Chapitre 3 : Perdre six mille ans et en gagner onze.

À dix ans, l'enfant connaissait son lot de gros mots (et pas forcément inculqués par Deku), il était aussi parfois insolent comme peuvent l'être les petits de son âge. Mais il avait bon fond, il partageait son sandwich le midi à un de ses amis, il souriait beaucoup (et Katsuki aurait juré que c'était la faute de Deku), il agissait positivement et aidait parfois ses parents à leurs actions bénévoles. Il se dirigeait plus vers le bien que le mal, et s'il était l'antéchrist, on pouvait espérer qu'il ne provoquerait pas l'Apocalypse dans l'année qui suivrait.

— Tu as réussi ton coup, dit Deku à Katsuki en souriant alors qu'encore une fois, ils observaient le gamin de loin.

— Comme si tu avais mis beaucoup de cœur à la tâche quand il s'agissait de le faire basculer du mauvais côté, ronchonna Katsuki faisant rire Deku.

Il y eut un silence, que Katsuki finit par écourter :

— Tu sais que si ce n'est pas l'antéchrist, on aura fait tout ça pour rien.

— On n'aura pas fait tout ça pour rien Kacchan, on aura rendu un enfant heureux, c'est tout ce qui compte.

— Naze de démon, ce n'est pas ton rôle de rendre les gens heureux.

— Je ne sais plus trop quel est mon rôle, tu sais. Si ça se trouve de toute façon, d'ici un an tout sera fini. Toi et moi on sera ennemi juré et on se battra l'un contre l'autre dans une guerre qu'aucun de nous n'a désirée.

— Surtout que nous allons gagner, déclara Katsuki, puisque je suis dans le bon camp.

Deku eut un sourire amusé, puis retrouva son air sérieux :

— Qu'est-ce qui te manquera le plus quand le monde humain aura disparu ?

Pris au dépourvu Katsuki ne sut que répondre, il lui fallut un temps de réflexion.

— La capacité des humains à créer, répondit-il finalement. Pour nous c'est facile, il suffit d'un miracle par ci, un miracle par là, on claque des doigts et on a ce qu'on veut. Mais eux, ils doivent y mettre leur âme et je trouve ça… Fascinant. Et toi ?

— Ce qui me manquera le plus si la fin du monde arrive vraiment, c'est de simplement pouvoir m'asseoir à côté de toi sur un banc et discuter.

Les anges avaient-ils un cœur ? Ils étaient du bon côté, mais ils étaient des êtres surnaturels, alors avaient-ils besoin de ce genre d'organe ?

À ce moment-là, Katsuki aurait parié que oui, ils en avaient un. Parce qu'il se fit entendre dans sa poitrine, cognant à la porte de son corps.

— Quelle connerie Deku ! Faudrait pas que t'oublies qu'on ne vient pas du même camp, toi et moi on fait juste une pause le temps de s'occuper du chiard, mais crois-moi que je vais bien te défoncer la tronche quand je le pourrai.

— Je sais, murmura Deku doucement.

— Je vais détruire tous les démons et faire gagner le Paradis.

— Et quand vous serez vainqueurs, quand les vilains démons auront disparu, que l'Apocalypse aura eu lieu, qu'est-ce que vous ferez ?

La question bloqua Katsuki.

Il n'avait jamais réfléchi à l'après.

— Et bien… Je suppose qu'on servira Dieu. C'est notre rôle.

— Un sacré rôle, rit Deku amer, mais ne vas-tu pas t'ennuyer quand il n'y aura plus de démon sur lesquels tu pourras frapper ?

Et pour une fois, c'est lui qui se leva, salua Katsuki et s'en alla. Laissant l'ange blond abasourdi et complètement perdu. Il savait depuis longtemps que le Paradis était pourri de l'intérieur, mais il s'était contenté d'ignorer ça. Mais quand il n'y aurait plus rien, que Dieu et les anges, qu'est-ce qu'il ferait alors ? À quoi est-ce que tout ça aura servi ?

Et soudain, Katsuki comprit quelque chose d'important.

Si les anges gagnaient, Deku disparaîtrait. À tout jamais.

Lui qui méritait plus d'être un ange que tous les anges réunis ne serait plus là pour essayer avec maladresse de faire le mal, sans vraiment y arriver.

Depuis le début, si Katsuki avait accepté d'aider Deku à sauver le monde, c'était simplement parce qu'il l'avait choisi, mais il n'avait jamais cru que ça marcherait vraiment. Katsuki pensait toujours que les anges gagneraient à la fin, quoi qu'il arrive.

Et maintenant…

Maintenant il se demandait pourquoi est-ce que les anges devraient se battre ?

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L'enfant eut onze ans et rien ne se passa. Pas de chien de l'Enfer, pas de pouvoir. Ils s'étaient bel et bien trompés d'enfant. Deku semblait dépité, mais essayant de rester positif il lâcha « on aura fait de notre mieux, et on a rendu un enfant heureux », même s'il ne vivrait plus très longtemps puisque l'Apocalypse approchait.

Quand ce fut le dernier jour, alors que des choses étranges se passaient (comme l'apparition de l'Atlantide) dans le monde, Katsuki prit la décision de passer ce dernier jour de paix avec Deku.

Pas pour le harceler.

Pas pour l'humilier.

Pas pour l'emmerder.

Pas pour l'insulter.

Simplement pour être avec lui, une dernière fois. Parce que bientôt, ils deviendraient ennemis jurés, que les démons perdraient le combat et que Katsuki ne verrait plus jamais le sourire angélique de ce maudit démon de Deku.

Ils partagèrent une glace, un dessert qu'ils aimaient tous les deux et se baladèrent en ville, alors que le monde était sur le point d'imploser.

— Je suis content, dit Deku.

Et putain, Katsuki se demandait comment il pouvait être aussi résilient, alors que lui sentait une colère sourde remuer dans sa poitrine.

— Nous avons fini par retrouver un certain équilibre, toi et moi, ajouta le petit démon. Pendant ces onze années, ça a été un peu comme avant. Avant que Dieu me renie.

Katsuki serra si fort son carnet de glace que celui-ci explosa dans ses mains et qu'il se retrouva la paume pleine de crème glacée.

Onze ans sur six mille…

Onze ans seulement.

Katsuki avait l'impression d'avoir perdu tellement de temps, tellement.

Il laissa Deku lui essuyer la main avec des mouchoirs qu'il sortit de sa poche. Katsuki le regarda vraiment. Deku était beau, vraiment beau. Il n'avait rien d'un démon, il n'avait rien d'un ange, il valait tellement plus que ça. Son sourire aurait fait fondre même un caillou. Ses joues rebondies pleines de taches de rousseur lui donnaient l'air absolument mignon, donnant envie de les croquer. Ses yeux, que dire de ses yeux et de son regard tellement clair, tellement observateur. Katsuki avait envie de passer sa main dans les cheveux de Deku qui paraissait si doux, doux comme l'était le démon tout entier.

Il hésita.

Puis pensa qu'il ne restait plus que quelques heures avant la fin, alors il envoya tout bouler. Le Paradis, l'Enfer, la Terre, l'Apocalypse et ses hésitations. Il leva sa main propre et la passa dans les cheveux de Deku. Ses doigts filaient entre les mèches et la sensation sur sa paume était incroyable. Le démon releva les yeux vers lui, l'air étonné et perdu. Mais pas seulement, pas seulement. Une étincelle de quelque chose brilla dans son regard. Quelque chose comme de l'envie, du désir.

— Kacchan ? interrogea-t-il.

L'ange pouvait encore reculer, s'arrêter, reprendre ses esprits.

Mais à quoi bon ?

Quand Deku était un ange, quand ils vivaient sur le même fil, qu'ils partageaient la même histoire, Katsuki avait quelque chose en lui qui se serrait, se serrait très très fort. Quand Deku était devenu un démon, une colère sourde lui avait fait perdre l'esprit et il avait traité son ancien ami comme il n'aurait jamais dû le faire. Il lui en voulait, d'avoir ouvert sa bouche, d'avoir fragilisé leur relation. Mais c'était stupide parce que celui qui avait vraiment détruit ce qu'ils avaient, ce qu'ils auraient pu avoir, c'était Katsuki tout seul. En le rejetant, en le repoussant, en lui faisant du mal.

Et finalement, ils avaient passé onze ans ensemble et encore, l'ange blond avait hésité, avait camouflé, avait tergiversé.

Maintenant il n'avait plus le temps.

— Izuku, murmura-t-il.

Le démon ouvrit grand les yeux. Depuis combien de milliers d'années n'avaient-ils plus entendu son vrai nom ?

— Izuku, répéta Katsuki, je suis vraiment désolé.

Le démon ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais doucement, Katsuki posa un doigt sur sa bouche :

— Non, écoute-moi. Je suis désolé, je n'ai pas été le meilleur ange, j'ai été le pire. Je ne t'ai pas rattrapé quand Dieu t'a fait tomber, alors que j'aurais dû faire ce saut avec toi. Je n'ai pas été une bonne personne, je t'ai fait trop souvent du mal. Et tu as le droit de m'en vouloir et de ne jamais me pardonner. Mais je regrette vraiment ce que je t'ai fait. Je voudrais pouvoir recommencer, faire les choses mieux, être de ton côté coûte que coûte. Tu sais maintenant je comprends, je sais que je te choisirai toi quoi qu'il arrive. Même si Dieu me déchoit, je te choisirai toi. Tu es mon Paradis Izuku.

Le démon était figé et Katsuki retira son doigt. Il se sentait horriblement gêné d'avoir autant livré son âme (est-ce que les anges avaient une âme ?) et en même temps, il était aussi soulagé. Soudain, Izuku sembla redémarrer et il attrapa la main de Katsuki pour entremêler leurs doigts.

— Kacchan, murmura-t-il. Si tout doit vraiment s'arrêter, il y a une chose que je dois faire. Une chose terriblement mauvaise et terriblement bonne à la fois.

Et sur ces mots, il se mit sur la pointe des pieds et embrassa l'ange. Son ange.

Dieu, les anges, les démons, ils devaient être tous trop occupés pour se préoccuper d'Izuku et Katsuki qui s'embrassaient, qui s'aimaient.

Parce que leurs lèvres l'une contre l'autre, c'était meilleur que tous les miracles. Cramponnés l'un à l'autre, ils restèrent bouches contre bouches, langues contre langues, si longtemps qu'ils ne se rendirent même pas compte que le monde avait commencé à s'écrouler, puis avait fini par ne pas le faire. Ils n'avaient pas remarqué que l'Apocalypse s'était annulée. Ils s'embrassaient comme s'ils devaient rattraper six mille ans à ne pas le faire.

Un ange et un démon amoureux. Quel blasphème.

Quel délicieux blasphème.

À suivre.

L'autatrice : Le prochain chapitre sera un petit épilogue que je posterai dans la semaine. N'hésitez pas à me dire ce que vous pensez de cette fic.