étages supérieurs, ses bottines frappant un rythme de son invention contre les marches de l'élégant escalier en bois.
Au fur et à mesure de son ascension, une forêt de corps de pierre d'un blanc aveuglant se fit jour devant ses yeux fascinés. La pureté de ces êtres marmoréens n'était rompue que par des traits de noir profond et des éclats d'or scintillant, soulignant leur beauté.
Certains semblaient sur le point de s'élever vers les cieux, d'autres paraissaient sur le point de s'écrouler au sol, mais tous donnaient l'impression d'avoir été immobilisés en plein milieu d'un mouvement.
Elle reconnaissait certains visages, figures populaires de contes grandioses. D'autres lui étaient inconnus, mais elle pouvait lire leur histoire tragique et magnifique sur leurs traits expressifs.
Portée par les vibrations qu'elle sentait émaner des sculptures, Luna s'insinua au milieu de ces dernières d'un pas glissé, dansant. Elle s'approcha d'un jeune archer très peu vêtu, dont les cheveux bouclé étaient ceints d'un cercle d'or. Sa flèche, enclenchée s'apprêtait à traverser la pièce. Une larme sombre perlait du coin de sa paupière. Luna passa son pouce contre sa joue, pour essuyer ses pleurs et apaiser son chagrin.
– Ton trait ne partira jamais. Tu ne tueras pas la personne que tu aimes, lui glissa-t-elle à l'oreille, rassurante.
Elle le dépassa et son regard s'accrocha à une statue de femme. Ses bras, à mi-chemin entre la chair humaine et le plumage d'un oiseau, s'élevaient haut au dessus de sa tête. La femme figée se débarrassait avec emphase de sa peau de plume, à la manière dont elle aurait ôté un peignoir, pour offrir son corps à la vue de son amant. Sur son visage dansait la lumière d'un amour sans limite auquel elle choisissait de s'abandonner sans condition. Mais impossible d'ignorer la légère crispation au coin de ses lèvres. La crainte de la trahison.
Stasia. Luna connaissait bien ce personnage. La femme-cygne était l'héroïne de L'Étang aux mille oiseaux. Son grand-père adorait cette œuvre et lui avait souvent faite écouter. En voyant cette sculpture, Luna sentait l'opéra revivre en elle.
Elle voyait la femme ; elle ressentait l'émotion ; elle entendait la musique.
Elle sauta au coup de la statue et parsema son visage de baisers. Des bras la saisirent soudainement et la tirèrent un arrière.
– Mademoiselle, il est interdit de toucher aux œuvres.
– Vous vous méprenez. C'est elle qui m'a touchée, répondit Luna d'un air absent, incapable de détacher ses yeux de la dame-oiseau.
La gardienne, peu sensible à sa déclaration, reconduisit gentiment, mais fermement, Luna vers la sortie.
Une fois dans la rue, Luna se retourna pour faire face à la devanture et s'immerger une dernière fois dans les profondeurs de l'affiche.
L'art et les sentiments.
Drago.
Elle avait trouvé son changement d'angle.
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L'héritier des Malefoy regrettait d'avoir accepté d'accompagner ses parents pour assister au match de Moln. La bonne humeur et la confiance en lui qu'il avait ressenti à cet instant-là s'étaient évanouies depuis la fin de l'affaire Luna.
Il essaya de refaire naître en lui les sentiments qui l'animaient au moment où il avait dit « oui » à sa mère. Mais ils s'étaient évanouis dans le vide, ne laissant en lui qu'une empreinte creuse. Drago savait qu'ils avaient été là, mais il n'en restait rien de tangible.
Tout juste l'écho d'un souvenir.
Mais il ne se défila pas, estimant que ça lui coûterait bien plus d'énergie d'inventer un stratagème pour éviter le match que de simplement s'y rendre et d'attendre que le temps passe.
Et ses parents étaient si fiers qu'il accepte de nouveau de sortir dans le monde, sans débat stérile ni discussion sans fin. Qu'il reprenne enfin sa place dans la société.
Tout le gotha européen et russe se pressait sur les estrades. Assis dans un gradin confortable, Drago ne suivait que d'un œil l'affrontement des Sabots de Feu de Standton contre les Ailes intrépides de Fordshire, ses pensées ne parvenant pas à s'attacher sur ce qu'il se passait sur le terrain.
Le rugissement tonitruant qui déchira la gueule de l'immense lion ailé couleur d'airain lorsque son cavalier, le capitaine de l'équipe du Fordshire, réussit une manœuvre d'Icarus parfaitement maîtrisée le fit à peine sursauter. Les piaffements des Abraxans remplaçants, impatients de rentrer à leur tour sur le terrain, ne lui firent guère plus d'effet.
Incapable d'éprouver de l'intérêt pour ce qui se passait devant lui, Drago suivait des yeux sans vraiment la voir la balle qui circulait d'un côté du terrain à l'autre. Elle aurait pu se transformer en joyau miroitant ou en bulle de savon sans qu'il s'en rende compte.
La foule l'oppressait. Il évitait le regard des autres spectateurs, espérant ainsi éviter toute conversation.
Parler.
À qui ?
Pourquoi ?
Il n'en avait pas envie. Il n'avait rien à dire et il ne se sentait pas capable d'écouter.
Il regardait les ombres des animaux danser sur le terrain. Il aurait aimé s'y glisser et disparaître, comme Sombressence. Être un chat de Tindalos pour échapper à la présence de ses semblables. Se fondre dans le noir et ne plus en sortir.
Quand la fin du match fut enfin sifflée, son supplice ne cessa pas pour autant. Ses parents l'entraînèrent dans leur sillage pour saluer les nombreuses familles qu'ils connaissaient. Ils s'attardaient d'autant plus quand ces familles comportaient des jeunes adultes. Se retrouver volontairement parmi des personnes que Drago avait tant évitées ces dernières années était bizarre. Il se força à sourire et répondit du mieux qu'il put aux questions qu'on lui posait, personne ne semblant s'apercevoir de son malaise.
Drago fit ainsi face à Blaise Zabini, coincé dans la situation inconfortable de devoir discuter avec un ancien camarade avec lequel il n'avait plus le moindre lien. Le jeune Edmond Crabbe, encore plus mal à l'aise que lui, n'articula rien de plus que les politesses d'usage. Daphné Greengrass, accompagnée de sa petite sœur, lui adressa un sourire de loin, avant que son père, tournant ostensiblement le dos aux Malefoy, ne l'éloigne de lui. Drago remercia la magie de lui avoir au moins évité de croiser Pansy.
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De retour au manoir, Drago prit rapidement congé de ses parents pour s'isoler dans ses appartements. Il s'installa dans son salon, s'écroulant dans son fauteuil, un livre posé près de lui, au cas où.
Au cas où il aurait envie de lire.
Au cas où il en aurait l'énergie.
Au cas où il voudrait faire semblant pour qu'on lui fiche la paix.
Mais le livre restait fermé et le regard de Drago figé sur le mur qui lui faisait face. Il regardait le temps glisser sur lui sans l'atteindre.
À la nuit tombée, un bruit sec bouscula sa léthargie. Celui d'un bec insistant contre une surface de verre.
Un hibou toquait à la fenêtre. Quand Drago vint lui ouvrir, celui-ci lui remit un rouleau de papier avec de s'installer sur le dossier du fauteuil le plus proche, refusant ostensiblement de repartir avant d'avoir une réponse.
Drago déroula la missive et y découvrit avec surprise l'écriture ronde de Luna.
Nous sommes à la croisée des chemins.
Hier, je t'ai fermé ma porte. Aujourd'hui, je te confie une clé.
Je ne peux pas continuer à invoquer dame Hécate pour toi tant que ma douleur restera aussi vive et tant que tu continueras à l'ignorer.
Je veux que tu saches comme j'ai eu mal, que tu connaisses ma souffrance.
Pour la partager.
Pour peut-être l'apaiser.
Si vraiment tu veux t'excuser, comme tu me l'as dit, alors, j'ai une proposition à te faire.
J'aimerais que tu goûtes à ma colère, celle que j'ai réfrénée l'autre fois.
Une dernière rencontre. Un point final pour clore un chapitre.
Et ensuite, deux chemins séparés. Un pour chacun de nous.
Ou peut-être une autre voie.
Si j'en décide ainsi. Si tu es d'accord.
Et si tu viens.
Le texte se terminait par une date de rendez-vous.
Alors qu'il relisait lentement le message, la porte donnant sur l'escalier s'ouvrit, le faisant sursauter. Tandis que Drago repliait précipitamment sa lettre, sa mère pénétra dans la pièce.
– J'ai entendu un hibou passer. Je voulais vérifier que ce n'était pas pour moi. J'attends un colis du tailleur Denizart de Saint-Gil et c'est assez urgent, expliqua Narcissa.
– Celui-là est pour moi, asséna Drago sans plus d'explication.
Narcissa s'attarda un peu, scrutant le visage crispé et le corps agité de son fils, tentant d'y lire ses sentiments et ses pensées.
– Je suis contente que tu sois venu voir le match. Mais s'il est encore trop tôt pour toi…
– Ça va, maman. Je n'étais juste pas dans mon assiette. Rien de grave.
Elle attendit encore un instant, interrogeant Drago des yeux. Face à son silence, elle haussa finalement les épaules et repartit, refermant délicatement la porte derrière elle.
Le cœur de Drago cessa peu à peu de battre la chamade et ses doigts, encore tremblants, parvinrent à déplier le rectangle de papier. Le jeune homme constata alors qu'un ajout avait été inscrit au dos du document.
P.S. : J'ai cru comprendre que tu avais une dent contre mon lampadaire. Il existe une entrée classique, utilisable une seule et unique fois. Il s'agit d'une porte vitrée se trouvant au 178 rue Edward Downburrow.
Drago écarquilla les yeux. Il était donc possible d'éviter le réverbère de la honte. Même s'il ne pouvait utiliser cette entrée alternative qu'une fois, cette possibilité le soulagea. Jusqu'à ce qu'il se rende compte que l'adresse se trouvait en plein quartier Moldu. S'il voulait la voir, il devait donc choisir entre la Dragoncelle et la Scrofulite ?
Sur son perchoir improvisé, le hibou postal attendait toujours. Quand ses yeux ambrés rencontrèrent ceux de Drago, il tendit sa patte, réclamant qu'un message y soit passé.
Drago se saisit d'une plume, mais ne la posa pas tout de suite sur le papier.
Que risquait-il en acceptant le rendez-vous ? Les séances avec Luna comportaient déjà des punitions. Que pourrait-il se passer de pire que ce qu'il avait déjà vécu entre les mains de la sorcière ?
Et puis, s'il voulait être honnête avec lui-même, il ne voulait pas que ça s'arrête. Pas comme ça. Pas sans qu'il ait son mot à dire.
Sa décision était prise. En dessous du message de Luna, il griffonna :
« Venge-toi ».
