Le carreau d'arbalète était venu du ciel et avait frappé le squelette en plein cœur. Il s'effondra sur l'échafaud dans un bruit d'ossements.

Le temps resta un moment en suspens et le silence tomba ; la foule assimilait ce qui était en train de se passer. Tétanisée, Selene n'osait y croire et cherchait des yeux la source de son salut.

Où se cachaient ses Frères ? Où se cachait Ezio ?

Cesare remit le monde en marche en réagissant le premier : il se précipita vers le gibet mais une flèche, qui se planta à ses pieds en le manquant de peu, le stoppa net dans sa course. Il poussa un rugissement de frustration, avant de comprendre que son plan avait fonctionné : une dizaine d'Assassins à cheval, Claudia et Machiavelli en tête, suivis d'une troupe de mercenaires et de Bartolomeo d'Alviano, pénétraient dans le Colisée par tous les côtés en criant vengeance. La foule de badauds se dispersa en hurlant et la garde de Cesare se mit en position de défense. Deux tombèrent face contre terre, transpercés par les carreaux que des Assassins, tapis dans l'ombre en haut des ruines, continuaient d'envoyer.

Cependant, la mort des prisonniers faisait aussi partie de ce plan. Et Selene devait impérativement mourir. Profitant du mouvement de panique, Cesare reprit sa course vers l'échafaud Selene, qui se débattait pour se libérer les mains, le regardait s'approcher avec angoisse. Cesare ricana :

— Tu ne t'en tireras pas !

Et il tira le levier d'un coup sec.

La trappe s'ouvrit. Le corps de Selene fut précipité dans le vide, et sa nuque encaissa le choc sans se briser. Asphyxiée, les jambes battant l'air, elle cherchait en vain une délivrance. Ses sens s'atrophièrent rapidement. Au milieu de la confusion, on semblait l'avoir oubliée. Une pensée fugace lui traversa l'esprit : elle allait mourir là, dans l'indifférence générale, sous les yeux d'un seul spectateur satisfait, Cesare Borgia.

Elle s'écrasa soudain dans le sable. La conscience altérée par le manque d'oxygène, elle ne se rendit pas compte tout de suite de ce qui était arrivé. Les poumons brûlants, elle toussait et aspirait l'air avec avidité.

Elle retrouva sa lucidité et comprit qu'on avait tranché la corde d'un coup d'épée. Les yeux brouillés de larmes, elle mit un temps avant de reconnaître la silhouette de Vittorio qui rampait sous l'échafaud, pour la rejoindre. Encore affaiblie par le manque d'oxygène, elle se figura qu'il arrivait vers elle pour l'achever, et maladroitement, elle se démena pour fuir.

— Selene, attends !

Vittorio parvint à l'attraper et trancha la cordelette qui entravait les poignets. Il la saisit par le col de sa chemise et l'aida à se traîner loin de la potence.

— Suis-moi, ne restons pas là-dessous !

— Pourquoi devrais-je te faire confiance ?

Selene recouvrait ses esprits ; l'instinct de survie surpassait sa faiblesse. Elle se dégagea de la prise de Vittorio et le repoussa loin d'elle. Tentative bien médiocre de se protéger, puisqu'il possédait une arme. Un bond, et il la tuait.

— Laisserais-tu un traître se racheter ?

Selene se retint de rire. Vittorio remarqua son cynisme.

— Ce n'est pas en m'évitant la pendaison que tu rachèteras un an de trahison, Vittorio.

— Pourtant, c'est ce que tu me disais, quand tu étais enfermée dans ta cage.

Vittorio s'approcha d'elle Selene recula. Autour d'eux, la bataille faisait rage, cependant personne ne pouvait les voir sous l'échafaud.

— Rien ne pourra racheter ma faute, Selene. Je le sais. J'ai trop de morts sur la conscience. Mais laisse-moi au moins aider une amie.

Il y eut un éclair, un coup de tonnerre, et des cris d'agonie.

— Qu'est-ce que c'était ? s'écria la jeune femme, tétanisée.

— La Pomme d'Eden, souffla Vittorio, un sourire sur les lèvres. Le Mentor l'a récupérée !

À l'écart du champ de bataille, elles purent admirer toute la puissance du Fragment. L'Orbe brillait intensément dans la paume d'Ezio. L'objet lançait des traits de lumière, foudroyant les soldats romains qui s'écroulaient comme des mouches.

— Maintenant va-t-en, va-t-en loin d'ici, conseilla Vittorio en lui tendant son brassard. Garde ceci et sauve-toi. Le Mentor saura te retrouver.

Selene acquiesça.

— Merci.

— Adieu, mon amie. Puisses-tu survivre et me pardonner, un jour, peut-être.

Vittorio s'inclina, la main sur le cœur, et disparut au milieu des combats. Par dessous l'échafaud, Selene le regarda s'élancer vers les mercenaires des Borgia. Il les frappait avec une violence inouïe. Sachant son sort inévitable, il se vengeait contre ces hommes de tout ce qu'il avait subi, et du faire subir, depuis sa blessure jusqu'à ce funeste jour.

Selene se détourna et chercha une issue.

oOo

La Pomme d'Eden tirait son pouvoir de l'essence vitale de son possesseur ; ainsi, Ezio s'affaiblissait. Pris de vertiges, il jugea bon de s'éloigner quelques instants pour reprendre ses esprits. La Pomme était dangereuse, la prochaine utilisation pouvait très bien lui être fatale ; il valait mieux attendre avant de l'utiliser encore. La tête lourde, il se hissa sur un cheval dont le cavalier était tombé, et jeta un œil autour de lui. Malgré leur petit nombre, les Assassins avaient l'avantage grâce à la magie du Fragment. Il y avait néanmoins des pertes à déplorer, en particulier chez les plus jeunes recrues qui avaient insisté pour les accompagner. Claudia se battait avec fureur contre Vittorio Vitelli, Bartolomeo encourageait les troupes et Machiavelli prenait le dessus sur Cesare qui fulminait en commençant à envisager la défaite. Le Colisée, bien que tombant en poussière, reprenait malgré lui son rôle premier d'amphithéâtre, avant-scène de spectacles sanglants. Ce n'étaient plus des esclaves et des gladiateurs qui s'y affrontaient, mais deux Confréries adverses.

Au milieu de la pagaille, Ezio distingua Selene qui enfilait à la hâte un brassard de lame secrète tout en cherchant une issue à ce cauchemar. Son cœur fit un bond dans sa poitrine en la voyant en vie et il lança son cheval vers elle.

— Selene !

En reconnaissant la voix d'Ezio, Selene fut traversée par de nombreuses d'émotions à la fois. Bonheur de l'entendre de nouveau, colère à propos de tout ce qui était arrivé, et enfin frayeur : que dirait-il en la voyant défigurée ?

Elle se retourna lentement et plissa les yeux. La silhouette haute d'Ezio et de son cheval, dans le contre-jour, avait l'air d'une immense statue.

Ezio descendit de son cheval et considéra Selene, bouche bée.

— Mais qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? murmura-t-il.

Il passa un doigt sur sa joue gauche et traça les contours de la fleur de lys. Il déglutit, constatant la cicatrice indélébile. Humiliée, Selene retenait ses larmes. Elle détourna les yeux et repoussa sa main d'un geste brusque. Ezio accepta la rancœur qui se dégageait de ce geste : Selene portait désormais sur elle la trace de son erreur à lui.

— Je suis tellement, tellement désolé...

La jeune femme frissonna. Peu importait. Ce qui était fait, était fait, et être désolé ne lui rendrait pas la moitié de son visage.

Le vacarme de la bataille les ramena à la réalité et écourta leurs amères retrouvailles.

— Monte et va-t'en, lui dit Ezio en lui tendant les rênes de son cheval à Selene, ainsi qu'une sacoche. Je te confie la Pomme, tu dois absolument l'éloigner de cet endroit. Et si jamais tu as besoin de l'utiliser, sois certaine de ne pas pouvoir faire autrement.

— C'est entendu.

Elle grimpa sur sa monture.

— Je viendrai te chercher quand tout sera terminé, lui promit Ezio. Et on rentrera tous à la maison.

Un faible sourire illumina la figure abîmée de Selene. Ezio donna une tape sur la croupe du cheval qui s'élança au galop.

Cesare, luttant toujours contre Niccolo et réalisant que Selene s'enfuyait avec l'Orbe, hurla à ses généraux de lui barrer la route et d'achever cette vermine qui refusait obstinément de mourir.

Pleine d'espoir, Selene traversait l'arène. Elle avait échappé à la pendaison, et ce n'était plus qu'une question d'heures avant de retrouver son foyer.

On rentrera tous à la maison.

Après tout cela, elle ne songeait plus qu'à la tranquillité. Elle se détacherait de la Guilde des Assassins et aiderait à la Rose Fleurie pendant un temps. Être penchée sur un livre de comptabilité dans une pièce confortable serait bien plus paisible que cette vie d'aventures et de risques. Peut-être reprendrait-elle sa lame secrète, lorsque le temps aurait passé. Cette douce perspective la ravit, et elle se sentit pleinement vivante.

Elle talonna son cheval ; dans le cadre dessiné par l'un des arcs vieilli du Colisée, elle pouvait apercevoir la campagne verdoyante et la promesse du salut.

Soudain, quelque chose lui déchira l'épaule. La jeune femme se cambra, le souffle coupé, et perdit l'équilibre. Elle tomba en criant, un petit couteau fermement planté dans le dos. Entraînée dans sa chute, la Pomme bondit hors de la sacoche et roula sur plusieurs mètres, heurtant une pierre dans un bruit métallique avant de s'immobiliser. Malgré la douleur, la jeune femme parvint à se traîner vers elle. C'était son seul recours ; derrière elle, un fidèle de Cesare s'avançait pour récupérer le trésor convoité, et il ne l'épargnerait certainement pas.

Au moment où Selene allait saisir la Pomme d'Eden, on la cloua sur place d'un coup d'épée dans le dos.

Une voix retentit au loin :

— Cesare Borgia, vous êtes en état d'arrestation !

Fabio Orsini arrivait enfin, les armées qu'attendait le duc rangées derrière lui, Michelletto en otage.

La victoire appartenait aux Assassins.