Une fois, alors qu'il était à l'école primaire, Roy Mustang avait fait une erreur de retenue sur un examen de Mathématiques, ce qui lui avait valu un point. Un. Satané. Point. Ce qui lui avait coûté sa place de premier de classe pour cette année-là. Quoi qu'en dît sa tante Chris, Roy savait qu'il se souviendrait de cette défaite sanglante toute sa vie. Et comme à son habitude, il n'avait pas eu tort.
Certes, Roy avait toujours été "ambitieux" comme dirait sa première petite amie, "obsédé" par la poursuite de la perfection (ou de la vérité, ou d'une abstraction nébuleuse et frivole) comme dirait sa sœur Vanessa. Mais la raison pour laquelle il ne pouvait tolérer une seconde place, c'était parce qu'il n'existait entre lui et la perfection qu'une marche, qu'un pas, qu'il avait été incapable de franchir. Cette sensation d'être si près du but, et la frustration qui accompagne son échec, seul un deuxième de classe pouvait la comprendre.
C'est ce que Roy ressentit ce jour-là, lorsque son sergent-major annonça le classement final de sa promotion, quelques jours avant la cérémonie de remise de diplômes. Ce qui était censé couronner son parcours à l'école militaire, qui avait transmué un gamin de la ville en un homme physiquement apte et moralement endurci, ce jour qui devait récompenser deux années d'efforts, était en train de se transformer en un souvenir de plus, à rattacher à un trauma de l'enfance. Comme une continuation, une malédiction dont Roy ne pouvait échapper.
L'annonce du sergent-major continuèrent de résonner dans la tête de Roy.
— Troisième, Maes Hughes. Deuxième, Roy Mustang…
L'officier se racla la gorge et ajusta ses lunettes avant de reprendre la lecture de sa liste, non pas par souci de suspense, mais pour se convaincre lui-même de cette charade.
— Et major de promotion, Riza Hawkeye.
La jeune femme se leva, salua l'officier, et se rassit à son pupitre. Ses cheveux blonds, très courts, étaient coupés au carré; ses mouvements étaient rapides, un peu brusques, mais précis. Malgré le fait qu'ils étaient de la même promotion, Roy ne l'avait jamais vraiment remarquée; il avait porté toute son attention sur Hughes, et une compétition amiable était née de leur rencontre. En vérité, l'idée de perdre face à son meilleur ennemi ne l'aurait pas répugné, mais perdre face à une fille… Oui, une fille, car cette Hawkeye ne ressemblait certainement pas encore à une femme, de part son apparence ingrate, presque enfantine. La fierté de Roy ne pouvait tolérer ce résultat.
Lorsque la session se termina, il l'attendit à la sortie de la salle. Hawkeye lui jeta alors un regard légèrement méfiant, mais ses traits s'adoucirent en un instant.
— Félicitations, Mustang, dit-elle en lui tendant une main.
Par réflexe, Roy la saisit. Il ouvrit la bouche, mais pour dire quoi, les mots lui échappèrent. Comptait-il la menacer ? La féliciter avec sarcasme ? La railler, de la même façon que ses camarades se moquaient des recrues féminines ? D'un coup, tout cela lui sembla si vain, et pathétique.
Il n'y avait aucune arrogance dans le regard de Hawkeye, comme si elle n'avait jamais été en compétition avec lui ou Hughes, comme si elle jouait un jeu qui n'avait rien à voir avec le leur.
Malgré le silence de Roy, elle ajouta alors:
— J'espère qu'on pourra faire du bon travail, pour protéger et servir le peuple d'Amestris.
Elle relâcha doucement leur poignée de main, et partit. Tous les autres cadets avaient également déserté le couloir. Un sentiment de jalousie effleura les pensées de Roy. Mais non pas parce qu'il était deuxième.
Riza Hawkeye ne jouait à aucun jeu; elle ne prenait part à aucune compétition idiote et juvénile. Elle méritait sans doute sa place de major plus que quiconque, car elle avait à cœur le bien de leur pays, tout comme il avait eu à cœur le bien-être de leur peuple lorsqu'il avait intégré l'académie.
Un jour, il travaillerait à ses côtés. Un jour, ensemble, ils se dévoueraient à leur pays et le guideraient vers des lendemains meilleurs.
