Titre : Le fil rouge du Destin
Auteur : Lysanea
Disclaimer : aucun personnage ne m'appartient sauf Simon.
Pairing et personnages pour ce chapitre : Saga x Aioros, Kanon, Mû, Kiki, Simon.
Rating : T
Note : Bonjour à tous !
Merci à Julia13Verseau pour ta review encourageante et ta participation à l'aventure !
Merci à Mini-Chan pour ton message plein d'enthousiasme comme toujours, ça fait plaisir. Concernant Janus oui, je le connais, le Dieu aux deux visages, l'un tourné vers le présent et l'autre vers le passé. Tu dis que ça n'a rien à voir mais on peut quand même y voir un lien ! Toi aussi, tu connais beaucoup de choses 😊 Pour Athéna, je distingue vraiment deux phases chez elle. On a la jeune Saori Kido qui est une enfant pourrie gâtée, certes, mais qui grandit. Et à la fin de la Bataille des Douze Maisons (ou du Sanctuaire comme tu préfères), lorsqu'elle monte les marches avec les Ors survivants, elle devient vraiment Athéna. Un des Chevaliers le dit d'ailleurs, elle prend un peu de temps avant d'endosser sa lourde charge. Elle reste une des plus puissantes Déesses de l'Olympe, celle de la Sagesse et de la Guerre, ce qui parait presque antinomique. Et surtout, on le voit dans les différentes batailles qui suivent celle des Douze Maisons, elle aime profondément ses Chevaliers, et pas seulement les Bronzes. Et enfin pour Shura… Il va revenir, ils vont revenir, t'en fais pas ! Merci encore !
Merci pour votre soutien !
Bonne lecture !
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Le Fil rouge du Destin
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Chapitre Treize.
Celui qui a le choix a aussi le tourment.
(Proverbe allemand)
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Sanctuaire, Maison des Gémeaux
Appartements de Saga
Mai 1989
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Comme tous les vendredis soirs, Saga et Aioros s'étaient tranquillement installés devant la télévision pour regarder leur émission préférée.
Seulement ce soir-là, Aioros était un peu ailleurs, il regardait l'écran sans vraiment le voir, réagissait très peu aux interventions, répondait à peine aux commentaires de Saga et boudait totalement les petites choses à grignoter dont il raffolait, d'ordinaire.
Saga finit par éteindre la télévision au bout d'une petite heure et demie, avant de se tourner vers son compagnon.
Celui-ci le regarda, surpris.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- A toi de me le dire, 'Ros. T'es complètement ailleurs. Tu t'inquiètes pour Simon, c'est ça ?
- Aioros et Marine étaient allés en Autriche la veille et avaient ramené le petit orphelin au Sanctuaire dans l'après-midi.
Pour ne pas trop le perturber, Saga avait proposé de l'héberger les premières nuits, le temps de lui présenter tout le monde et surtout, les apprentis, dont il devait à terme rejoindre les quartiers.
Il dormait d'ailleurs déjà dans la chambre du Gémeau.
Le voyage et la découverte du Sanctuaire, les Douze Maisons, le Grand Pope, Athéna, les Chevaliers présents… tout ceci l'avait fatigué physiquement et émotionnellement.
Et il n'avait même pas encore rencontré Angelo, qui ne serait de retour que le lendemain, ni Camus, qui faisaient tous les deux toujours une forte impression aux apprentis.
- Non, je sais que tout ira bien pour lui, répondit Aioros. Il dort comme un bébé et ne se réveillera sûrement pas, grâce au chant apaisant d'Athéna qui l'a endormi.
- Pour ce qui est de cette nuit, oui, mais tu penses peut-être à plus tard, et notamment au fait que l'orphelinat e surtout 'Elrik vont beaucoup lui manquer ?
- Pourquoi parles-tu d'Elrik ?
Saga observa son compagnon quelques secondes en silence.
Il n'était pas à l'aise, que se passait-il donc qui le mit dans cet état ?
- Son visage est partout dans ton esprit, depuis que tu es rentré.
- Tu as lu dans mes pensées ? s'alarma Aioros de manière bien inhabituelle.
- Bien sûr que non ! le rassura Saga en posant sa main sur sa cuisse. Mais c'est suffisamment présent pour que je le sente même à la surface. Il s'est passé quelque chose en Autriche ?
- Plutôt sur le chemin du retour, avoua le Sagittaire après une courte hésitation. Je voulais t'en parler, mais je n'arrive toujours pas à trouver comment aborder le sujet.
- Et si tu me racontais, simplement ? Tu n'as pas à prendre tant de précaution, avec moi, amour.
- Je sais. C'est juste que c'est délicat.
- Je t'écoute, assura Saga en prenant sa main pour la porter à ses lèvres.
Aioros pinça les siennes, puis soupira et se lança en pressant très fort la main de son Gémeau.
- Simon m'a raconté leur dernière soirée, hier. Ils ont veillé tard dans un coin de leur chambre et ont beaucoup discuté. Simon a confié toutes ses angoisses par rapport à ce voyage vers l'inconnu, sa peur de ne pas s'entendre avec les autres enfants, qu'il soit le plus bizarre de « tous les bizarres », sa crainte de ne pas aimer la nourriture ou d'avoir trop chaud ou que les instituteurs soient méchants…
Cette énumération des appréhensions enfantines somme toutes très communes tira un sourire tendre à Saga.
- C'est normal d'avoir ce genre d'appréhension.
- Oui, bien sûr, acquiesça le Sagittaire. Il avait besoin d'en parler à son meilleur ami.
- Et Elrik a pu l'apaiser et le rassurer un peu, je suis sûr. C'est un petit garçon très intelligent et il tient énormément à son ami.
Le regard baissé sur leurs mains nouées, Aioros serra celle de Saga plus fort encore, avec un petit sourire à la fois tendre et ému.
- Elrik lui a dit que s'il m'avait pour père, il se sentirait capable de tout surmonter.
- C'est très touchant, 'Ros, mais…
- Saga ! le coupa-t-il en relevant ses yeux brillants vers lui, le faisant presque sursauter. S'il-te-plaît, ne referme pas la porte avant d'avoir exploré toutes les possibilités !
- Exploré toutes les… Attends, réalisa Saga, tu as pris sa phrase au sérieux ?
- Et pourquoi pas ?
- On est bien en train de parler d'adoption, là ? reformula le Gémeau pour être sûr, alors qu'un étrange sentiment le traversait.
- Oui…
Saga se détacha et se leva pour faire quelques pas, sous le regard inquiet d'Aioros.
- On a déjà réfléchi à la possibilité de faire venir Elrik ici, on en a conclu que ce ne serait pas le mieux pour lui.
- Pas dans les conditions qu'on avait envisagé. Mais j'ai réfléchi, depuis que j'ai parlé avec Simon et je vois les choses différemment. Tu veux bien m'écouter sans m'interrompre ?
Saga revint vers lui, mais pour s'asseoir dans le fauteuil à côté du canapé, plutôt que sur celui-ci, afin de mieux observer son amant.
- Je t'en prie, explique-moi tout.
- Je pensais que je pourrais adopter Elrik sur le papier, mais bien sûr, officieusement, on l'adopterait tous les deux, commença Aioros sur un ton déterminé. Il pourrait vivre avec nous, chez l'un ou l'autre, et trouverait peut-être même amusant d'avoir deux maisons, dans ce contexte. Le Sanctuaire, aujourd'hui, offre un formidable terrain de jeu. Il pourrait se lier aux autres enfants, même sans cosmos, parce qu'il n'appartiendrait pas au Sanctuaire, il serait mon fils ou le nôtre, si nous sommes autorisés à le présenter comme tel, ici. Il irait en classe avec les autres, ou nous pouvons tout aussi bien envisager de le scolariser dans une autre ville, à Athènes ou autour. Si l'un de nous deux ne peut pas le déposer ou le ramener à l'école, il aurait une bonne vingtaine d'oncles et tantes pour nous remplacer une ou deux fois. Le seul problème, j'en suis conscient, ce serait qu'il ne pourrait pas parler de son lieu de vie ou inviter des copains pour un goûter. Il faudrait discuter de cette partie-là. Mais le plus important, c'est qu'il pourrait être heureux, ici, il verrait Simon souvent, et il…
- Il serait avec toi.
- Tu ne devais pas m'interrompre, protesta Aioros en fronçant les sourcils un court instant, mais oui. Elrik aurait une vie de famille, avec nous, ce ne serait pas pareil que de venir ici simplement comme un orphelin pris en charge par le Sanctuaire, mais sans potentiel, perdu au milieu des autres apprentis et enfants.
- Et si ces derniers ne l'intégraient pas ?
- Nous leur apprenons à se battre pour l'amour d'Athéna, pour la justice, et pour protéger la Terre et les humains. C'est ce à quoi doivent servir leurs pouvoirs. Ils doivent faire preuve de tolérance et je suis persuadé que ça pourrait bien se passer. Avec un rappel à l'ordre, peut-être, je ne l'exclus pas.
- Ils peuvent le jalouser d'avoir une relation privilégiée avec nous. Chaque disciple d'un Chevalier d'Or a eu à subir des brimades, un jour. Ils ont fini par s'imposer d'une façon ou d'une autre, souvent en gagnant le respect et l'admiration face à leur potentiel et leurs exploits.
- Mais Elrik ne sera pas en compétition avec eux, rappela Aioros. Et nous le protègerons. Il aura un statut à part.
- Qui pourrait l'isoler davantage des autres, répliqua Saga.
- Et bien tant pis, il ne sera pas obligé de les côtoyer non plus ! Du moment qu'il a Simon et qu'il nous a, nous deux… Ça ne vaudrait pas le coup ?
Saga se leva à nouveau et refit quelques pas nerveux dans le salon.
- Aurons-nous suffisamment de temps pour lui ?
- Nous en avons bien pour nos disciples et les apprentis, maintenant que la Garde dorée est au complet.
- C'est notre devoir, objecta le Gémeau. Et élever un enfant, ce n'est pas la même chose que de former un disciple, je ne t'apprends rien, toi qui a autant élevé qu'entraîné Aiolia. Tu marquais bien la différence entre le grand frère et le maître.
- J'en suis conscient, en effet. Mais je nous en sais capable. Nous pouvons être des guides pour les apprentis, je peux continuer à former Seiya, tu auras peut-être la charge du futur Gardien de la Maison des Gémeaux, et ce, tout en élevant Elrik.
L'optimisme du Sagittaire le rendait parfois aveugle à la réalité de certaines situations.
- La partie sur son intégration pose de réelles questions, 'Ros, reprit Saga. Si Elrik est scolarisé en ville, c'est un nouveau risque pour le Sanctuaire. Aucune information ne doit sortir au-delà de Rodario. Plus il sera mystérieux sur son lieu de résidence et plus il attirera l'attention.
- Alors, il fera la classe ici, avec les autres. On fera en sorte que ça se passe bien. Je pourrais même être son instructeur, si besoin !
L'aîné des Gémeaux revint s'asseoir près du Sagittaire, cette fois-ci.
- Tu y tiens donc tellement ?
- Mais pas toi, je le vois bien, soupira Aioros, l'optimisme et l'enthousiasme douchés.
La boule dans son ventre était en train de remonter et de se coincer dans sa gorge.
- Je ne me sens pas aussi concerné, je ne te le cacherai pas, reconnut Saga avec honnêteté. Il y a eu quelque chose, entre vous, c'est indéniable, et ce, dès votre rencontre. Je peux le comprendre. Et j'ai aussi été touché par ce jeune garçon. Mais…
- Mais au-delà des interrogations que soulèveraient sa présence ici, il y a celles concernant sa place dans notre couple et notre vie, n'est-ce pas ? comprit le Sagittaire.
- Je ne sais pas si je serais prêt à intégrer un enfant dans notre relation, confirma-t-il. On en a même pas encore discuté, 'Ros...
- Je n'avais pas prévu de le faire si tôt, mais la situation ne me laisse guère le choix, Saga.
- Elrik n'est pas en danger, en Autriche, rien ne presse, rappela le Gémeau. Il a même peut-être encore des chances d'être adopté par une vraie famille.
Aioros se crispa à ces mots.
- Je croyais qu'on en était une.
- Tu sais ce que je veux dire, se défendit Saga en prenant sa main. Bien sûr que tu es ma famille, qu'on forme une famille, mais peut-être pas la meilleure pour un enfant de 8 ans qui n'en a jamais connu, et qui n'a pas de cosmos.
- Je n'aurais jamais cru que tu aurais de tels préjugés, se désola le Sagittaire en se levant, peiné et déçu. Ce qui compte, c'est l'amour, non ? Pas les genres ou le sang !
- Je suis d'accord, acquiesça le Gémeau, debout à son tour. Mais il n'empêche qu'il existe des codes et qu'il faut savoir les respecter. Nous ne sommes pas une famille normale, Aioros, pas de celles qui peuvent offrir un avenir sécurisé à un enfant ordinaire. Tu peux bien le reconnaître, non ? Même si le Sanctuaire est plus ouvert qu'auparavant, cela reste un univers relativement cloisonné, hors du monde et du temps. Comment Elrik s'intégrera-t-il dans la société, après avoir grandi ici ?
- Il suffit d'avoir confiance en nous, Saga. On peut lui faire découvrir le reste du monde, il n'a pas à être enfermé ici, les temps ont changé. Il n'a aucun devoir envers le Sanctuaire, aucune mission à accomplir. Nous l'élèverons jusqu'à ce qu'il puisse voler de ses propres ailes et choisir sa voie ailleurs, s'il le souhaite ou rester, car il aurait toujours sa place parmi nous. C'est ce que font les familles, non ? Donner des racines, surtout à des orphelins qui ne connaissent pas les leurs, et des ailes, pour s'épanouir et voler au plus haut, le plus loin.
Aioros était triste.
L'opposition ferme de Saga le blessait vraiment.
Il pensait naïvement qu'ils seraient toujours sur la même longueur d'ondes, tant leur couple était fusionnel, depuis les quelques mois qu'il durait.
Il se rappela furtivement ce qu'il s'était passé avec Kanon et Rhadamanthe, une semaine plus tôt.
Et alors qu'il avait lui-même alerté Saga sur la possibilité qu'ils fussent aussi, un jour, tous les deux opposés sur un sujet, il se rendait compte qu'il n'y avait pas été suffisamment préparé.
Ça faisait très mal, en vérité.
- Mon amour… commença Saga, percevant sa détresse.
Mais Aioros le coupa en levant la main entre eux.
- C'est bon, j'ai compris ton point de vue. Je suis désolé d'avoir amené ce sujet sur le tapis. Et merci d'avoir été franc.
- Tu n'as pas à t'excuser, c'est plutôt à moi de le faire, lui dit Saga en prenant sa main pour l'empêcher de s'éloigner.
- Pas besoin. Je te remercie de m'avoir écouté. Je vais rentrer, maintenant, il est tard, conclut-il en se libérant de Saga doucement.
Ce dernier le suivit, alors qu'Aioros gagnait déjà l'entrée de ses appartements.
- Tu peux rester encore un peu, l'émission n'est sûrement pas finie.
C'était maladroit, mais Saga n'avait rien trouvé de mieux.
Aioros lui sourit pourtant, mais sans chaleur.
- Je n'ai pas trop envie de la regarder, ce soir. Je vais rentrer dormir. On se voit demain, ajouta-t-il encore.
Il l'embrassa rapidement et chastement, une simple et furtive pression sur les lèvres du Gémeau.
C'était tout ce dont il se sentait capable, après avoir été blessé.
Il ne lui était pas possible de faire comme si tout allait bien.
Aioros prenait sur lui, mais ne pouvait masquer sa peine.
Saga le laissa donc partir, le cœur lourd.
S'il n'y avait pas eu Simon dans sa chambre, il aurait insisté pour qu'Aioros restât, ou il l'aurait suivi chez lui.
L'aîné des Gémeaux retourna prendre place dans son canapé et réfléchit à tout ce qui venait de se passer.
Il repassa en boucle leur échange, les paroles, les attitudes, les regards…
Après la forme, vint le fond.
De quoi avaient-ils parlé, qu'y avait-il derrière leurs mots et leurs réponses, que révélaient leurs convictions, la détermination de l'un, l'opposition de l'autre… ?
Près de deux heures passèrent sur Saga, alors qu'il demeurait là, immobile sur son canapé, les yeux dans le vague et le cerveau tournant à plein régime.
Il était presque minuit, lorsqu'il bougea enfin et se leva.
Sa décision était prise.
Ne souhaitant pas laisser Simon seul dans son Temple pour sa première nuit, même s'il savait qu'avec le chant d'Athéna qui l'avait bercé, il ne se réveillerait probablement pas avant l'aube, il dût renoncer à son envie d'aller trouver directement Aioros.
A la place, il tenta d'établir un lien télépathique.
Les deux amants étaient continuellement connectés, tout en respectant leur intimité et leur propre espace de liberté individuelle. Il suffisait donc d'une simple pensée pour établir le contact.
Mais Saga sentit une légère distance, cette fois-ci, qui ne devait pas être volontaire, cependant, alors il insista un peu.
*Mon amour…*
Un silence, puis…
*Que se passe-t-il, il est tard. Simon va bien ?
Oui, il dort. Je suis désolé de te déranger ou de t'avoir réveillé, mais ça ne pouvait pas attendre demain.
Je ne dormais pas.
C'est à cause de moi, n'est-ce pas ?
Tu as le droit d'avoir un autre avis que le mien, Saga. Nous ne pouvons pas être d'accord sur tout. C'est un peu difficile à avaler, laisse-moi juste un peu de temps pour gérer ma...
Non, c'est plutôt l'inverse.
Comment cela ?
C'est moi qui ait besoin de temps, 'Ros. Je suis ton aîné d'un an, pourtant, c'est toi le plus adulte de nous deux.
Qu'est-ce que tu racontes ?
Tu as eu un aperçu de ce qu'était une vie normale, pendant dix ans. Moi, j'ai arrêté de vivre, à ta mort. Je n'ai pas grandi, tu sais, pas sur certains aspects. Je suis un gamin égoïste et capricieux, en vérité.
Je suis désolé, c'est peut-être la fatigue, mais ne comprends pas de quoi tu parles, Saga, vraiment…
Nous venons de nous retrouver et quelque part, je veux encore profiter de notre relation telle qu'elle est. Juste toi et moi, Aioros et Saga. Je ne veux pas que les choses changent tout de suite. Je suis immature émotionnellement, car je veux garder cette insouciance que je ressens, quand on est ensemble. On a tous les deux tellement de responsabilités au Sanctuaire, tant de gens qui comptent sur nous, que j'apprécie lorsqu'on se retrouve tous les deux dans notre intimité, qu'on ait plus à penser qu'à nous, sans charge ni pression, sans attente. Et que ma seule mission soit alors de te rendre heureux. Je suis un Chevalier responsable, mais un homme amoureux immature. Je suis tellement désolé, mon amour, tu pensais pouvoir compter sur moi et je dois tellement te décevoir !*
Aioros ressentit beaucoup de choses, vraiment, mais de la déception…
Non, certainement pas et à aucun de ses mots.
Il réalisa plutôt qu'il n'avait pas pris en compte un fait très important : Saga vivait avec lui sa première relation amoureuse.
Malgré la certitude qu'ils partageaient tous les deux de vouloir être, vivre et vieillir ensemble, le construction de leur route commune comprenait plusieurs inconnues.
Et il était aussi normal que Saga voulut prendre son temps pour en poser les pavés un à un.
Aioros l'avait projeté trop loin sur cette route, l'obligeant à courir et faire un bond alors qu'il voulait encore marcher et profiter de la balade, de chaque pas qu'ils faisaient ensemble, main dans la main.
Saga n'était pas immature, égoïste ou capricieux.
Il était seulement un jeune amoureux, novice et débutant dans ce type de relation qu'il expérimentait pour la première fois, car il avait repris sa vie là où la précédente lui avait été volée : à 15 ans.
Ils se l'étaient souvent dit, surtout au tout début de leur relation, qu'ils avaient l'impression d'être redevenus des adolescents.
Mais là où ce n'était pas plus qu'une impression pour Aioros, c'était plus réel et concret chez Saga, qui le vivait vraiment comme tel.
Le Gémeau était si puissant, si impressionnant de prestance et de charisme, avec son aura de chef et de guide admiré et respecté, qu'on avait envie de suivre au bout du monde et de sa vie, il avait une telle assurance naturelle que le Sagittaire avait été aveuglé, à des lieues d'imaginer ce paradoxe chez lui.
A l'image du signe double dont il était le Gardien, Saga possédait deux facettes dominantes de sa personnalité, dont l'une, plus vulnérable et sensible, moins assurée, était réservée à de très rares personnes et principalement, à son amant.
A la lumière de ce que venait de lui confier son compagnon, Aioros le mesurait à présent pleinement.
Et il le sentit au plus profond de son être, à cet instant précis, alors qu'il l'aimait déjà si passionnément et de manière si absolue, Aioros retomba littéralement amoureux de Saga.
Il lui fallut huit secondes pour réaliser tout cela, deux autres pour prendre sa décision, et encore quelques-unes pour l'appliquer.
Jamais le Sagittaire n'avait descendu le Grand escalier de pierre millénaire aussi rapidement.
Un rayon de lumière perça la nuit et traversa les cinq Maisons qui le séparaient de celle des Gémeaux.
Un éclair qui fut à peine ressenti par Aiolia et Shaka, les deux seuls Gardiens présents chez eux, et dont la familiarité les rassura suffisamment pour ne pas réagir davantage.. même si Aiolia eut une hésitation face à ce comportement étrange de son aîné.
Mais à cette heure de la nuit, il jugea qu'il valait mieux les laisser tranquille, il prendrait la température au matin, si besoin...
Saga, qui attendait fébrilement la réaction d'Aioros à son aveu, crut qu'il délirait, lorsqu'il sentit le cosmos de son amant à la porte de ses appartements.
*Je peux entrer ?*
Avec appréhension, Saga alla directement ouvrir la porte.
Il n'eut pas le temps de lire quoi que ce fut sur le visage d'Aioros, car celui-ci l'enferma littéralement entre ses bras en les enroulant autour de son corps pour le serrer fort contre lui.
Une des mains d'Aioros, plongée dans l'abondante cascade d'or des cheveux de Saga, appuyait sa tête contre la sienne, alors que la deuxième s'accrochait à son épaule,
- Qu'est-ce que… pourquoi… ? articula difficilement le Gémeau, submergé par une vague d'émotion fortement influencée par celle qui traversait son Sagittaire au même instant.
- Tu ne peux pas me dire ce genre de choses et attendre de moi que je reste sagement de mon côté, amour. Par Athéna, ce que je peux t'aimer, Saga des Gémeaux ! Tu me rends fou…
- Je ne comprends pas, tu n'es pas déçu ?
- Et comment pourrais-je l'être ? demanda Aioros en se reculant légèrement pour le regarder dans les yeux. Je suis tellement désolé de ne pas avoir compris plus tôt…
- Je n'ai pas été suffisamment clair, certainement.
- Non, c'est seulement que je me suis laissé aveugler et envoûter par tout ce que tu dégages. Tu es si sage, si expérimenté, si admirable et si inspirant dans tant de domaines, mon aimé, que J'ai oublié que ce qu'on vit, tous les deux, c'est tout nouveau, pour toi. C'est normal que tu veuilles prendre ton temps et savourer chaque étape. C'est aussi mon souhait. Mais ma rencontre avec Elrik a bouleversé ma vision des choses et m'a projeté plus loin sur notre chemin. J'ai fait ce saut sans réfléchir, en pensant que tu le ferais naturellement avec moi. Je suis allé trop vite, pardonne-moi.
- La situation ne permet peut-être pas de prendre son temps. Même si, comme je l'ai dit plus tôt, Elrik n'est pas en danger en Autriche, il y a tout de même la vie, l'avenir et le bonheur d'un enfant, en jeu, derrière.
- En effet. Mais je ne veux pas qu'on prenne cette décision pour de mauvaises raisons ou sous un faux prétexte. On doit le faire parce qu'on le veut tous les deux, parce qu'on est prêt pour cela, et non parce qu'on se sent coupable ou qu'on aimerait sauver tout le monde. Cela ne sera pas bénéfique sur le long terme, auquel cas.
- Non, n'est certain. Tu ne m'en veux vraiment pas, alors ? demanda-t-il ensuite confirmation.
- Aucunement. Et toi ?
- Bien sûr que non !
Aioros serra de nouveau Saga dans ses bras et appuya son front contre le sien, soulagé.
- Tu sais, ce n'est pas un non, reprit le Gémeau après un court silence. C'est plutôt un « pas tout de suite ». J'ai besoin d'un peu de temps.
- Je comprends, assura le Sagittaire en s'écartant pour tenir son visage en coupe entre ses mains. Prends tout celui dont tu as besoin. Je te suis reconnaissant d'y réfléchir.
Pour toute réponse, Saga l'embrassa longuement.
Après ce tendre échange, ils s'appuyèrent de nouveau l'un contre l'autre.
- Je vais rentrer, souffla finalement Aioros contre les lèvres rougies de Saga.
- Tu peux rester dormir ici, ce n'est pas la place qui manque. Il y a les deux chambres du fond, sinon, mon canapé et même celui de l'espace commun. Comme ça, tu pourras prendre le petit-déjeuner avec Simon et moi, demain matin. Enfin, tout à l'heure, corrigea-t-il en avisant l'heure tardive qu'indiquait l'horloge du salon.
- C'est vraiment tentant…
- Alors accepte. Il sera ravi. Et moi aussi.
- D'accord. Je vais dans l'espace commun, comme ça tu resteras plus proche de lui. C'est avec toi qu'il voulait dormir, à la base.
Saga hocha la tête.
- Je vais te préparer le lit.
- Non, refusa Aioros. Si tu t'approches du canapé avec moi, je t'y kidnappe et je ne te laisse plus repartir.
- Il ne faut pas me dire ce genre de choses, amour. J'aurais tellement préféré qu'on dorme ensemble, surtout après une telle conversation et une telle soirée...
- Pourquoi ne pourrions-nous pas, si on reste habillé ? Simon et Elrik nous ont démasqué en Autriche, alors même si Simon se réveillait avant nous, cela ne le choquerait pas de nous voir ensemble dans le même lit, tu ne crois pas ?
Saga se rappela l'étonnement qui les avait saisi, Aioros et lui, lorsque, alors qu'ils quittaient sa chambre pour rejoindre le Directeur, Simon leur avait dit qu'ils étaient « de beaux amoureux ». Quand Aioros lui avait demandé pourquoi il pensait qu'ils étaient amoureux, c'est Elrik qui leur avait répondu que leurs « couleurs se mélangeaient » comme celles du Directeur et de sa femme, ou d'une autre animatrice avec son ami qui venait souvent la chercher.
Les deux hommes n'avaient ni confirmé, ni nié, mais seulement remercié les enfants.
- On aime bien se câliner, au réveil. Je recherche toujours tes bras pour m'y blottir.
Aioros sourit.
C'était effectivement une manie de Saga, de chercher comme un refuge entre ses bras pour s'y boudiner.
Et il trouvait cela adorable au possible.
Il espérait que jamais Saga ne s'en déferrerait.
- C'est vrai, mais c'est mignon.
- Peut-être, mais il arrive qu'on ne soit pas très sages, après cela. Oublier la présence de Simon est un risque possible, en tous cas pour moi. Souviens-toi, je suis un ado immature et inexpérimenté.
- Tu n'es pas non plus soumis à tes hormones, protesta Aioros avec un petit rire étouffé, Et tu es plus qu'expérimenté en ce qui concerne les relations plus… charnelles.
- Je ne me souviens pas de ces moments-là, rappela Saga, les mâchoires serrées.
Aioros caressa tendrement sa joue du revers de ses doigts.
- Mais ton corps, si. Alors au lieu de regretter et de souffrir d'un fait qu'on ne peut changer, autant en profiter. Je ne vais pas me plaindre de ça, j'en suis le principal bénéficiaire. Pour le reste… Quand bien même tu voudrais te cacher derrière une certaine forme d'immaturité, tu restes un adulte responsable. Sans compter que je suis là, moi. Il n'y a donc aucun risque pour Simon.
- Tu tiens vraiment à rester et qu'on dorme ensemble, hein ?
- Oui, confirma-t-il en frottant son nez au sien. Beaucoup.
- D'accord.
Aioros étouffa son rire contre la partie dénudée de son épaule, le faisant délicieusement frissonner.
- Tu n'as pas été bien difficile à convaincre !
- J'ai confiance en toi, assura Saga en se détachant avec un doux sourire.
Toujours en souriant, il commença à débarrasser le canapé de ses coussins pour pouvoir le transformer en lit.
Tout sourire lui aussi, Aioros alla chercher les draps pour l'aider à préparer leur espace nuit provisoire.
Un petit nid qu'ils ne tardèrent guère à rejoindre, tendrement enlacés jusqu'à l'endormissement total.
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Le lendemain matin.
Appartement commun des Gémeaux.
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- Bonjour, Aioros. Ça va ?
- Oh, bonjour, Kanon ! répondit le Sagittaire en souriant à son aîné qui venait de sortir de ses appartements. Je vais bien, et toi ?
- Hn. Tu fais du café ?
- Oui, on est à court à côté.
- Moi aussi, expliqua-t-il en montrant son mug vide.
- J'ai prévu toute une cafetière, ça tombe bien. C'est presque prêt.
- Merci.
Kanon se percha sur un haut tabouret et posa son mug sur le bar de la cuisine, ouverte sur le salon.
- Vous n'utilisez plus la cafetière moka que vous aviez ramené d'Italie ?
- Si, mais on l'utilise pour les pauses café de la journée. Le matin, on est plutôt gros mugs que petites tasses !
- Oui, c'est vrai. Ça fait longtemps qu'on a pas pris le petit-déjeuner ensemble, j'avais presque oublié.
- Justement, c'est l'occasion, puisque tu es là plus tôt que d'habitude : joins-toi à nous ! Saga a fait du pain et plein d'autres bonnes choses pour Simon. Aldébaran a pressé au moins un kilo d'oranges et autant de citrons à mains nues pour nous, avant de descendre aux arènes. Mu est là aussi avec Kiki, il a apporté son fameux tsampa (1). C'est ce qui se rapproche le plus du porridge autrichien que mangeait Simon le matin à l'orphelinat.
- C'est très gentil à eux et à toi. Les nouveaux apprentis sont vraiment bien accueillis, aujourd'hui.
- Ils ne sont pas nombreux, et nous sommes au complet, assez disponibles, alors c'est possible et tant mieux. Tu es le bienvenu à notre table bien garnie.
- L'odeur du pain embaume tout le Temple et tout ce que tu me décris donne envie, mais je n'ai pas faim. Merci, Aioros.
- Saga te mettra un peu de tout de côté, de toute façon, comme d'habitude ! Mais ça aurait été bien de t'avoir avec nous…
- Désolé, une prochaine fois avec plaisir, même avec un petit-déjeuner plus modeste. Et tu peux rappeler à Saga que je ne lui en voudrais pas s'il ne me gardait rien. J'ai parfois l'impression qu'il pense que je ne peux pas me nourrir seul, ou que je ne mange pas suffisamment chez Rhad'…
- C'est un moyen de prendre soin de toi, simplement.
- Il est mon aîné d'une poignée de secondes, on a le même âge, je n'en ai pas besoin, grimaça-t-il.
- Mais lui, si. On communique aussi ses sentiments en faisant à manger pour quelqu'un ou en partageant son repas.
- Je l'avais bien compris, mais ce n'est pas la peine d'en faire autant.
- Essaie de le supporter encore un peu, ça va finir par lui passer, assura Aioros en souriant. Dans quelques années…
- Moque-toi, te gêne pas !
- Je te taquine, mais je suis persuadé qu'il finira par être plus serein et qu'il te témoignera son affection autrement.
- On verra bien. S'il avait à s'occuper d'un gamin, ça aiderait. Mais y a pas de jumeaux parmi les apprentis pour le moment, ajouta-t-il en notant le curieux regard d'Aioros, bien que furtif. Donc pas de disciples potentiels pour la Troisième Maison.
- Ça peut encore arriver.
- Quelque part, je ne l'espère pas, confia Kanon en s'étirant. Les jumeaux Chevaliers subissent souvent la malédiction des Gémeaux. Je n'ai pas spécialement envie de voir deux frères se déchirer.
- Je comprends. Mais vous avez bien déjoué le sort, Saga et toi.
- On a eu une deuxième chance. Ce n'est pas donné à tout le monde.
- En effet. Mais vous pourrez tout de même montrer l'exemple. Un très bel exemple.
Le Gémeau laissa échapper un petit rire.
- Venant d'un grand frère qui a la relation la plus parfaite possible avec son cadet, je prends ça comme un vrai compliment.
- Tu peux, car c'en est un.
- Merci, répondit Kanon, un peu gêné.
Le sourire d'Aioros était réellement troublant, sa lumière et sa chaleur étaient uniques.
Comment Saga avait-il pu le maintenir à distance de lui si longtemps ?
Oh, Kanon connaissait la réponse : son insupportable et pourtant si compréhensible culpabilité seule lui avait permis cet exploit.
Aioros éteignit la cafetière qui terminait de filtrer le café dans un gargouillement digne d'un ventre affamé, puis versa le liquide brûlant dans leurs mugs.
- Tu ne veux pas te joindre à nous, même sans manger ?
Kanon secoua la tête.
Aioros l'observa, alors qu'il trempait déjà ses lèvres dans sa tasse, sans craindre de se brûler.
- Est-ce que tout va bien ? lui demanda-t-il en dosant le café pour relancer la cafetière. Tu es revenu tôt, ce matin, non ? Sans vouloir être indiscret ou intrusif…
- Je suppose que j aurais les mêmes questions de Saga, alors autant répondre maintenant.
- C'est vrai, je m'étonne qu'il n'ait pas déjà débarqué, d'ailleurs… remarqua-t-il en jetant un œil vers les appartements de Saga.
- C'est sûrement parce qu'il sent que je suis bien, puisque tout va bien. Rhad' a été appelé en urgence, j'avais aucun intérêt à rester chez lui sans lui. Surtout sans un café digne de ce nom...
- Je vois. J'espère qu'il n'y a rien de trop grave.
- Apparemment, il y aurait eu un glissement de terrain au Mexique, il y a quelques jours. Les rites funéraires ont souvent déjà été accomplis, alors les âmes affluent en nombre, surtout depuis l'aube. Normalement, c'est Eaque qui s'occupe de cette partie du monde, depuis sa découverte, donc s'il a fait appel à son frère, c'est qu'il y a malheureusement beaucoup de travail.
- C'est terrible… se désola Aioros. Je n'en ai pas entendu parler, pourtant j'écoute toujours les informations de la mi-journée à la radio.
Kanon secoua la tête de gauche à droite.
- Je doute qu'on en parle, et si c'est le cas, ce sera très rapide. Rhad' m'a dit que c'était courant, dans cette région. S'il n'y a pas de victimes étrangères ou une découverte archéologique qui en résulte, ni de destruction d'un patrimoine mondialement connu et répertorié, y a fort à parier que ça passera inaperçu.
- C'est tragique, soupira Aioros. J'espère que le plus grand nombre a pu être secouru.
- Rhad' en saura sûrement plus ce soir, je te tiendrai au courant, si tu veux, dès demain.
- Oui ! Je vais en parler à Athéna, Elle voudra sûrement qu'on prie avec Elle pour ces pauvres gens. Et il est possible qu'Angelo soit envoyé pour guider les âmes errantes ou égarées, il doit y en avoir pas mal, après une mort si violente. Il doit rentrer de mission aujourd'hui, mais il pourra sûrement y faire un crochet avant. Après tout, sa rencontre avec Simon peut attendre encore un peu.
Kanon lança un regard appuyé à Aioros, avec son petit sourire en coin habituel.
- Qu'y a-t-il ? J'ai dit quelque chose d'étrange ? demanda ce dernier, intrigué.
- Non. C'est juste que tu as les réflexions et les réactions d'un Grand Pope, c'est toujours aussi impressionnant.
- Je n'ai pas cette prétention ! se défendit le modeste Sagittaire entre deux gorgées de café.
- Non, c'est totalement naturel, presque instinctif, chez toi. Comme chez Saga. C'est une bonne chose pour le Sanctuaire et chacun de nous. Pour le monde aussi.
- C'est ton frère qui succédera à Shion, je n'en ai pas le moindre doute.
- Tu le mériterais tout autant que lui. Mais c'est un vaste débat et non seulement, il est trop tôt dans la journée pour cela, mais aussi et surtout, tu es attendu.
- Oui, mais je peux bien prendre un premier café avec toi ! Ils sont bien, tous les quatre, je pouvais les laisser terminer de tout préparer seuls un moment.
- Dans ce cas, tu permets que j'en profiter pour te poser une question rapide, avant que tu ne les rejoignes ?
Le Sagittaire reposa sur la table les tasses qu'ils venaient de remplir et de prendre, car il avait pensé que leurs derniers mots mettaient un terme à leur discussion. Il n'avait pas imaginé que Kanon avait quelque chose à lui dire de plus.
- Je t'écoute, bien sûr.
- Rhadamanthe m'a parlé de ton Jugement.
- Ce n'est pas confidentiel, ce genre de données ? s'étonna Aioros. Enfin, j'imagine que ça n'a pas besoin de l'être… se reprit-il avec un petit rire en se frottant l'arrière du crâne.
- Je t'avoue que je ne sais pas. En tous cas, il m'a juste rapporté un détail, mais qui a son importance.
Aioros s'appuya contre la table et croisa les bras, pensif.
- Cela fait partie de la mémoire qui m'a été rendue, étrangement, mais c'est assez flou, je n'ai pas beaucoup de souvenirs. Je n'y ait même plus trop pensé, jusque-là… Qu'a-t-il évoqué ?
- Au terme de ton audience, tu avais deux possibilités : aller sur les Îles des Bienheureux (2), récompense ultime des âmes les plus vertueuses, ou bien te réincarner. Et tu as refusé l'une et l'autre.
- Oui, je vois... Rhadamanthe ne t'a pas expliqué pourquoi ?
- Il m'a dit que c'était à toi de me répondre, si tu le souhaitais. Mais comme tu viens de me dire que tu ne te souvenais pas vraiment, je suppose que je ne saurais jamais pourquoi…
Le Sagittaire eut un petit sourire.
- En effet, mais cette partie-là n'est pas concernée. Le souvenir est intact. Ce doit être une volonté des Juges, il faudra éventuellement demander confirmation à Rhadamanthe.
- Je lui poserai la question. En attendant, est-ce que tu accepterais de me répondre ? Si tu veux bien…
- Bien sûr, Kanon. Mais d'abord, je pense que tu sais déjà quelles sont les conditions pour séjourner sur ces Îles, ou pour être réincarné, je me trompe ?
- Il faut boire les eaux du Léthé, répondit immédiatement Kanon. (3)
- Le Fleuve de l'Oubli, conpléta Aioros. On y abandonne tout souvenir de sa vie terrestre, on se défait de tous les sentiments qui y sont rattachés. Pour vivre en paix et dans la contemplation, libéré de tous désirs humains. Ou pour renaître à la surface, vierge de toute vie passée.
- Tu ne voulais pas oublier… conclut Kanon en terminant son café.
- Non, confirma le Sagittaire avec un doux sourire. Mes premiers souvenirs remontent à l'âge de quatre ans, environ, et ils ont trait à de nombreux moments très précieux avec Saga. Ensuite, il y a eu la naissance d'Aiolia, quand j'avais sept ans.
- Mais ce jour-là, tu as également perdu ta mère, morte en couches. Et quant à Saga, le dernier souvenir que tu avais de lui, c'était lors de son attaque contre Athéna et contre toi…
Le Neuvième gardien prit le temps d'une nouvelle gorgée de café, avant de répondre.
- Perdre ma mère a été douloureux, c'est vrai, mais elle m'a confié la charge d'Aiolia, mon adorable petit frère. Quant à Saga… ce n'était pas lui et je l'avais déjà senti, qu'il n'était plus vraiment là. C'est cette confirmation qui m'a fait le plus souffrir. Il était perdu, le mal l'avait englouti. Mais franchement, Kanon, ce n'étaient que deux souvenirs pénibles au milieu de tellement d'autres merveilleux ! reprit-il en souriant avec tendresse. Il était hors de question que j'oublie Aiolia et Saga.
- Mais où étais-tu, alors ?
- Il y a une partie des Îles qui est gouvernée par Rhadamanthe, où les âmes vertueuses qui l'ont choisi attendent leur réincarnation. Il ne t'en a pas parlé ?
- Si, en effet, il me l'a même indiqué depuis la rive. C'est la partie la plus proche de la surface.
- Exactement. Eaque, qui avait présidé à mon Jugement, a consulté ses frères face à mon refus d'opter pour l'une ou l'autre des possibilités offertes. Alors, bien que n'ayant pas bu les eaux du Léthé, Rhadamanthe a proposé de me laisser résider temporairement dans cette partie qu'il régissait.
- Temporairement ?
- Oui. Il disait qu'avec le temps, mes souvenirs deviendraient douloureux, que des sentiments tels que les regrets, le manque et la culpabilité me rongeraient de plus en plus profondément. Et quand cette torture serait devenue trop insupportable, il entendrait mon âme hurler et il reviendrait alors me chercher pour m'opposer à nouveau ce même choix. Et tu sais, Kanon, je n'ai pas encore eu l'occasion de lui dire, mais je lui serai éternellement reconnaissant d'avoir permis cela.
- Moi aussi, résonna la voix de Saga, alors qu'il les rejoignait. Bonjour, Kanon, ajouta-t-il en embrassant son frère.
- Salut... ?
Ils ne l'avaient même pas senti arriver, ce qui les étonna tous les deux.
- J'ai camouflé mon cosmos pour ne pas que vous vous interrompiez, expliqua l'aîné. Je voulais tout entendre jusqu'au bout. Désolé.
- Ce n'est rien, assura Aioros. Ce n'est pas comme si je voulais le cacher.
Saga déposa un baiser appuyé sur sa tempe.
- Merci d'avoir fait ce sacrifice.
- Merci à toi de m'avoir donné autant de bonnes raisons de faire ce choix, répondit-il avec un doux sourire amoureux.
Avisant que la cafetière était de nouveau pleine… et qu'il était temps de partir - Kanon remplit son mug de café et se leva.
- Merci d'avoir accepté de me répondre. Et désolé de t'avoir retenu.
- Est-ce que je peux te demander comment vous en êtes venus à parler de ça ? l'arrêta Aioros, alors qu'il se détournait déjà d'eux.
Kanon leur refit donc face.
- Lorsque nos âmes ont été temporairement enfermées et torturées, aux Enfers, la tienne n'y était pas. Je me doutais bien que c'était le cas, alors j'ai demandé à Rhad' qui me l'a confirmé. C'était logique, car à part devant le Mur des Lamentations, tu ne t'étais jamais opposé à un seul Dieu, tu n'avais pas réellement combattu Hadès. Mais où les Juges avaient-ils donc été chercher ton âme, pour notre résurrection ?
- Ce n'est pas tout à fait vrai, nuança Aioros. A travers l'armure du Sagittaire, je me suis aussi opposé à Poseidon. C'est la Flèche d'or du Sagittaire que j'ai confié à Seiya qui a percé le dernier pilier.
- Oui, en effet.
- Dans ce cas, pourquoi Aldebaran a été soumis à la même torture que nous ? demanda Saga. Il n'a pas pris part à la bataille contre Poseidon et a à peine eu le temps de combattre, lors de la précédente Guerre sainte.
- C'est ce que j'ai fait remarquer à Rhadamanthe, répondit Kanon. Pour le cas d'Aioros, c'est son sacrifice pour sauver Athéna qui lui a valu cette récompense. Un acte héroïque pour sauver sa Déesse d'un mortel. Ce qui est différent de se battre pour sa Déesse, contre un autre Dieu.
- Le Lémure est pourtant une forme d'entité divine, puisqu'il fut créé par la Déesse Ker, objecta Aioros.
- Un fait que tu ignorais, à l'époque, rappela Saga.
- Exactement, confirma Kanon. Je ne devrai peut-être pas le dire, mais Rhadamanthe t'admire pour ton entière dévotion à Athéna, entre autres.
- « Entre autres » ? releva Saga en haussant un sourcil.
Ce qui fit sourire Aioros, ainsi que Kanon, dans une certaine mesure.
- Même qu'il ne figurera jamais dans aucun Livre des records, Aioros est le meilleur archer au monde, Saga, je ne t'apprends rien.
- Et ton Juge est sensible à ce genre de fait ?
- Évidemment. Mon Juge a appris au grand héros Hercule à tirer à l'arc. Tu l'ignorais ?
- Si je l'ai su un jour, je l'ai oublié.
- Moi je le savais, intervint Aioros. On raconte aussi qu'Artémis Elle-même l'aurait parfois convié à des parties de chasse.
- En revanche ça, je l'ignorais. Il faudra lui poser la question, à l'occasion.
- J'attends encore un peu qu'on se connaisse mieux et je lui proposerai surtout une session d'entraînement avec moi, confia Aioros. Tu crois qu'il serait d'accord, Kanon ?
- J'en mettrai ma main à couper ! assura-t-il avec un sourire en coin. Il finira même peut-être par te le demander lui-même, un jour.
- Tant mieux ! se réjouit le Sagittaire avec enthousiasme. Ce sera sûrement très impressionnant de me mesurer à lui, mais ce sera un grand honneur. J'espère être à la hauteur, ce jour-là, et ne pas le décevoir ni l'ennuyer !
- Bien sûr que tu le seras, assura Saga en passant tendrement sa main dans ses boucles de bronze. Tu es un archer d'exception. Ce sera un honneur pour lui, surtout.
- N'exagère pas !
- Tu es trop modeste.
- C'est ça que Rhad' apprécie aussi beaucoup chez toi, révéla Kanon. Ta grande humilité. Il a très mal pris l'arrogance de Mu, Aiolia et Milo, lors de leurs affrontements.
- J'avais oublié cette histoire, grimaça Saga.
- Il faudra que l'un de vous me la raconte. Qu'Aiolia et Milo puissent paraître arrogants, passe encore, mais Mu ? Je suis aussi sceptique que curieux.
- Je t'expliquerai, et Mu pourra même le faire ce matin, puisqu'il est là. D'ailleurs, allons prendre notre petit déjeuner, Simon et Kiki doivent s'impatienter, même s'ils sont sous bonne garde.
- Oui, c'est vrai ! Kanon, notre discussion ne t'a pas ouvert l'appétit ? Tu ne veux toujours pas te joindre à nous ?
- Quoi, tu ne viens pas ? s'étonna l'aîné.
- Non, merci à tous les deux, le café me suffit, répondit-il en levant son mug.
- Comme tu veux...
- Je comprends que tu aies envie de calme, concéda Saga. Mais je vais te chercher du pain et d'autres choses.
- C'est pas obligé, tu sais ! l'arrêta Kanon. Par contre, je vais aller saluer Mu et les gamins rapidement.
Saga, qui avait ouvert sa porte, fronça les sourcils.
- T'en veux pas ?
- Si, mais si j'en ai pas, ce n'est pas grave. Vous êtes cinq dont deux enfants, et…
- Nous sommes six, rectifia l'aîné des Gémeaux. T'en veux, t'en auras, point, décréta-t-il fermement en laissant passer son frère et son compagnon.
- Ok… Mais seulement une fois que vous aurez fini et s'il en reste.
- Kanon…
- Saga… répliqua-t-il sur le même ton.
Ce dernier soupira, mais céda.
- D'accord.
Ou fit semblant de le faire.
Kanon n'était pas dupe, il se doutait bien que Saga ne l'écouterait pas et lui préparerait un vrai petit panier avant même de commencer le petit-déjeuner.
Mais il ne voulait pas débattre, il ne les avait déjà que trop retarder.
- Merci à vous deux, leur dit-il avec un regard appuyé.
Il s'avança dans la partie salle-à-manger du séjour où Mu, Simon et Kiki étaient réunis autour d'une table effectivement bien garnie.
Malgré les demandes répétées de se joindre à eux, Kanon tint bon et après quelques minutes de joyeuses taquineries avec les enfants et quelques mots avec Mu, il les laissa et regagna ses propres appartements.
Kanon partit, Aioros et Saga s'excusèrent pour leur retard.
Tout allait bien, Mu avait géré la situation et les enfants, bien qu'impatienta, avaient attendu poliment que tout le monde soit à table pour commencer à manger.
La principale mission du Premier gardien avait été de canaliser Kiki, qui bombardait Simon de questions et le noyait sous un flot de paroles enthousiastes.
Simon semblait un peu intimidé encore, mais il répondait volontiers et souriait souvent.
Ce fut encore plus le cas dès lors que Saga les rejoignit.
Au cours du petit-déjeuner, cela se renforça encore et l'orphelin expatrié se détendit de plus en plus.
Il s'entendait bien avec Kiki.
Ce qui rassurait les Chevaliers.
Car Kiki, même s'il accueillait tout le monde avec enthousiasme et chaleur, avait aussi son caractère et il ne se liait pas forcément avec l'ensemble des nouveaux venus.
Il restait gentil, mais pouvait en ignorer certains, volontairement ou non, ou garder une certaine distance.
Alors si le disciple modèle du Chevalier du Bélier prenait Simon sous son aile, son intégration auprès des autres apprentis allait forcément bien se passer.
L'élève de Mu était très apprécié et respecté, même des plus âgés.
Il avait connu une période douloureuse durant les mois suivants la mort de son Maître qu'il aimait tant. Il était aussi attaché au Vieux Maître et à Shaka, et aux autres Chevaliers qu'il avait appris à connaître.
Cela l'avait fait grandir d'un coup de se retrouver seul au Sanctuaire, avec Seiya également gravement blessé et inconscient pendant des mois. Athéna lui avait proposé de s'installer à la Fondation avec Elle et les Bronzes, à Tokyo, où elle était souvent. Mais il n'avait pas voulu quitter la Maison du Bélier.
Après avoir retrouvé son Maître miraculé, il s'était montré plus sage et obéissant qu'auparavant.
Mais il continuait d'être le gamin espiègle et joueur qui faisait rire tout le monde et agaçait parfois, apparaissant et disparaissant, se mettant opportunément hors de portée si besoin.
Avant de se faire rappeler à l'ordre, plus ou moins durement.
De l'avis de tous, son rire était un bonheur à écouter résonner entre les vieilles pierres du Domaine sacré.
Kiki était aussi vecteur de bonne entente au sein des apprentis, il générait une formidable cohésion.
Il était tellement doué qu'il impressionnait beaucoup, et si enthousiaste qu'il apportait la joie et la bonne humeur partout où il passait, même simplement quelques minutes.
Bien que beaucoup plus réservé que son élève, Mu avait été un enfant joyeux et curieux, avant la mort de Shion. Il avait fallu des années, après cette tragédie, pour voir de nouveau un sourire ourler les lèvres du Bélier.
C'était l'arrivée de Kiki qui l'avait provoqué.
Pourtant, se retrouver à 13 ans avec la charge d'un bébé d'un an n'avait pas de quoi faire sourire.
Mais Kiki avait su égayer les sombres années que Mu avait passé loin du Sanctuaire où demeurait le meurtrier et usurpateur de son Maître.
Cela faisait 9 ans qu'il s'occupait de lui et il n'avait jamais eu à regretter un seul jour de ces neuf années.
Enfin, exception faite de celui où il dût l'abandonner en remplissant son devoir de Chevalier jusqu'à la mort.
Ce jour où il avait dû se résoudre à plonger Kiki dans le même cauchemar que celui où il avait basculé quasiment au même âge, treize ans en arrière.
Après le petit-déjeuner, les deux enfants kidnappèrent littéralement Aioros pour le faire jouer avec eux aux osselets. Simon ne connaissait pas du tout ce jeu, mais il était partant pour apprendre.
Ils avaient débarrassé et rangé ensemble, puis Saga était allé déposer la panière qu'ils avaient confectionnée ensemble pour Kanon chez son cadet.
Mu s'était donc porté volontaire pour faire la vaisselle.
Saga le rejoignit lorsqu'il rentra, et prit un torchon pour essuyer ce qui avait été lavé.
- Je suis heureux de voir Aioros chez toi, tu sais, lui confia Mu en rinçant le dernier couvert. Il y a un peu plus d'un an, tu refusais même simplement d'évoquer ton amour pour lui.
- Tu parles de notre fameuse première vraie discussion.
- Oui, peu de temps après que nous ayons tous regagné nos Maisons pour notre nouvelle vie. Tu as entrepris un long chemin de croix en te rendant chez chacun de nous pour t'excuser. Et tu as logiquement commencé par moi.
Saga termina d'essuyer le dernier couvert qu'il rangea, perdu dans ses souvenirs.
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Flash back
Sanctuaire, Maison du Bélier
(Un mois après la résurrection)
Novembre 1987
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- Mu, je suis terriblement désolé de t'avoir privé de ton Maître et occasionné tant de souffrances. Je ne mérite pas ton pardon, pourtant j'ose te l'implorer.
- Je te dois aussi des excuses, Saga, répondit le Bélier en leur servant du thé. J'ai compris rapidement que quelqu'un rongé par le mal avait usurpé le trône du Grand Pope en assassinant mon Maître, mais je n'ai rien fait…
- Voyons, Mu, qu'aurais-tu pu faire, à cet âge-là ?
- Mais j'ai grandi.
- Et tu étais pieds et poings liés, comme nous tous.
Mu se perdit un moment dans la contemplation du liquide ambré qui tournoyait dans sa tasse, alors qu'il remuait doucement sa cuillère.
- Peut-être que si nous avions tous…
- Arrête, le coupa doucement le Gémeau. Vous n'étiez pas unis, souviens-toi. Shura, Aphrodite et Angelo, enfin Deathmask, me protégeaient, Aiolia, Milo et Shaka obéissaient au Grand Pope par devoir, Camus était souvent en Sibérie, Aldebaran en Amérique, toi à Jamir, Dokho coincé aux Cinq Pics…
- Tu as raison. Après la supposée traîtrise d'Aioros et ta prétendue mort, tout a changé. Nous avons tous pris un chemin différent. Et puis avec des si, on pourrait réécrire l'Histoire.
- Mais c'est impossible. Il nous reste malgré tout le présent et l'avenir pour en construire une différente, puisque l'on nous en a donné l'opportunité. Et si tu me pardonnes, ce serait déjà de bon augure, pour moi.
- Je te pardonne, et je te remercie, le rassura-t-il. Je sais que tu m'as protégé, Saga. Le Lémure qui te possédait aurait pu s'en prendre à moi, peut-être pas aux Cinq Pics où Doko veillait sur moi, mais à Jamir plus aisément. S'il avait envoyé d'autres Chevaliers d'Or pour me tuer, je ne m'en serais pas sorti. Ça n'a pas été le cas. J'étais pourtant l'un de ces traîtres au Sanctuaire que le Lémure a passé des années à traquer et faire assassiner. Je ne sais pas comment tu as fait pour le détourner de moi...
- Cela n'a pas d'importance, éluda les Gémeau.
- J'aimerai pourtant le savoir, insista le Bélier. S'il te plaît. Tu sais que venant de moi, ce n'est pas de la curiosité malsaine ou déplacée.
Saga garda le silence quelques minutes.
Mais face au regard si particulier de son cadet, il céda.
Cela avait toujours été le cas, il ne résistait jamais à la pureté et la franchise de ces yeux lilas qui ne cillaient pas.
- Il aimait me faire souffrir par-dessus tout, se lança-t-il. Il se nourrissait de ma douleur et de mon impuissance. Lorsqu'Il s'est éveillé totalement et m'a possédé entièrement, et qu'il m'a fait tuer Shion, j'ai encore eu le temps et la force de barricader tous mes sentiments pour toi. Je devais absolument te protéger, Mu. Alors j'ai agi comme si ton départ et ton sort m'indifféraient totalement.
- Je ne pense pas trop m'avancer en disant que cela a du être difficile. Tu semblais tenir à moi, quand nous étions plus jeunes.
- Évidemment. C'est vrai, j'avais un lien particulier avec toi. Tu ne ressemblais à aucun autre enfant.
Mu sourit avec nostalgie.
- J'aimais nos discussions. Je t'admirais, comme tout le monde. Tu avais vraiment l'aura d'un Dieu, pour moi, tout en te mettant à ma hauteur d'enfant. Tu étais la seule personne que je considérais et regardais ainsi, avec mon Maître. Je vous aimais, tous les deux.
- Je sais. C'est pour cela que je m'en veux tellement.
- Tu n'y es pour rien. Pour moi, je t'ai perdu en même temps que mon Maître, même si je me suis mis à avoir des doutes en grandissant sur ta disparition. Ils ne se sont confirmés que quand Aldebaran m'a dit avoir ressenti un cosmos dans la Maison des Gémeaux normalement vide, pendant la Bataille du Sanctuaire. En tous cas, sache que Je suis très heureux de te retrouver, Saga, poursuivit-il rapidement, ne voulant pas s'attarder sur cette période sombre. Et d'avoir l'occasion de te connaître en adulte, aujourd'hui.
- Moi aussi. Et je suis très fier de l'adulte que tu es devenu. Tu es un très grand Chevalier, Mu du Bélier, tu fais honneur à la Première Maison et à tes prédécesseurs.
- Cela me touche, venant de toi. Merci.
Un silence confortable s'installa quelques secondes.
Puis, Saga reposa sa tasse vide.
- J'ai un long chemin encore, je vais devoir te laisser. Mais je serai heureux de pouvoir échanger avec toi, très bientôt, à nouveau.
- Je comprends. Et ce sera avec plaisir.
- Merci pour le thé.
- Je t'en prie.
Ils se levèrent et Mu raccompagna son aîné d'un pas lent.
- Puis-je te poser une dernière question, même si je connais déjà la réponse, je pense… demanda-t-il alors qu'ils arrivaient à l'entrée du Temple côté Maison du Taureau.
- Je t'écoute.
- Tu as protégé quelqu'un d'autre comme tu l'as fait, avec moi ?
- J'ai essayé de le faire avec chacun d'entre vous.
- Je sais, et nous t'en serons à jamais reconnaissant. Mais pourtant, il s'est particulièrement acharné sur Aiolia. Pardonne-moi, je n'aurais pas dû…
Saga grimaça.
- Je sais et tu as raison. J'avais réussi à cacher mes sentiments pour Aioros. Mais la nuit où il s'en est pris à lui, il m'a démasqué. J'étais anéanti à l'annonce de sa mort. Il avait compris que le voir faire souffrir son petit frère serait terrible pour moi.
- Je vois. Merci de m'avoir répondu si honnêtement.
- C'est l'un des principes qu'il va falloir s'habituer à appliquer entre nous tous, pour établir les meilleures relations possibles.
- En effet. Et est-ce que…
- Oui ? l'encouragea-t-il en le sentant hésiter.
- Tu l'aimes encore ?
Certains noms n'avaient pas besoin d'être prononcés.
Surtout lorsque chaque syllabe provoquait une insoutenable douleur.
Celle de l'aîné des Gémeaux était déjà si lourde et écrasante pour l'empathe qu'était Mu, autant éviter de l'intensifier davantage.
- Être honnête n'implique pas de tout se dire, répondit Saga en posant sa main sur son épaule. Aussi, je me réserve le droit de garder le silence à ce sujet, Mu. J'espère que tu ne m'en veux pas.
- Non, bien sûr. Pardonne-moi mon indiscrétion.
- Ce n'est pas par rapport à toi.
- J'ai compris, assura le Bélier avec un doux sourire. Et la réponse n'en est que plus évidente. J'espère que tu pourras suffisamment te pardonner pour vous permettre de vous retrouver.
- Mu…
- Je ne t'ai que trop retenu, le coupa-t-il gentiment, en se dégageant doucement. Vas-y. Et merci pour le temps accordé.
- J'en aurais toujours pour toi. Merci pour le thé.
Mu hocha la tête, mais ne pu soutenir longtemps le regard si intense posé sur lui.
- À plus tard, Mu, ajouta Saga en lui serrant de nouveau l'épaule affectueusement.
Le Bélier hocha simplement la tête une nouvelle fois et regarda l'homme qu'il avait tant aimé, avec son petit cœur d'enfant et dont le cœur d'adulte s'émouvait toujours de sa seule présence.
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Fin du flash back
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- Si on m'avait dit, à cette époque, que je vivrais ce que je suis en train de vivre avec Aioros, et même Kanon, je ne l'aurais pas cru, reconnut l'aîné en s'adossant contre le bar, face au salon.
- Tu le mérites, Saga, assura Mu en se plaçant à ses côtés.
Le Gémeau secoua la tête, faisant s'échapper une mèche d'or de sa queue de cheval lâche, qui vint caresser sa joue.
- Je ne crois pas, répondit-il en la replaçant derrière son oreille délicatement. Mais Aioros, oui, et je suis apparemment le seul à pouvoir lui apporter ce bonheur auquel il aspire et qui est, plus que jamais, son droit. Alors je suis bien décidé à remplir ce rôle, tout le temps que l'on m'accordera avec lui.
- Je vous le souhaite très long. C'est beau et inspirant de vous voir ensemble.
- Merci, Mu. Tu l'as toujours su, n'est-ce pas ? demanda-t-il en lui jetant un coup d'œil rapide.
Car il ne pouvait détacher ses yeux d'Aioros trop longtemps.
Son compagnon rayonnait littéralement, tandis qu'il jouait avec les enfants, en tailleur à même le sol.
Mu, dont le regard allait de la scène de jeu à son aîné, sur lequel il s'attardait le plus souvent, remonta légèrement ses barrières pour ne pas être submergé par la vague d'amour qui balayait le cœur et le cosmos de Saga.
Celui-ci la contenait naturellement à un niveau suffisant pour les autres membres de la Garde dorée, mais l'empathie de Mu le rendait plus sensible et donc, plus exigeant.
Il arrivait malheureusement à ses pairs d'oublier ce don qu'il possédait aussi.
Heureusement, ils finissaient généralement par se souvenir et se reprendre en sentant les vibrations de son cosmos, lorsque certaines émotions les prenaient plus intensément qu'à l'ordinaire.
Comme Saga, à cet instant.
- Je suis désolé, Mu, s'excusa-t-il en posant sa main sur l'épaule de son cadet un court instant.
- Ce n'est rien, le tranquillisa ce dernier. Et pour répondre à ta question, oui, je le sais depuis très longtemps. Vos armures se sont très tôt imprégnées de vos sentiments l'un pour l'autre, expliqua-t-il. Elles émettent une note unique, lorsqu'elles sont ensemble ou lorsqu'elles vous aperçoivent. Je les entends même sans les toucher. Et c'était déjà le cas, à l'époque. D'une certaine façon, c'est à travers vous que j'ai découvert le sentiment amoureux.
- Tu étais jeune. Cela ne t'a pas trop perturbé ? Je sais que tu avais un grand potentiel, tu as maîtrisé l'armure du Bélier très rapidement, peu de temps après la mort de Shion, et tu n'étais qu'un enfant. Cela t'a valu des nuits très courtes dues aux nombreux cauchemars que tu faisais.
- Je suis parti très vite à Jamir où j'ai trouvé un certain équilibre. Et auprès du Vieux Maître, que je rejoignais fréquemment aux Cinq Pics. Puis, il y a eu Kiki.
Cette dernière phrase résumait tout.
- Tant mieux. Athéna en soit remerciée.
- Grandement. Comme beaucoup d'entre nous, j'ai vécu des événements difficiles, très tôt dans ma vie, mais cela ne m'a pas détruit. Au contraire.
- C'est vrai et tu peux en être fier. Alors tout va bien, de ton côté, en ce moment ? reprit-il après une courte pause.
- Oui, parfaitement.
- Et en ce qui concerne…
- Tout va bien, le coupa Mu sans brusquerie. Vraiment, Saga. On les rejoint ? demanda-t-il ensuite pour clore le sujet.
Saga regarda longuement son cadet, qui lui rendit son regard sans ciller.
Il était prêt à insister, borné comme tout bon Gémeau qu'il était, mais… il décida cependant de ne rien en faire, et acquiesça d'un hochement de tête.
Ils rejoignirent donc Aioros, qui s'amusait toujours autant que les deux enfants.
Saga passa un long moment à l'observer interagir avec eux, jusqu'à ce que Simon ne lui prit presque timidement la main pour y mettre des osselets, l'invitant à jouer lui aussi.
Il échangea un rapide regard avec Aioros, puis sourit à Simon et s'agenouilla à ses côtés, sur le marbre froid que son compagnon avait découvert en roulant le tapis pour offrir un meilleur terrain de jeu pour les osselets.
Il leur restait bien une petite demi-heure encore avant que les adultes ne soient contraints de vaquer à leurs occupations respectives.
Saga, lui, devait veiller sur Simon jusqu'à l'arrivée d'Angelo dans l'après-midi, et lui expliquer encore beaucoup de choses sur le fonctionnement du Domaine sacré et sur sa nouvelle vie.
Mais à l'aune de la conversation qu'il avait eu avec Aioros la veille au soir, il abordait à présent sa relation avec Simon d'une toute autre façon.
Son regard était différent, sans qu'il put encore déterminer en quoi exactement.
Volontairement ou non, quelque chose avait changé, il n'avait plus qu'à s'adapter.
Et Aioros, de son côté, devait prendre sur lui et patienter.
Ce qui, fort heureusement, grâce à son optimisme légendaire et son amour profond pour Saga, ne lui posait nul problème et ne causait aucune frustration.
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A suivre.
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Notes :
1 tsampa : farine d'orge grillé, aliment traditionnel au Tibet, qu'ils mélangent au petit-déjeuner (mais pas que) à du thé au beurre pour obtenir une sorte de porridge. Le tsampa est si symbolique de l'identité nationale tibétaine qu'ils se désignent eux-mêmes comme « les mangeurs de tsampa ».Or, dans la Grèce antique, la population mangeait comme plat de base « la maza », de l'orge grillé et moulu en farine, ce qui leur valait d'être surnommés par les Romains les « mangeurs d'orge ». Je trouvais ce lien improbable entre le Tibet et la Grèce antique totalement fascinant et bienvenu !
2 Îles des Bienheureux : dans la mythologie grecque, ces Iles, appelées aussi Iles Fortunées, sont un lieux des Enfers où les âmes vertueuses goûtaient un repos parfait après la mort. Parmi les Bienheureux, on retrouve, selon les auteurs anciens, Achille, Pelée, Diomède, Lycos, et aussi Rhadamanthe. Chez Homère, celui-ci règne même sur ces Iles, que les Grecs situaient aux confins du monde, « vers l'occident » sous la surface terrestre.
3 Le Léthé – Fleuve de l'Oubli : selon la mythologie grecque (mais aussi latine), ce Fleuve sacré des Enfers (l'un des cinq) dispense l'oubli aux âmes des trépassés qui boivent ses eaux, pour ne plus regretter sa vie passée et être prêt à d'autres réincarnations. Il séparait les Enfers de la surface du côté de la vie, alors que le Styx et l'Achéron les séparaient du côté de la mort. La porte du Tartare, qui donnait sur ce Fleuve, était opposée à celle qui donnait sur le Cocyte. Selon certains auteurs, après des milliers d'années, les âmes mauvaises qui ont expié leurs pêchés, tout comme les âmes vertueuses qui le souhaitent, peuvent boire ses eaux pour bénéficier d'une nouvelle incarnation à la surface (condition pour y accéder).
Merci d'avoir lu ce chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
Je vous retrouve d'ici 15 jours, si vous souhaitez poursuivre l'aventure.
Bonne continuation à tous.
Lysanea
