Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur
: Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf les personnels des De Angelis et Ernesto.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Saga x Aioros.
Rating : T

Note : Bonjour et merci pour votre lecture et vos ajouts.

Merci à toi, Mini-Chan, je suis contente que tu aimes toujours. Je me suis rendue compte que je n'avais pas répondu à ta précédente question sur le choix de l'orthographe d'Aioros. Dans la cersion originale, c'est bien Aiolos, car son nom, tout comme celui d'Aiolia, est inspiré du Dieu des Vents, Eole. Mais il y a effectivement plusieurs versions selon les traductions et les supports et qui sont donc toutes fausses. Sachant cela, j'ai tout de même gardé le Aioros qui sonne, pour moi, bien mieux que Aiolos (c'est tout à fait subjectif, un vrai caprice) tout comme je préfère la sonorité de Aiolia, plutôt que Aioria - la logique aurait voulu que j'accorde mes violons pour rester cohérente - qui est la version originale du Gardien du Lion du 20e siècle. Je suis désolée pour ce manque de respect de l'auteur et de l'oeuvre originale.

Le voyage en Italie s'achève et la pause amoureuse de Saga et Aioros loin du Sanctuaire aussi. Voci leurs derniers moments de dolce vita !

Bonne lecture !

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Le fil rouge du Destin

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Chapitre neuf
Les grandes amours sont régies par le destin, lequel ne s'embarrasse pas de la volonté des hommes.
(Jean Dutourd)

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Villa De Angelis
Corniglia, Italie

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Après une nouvelle journée riche en découvertes, en émotion, et en moments inoubliables partagés, Saga et Aioros avaient regagné Corniglia et ils passaient la soirée chez le clan De Angelis.

Lorsqu'ils étaient rentrés pour récupérer leurs affaires, échangées le matin-même contre des vêtements plus appropriés à leur programme, la famille leur avait demandé de rester dîner.

Et lorsque la mama invitait à un repas, une seule réponse était attendue.

Se souvenant de ce qu'Aioros lui avait dit des tablées chez cette très grande famille, Saga s'était préparé à vivre encore une soirée bien festive et agitée. Il aurait préféré un moment plus calme pour clore en beauté une si belle et douce journée, où ils avaient beaucoup marché.

Mais cela ne le dérangeait pas vraiment, il était content de passer du temps avec ces personnes qu'il avait croisé la veille au restaurant, pour certains, mais avec lesquels il n'avait pas pu trop discuter, et qui avaient une place si importante dans la vie et le cœur de son compagnon.

Heureusement pour Saga, ce soir-là, il n'y eut pas grand monde autour de la table : les parents étaient présents, ainsi que trois des enfants et un neveu du padre avec ses petites jumelles de dix ans.

Ils étaient donc dix en tout.

Le repas était animé, avec un beau mélange d'anglais et d'italien, dont Saga commençait déjà à retenir certains mots. Chacun voulait lui faire goûter quelque chose et avoir son avis, ils lui racontaient des anecdotes et posaient des questions sur leurs journées et ce qu'ils avaient vu, mais aussi, certaines plus personnelles et ciblées.

A celles-ci, Saga s'était préparé avec Aioros et ce, dès leur arrivée à Gênes, la veille au matin.

Seul le padre, Santino, était plus réservé avec lui, même s'il le quittait rarement des yeux.
Un regard sombre, fier et ardent, où brillaient l'intelligence et parfois, la curiosité.

Il n'ignorait pas son invité, évidemment, et ne lui posait pas de questions pièges non plus, mais ses interventions étaient souvent courtes et jamais anodines.
Pourtant, malgré cette discrétion au cours des échanges animés, il en imposait par sa seule présence : on voyait et sentait tout de suite que c'était lui, le chef de la famille.

Saga n'en était pas incommodé ni intimidé pour autant.
Ce n'était rien, pour quelqu'un habitué à faire face à un homme tel que Shion.

Malgré une certaine pression, il restait naturel, il était lui-même, car c'était ainsi qu'il voulait être accepté par la famille adoptive d'Aioros.

D'ailleurs, le Gémeau observait lui aussi cette joyeuse et chaleureuse tribu avec intérêt et surtout, reconnaissance : l'amour que chacun portait à Aioros était évident, il faisait vraiment partie des leurs.

Cela le réconfortait de constater que son compagnon avait reçu tant d'affection, au cours des dix années vécues ici.

Les petites jumelles, Siena et Stella, l'adoraient elles étaient nées peu avant son arrivée et elles avaient grandi avec Aioros dans leur vie, il leur manquait donc beaucoup.

Luigi et Flavio, les deux frères aînés et Olivia, la sœur cadette, formaient avec lui une vraie fratrie, Saga n'avait constaté aucune différence de traitement, même légère, durant le dîner.

Idem avec le neveu, Cesare, dont Aioros lui avait révélé être le « cousin » le plus proche, avec qui il travaillait souvent.
Celui-là même qui l'avait ramené à la vie, lors de son « arrêt cardiaque ».

Et Saga ne manqua pas l'occasion de le remercier pour cela.

A la fin du repas, tout le monde se leva pour débarrasser en prévision du café, à l'exception du padre, qui demanda alors à Saga de se rassoir.
Voyant cela, Aioros opéra un demi-tour et revint vers eux.

- Papà

- Figlio, répondit le padre en questio,.

Avec un ton et un regard qui voulaient clairement dire « te mêle pas de ça ».
Aioros soutint ce regard un instant, puis glissa le sien vers Saga.

*Ça va aller,'Ros. On se doutait bien que cela arriverait, lui envoya ce dernier mentalement.

J'ai confiance en toi, mais tu m'appelles, si besoin.

Promis. On reste connecté, de toute façon.

Sûr ?

Oui, mais tu n'interviens pas, sauf si je te le demande.

D'accord, fit-il après un court silence.*

- Je vais faire du café, déclara ensuite Aioros avant de partir.

Personne ne revint non plus, après son départ, tout le monde avait compris qu'il fallait laisser les deux hommes seuls.

Le chef de famille alluma une cigarette et tendit son étui à Saga, qui refusa poliment.
Après un moment qu'il s'était accordé pour fumer en silence, sans le quitter des yeux, Santino reprit la parole.

- Tu le sais et tu as pu l'entendre à nouveau, à l'instant, Aioros est mon fils, et il a toujours agi comme tel, avec moi. Même s'il était quasiment adulte, à son arrivée ici et qu'il l'est rapidement devenu, tel est notre lien.

Saga hocha la tête.

- Je suis tellement soulagé qu'il vous ait rencontré et aucun mot ne saurait exprimer ma gratitude pour tout ce que vous lui avez apporté.

- Il nous l'a bien rendu.

- Je n'en doute pas.

Le visage buriné de Santino disparut un court instant derrière un nouveau nuage de fumée.

- J'ai toujours pensé qu'il avait dû avoir une vie bien difficile, avant d'arriver chez nous, poursuivit-il après avoir rejeté sa longue volute de fumée. C'est écrit sur son corps. Aujourd'hui , je sais que même si ce n'était pas facile, il a été heureux, malgré tout. Mais à l'époque, je ne le savais pas. On ne savait rien de lui. Il avait cet air perdu, comme s'il revenait de loin et peut-être même, des Enfers, à en juger les cauchemars qu'il faisait, les premiers temps.

*Quelle intuition, souleva Saga.

C'est juste une façon de parler*, rappela Aioros.

- Malgré cela, vous l'avez accueilli à bras ouverts, reprit Saga à haute voix.

Sans le quitter des yeux, le padre tapota sa cigarette dans son cendrier.

- Il y avait quelque chose de puissant et d'extrêmement touchant, chez lui. J'avais ce sentiment que je devais le protéger. Notre Seigneur Tout-puissant me l'avait confié, la Sainte Vierge Elle-même m'a guidé jusqu'à lui.

- La Sainte Vierge ? ne put s'empêcher de répéter Saga.

*Il est sérieux ? demanda-t-il à Aioros. Elle avait un casque sur la tête et une chouette sur l'épaule ?

Arrête ! le rabroua son compagnon en gloussant. Fais attention à ce que tu dis, il ne plaisante pas avec la foi, ils sont très croyants.

Je l'avais bien compris…*

En effet, il était difficile de ne pas voir les multiples éléments de décor religieux qui habillaient chaque mur et chaque meuble de la maison : madones, crucifix, anges, reproductions de tableaux de grands maîtres de l'Histoire de l'art italien.

- Sa grande beauté et Sa lumière ont illuminé une journée bien grise en se déversant sur le Ladrina, au milieu duquel j'ai trouvé ce pauvre jeune homme inconscient. Je suis le seul à avoir vu ce puits de lumière, ce jour-là. N'est-ce pas un signe évident de la Miséricorde et de la Bienveillance de la Vierge Marie ?

- Certainement.

Après tout, dans les temps mythologiques, Athéna était dite Parthenos, « Vierge ». Elle avait aussi été la mère « miraculeuse » d'Eurichtonios, qu'elle n'avait cependant ni porté, ni mis au monde, à l'inverse de Marie avec Jésus.

Le Gémeau n'avait jamais pensé à assimiler Athéna à la Sainte Vierge Marie, mais elles avaient des points communs, alors pourquoi pas ?

*Moi non plus, lui envoya Aioros mentalement. Santino ne m'avait jamais parlé de ça, d'ailleurs, il me disait juste que la Sainte Vierge m'avait confié à lui, sans donner de détails.

Ce ne devait pas être si important pour lui. Mais nous avons la confirmation qu'Athéna est bien intervenue et que rien n'est dû au hasard.*

Aioros ne répondit rien et laissa Saga se recentrer sur la conversation.

- Je ne sais pas pourquoi Aioros a été mis sur mon chemin, mais je me suis moi-même donné une mission. Et durant toutes ces années, je me suis évertué à montrer à cette âme égarée ce qu'était une famille aimante. Je tenais à ce qu'il ait un modèle sur lequel s'appuyer, même s'il était déjà adulte. Une vie qu'il aurait envie de reproduire, de construire, à son tour. Je suis déçu par son choix, conclut-il en écrasant sa cigarette dans le cendrier.

Et en fixant intensément Saga sous ses sourcils broussailleux plus sel que poivre.

- Vous m'en voyez navré.

*J'arrive.

Reste où tu es !*

L'ordre claqua si fort qu'Aioros se figea dans son élan, alors qu'il allait quitter la cuisine pour les rejoindre.

*Saga, amour…

Laisse-moi gérer. S'il te plaît.

Bien…* finit-il par accepter après une hésitation.

Saga observa l'homme face à lui sans rien laisser paraître de ses sentiments.

Pourtant, il était peiné et blessé par cet aveu.
Il aurait voulu être accepté, non pour son propre ego, mais pour Aioros, car il savait que cela l'affectait.

Santino leur resservit du vin et il but une petite gorgée, avant de reporter son attention sur Saga, qui l'avait imité, après l'avoir remercié.

- Je ne te juge ni ne te condamne, Saga. Tu es quelqu'un de bien, j'en ai eu la confirmation, ce soir. Je ne pouvais pas me baser sur les seuls dires d'Aioros, qui ne peut être objectif, te concernant. Ni sur la seule foi des impressions positives que tu as faites autour de toi, depuis ton arrivée. Mais aussi heureux que tu puisses rendre mon fils et aussi fort que soit votre amour, tu ne pourras jamais lui donner la famille qu'il mérite d'avoir.

- Parce que je ne peux pas porter ses enfants ?

- C'est un fait.

Ce genre de raisonnement agaçait profondément Saga, même si cela ne l'étonnait pas, venant d'un homme comme Santino, tellement attaché au modèle familial et à la famille nombreuse tout court.

Il avait d'ailleurs été étonné qu'aucun d'entre eux, mais surtout les parents, ne s'opposent plus franchement à leur relation, alors qu'ils étaient de fervents catholiques.
Aioros lui avait expliqué que le clan De Angelis faisait partie des rares d'entre eux suffisamment ouverts d'esprit, fort heureusement.

Ceci étant dit, le padre agissait et raisonnait un peu comme beaucoup se disant tolérant : « je l'accepte, mais pas chez moi, pas pour mes enfants, pas dans ma famille… »

Saga comprenait cependant que ce n'était pas une forme déguisée d'intolérance mal assumée de Santino, mais une réelle préoccupation sur la possibilité de fonder une famille pour celui qu'il considérait comme son fils.

- Vous êtes bien placé pour savoir qu'une famille ne se résume pas à deux parents et leurs enfants biologiques, reprit le Gémeau après un court silence. Aioros et moi avons construit la nôtre, dès notre enfance. Vous savez que nous avons grandi dans un orphelinat, avec chacun un petit frère de sang.

- Tu as un frère biologique ? Je l'ignorais.

- C'est mon jumeau et mon cadet de peu, il s'appelle Kanon.

- Vous êtes proches ?

- Aujourd'hui plus que jamais.

- Je vois. C'est une très bonne chose. Nous devons prendre soin de chaque membre de notre famille, sans hiérarchie aucune.

- Je m'y emploie chaque jour, Signore De Angelis, avec mon frère de sang autant qu'avec ma famille de cœur. Nous avons très tôt appris à veiller sur des enfants plus jeunes, Aioros et moi. Ils nous considéraient comme des grands frères et ils n'ont jamais oublié Aioros. Beaucoup sont restés dans le village ou à proximité, c'est ainsi qu'Aioros a pu les retrouver. Nous travaillons avec certains d'entre eux et sommes en contact avec un plus grand nombre, encore. Il y a également ce Directeur qui nous a élevé et formé, que nous considérions comme un vénérable grand-père et qui est heureusement toujours parmi nous.

- Dans quelles conditions avez-vous donc grandi pour qu'Aioros ait de telles cicatrices ? objecta le padre avec curiosité et tristesse mêlées. Retrouverait-on les mêmes sur toi ? La question ne se pose même pas, en vérité.

- Nous avons suivi un entraînement militaire à notre adolescence, répondit calmement Saga, mais c'est une voie que nous avons choisi, nous n'avons en aucun cas été contraints. Nous n'avons subi aucun sévices, aucune brimade, aucune correction injustifiée ou disproportionnée. Aioros vous l'a expliqué, n'est-ce pas ?

- Il voulait sûrement me rassurer.

- Bien sûr, concéda Saga en reposant le verre qu'il avait porté à ses lèvres. Mais même pour une telle raison, il ne vous mentirait pas. Il est quasiment incapable de mentir, surtout à ceux qu'il aime et respecte profondément.

Un léger sourire apparut sur le visage marqué et sous la moustache épaisse.

- Vous n'avez rien à craindre, poursuivit le Gémeau, Aioros est très bien entouré. Et il le sera toujours. Parce qu'il vous a, vous, et le lien que vous avez construit ne disparaîtra jamais. Et parce qu'il nous a, nous, en Grèce, son frère Aiolia et moi, ainsi que nos frères et nos parents de cœur.

- J'en suis très heureux. Mais tout cela ne remplacera jamais les enfants qu'il pourrait avoir, la famille qu'il devrait construire avec une épouse. C'est un bon fils et un bon frère, je n'ai aucun doute à ce sujet. Mais il ferait aussi et surtout un excellent père.

Il argumentait fort.
Mais Saga avait aussi de quoi répliquer.

- Nous côtoyons beaucoup d'enfants, Signore De Angelis. Nous travaillons pour la Fondation Graad, qui, entre autres, s'occupe de beaucoup d'orphelinats de par le monde, depuis près de quinze ans. Sa directrice actuelle, Mlle Saori Kido, est très attachée au sort des enfants et à la défense de leurs droits. C'est l'un de ses plus grands combats, que nous menons chaque jour avec elle.

- Cela ne fera pas de vous des parents pour autant, objecta encore le padre. Tu essaies de me dire que vous pourrez en adopter à tout moment ?

*Tu n'es pas obligé de répondre.

Cela ne me dérange pas de le faire*.

- Si tel est notre projet, nous le réaliserons.

- Vous n'en avez même pas discuté… grimaça-t-il, intuitif.

Saga inspira calmement.

- Signore De Angelis, nous venons de nous retrouver, Aioros et moi, après dix ans de séparation.

- Et des mois d'indécision de ta part. Aioros ne m'a rien dit, je l'ai deviné seul. C'était la seule explication au fait qu'il ne revienne pas avec toi pour te présenter, malgré le temps qui creusait son écart depuis son départ.

*Tu disais quoi déjà, hier, qu'il ne m'en voulait pas ?

J'aurais dû dire « pas vraiment », désolé…

Cela me semble plus juste, oui.*

- Je le reconnais, répondit Saga. Vous connaissez mes raisons, même si elles ne justifient ni n'excusent mon attitude et la souffrance causée.

- Je n'ai aucun doute sur le fait que tu es celui qui a le plus souffert, dans cette histoire. Le pardon est la plus douloureuse des tortures et des sanctions. Cela me console un peu, n'en sois pas offensé.

*Plutôt que « pas vraiment » , « pas beaucoup » aurait même été plus approprié.

Apparemment, oui…*

- Je comprends, assura Saga sans se démonter. Mais je ne veux pas m'appesantir sur le passé, Aioros m'a réconcilié avec lui. Nous sommes au début de notre nouvelle vie et nous voulons faire les choses correctement pour n'avoir aucun regret. Nous prendrons notre temps et construirons notre histoire pièce par pièce, chacune ayant sa place et son heure pour s'y tenir.

- Parler de l'avenir est donc exclu.

- Je n'ai pas dit cela. Pour le moment, nous profitons du présent, qui seul nous appartient. Nous avons la certitude que nous voulons vivre, vieillir et mourir ensemble. C'était déjà le cas, lorsque nous étions adolescents, mais on nous a arraché cet avenir avant même d'avoir pu le formuler à voix haute. Aussi, cette fois-ci, nous allons nous engager pleinement à bâtir un présent suffisamment solide pour pouvoir y ancrer notre futur.

- Vous croyez réellement tous les deux en avoir un ensemble, dans ce monde qui ne cessera jamais de vous juger et de vous faire obstacle ? Deux hommes peuvent-ils vraiment être destinés l'un à l'autre ?

- Oui, répondit Saga sans l'ombre d'une hésitation.

- D'où vous vient une telle certitude commune ?

- Il ne s'agit pas de deux hommes, Signore De Angelis, mais de deux âmes, de deux cœurs, auxquels ne s'appliquent pas la notion de genre. C'est très simple.

- C'est loin de l'être.

- Je vous assure que si. Quand Aioros murmure à mon oreille, c'est son cœur qui parle directement à mon cœur. Lorsqu'il me dit qu'il m'aime, les yeux dans les yeux, c'est son âme qui s'adresse directement à mon âme, sa jumelle. Et réciproquement. Il n'y a rien de plus absolu ou évident que cette vérité en ce monde, pour nous. Tels sont les contours de notre univers, façonné par notre amour et notre lien, renforcé par notre vécu et nos blessures enfin cicatrisées. Il prend place dans ce monde, qui n'en est qu'un décor.

Saga n'avait pas parlé de manière émotive ou passionnée, son ton était resté égal : il avait énoncé un simple fait, exposé une vérité évidente, sans affect.
Et cela fit son effet sur le chef de clan.

Pourtant, le Gémeau n'en avait pas terminé : il se pencha encore vers l'homme face à lui, le regard aussi déterminé que l'avaient été ses paroles.

- Je ne renoncerai pas à Aioros, Signore De Angelis, affirma-t-il en appuyant chaque mot. Je vais continuer de l'aimer et de le rendre heureux, même si c'est d'une manière différente de celle que vous espériez pour lui.

Le padre était impressionné malgré lui, mais il n'en montra rien et laissa échapper un petit ricanement.

- Tu penses avoir le choix ?

- Je ne l'ai pas, reconnut Saga en se réinstallant confortablement sur sa chaise. Non parce que vous me menacez de manière à peine déguisée, sachez que vous n'êtes pas le premier à le faire, d'ailleurs. Mais parce que je me le suis promis, ainsi et surtout qu'à Aioros.

- Tu pensais agir pour son bien, lorsque tu l'as repoussé, rappela le chef de famille entre deux gorgées de vin.

- Je ne l'écoutais pas et me basais sur ce que moi, je pensais être le mieux pour qu'il soit heureux. J'ai appris de mes erreurs et j'ai entendu ses désirs. Je lui ai donné ce qu'il voulait vraiment et lui ait apporté le bonheur espéré, que je renouvelle constamment, car telle est ma priorité. C'est une leçon qui devrait profiter à tous.

Le padre encaissa sans broncher et l'observa longuement en silence.

Saga se soumit à cet examen sans ciller ni baisser le regard.
Mais il n'y avait pas de défi, ni de provocation, dans ses yeux, juste de l'assurance et de la détermination.

Encore une fois, sans rien en montrer, Santino De Angelis était impressionné par l'homme en face de lui, par la force de son regard où il pouvait lire de la bienveillance, mais qui lui semblait également d'une profondeur et d'une sagesse sans âge.

Oui, cela lui parut soudain évident : l'âme qu'abritait ces yeux d'azur portait le poids d'années bien plus nombreuses que n'en comptait le corps où elle s'était incarnée.

Finalement, son visage se tourna à demi vers la cuisine.

- Allora, questo caffè è per oggi o per domani ? lança-t-il de sa voix puissante, sans avoir à forcer.

- Subito ! lui répondit Aioros.

*C'est bon, il a demandé le café, ton calvaire est fini. Bravo, mon amour, et merci, surtout.

Je ne m'en suis pas trop mal sorti ?

Tu as été parfait et ce n'était pas évident.

Tant mieux. Et toi, ça va, tu n'es pas trop déçu par sa position ?

Je m'y attendais, je le connais. Ce qui me réconforte, c'est qu'au-delà de tout ce qu'il a pu dire, il t'apprécie vraiment.

J'espère.

Tu peux me croire. Il ne t'aurait pas mis à la porte, auquel cas, mais il ne serait pas resté non plus, pour signifier son désaccord. Il va partager un café avec toi, c'est pas rien.

Très bien.*

Pendant leur échange silencieux, le padre avait terminé son verre de vin et Saga fit de même.

La mama arriva ensuite avec le service à café, suivit du reste de la famille, à l'exception des jumelles, et ils se réinstallèrent comme si de rien n'était.

Aioros commença à servir tout le monde.

La maîtresse de maison posa alors sa main sur le bras de Saga.

- Spero che mio marito non ti abbia disturbato troppo, Saga.

- Ma mère dit qu'elle espère que mon père ne t'a pas trop incommodé, traduisit Olivia, la cadette de la famille.

Et le portrait craché de son père, la moustache en moins et en bien plus gracieux.

Flavia De Angelis ne parlait pas anglais, à l'inverse de son mari qui l'avait appris pour mieux communiquer avec Aioros, à son arrivée. Celui-ci avait appris l'italien plus vite que son père adoptif l'anglais, mais Santino avait continué sa pratique pour le commerce et l'exportation de ses produits.

- Tu peux la remercier et la rassurer, tout va bien, affirma Saga en souriant à la mère autant qu'à la fille.

Celle-ci, un peu rougissante, traduisit pour sa mère.

Le padre intervint à son tour.
Et la réponse de sa femme fit rire tout le monde.

Saga les observa, nullement vexé, juste intrigué.

Surtout qu'Aioros avait presque rougi, malgré son air radieux.
Et qu'il tardait à lui dire ce qui se passait.

*Tu m'expliques ?*

Mais Aioros n'eut pas à le faire.

- Désolé, Saga, lui disait déjà Luigi, l'aîné des garçons. N'y vois nulle offense ou moquerie à ton encontre. Mon père a dit à ma mère qu'il reconnaissait ta valeur et que tu aurais sûrement fait un très bon mari pour Olivia ou une autre de mes sœurs. Ma mère lui a cloué le bec en lui disant qu'elle était persuadée que tu serais une très bonne épouse pour Aioros aussi.

Les sourcils du Gémeau montèrent si haut sur son front qu'ils disparurent presque derrière les mèches d'or qui le balayaient.
Ce qui fit repartir le rire des plus jeunes.

Flavia, avec un grand sourire, leva sa tasse de café devant elle.

Les regards se tournèrent alors vers le padre, qui finit par lever la sienne à son tour.
Tous les autres les imitèrent alors en regardant Saga, cette fois.

- Benvenuto nella famiglia, déclara le chef du clan à Saga.

Il ne souriait pas, mais son regard était sincère, il ne parlait pas à contrecœur.

Sa phrase de bienvenue fut reprise par chacun, avec plus d'enthousiasme, cependant.

Saga, étrangement ému, et aussi gagné par l'émotion d'Aioros, leva sa tasse à son tour.

*J'ai compris, mais qu'est-ce que je peux répondre en italien ? demanda-t-il à son compagnon.

Tu veux impressionner beau-papa ?

Sérieusement, Aioros !

Un simple remerciement suffira amplement.*

- Grazzie mille, répondit alors Saga en les regardant tour à tour, jusqu'à revenir au chef de famille. C'est un grand honneur.

Après un léger hochement de tête, ils burent une gorgée de café comme pour finaliser l'intégration de Saga dans leur clan.

*Pour le meilleur et pour le pire.

Je prends tout, tant que je peux rester avec toi et te garder à mes côtés.

Je t'aime, Saga des Gémeaux.

Moi aussi, mon amour. Tellement !*

Les deux hommes se sourirent par-dessus leurs tasses de café.
Ils ne pouvaient pas se toucher, mais ils n'en avaient pas besoin, à cet instant.

Ils restèrent encore une petite heure avec le clan De Angelis, avant de rentrer chez Ernesto.

La pendule dans l'entrée indiquait presque 23h, mais l'artiste n'était pas encore couché : il sirotait un verre de vin sur son balcon éclairé à la bougie, entouré de plusieurs de ses chats.

Il leur proposa de l'accompagner, ce qu'ils acceptèrent, malgré la fatigue.
Mais ils se contentèrent d'un verre d'eau, ils avaient déjà assez bu.

Cela leur faisait plaisir de passer un peu de temps avec leur hôte, avec qui ils avaient simplement pris le petit-déjeuner, le matin-même. C'était la moindre des politesses, son atelier n'était pas un dortoir.

Aioros avait aussi prévu de lui préparer un ou deux repas, pour le remercier de son hospitalité.

Ernesto avait accepté non parce qu'il jugeait avoir soit à un paiement quelconque, mais simplement parce qu'il appréciait la cuisine de son ami. Et qu'il était aussi curieux de découvrir des spécialités grecques promises par Saga.

- Flavia nous a donné plusieurs petites boites pour toi, lui apprit Aioros. Tu as mangé, ou tu veux que je te réchauffe quelque chose ?

- Merci, ça ira. Elle est trop gentille, comme toujours. Je goûterai ça demain. J'ai fini les moules farcies de Letizia, je n'ai plus faim.

- D'accord. Je mets tout au frais et je reviens.

Aioros disparut à l'intérieur de la maison, Ernesto se tourna alors vers Saga.
Il venait à peine de s'asseoir que deux boules de poils investirent ses cuisses, depuis son ventre jusqu'aux genoux.

- Tu as passé une bonne soirée chez les De Angelis ? demanda Ernesto en lui souriant.

- Oui, excellente. Ils sont tous adorables.

- Même le Santino ? demanda Ernesto, sceptique.

- J'aurais employé un autre mot pour lui, reconnut Saga.

- Je me disais bien !

- Il est très protecteur, fit remarquer Saga.

- Exactement. Cela peut le rendre agressif, mais il n'est pas méchant pour autant.

- Non, en effet. Il défend les intérêts de sa famille et le droit au bonheur de chacun avec passion et détermination. Ce qui est aussi louable que compréhensif. Même si sa vision des choses est différente de celle qu'on lui présente, il ne s'y oppose pas farouchement, il reste ouvert et à l'écoute.

- Tu es impressionnant, Saga ! s'exclama Ernesto en tapant du plat de la main sur la table. Tu l'as cerné en un dîner, le padre !

- Il a été formidable, intervint Aioros en les rejoignant. Il a su trouver les mots qu'il fallait et son attitude était parfaitement adaptée au discours de Santino.

- Tes yeux brillent tellement de fierté que je pourrais éteindre les bougies, on y verrait comme en plein jour ! se moqua leur hôte.

- Il y a de quoi ! Je ne l'ai même pas préparé, en plus, je ne pensais pas que Santino le prendrait à part dès le premier soir.

- Ce n'est pas comme si vous aviez prévu de rester longtemps, non plus, tu ne lui as pas vraiment laissé de possibilités.

- C'est vrai.

- C'est peut-être mieux ainsi, remarqua Saga. J'ai pris les choses comme elles venaient et tout c'est à peu près bien passé. Il n'a pas changé d'avis, mais je pense qu'il a compris l'essentiel.

- Cela aurait été trop ambitieux de vouloir le convaincre. Mais tu l'as impressionné et apaisé, ce n'est pas rien, assura Aioros.

- Je peux le confirmer, grimaça Ernesto. J'ai fréquenté un peu son aînée, Philomena, dans ma prime jeunesse. Ça ne lui faisait pas vraiment plaisir. C'est un homme de la terre, et moi, je suis plutôt décrit comme un rêveur qui a la tête dans les nuages. Je gagne bien ma vie depuis toujours, mais c'est difficile de me prendre au sérieux. Pourtant, Santino m'a laissé ma chance. Une seule fois. Mais j'ai tout gâché ! conclut-il en riant.

Saga ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle là-dedans.

- Je suis désolé pour toi.

D'un revers de la main, Ernesto balaya sa réflexion.

- Ne le sois pas ! Ça date bien d'une quinzaine d'années, cette histoire, même plus ! Et puis, je l'aimais bien, Philo, mais c'était pas le grand amour, non plus. Son principal atout, c'était de me supporter !

Son rire reprit, sous l'incompréhension grandissante de Saga.
Ernesto ne lui avait pas parut être un homme aussi exubérant et joyeux, jusque-là.

- Il ne rigole comme ça que quand il parle de Philomena et aussi de Pino, lui expliqua Aioros.

- Avoue que c'est comique, quand même !

- Moi, j'ai toujours trouvé ça plutôt triste.

- Ça l'aurait été, si j'avais été complètement fou d'elle et qu'on voulait se marier, répliqua son ami en haussant les épaules. En fait, on voulait plutôt se marrer. Tu vois, Saga, j'avais développé une véritable passion pour le nu. Pas la nudité, mais le nu artistique. J'allais souvent à Guvano pour dessiner ou peindre les corps alanguis sur la plage. C'est fascinant de voir comme les jeux d'ombre et de lumière peuvent remodeler un corps, tu l'as certainement déjà remarqué ?

- Je ne regarde pas vraiment les gens nus.

- Les gens, non, mais cela ne t'a sûrement pas échappé en observant le corps d'Aioros. C'est évident que tu le regardes, tu as dû noter les différences de perception dues à différents facteurs. Je me trompe ?

Les artistes n'avaient pas les mêmes notions de pudeur et d'intimité que les autres. Leurs contours étaient beaucoup moins marqués et plus perméables, les rendant rapidement franchissables.

- Non, c'est vrai.

- Ça me passionnait vraiment beaucoup, à l'époque, et j'avais de nombreux sujets à disposition. J'étais suffisamment discret, on ne me remarquait pas. Certains pensaient que je peignais les paysages marins, les curieux venaient jeter un œil, mais personne ne s'offusquait. Jusqu'à ce que, agacé de voir que les gens n'arrivaient pas à tenir la même position plus d'une dizaine de minutes, je ne suis décider à passer à la photographie. Là, ça a commencé à se gâter !

Il s'amusait vraiment à raconter son histoire.

- Les plus choqués n'étaient évidemment pas les naturistes eux-mêmes, qui posaient volontiers, plutôt, mais tous les autres. La rumeur s'est répandue dans le village que j'étais un vrai voyeur ! C'est arrivé aux oreilles de Santino, qui a rapidement vu rouge. Il est devenu écarlate, même, quand il a vu les clichés de Philomena offrant sa beauté à l'objectif et à l'art.

- Et au monde entier, au passage, rappela Aioros.

- Certes.

- Parce qu'elle participait ? s'étonna Saga.

- Bien sûr ! Je la mettais même en scène avec d'autres personnes. La tête qu'il faisait, le Santino, je l'oublierai jamais !

- C'est toi qui lui a montré ?

- Involontairement. En même temps, je ne faisais rien pour m'en cacher. C'est ainsi qu'il a débarqué chez moi, un jour, et je venais de développer une vingtaine de photos. Plus de la moitié était de Philo…

- Ce qu'il n'a effectivement pas dû apprécier, devina Saga.

Ernesto éclata de rire.

- Letizia m'a raconté toute l'histoire, Santino lui a pratiquement éclaté la vésicule biliaire d'un seul coup de poing, lui apprit Aioros. Il a été hospitalisé plus d'un mois à Gênes.

- J'ai eu de la chance, assura l'artiste. Il aurait pu s'en prendre à une autre partie de mon anatomie à laquelle je tiens bien plus qu'à ma vésicule biliaire !

- J'imagine. Et il t'en veut toujours ? Certains ont la rancune tenace.

- Et c'est le cas du padre De Angelis, assura Ernesto. Malgré toutes les années qui se sont écoulées depuis, il me salue à peine lorsque l'on se croise. Il y a trois ans, il a eu un problème de visuel pour la publicité de sa production. Plutôt que de me demander, il s'est rendu à la Spezia pour louer les services d'un artiste. Cependant, il n'a pas interdit à sa famille de me fréquenter.

- Et Philomena ?

- Elle a profité de la situation pour quitter le village et s'installer à Milan. Enfin, elle a beaucoup voyagé, elle est mannequin. Enfin, je ne sais pas si elle va le rester longtemps encore ou même si elle l'est toujours. C'est une belle quadra, mais elle est peut-être trop vieille pour le métier. Je vais te montrer quelques-unes des photos que j'ai gardé de l'époque, proposa-t-il en se levant. Rentrons à l'intérieur, il se fait tard, même si on parle bas, les voix portent loin.

Les deux invités suivirent leur hôte et prirent place dans le salon.

Ernesto revint peu après avec deux grands dossiers.
Il ouvrit la première et étala les photographies sur la table.

Saga n'appréciait pas particulièrement les corps dénudés et il avait donc un peu appréhendé.
Mais ce qu'il avait sous les yeux était de l'art, réellement.

Le modèle était effectivement d'une grande beauté, mais la photo la sublimait encore davantage.

Ernesto savait vraiment capter le moment parfait, celui où l'émotion était la plus palpable, même dans un battement de cil ou l'esquisse d'un sourire, un air rêveur ou une tête légèrement penchée.

- C'est une très jolie femme, et tes photos sont magnifiques.

- Merci, Saga. J'ai aussi développé la pellicule que vous m'avez confié, ajouta-t-il en ouvrant la deuxième pochette. Elles sont pas mal, vu l'appareil photo utilisé.

- Oui, c'est un vieil appareil.

- Ce n'est pas le fait qu'il soit vieux, mais plutôt qu'il n'était pas très performant à la base. Et il est mal entretenu.

Aioros se frotta l'arrière du crâne, un peu penaud.

- Désolé, je sais que c'est un affront pour toi de voir ce genre de choses.

- Je n'apprécie pas la négligence du matériel photo, c'est un fait. Mais tu ne dois pas y être pour grand-chose, je sais bien que tu fais plus attention, généralement.

- Parce que tu m'as appris. Tout comme tu m'as donné de précieux conseils pour faire des photos réussies.

- Elles ne sont pas mal, celles-ci, en effet. Y avait pas que l'Italie, d'ailleurs. Vous étiez en Autriche, tu m'as dit ?

- Oui, pour le travail. Mais on a pu prendre quelques photos quand même.

- Je croyais que tu travaillais dans une boîte paramilitaire ou de défense…

- Oui, une branche de la Fondation Graad.

- Connais pas. Je me posais juste la question parce que y a des photos d'enfants. Désolé, ça me regarde pas !

- Aucun souci, le rassura Aioros. La Fondation œuvre beaucoup auprès d'orphelinats. C'était juste une visite de sécurité auprès de l'un d'eux. Ces deux enfants, Simon et Elrik, nous ont accompagné un moment, expliqua-t-il en désignant les photos en questions.

- C'est important de parler avec les enfants pour être sûr que tout va bien, ajouta Saga. Aussi bienveillants puissent-ils paraître ou être vraiment, certains adultes peuvent être amenés à nous cacher des choses qu'ils pensent être en mesure de gérer seuls.

- C'est très juste.

- On a pris pas mal de photos avec l'appareil que tu nous a prêté, aujourd'hui, enchaîna Aioros pour clore le sujet. Tu pourras t'en occuper avant notre départ, vendredi ? Sinon, tu pourras nous les envoyer.

- J'aurais largement le temps de le faire. Vous avez fini la pellicule ?

- Non, justement, je pensais le faire demain. J'ai demandé à Aldo qu'il nous prête son bateau. Je voulais faire découvrir à Saga la région depuis la mer. On fera un crochet à Monterosso, on peut pas partir sans y faire au moins un rapide passage.

- Ce serait dommage, oui. Vous y restez la journée ?

- Non, je pensais plutôt la matinée en mer, et déjeuner au village, avant de rentrer. Je voudrais qu'on passe un peu de temps ici, avant de repartir. Tu veux nous accompagner ?

Ernesto se mit à rire.

- C'est gentil, mais je serai de trop. Et puis, je vais sûrement rester éveillé toute la nuit, j'ai une sculpture à terminer et c'est le moment où je suis le plus concentré et inspiré. Je serai sûrement tout juste couché quand vous vous lèverez.

- Alors rejoins-nous à Monterosso, dans ce cas.

*Ça ne te dérange pas que je lui propose, au moins ?

Pas du tout, tu fais bien.*

- Peut-être, ça dépendra de mon humeur, répondit l'artiste.

- Je prévois qu'on sera vers 12h30 -13h sur le port. Si on t'y voit pas, on aura la réponse. Mais ce serait bien que tu viennes, ça te ferait du bien.

- C'est Letizia qui t'a missionné, c'est ça ?

- Pourquoi tu dis ça ?

- Elle s'inquiète tellement pour moi, elle trouve que je suis trop seul, que je me nourris pas bien, que je fais pas attention, que je m'occupe plus et mieux de mes chats ou de mes clients que de ma propre personne...

- Ses inquiétudes sont fondées, il t'arrive de vraiment te négliger. Et tu as toujours été comme un grand frère, pour elle.

- Je pensais que ça lui passerait, surtout quand t'es arrivé dans notre vie. Mais elle a des rechutes, depuis que t'es parti.

- Malgré Sergio ? s'étonna Aioros. Elle a déjà bien assez à faire, avec lui et le restaurant.

- C'est pas encore assez. Mais tu sais bien ce qui lui manque, ajouta-t-il en tapotant la photo de Simon et d'Elrik du doigt. A son âge, sa mère en avait déjà cinq. Son frère n'a pas 35 ans, il en a déjà six.

- Elle vient seulement de retrouver Sergio.

- Ça fait trois ans, Aioros. C'est bizarre, venant d'elle. Quand ils étaient adolescents, tous les deux, ils parlaient déjà de la grande famille qu'ils allaient fonder. Letizia m'avait demandé mon avis sur sa liste de prénoms, elle était longue comme un bras ! L'occasion leur est enfin donnée, et rien…

*Letizia ne lui a rien dit ? Je croyais qu'ils étaient proches.

C'est justement pour ça qu'elle a décidé, avec Sergio, de ne pas en parler.

Oui, je comprends son point de vue, mais ça a dû être tellement dur, se confier aurait pu la soulager.

Avec Sergio, ils sont là l'un pour l'autre et restent soudés, c'est tout ce qui compte.

Tu as raison, bien sûr. *

Durant l'une de leurs conversations de la journée, Aioros avait appris à Saga que Letizia avait fait plusieurs fausses couches.
La dernière datait de quelques mois à peine.

C'était l'une des raisons pour lesquelles Aioros avait passé beaucoup de temps en Italie, lorsqu'il s'était éloigné du Sanctuaire et de Saga.

Un fait qu'il n'avait pas pu lui révéler avant que Letizia ne le lui autorise, la veille.

- Quelles que soient leurs raisons, ça les regarde, disait Aioros. J'espère que tu ne l'embêtes pas trop avec ça.

- Bien sûr que non ! J'espère juste que ce n'est pas un problème… mécanique.

- Mécanique ?

- Rhaaa, tu vois ce que je veux dire ! Ce serait bien qu'ils puissent avoir des enfants, ça l'occuperait un peu plus, ma Lili.

- Et qui te nourrirait correctement ?

Ernesto haussa les épaules.

- Je trouverai toujours un moyen !

- Commence par nous rejoindre, demain. On t'invite.

- Ça nous ferait très plaisir, ajouta Saga.

L'artiste les regarda tour à tour avec un petit sourire.

- Vous êtes gentils. Je ferai de mon mieux. D'ailleurs, je vais vous laisser et retourner à mon labo, que j'avance un peu dans mes travaux. Vous n'avez besoin de rien ?

- Non, merci.

- De toute façon, tu connais la maison. Faites comme chez vous. Bonne nuit !

Les deux hommes le remercièrent et il s'en alla vers son labo photo.
Ils ne tardèrent pas non plus à aller se coucher.

La journée du lendemain passa assez rapidement.

La balade en bateau en mit encore plein la vue à Saga.

Ils apprécièrent également d'être isolés en mer pour pouvoir se toucher plus librement, communiquer leur émotion et leur ressenti par des gestes autant qu'avec des mots.
Ils s'offrirent même le luxe d'une petite plongée.

La région étant préservée, la mer n'était pas polluée et la vie sous-marine était foisonnante et merveilleuse, aussi colorée et vive que les villages qui la surplombaient.

Celui de Monterosso al Mare, le dernier que Saga découvrit, lui plut aussi beaucoup, surtout la vieille ville qui avait conservé son charme ancien.

La plage était déjà très fréquentée en fin de matinée, mais Aioros voulait emmener Saga pour une autre raison que la baignade ou la bronzette.
Il voulait lui montrer la statue géante de Poseidon, enfin, Neptune, qui portait un coquillage.

Une curiosité locale qui fit beaucoup rire le Gémeau et qui valait le coup d'œil, avant qu'ils ne rejoignent le port pour le déjeuner.

Ernesto fut finalement au rendez-vous et ils partagèrent un agréable repas dans un restaurant près du port et face à la mer. Saga y dégusta notamment un étonnant riz de mer à l'encre de seiche, une découverte aussi plaisante d'un point de vue gustatif que visuellement.

Comme annoncé par Aioros, le reste de la journée se déroula à Corniglia, où il profita un peu des personnes qui lui étaient les plus proches, tout en continuant de se balader et de profiter du temps qu'il leur restait avec Saga.

Au moment de leur départ, le lendemain, ils étaient bien plus chargés qu'à leur arrivée. Des bouteilles de Sciacchetrà, le vin typique de la région, de l'huile d'olive, forcément, de la limoncello, des fruits et surtout des citrons, la fameuse crostata de Letizia, que Saga avait tant apprécié, de la charcuterie précieusement conditionnée et pour laquelle Angelo allait sûrement les bénir...

Et tant d'autres spécialités, encore, et pas seulement culinaires.
Ils avaient prévu d'en acheter, on leur avait tout offert sans qu'ils ne puissent ni protester, ni refuser.

L'impossibilité de trop se charger seule avait constitué une limite.

Saga et Aioros avaient aussi passé une partie de la soirée de jeudi à cuisiner les spécialités grecques qu'ils maîtrisaient le mieux, pour les offrir aux habitants et les remercier de leur accueil et de leur générosité.

Cependant, ils se promirent qu'à leur prochaine venue, ils ne viendraient pas les mains vides.
Ils avaient déjà acheté quelques spécialités autrichiennes pour Letizia et les Des Angelis, dès que la décision de venir avait été prise.

Mais ce n'était pas suffisant.

Ils avaient tous les deux la même envie de leur faire découvrir leur culture et quel meilleur moyen que son artisanat et sa gastronomie pour se faire, lorsqu'on ne pouvait pas forcément se déplacer ?

Évidemment, Letizia était revenue à la charge en rappelant à Aioros qu'elle ne renonçait pas à venir passer quelques jours en Grèce. Il ne pouvait décemment pas refusé, et il s'était déjà promis, avec Saga, de trouver une solution pour qu'elle puisse venir sans aucun danger pour le Sanctuaire.

Ils avaient vraiment envie de l'accueillir, en plus, de lui présenter Aiolia, Marine et Kanon, de lui montrer leurs belles plages et leurs magnifiques couchers de soleil, de lui faire goûter les très renommées olives de Kalamata et l'inimitable moussaka de Milo, elle qui adorait tant les aubergines, ou encore, lui faire découvrir l'ouzo et les vins grecs, dont le muscat de Samos que Saga et Aioros appréciaient particulièrement…

Cela nécessiterait quelques réorganisations et quelques arrangements avec la vérité, certes, mais cela restait possible.
Elle méritait bien tous les efforts demandés.

L'idée qu'Ernesto puisse faire partie du voyage fut aussi émise. Car pour un artiste comme lui, c'était une chance d'avoir une telle source d'inspiration.
Non pas qu'il ait épuisé toutes les infinies possibilités de son propre pays, mais cela faisait du bien de changer d'air, parfois, de temps à autres.

Et puis la Grèce et l'Empire romain étaient souvent comparés, opposés, là où il n'y avait souvent que continuité, complémentarité ou assimilation.
Sans oublier pour autant le sac de certaines villes grecques antiques perpétré par les romains…

Mais c'était un autre temps, une autre histoire…

Ernesto serait tout aussi bienvenu que Letizia.

L'artiste avait offert aux deux Chevaliers quatre très belles photos prises discrètement durant leur séjour un portrait de chacun d'eux individuellement et deux instantanés – ou « instants volés » comme les appelaient certains pour le taquiner -, où Saga et Aioros figuraient ensemble.

Une première photo d'apparence anodine et somme toute banale de deux hommes discutant sur une terrasse, dans la lumière orangée d'un crépuscule qui s'attardait. Ils pouvaient être frères, cousins ou meilleurs amis…

En fait, non.

Tout, dans le regard qu'ils échangeaient, parlait de leur amour et de leur lien : ces deux êtres légèrement penchés l'un vers l'autre s'appartenaient, voilà ce qu'avait su capter et retranscrire magnifiquement le talentueux photographe.

La deuxième photo, prise la veille de leur départ, était tout aussi parlante et émouvante que la première assis sur le canapé, les deux amants s'étaient abandonnés au sommeil et à la nuit.

Mais aussi et surtout, l'un à l'autre.

Leurs têtes reposaient l'une contre l'autre, leurs doigts s'étaient noués dans une position improbable, mais plus belle que dérangeante, et surtout, qui racontait toute l'histoire : leurs mains comme leurs êtres, leurs âmes, s'étaient cherchés dans le sommeil, la mort et l'oubli et avaient fini par se (re)trouver et se lier.

Aioros et Saga en avaient vraiment été très touchés.

Ils avaient très tôt commencé à réfléchir à un cadeau pour remercier leur hôte et sa grande générosité.
Tout comme Letizia, celui-ci, le devinant, leur avait bien dit de n'en rien faire : dans la famille, nul besoin de se remercier pour des gestes tout à fait naturels.

Mais les deux Chevaliers y tenaient, surtout par plaisir et élan de cœur.
Ils s'en étaient donné la mission, même.

Ce fut donc le cœur lourd et les bras chargés que Saga et Aioros quittèrent Corniglia en direction de Gênes, puis de Rome, où les attendait leur avion, ce vendredi-là.

Cependant, lorsqu'ils retrouvèrent l'atmosphère si particulière du Sanctuaire et qu'ils posèrent le pied sur la première marche du Grand escalier menant à la Maison du Bélier, malgré une pensée furtive pour le Landerina de Corniglia, il y avait un doux sourire sur chacun de leurs visages : ils étaient rentrés chez eux.

Saga fut soulagé de constater qu'Aioros partageait pleinement ce sentiment et cette sensation.

Il le savait et en avait eu toutes les démonstrations possibles, après ces quelques jours : quoi que son compagnon ait pu vivre, au cours de ces dix ans loin de lui, quelles qu'aient été la puissance et la profondeur des liens créés, et malgré la place qui lui avait été accordé au cœur même de certaines familles et dans le village, il n'y avait qu'un seul endroit où il se sentait pleinement chez lui.

Et c'était là, en Grèce, au Sanctuaire.
A ses côtés.

Aioros le lui avait dit et répété, Saga n'avait pas remis sa parole ou sa croyance en ses propres mots en doute.
Mais il en avait désormais une certitude formelle, issue de l'épreuve et de l'expérience.

Au-delà même d'Athènes et de la Grèce, et de leur allégeance absolue a Athéna, ils s'appartenaient, l'un à l'autre.

Ils avaient appris à se connaître, à se reconnaître, s'étaient découverts et redécouverts à travers de longues discussions ou de moment plus simples, partageant leurs souvenirs communs avec nostalgie et tendresse, se confiant sur leurs années de séparation, avec souvent quelques regrets nés de l'absence de l'autre ou de la culpabilité de l'un.

Ils avaient grandi en étant pas tout à fait eux-mêmes, l'un possédé, l'autre amnésique, se construisant un peu banalement car incomplet, puisque séparés.
Et pourtant, ils avaient tous deux gardé l'autre quelque part en soi, bien au chaud à l'abri.

Et bien qu'inconsciente, cette part et cette présence avaient aussi constitué une fondation de leur être en devenir.

Au travers de ces différentes prises de consciences et réalisations, notamment, et les moments vécus au présent, ceux qu'ils construisaient au quotidien, leur lien s'était ainsi encore plus renforcé et les deux hommes se sentaient plus proches et amoureux que jamais.

Ils étaient en parfaite osmose, sûrs de regarder ensemble dans la même direction quant à leur avenir commun, puisque rassurés sur leur passé et son acceptation par l'autre dans toute sa complexité.

Voilà ce qui était principalement ressorti de cette semaine et de ce voyage, de ce plongeon dans cette autre vie d'Aioros, ou plutôt, sa « parenthèse italienne », comme il l'avait lui-même tendrement renommé.

Aucun des deux Chevaliers n'aurait pu le prévoir, mais ils s'en réjouirent ensemble, ce soir-là, accompagnés de tous leurs proches compagnons d'armes, autour d'un dîner-dégustation improvisé où plus des deux-tiers de ce qu'ils avaient apporté y passa, pour le bonheur de tous.

Enfin, Aiolia, bien évidemment, restait distant, ce qui portait une légère ombre au tableau.

De même que l'absence d'Athéna, qui ne serait peut-être pas restée trop longtemps avec eux, certes, mais qui leur aurait tout de même fait l'honneur de passer un peu de temps en leur compagnie.

Leur Déesse avait néanmoins tenu à souhaiter la bienvenue à ses Chevaliers revenus chez eux, au Domaine sacré, elle avait donc envoyé une vague de cosmos bienveillant et chaleureux au Sanctuaire, jusqu'à eux, mais qui baigna l'ensemble de ses occupants.

Et surtout, Athéna serait de retour dès le lendemain.

Toute sa garde dorée était enfin réunie et d'ores et déjà prête à l'accueillir, tout comme le reste de sa Chevalerie présente et impatiente.

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A suivre

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Merci d'avoir lu jusqu'au bout, j'espère que vous avez passé un bon moment !

Comme promis, la semaine prochaine - ou peut-être dans dix jours - en tous cas, au programme de la prochaine escale, un petit retour en arrière de quelques mois pour revenir sur la relation d'Angelo et de Shura.

Bonne continuation, à bientôt, si vous le voulez toujours.

Lysanea

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