Peter et Isaac n'avaient pas passé plus d'une nuit au loft, pour la simple et bonne raison que Derek leur avait demandé de partir. Il ne leur avait pas fait l'étalage d'une explication en bonne et due forme, mais l'on avait obéi. On avait obéi parce que son odeur en disait aussi long que son visage : Derek n'était pas d'humeur à épiloguer. Pourtant, l'on avait écouté et rien entendu de spécial. En fait, Stiles et lui ne s'étaient même pas parlés… Alors on n'en savait pas plus. Néanmoins, l'ancien alpha avait promis à son oncle et au bouclé qu'il leur donnerait des nouvelles très vite.

Là, il avait juste besoin d'être seul avec Stiles. Bien sûr, il savait que ni Peter ni Isaac ne l'auraient dérangé en tant que tel. Néanmoins, il ne se serait pas senti tranquille pour essayer de dialoguer avec l'hyperactif et ça, c'était un sacré point noir. De son côté, Derek peinait à digérer ce qui était arrivé à l'humain et réfléchir correctement en sachant ses émotions à découvert s'était avéré trop difficile pour qu'il continue. A côté de cela, il y avait l'histoire de Stiles, celle qu'il ne lui avait jamais dite mais dont il lui avait plus ou moins volontairement confirmé certains aspects. Ce vécu, il était pour Derek de l'ordre du privé. S'il désirait discuter avec Stiles des évènements récents et plus anciens de cette vie-là, il n'avait pas l'envie qu'on puisse écouter leur conversation. Il peinait déjà à lui faire sortir trois mots dessus en général, alors… Il partait dans l'idée de ne pas compliquer les choses. Ainsi, il mettait Stiles le plus à l'aise possible tout en faisant en sorte de ne pas faire entendre son histoire à d'autres oreilles s'il ne le désirait pas lui-même. Derek avait d'ailleurs parfaitement conscience que Stiles cachait cela depuis des années et qu'il ne lui avait pas dit grand-chose dans le but qu'il n'en sache pas plus. Mais il y avait ces fois-là où il avait baissé la garde, ces fois-là où son esprit fatigué s'était accordé le droit de s'exprimer sans trop en dire.

En cela, Derek avait compris que l'humain n'était pas complètement fermé à l'idée de se confier à lui. Néanmoins, quelque chose le bloquait et le loup-garou avait une idée de ce dont il s'agissait… Ou plutôt de qui. Noah Stilinski.

Mais il y avait une autre raison pour laquelle Derek avait fait en sorte de vider le loft de ses deux invités lupins. C'était… Quelque chose qu'il avait senti en apportant à manger à Stiles dans la chambre, la veille au soir, puis le matin-même, en passant devant sa porte.

Une sorte de dégradation de son état mental déjà bancal dont Derek ne saurait identifier l'origine avec précision, pour la bonne et simple raison qu'elle pouvait être multiple. Il y avait tant d'aspects différents, tant de détails, tant de choses susceptibles de le mettre à mal… Que la situation se révélait réellement délicate. Derek savait qu'il allait en chier, mais il n'avait pas le choix. Il était hors de question qu'il laisse Stiles derrière, hors de question… Qu'il refasse la même erreur, celle qui avait conduit l'hyperactif à subir l'innommable alors qu'il s'était juré qu'il ne lui arriverait plus rien.

Plus jamais il ne le laisserait repartir du loft tant que son agresseur serait en liberté. De ce côté-là aussi, il avait des choses à faire et si ça ne tenait qu'à lui, ce policier mordrait déjà la poussière. Le problème, c'est qu'il ne se voyait plus s'éloigner de Stiles. Sa priorité, c'était lui. Et la culpabilité le rongeait à un point tel que Derek sut qu'il demanderait à quelqu'un d'autre de régler son compte à cet homme à sa place si la situation l'exigeait.

Et maintenant, Derek devait l'appeler pour manger. Stiles ne s'était pas montré pour le petit-déjeuner même s'il était réveillé et l'ancien alpha, histoire de ne pas le brusquer, avait décidé de le laisser tranquille. En somme, à midi passé, les deux jeunes hommes ne s'étaient pas encore vus de la matinée. Puis Derek s'était dit que, peut-être, Stiles n'aurait pas la tête à manger un bout dès huit heures. Mais il ne le laisserait pas sauter le repas du midi – c'était impensable, pour lui. Ainsi, il se motiva et s'en alla à l'étage. L'appréhension l'habitait complètement : il avait… Du mal à aller vers lui. Pas que le fait de l'avoir au loft le dérange de quelque manière que ce soit, au contraire, simplement… Il peinait à s'approcher de lui en sachant qu'il aurait pu l'empêcher de souffrir davantage. Mais il avait cru que tout irait bien sous le toit du shérif, avec l'autre ordure à l'hôpital… Et même s'il s'était juré de récupérer Stiles dès la sortie du policier, il fallait croire que celui-ci avait eu un tour d'avance. Qu'il s'était débrouillé pour s'absenter de sa chambre… Ou qu'il avait écourté son séjour hospitalier.

Et Stiles en avait fait les frais.

Derek savait au fond de lui qu'il n'était pas complètement responsable de la tournure des évènements, pour la simple et bonne raison qu'il ne pouvait pas prévoir une telle perfidie, une telle horreur de la part du policier qui n'avait d'humain que le nom. Pas l'âme. D'un autre côté, le loup-garou ne cessait de ressasser, de se repasser en boucle le jour où il avait ramené Stiles au domicile familial en lui disant, quelques minutes avant, de laisser quelques affaires. Parce que l'autre reviendrait de l'hôpital et qu'à ce moment-là, Derek récupèrerait Stiles. La belle erreur.

L'ancien alpha savait cependant que rester dans le passé ne servait à rien et la vie le lui avait suffisamment appris pour qu'il finisse par le retenir.

Derek s'arrêta devant la porte close et posa la main sur la poignée, les sens en alerte. Son odorat l'alertait déjà, son loup intérieur aussi. La suite promettait d'être on ne peut plus délicate et il en avait diablement consciente. Peut-être un peu trop, parce que ça l'effrayait. Le moindre contact, le moindre regard de Stiles posé sur sa personne le terrifiait. Il avait véritablement peur de ce qu'il pouvait y trouver.

Du Stiles auquel il aurait à faire face, parce que Derek était convaincu qu'il ne s'agirait pas exactement de celui qu'il avait connu.

Et il eut partiellement raison, car l'hyperactif qui lui apparut lorsqu'il eut ouvert la porte quelques secondes après avoir toqué et n'avoir obtenu aucune réponse… N'eut pas de réelle réaction. Il était bien réveillé, pas de doute : alors qu'il était assis sur le lit, son regard vide fixait un point vague sans s'en détacher. Impossible pour Derek de savoir s'il l'avait remarqué ou non. Dans tous les cas, il ne se laisserait pas démonter – il n'en avait pas le droit. Il le salua et lui annonça qu'il était l'heure de manger, que tout était prêt. Là non plus, Stiles ne réagit pas réellement. C'est à peine s'il lui accorda l'ombre d'un regard. Face au lit, Derek se mordit légèrement la lèvre.

- Stiles, l'appela-t-il encore. Il faut que tu manges.

Derek était du genre maladroit lorsqu'il avait à s'occuper de quelqu'un. Même sa sœur, il ne savait pas la mettre à l'aise naturellement. La spécialité du loup-garou, c'était l'action : ici, il s'agissait plutôt de réaction et d'adaptation à une situation qui n'avait pour lui rien absolument rien de familier. Derek n'avait jamais eu affaire à une personne brisée autre que lui-même. Peter et Cora s'étaient très vite débrouillés pour avancer malgré tout, pour… Surmonter l'incendie. Quoique son oncle avait eu plus de mal que sa sœur.

De son côté, c'était une tout autre histoire, qu'il avait décidé de garder solidement enfermée en lui.

De toute façon, sa priorité n'était pas lui, mais Stiles. Stiles, qui ne réagissait toujours pas. Il avait légèrement dévié son regard dans sa direction, sans rien intenter : pas le moindre mouvement, pas la moindre tentative de parole… Rien.

Et Derek trouva cela d'autant plus alarmant lorsqu'il décida de prendre les choses en main. Il fit se lever Stiles malgré sa peur de le toucher – et plus précisément celle qu'il interprète mal ses intentions – et l'aida à marcher jusqu'à la cuisine. Il le fit s'installer à table et lui présenta son assiette en lui répétant qu'il devait manger quelque chose.

Stiles, qui s'était laissé amener ici sans résistance, obéit sans un mot, sans que la moindre étincelle de vie n'apparaisse dans ses yeux whisky.