Quand Selene se retrouva au pied de Notre-Dame, une grande angoisse la saisit à la gorge. La lune, dont seul un quart brillait, éclairait faiblement la façade gothique dont elle grossissait les ombres, et donnait aux figures des gargouilles des airs plus sinistres encore que d'ordinaire. La faible lumière faisait danser les ombres et les statues qui ornaient les alcôves prenaient des formes inquiétantes. Notre-Dame avait rangé l'or dont elle se paraît le jour ; à la nuit tombée, elle avait l'air inquiétant et hostile. Les vitraux naguère colorés ressemblaient à de grands yeux vides, et la rosace centrale, à une gueule béante.

Les quatre Assassins eurent un frisson, étonnés du fait qu'elle les eût tant charmés quelques heures auparavant.

Maintenant qu'il lui fallait l'escalader, Selene réalisa à quel point la cathédrale était haute. Devant ce colosse à gravir, elle sentit sa volonté et son courage flancher. Elle pensa qu'elle n'y arriverait jamais. C'était trop haut, trop sombre, trop difficile.

Ugo remarqua le trouble de sa coéquipière et posa une main nerveuse sur son épaule pour la rassurer.

— Tu vas réussir, lui assura-t-il.

Selene savait que la tâche dépassait clairement ses compétences. Elle n'avait jamais rien escaladé d'aussi haut, et sans lumière, qui plus est.

Vittorio s'élança le premier sur le flanc de l'édifice, suivi d'Ugo. Valentino fermait la marche et attendait que Selene se lançât. Il la pressa :

— Dépêche-toi. Selene, des veilleurs peuvent arriver.

La jeune femme ravala un sanglot elle n'avait pas le choix.

Au prix d'un effort titanesque, Selene se décida à remuer et, malgré son cerveau qui lui hurlait de rester tranquille, elle commença à se hisser sur la cathédrale.

Elle tremblait. Ses doigts s'accrochaient maladroitement aux fioritures de la pierre, par moment ses forces semblaient la quitter. Le calcaire froid glissait sous ses paumes, la peur lui faisait tourner la tête et plusieurs fois elle manqua un appui. En-dessous d'elle, Valentino veillait.

Selene marqua une pause, dans une alcôve, pour reprendre son souffle. Elle accueillit avec soulagement la brise fraîche de la nuit sur sa peau mouillée de sueur.

En y réfléchissant bien, gravir une cathédrale gothique était plus facile que les murs lisses des monuments classiques. Mais la jeune femme n'avait pas l'habitude, et perdait facilement ses moyens lorsqu'il s'agissait de prendre de la hauteur. À mi-chemin entre les arcs-boutants et le sol, Selene sentait une angoisse vertigineuse l'envahir.

Elle se rappela avec quelle aisance elle était montée en haut du Castel Sant'Angelo. Comparé à Notre-Dame, le Château avait l'allure sympathique d'un petit bonhomme rondelet. Ce soir, elle se demandait si elle allait être capable de vaincre la sévérité du corps de Notre-Dame.

Valentino atteignit Selene recroquevillée dans l'alcôve.

— Ugo et Vittorio sont déjà sur le toit. Tu as fait le plus dur, l'encouragea-t-il. Allez ! Ce n'est qu'une petite grimpette, tu as déjà fait ça des dizaines de fois.

La jeune femme ne dit rien.

— Ah, soupira-t-il, je sais que tu penses aux pavés en contrebas. C'est exactement ce à quoi il ne faut pas penser.

Selene se surprit à rire.

— Viens, je reste derrière toi, tu ne tomberas pas, lui promit l'Assassin.

Au bout de longs efforts, Selene parvint à son tour sur le toit et tomba à genoux sous les arcs-boutants. Ugo et Vittorio l'attendaient, assis contre le mur, économisant leur énergie. La jeune femme se sentit soudain immensément stupide, faible, indigne de faire partie de leur groupe. Combien de temps avaient-ils attendu qu'elle se hisse jusqu'ici ? Elle était gauche, et cette gaucherie ralentissait ses compagnons. Le temps était précieux, la nuit filait. Chaque seconde perdue les éloignait de leur but, tout en permettant à l'ennemi de se rapprocher du sien.

Malgré les accolades amicales, malgré leur patience, Selene voyait dans les yeux de ses amis qu'ils la considéraient comme un fardeau. Cela lui brûlait le cœur, mais elle ne pouvait pas les contredire.

À qui devait-elle en vouloir ? À elle-même, ou à Ezio, qui l'avait imposée aux meilleurs de la Confrérie ?

Elle n'eut pas le temps de se fâcher contre Ezio : Valentino leur intima de le suivre. Toutes les portes de la cathédrale étaient fermées à double tour, exceptée celle de l'entrée afin de promettre l'asile aux malheureux. L'Assassin connaissait heureusement tous les secrets de Notre-Dame, à force de l'avoir longuement pratiquée ; ainsi montra-t-il aux autres comment se faufiler à l'intérieur, par un passage créé dans une fenêtre, grâce à un vitrail soigneusement découpé. Il n'y avait qu'à retirer le morceau de vitrail, se faufiler à l'intérieur, et le replacer.

Avant de sauter en contrebas, les Assassins s'assurèrent qu'ils étaient bel et bien seuls. Ils tendirent l'oreille, patientèrent quelques minutes, puis soufflèrent. Il n'y avait personne, hormis eux. La troupe de Cesare n'était pas encore là.

Notre-Dame était plongée dans le silence de ceux qui dorment. Les chandelles étaient toutes soufflées ; une faible lueur cuivrée provenait des cierges, qu'on laissait brûler jusqu'à ce que leur flamme ne s'éteignît d'elle-même. En consumant leur mèche, elles dessinaient sur les faciès des statues de marbre des ombres flageolantes, leur donnant parfois l'air de bouger les lèvres. Selene les regardait, à la fois fascinée et effrayée.

Dans le noir, l'espace de la cathédrale semblait s'étirer très haut et n'avoir plus aucune limite avec le ciel. Ugo s'empara d'un cierge, qu'il alluma à la flammèche d'un autre, puis entreprit de faire le tour du déambulatoire, une main sur le mur, essayant de percevoir quelque chose, une onde, une chaleur, ou une inscription... qui aurait trahi la présence de la Pomme, quelque part.

Chacun se mit à chercher, de son côté, du mieux qu'il pût.

Selene alluma un cierge, elle aussi, et s'approcha d'une chapelle. Le parfum des fleurs fraîches, de grands lys blancs et des roses, que des fidèles avaient déposé au pied d'une statue de la Vierge, la fit sourire. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas respiré de telles effluves.

Elle se concentra, parcourut rapidement la chapelle du regard. Que cherchait-elle, au juste, et où ? Elle n'avait aucune idée de ce à quoi ressemblait ce Fragment d'Eden, et donc aucune idée d'où il avait bien pu être caché.

Il n'était certainement pas dans un endroit aussi évident qu'une des chapelles de Notre-Dame, devant lesquels des dizaines de personnes passaient quotidiennement. Quoique... peut-être dans une statue ? Dans le marbre d'un autel ? Dans une caisse de reliques ? Peut-être encore dans un brique de calcaire, derrière une plaque, un tableau ? Ou dans un tombeau, enfoncée dans la bouche édentée d'un mort ?

Selene pensa soudain que cette quête était impossible à mener à son terme. Si la Pomme était effectivement dans Notre-Dame, alors il aurait fallu tout briser, pierre par pierre afin de trouver où elle avait été coulée.

Il y avait tellement de possibilités, et si peu de temps.

Les heures passèrent. Au petit jour, le groupe dut se résoudre à partir ; bientôt sonneraient les Matines.

Ils regagnèrent leur chambre, s'allongèrent sans dire un mot. Ils n'avaient rien trouvé, pas le moindre indice. Ils n'avaient aucune piste, à part la quasi-certitude que le Fragment était bel et bien dans l'enceinte de la cathédrale.