Témoin de la scène, Ezio se précipita vers Selene qui gisait à terre aux côtés de la Pomme, nitescence insolente face à son agonie.

— Non !

Pris de panique, il n'osait la toucher ; son seul réflexe fut de la couvrir de sa cape, car la chemise déchirée par les lames montrant sa belle nudité. Il la retourna doucement vers lui. Les mains pressées contre sa blessure pour empêcher le sang de se répandre, Selene le fixait de son regard vert, voilé de souffrance.

— J'ai peur, souffla-t-elle.

Ezio sentit son âme se fendre en deux.

Il s'était imaginé des milliers de fois lui éviter le même sort que son père et ses frères. Et il s'était tout de même imaginé des milliers de fois ce moment, conscient qu'il pouvait arriver n'importe quand. Maintenant qu'ils y étaient, maintenant qu'elle mourait dans ses bras, il ne savait que faire, ni dire. Il aurait voulu la rassurer, lui dire que tout irait bien, mais ç'aurait été un affront de lui mentir.

Selene avait froid. Jamais, même au fond de sa cellule, elle n'avait eu aussi froid. A chaque frisson, elle sentait un peu de vie lui échapper. Elle s'en allait et rien ne pouvait l'en empêcher.

Les mots d'Ugo lui revinrent en mémoire : « Alors, c'est ici que tout fini ? ». Ici, au Colisée ? Au cœur de ce monument qu'elle avait adoré ? Près duquel, lors de son tout premier jour à Rome, Ezio lui avait annoncé la mort de son père ?

On dit que celui qui meurt voit sa vie défiler devant ses yeux. Selene revit des moments heureux avec sa mère, d'autres en compagnie de Thomas et d'Helena. Elle en revit d'autres, douloureux, Nino et Sandra la rejetant, Ezio faisant de même. Les réminiscences plus douces arrivèrent par vagues.

Un sourire spectral fendit le visage de la jeune femme. Ezio lui parlait, mais elle n'entendait plus. Ses yeux étaient grand ouverts, mais elle ne voyait plus. Toute peur avait disparu, et un étrange sentiment de bien-être s'empara d'elle.

Derrière Ezio, le ciel, sombre et lourd de menaces.

Selene frissonna une dernière fois, puis se relâcha complètement dans les bras de son oncle.

Elle était morte.

Implorant son pardon, Ezio berçait la jeune femme contre lui, le dos secoué de sanglots qu'il ne savait retenir. Au diable la honte.

À cet instant précis, ce n'était pas seulement Selene qu'il pleurait, mais toute sa famille assassinée, tous ceux qui étaient partis les uns après les autres, en le laissant ici, tout seul. Il eut envie d'insulter Dieu, le destin, n'importe quelle autre entité responsable d'une telle tragédie, mais il contint colère et flot de blasphèmes.

Souvenez-vous de ce pour quoi nous nous battons.

Foutaises.

Crever de la sorte, même au nom d'une cause, n'est honorable en rien du tout.

C'était une spirale sans fin. Il y avait d'abord eu Giovanni, Federico et Petruccio. Puis Cristina. Mario. Selene enfin. Était-il condamné à voir tout ce qu'il aimait détruit ? Une fois encore, il avait lamentablement échoué. Doué pour tuer mais pas pour protéger les autres. Federico devait être tellement, tellement déçu par son bon à rien de petit frère…

Ezio se mit alors à éprouver une haine farouche envers la Confrérie, qu'il avait pourtant lui-même rebâtie, confiant dans son rêve de justice. Qu'est-ce qui était juste, dans tout ça ? C'était la Confrérie qui lui avait tout pris : ses parents, ses amours, sa vie toute entière. Pourtant, il n'était plus rien sans elle, à part un criminel, un condamné à mort comme un autre, sans cause à défendre, et qui attendait sagement qu'on l'attrape et qu'on l'amène au gibet. Il serait bien obligé de l'aimer comme de la détester à l'avenir, tout en continuant de la servir et de fermer les yeux sur le mal qu'elle lui faisait subir, sur toutes ces choses merveilleuses qu'elle lui avait volées, certainement en compensation des vies qu'il prenait, lui, tous les jours.

La vie a de curieuses façons de punir les mauvaises conduites.

Ezio s'essuya les yeux d'un revers de main. Autour de lui, les Assassins s'étaient rassemblées en cercle, le poing sur le cœur, muets et affligés par le deuil qui frappait leur Mentor et la Fraternité, privée en une seule bataille de Selene et d'autres frères. Vittorio, qu'on avait pris soin de ne pas tuer, subirait le sort réservé aux traîtres.

Le visage dissimulé sous son capuchon, les mâchoires serrées, Ezio souleva lentement le cadavre de sa nièce et passa devant eux, un goût de sel sur les lèvres, tandis que le monde s'écroulait sous ses pieds.