Auteur : Nat. Eh ouais. Incroyable, hein. Qui l'eut cru ?
Disclaimer : Les personnages sont tous à Tolkien, l'interprétation qui en est faite est de moi ! …Avec quelques bases du canon parce qu'il ne faut pas déconner non plus, hein.
Warnings : Aucun, et je pense qu'on peut décerner le prix Nobel de la paix fanfictionnelle à Fëanor et ses fils pour avoir fait l'effort de ne pas créer de catastrophe elfique majeure dans ce texte.
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Dans les collines
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« PERE ? »
Fëanáro leva les yeux de l'amas minéral qui accaparait son attention jusque là. Le petit Makalaurë se tenait près de lui, un flûteau de bois entre les mains. Son sourire timide contrastait grandement avec le volume (quelque peu excessif) de son appel, qui avait manqué de faire sursauter le prince Noldo. Fëanáro fronça les sourcils et adressa un signe bien connu à son jeune fils.
« Moins fort, Makalaurë »
Le garçonnet hocha la tête et répéta, chuchotant à présent :
« Père ? »
Fëanáro se retint de soupirer. Malgré ses huit ans bien tassés, Makalaurë avait toujours des difficultés flagrantes à gérer le volume de sa voix. Heureusement, songea le prince érudit, qu'il était sorti ce jour-là pour étudier seulement la flore et les roches locales. S'il avait voulu observer la faune, la fantastique voix de son fils aurait sans doute consciencieusement tenu le moindre de ses objets d'étude à une distance de sécurité de plusieurs lieues.
« …Père ? appela encore l'enfant, à peine plus fort qu'un murmure.
-Je vous écoute, Makalaurë. Qu'y a-t-il ? »
Sans se départir de son sourire, le petit garçon agita le pipeau qu'il tenait.
« Tyelko veut voir des oiseaux, mais nous n'en trouvons pas. Puis-je les appeler avec mon appeau ? »
Il avait parlé si bas que son père avait tout juste pu saisir le sens de ses phrases, mais il préféra ne pas lui demander de répéter. Il se contenta de chercher des yeux le cadet de ses enfants, et découvrit les boucles blondes de Tyelkormo auprès du buisson où paissaient leurs montures. Le bambin flattait l'encolure de son poney tout en se plaignant des oiseaux qui vous réveillaient à des heures indues le matin, mais se cachaient dès que vous vouliez les regarder. L'équidé se montrant plus intéressé par les branches feuillues que par les complaintes de son petit propriétaire, Tyelkormo s'en détourna rapidement. Les autres chevaux s'avérèrent trop nerveux pour l'écouter, aussi le tout-petit galopa-t-il jusqu'à Maitimo pour lui conter ses malheurs.
L'adolescent roux s'était installé aussi confortablement que possible sur un rocher à proximité. Le grand calepin de son père ouvert sur ses genoux, il s'appliquait à y dessiner plusieurs vues des fleurs et plantes que Fëanáro avait découvertes au cours de la journée. Elles étaient au nombre d'une dizaine, sans compter les mousses, et le prince savant appréciait grandement l'aide de son fils aîné qui lui faisait gagner un temps précieux. Maitimo dessinait plutôt bien pour son âge, s'il fallait en croire ses professeurs d'art, et il mettait indéniablement du cœur à sa présente occupation, s'appliquant à chaque trait tracé, même infime. Cependant, avait décidé Fëanáro après avoir jeté un bref coup d'œil aux premiers croquis du jeune elfe, il reprendrait lui-même ces dessins dès leur retour au camp pour en corriger les défauts. Bien sûr, il aurait été préférable que Maitimo corrigeât lui-même ses propres erreurs, et Fëanáro brûlait de les lui signaler. Mais Nerdanel, restée au campement pour la journée, lui avait ordonné de ne rien en faire. Maitimo était dans l'âge ingrat de la jeunesse, et les changements de son corps lui donnaient un caractère difficile.
« Il n'a pas besoin de vos critiques en ce moment, lui avait intimé son épouse avant qu'il ne quitte leur tente, et je vous interdis formellement de le décourager. »
Fëanáro avait tenté de lui expliquer qu'il ne décourageait personne, bien au contraire, et qu'il détestait voir son fils stagner quand il suffisait de si peu pour le faire s'améliorer. Mais Nerdanel s'était montrée intraitable, l'empêchant de sortir tant qu'il ne lui donnait pas sa parole, et son royal époux s'était finalement incliné de bien mauvaise grâce.
Surprenant le regard de leur père tourné vers eux, Maitimo lui sourit, puis il le désigna à son frère cadet d'une main tachée d'autant d'encre que de son. Tyelkormo accourut aussitôt vers lui, son joli visage poupon éclairé d'un large sourire. Mais le bambin changea de cible au dernier moment et préféra sauter par surprise sur le dos de Makalaurë. Déséquilibré, le petit garçon brun faillit s'écrouler au sol sous le poids du blondinet, ce qui provoqua ses exclamations mécontentes ainsi que le rire de ses frères aîné et cadet. Fëanáro, lui, se contenta d'esquisser un sourire en secouant la tête.
Sans surprise, Makalaurë et Tyelkormo avaient été agités une bonne partie de la journée. Déjà la veille au soir, la perspective d'"étudier le terrain" avec leur père et leur frère aîné les avait mis dans un tel état d'excitation qu'ils s'en étaient trouvés incapables de dormir. Le pauvre Maitimo, que sa croissance trop rapide fatiguait beaucoup, était venu quatre fois se plaindre de leurs bavardages incessants. En désespoir de cause, Fëanáro et Nerdanel s'étaient résolus à prendre le petit Tyelkormo avec eux pour la nuit, laissant l'autre enfant seul avec Maitimo dans la tente que les garçons se partageaient. Mauvaise idée s'il en était : si Makalaurë avait fini par se bercer lui-même et endormir son grand frère en babillant tout bas, le couple princier s'était pour sa part fait réveiller dès les premières lueurs de Laurelin par un Tyelkormo tout habillé, sa lentille grossissante à la main et son petit sac de cuir rempli de biscuits sur le dos, tout prêt à partir explorer le vaste monde.
L'exploration susdite s'était finalement résumée, pour Makalaurë, à danser au milieu des broussailles en fleurs en inventant des chansons fantaisistes sur la nature sauvage, jusqu'à ce que son père lui ordonnât de chanter moins fort. Quant à Tyelkormo, incapable de tenir en place, il s'était aussitôt lancé à la recherche d'insectes à observer avec sa loupe… jusqu'à découvrir par accident un nid de guêpes sous un buisson. Par bonheur, les guêpes engourdies par l'hiver se réveillaient à peine, et le bambin en fut quitte pour quelques piqûres vite nettoyées. Fëanáro jugea tout de même préférable de lui confisquer sa loupe afin de lui éviter d'autres mésaventures. Vexé, le petit blond était allé bouder quelques temps auprès de son poney avant de s'ennuyer. Il s'était alors réfugié auprès de Maitimo, et n'avait réussi qu'à l'embêter. L'elfe aux boucles cuivrées recopiait avec application un lotier corniculé dans le carnet à dessin, mais reproduire correctement les infimes détails de la minuscule fleur lui demandait beaucoup de concentration et la distraction offerte par son benjamin l'empêchait d'être efficace. Fëanáro avait donc rappelé le plus petit, réclamant son aide pour étudier les propriétés du sol. Tyelkormo s'était hâté d'entasser de petites pierres près de son père, ravi d'être utile, la raison de sa colère déjà oubliée.
Mais, comme d'habitude, il s'était désintéressé de sa tâche au bout de quelques minutes. Et lorsque Makalaurë lui avait proposé de jouer ensemble, le blondinet avait aussitôt accepté. Les deux frères avaient commencé par jouer à Chat perché, criant et courant dans tous les sens. Fëanáro et Maitimo avaient dû les rappeler à l'ordre plusieurs fois, réclamant un peu de calme, tandis que les chevaux piaffaient d'énervement. Le poney, lui, broutait. Enfin, fatigué, Makalaurë avait opté pour une activité plus tranquille pendant que Tyelkormo continuait de gambader. Accroupi dans la poussière, le petit garçon brun s'était amusé à construire un jardin miniature avec des fleurs, des brindilles et des cailloux en inventant des chansons qui ne voulaient rien dire, mais qu'au moins il chuchotait.
Son deuxième fils aimait jouer avec les mots et les sons, Fëanáro n'avait pas tardé à le remarquer, bien plus que Maitimo qui était pourtant plus âgé. C'était une constatation aussi plaisante qu'encourageante. Makalaurë était encore trop jeune pour s'intéresser au sens des mots et comprendre les subtilités de leur construction, mais son père avait bon espoir d'en faire un excellent linguiste, tout comme il l'était lui-même.
Le seul souci, songea le prince Noldo en écoutant les récriminations bruyantes dudit futur linguiste qui avait enfin réussi à faire descendre Tyelkormo de son dos, le seul souci, c'était sa voix. Non qu'elle ne fût pas jolie –Fëanáro avait rarement entendu une voix d'enfant aussi mélodieuse. Elle était juste trop forte, et Makalaurë ne la maîtrisait pas.
« Makalaurë ? appela Fëanáro pour attirer l'attention de son fils et faire cesser ses plaintes perçantes. D'où tenez-vous cet appeau ?
-C'est grand frère qui me l'a donné, expliqua le petit garçon un ton trop haut, son enthousiasme revenu. Mère lui a montré comment faire, et il m'a fabriqué mon appeau. Regardez, Père, comme il est beau ! »
Fëanáro saisit le flûteau que l'enfant lui tendait. L'appeau était à l'évidence le premier confectionné par Maitimo, s'il en croyait l'imperfection de sa découpe. Mais en dépit de son apparence grossière, l'objet semblait être assez bien proportionné, avec un bec et des trous de taille convenable. Avisant un symbole maladroitement gravé sur le dessus du bec, Fëanáro le désigna.
« C'est un oiseau ?
-Une mésange, Père, précisa Maitimo de loin. Je la peindrai en jaune et bleu quand nous serons rentrés ! »
Fëanáro hocha la tête et rendit l'appeau à son petit propriétaire. Makalaurë souffla dedans et un son ténu se fit entendre, imitant vaguement le pépiement d'un oiseau. Tyelkormo battit des mains en sautant sur place.
« Les oiseaux, les oiseaux ! Père, on peut appeler les oiseaux maintenant ? Je veux voir des oiseaux ! »
Son père secoua de nouveau la tête, cette fois-ci négativement.
« Vous avez fait beaucoup de bruit, tous les deux, aujourd'hui. Vous avez probablement fait fuir tous les oiseaux. Ce sont des animaux craintifs, vous savez. »
Voyant le visage doux de Makalaurë se décomposer lentement et les sourcils blonds de Tyelkormo se froncer de déception, Fëanáro se hâta d'ajouter :
« Mais peut-être se cachent-ils juste près de nous. Vous pouvez toujours jouer un peu avec votre appeau, Makalaurë. Qui sait s'ils se montreront ? »
Avec le raffut que ses jeunes fils avaient fait toute la journée durant, il doutait sincèrement que le moindre oiseau se trouvât encore dans les parages. Mais si cela pouvait les occuper encore quelques instants, le temps qu'il finisse de ramasser les minéraux qui lui manquaient… La lumière de Laurelin décroissait déjà, et il leur faudrait vite retourner au camp une fois qu'il aurait terminé de rassembler ses échantillons.
Déjà, Makalaurë et Tyelkormo s'éloignaient en trottinant, tout à leur joie de jouer avec l'appeau. Fëanáro les rappela :
« Ne partez pas trop loin, les garçons. Restez dans notre champ de vision, à votre frère et moi. »
Les deux enfants répondirent quelque chose qui ressemblait à un assentiment, et leur père se pencha de nouveau sur son amas rocheux. Quelque part, dans son dos, Makalaurë s'entraînait à moduler le son de l'appeau, probablement en bouchant plus ou moins le trou avec son doigt. Tyelkormo continuait d'appeler les oiseaux, ce qui était certainement fort utile, et les chevaux hennissaient nerveusement. Fëanáro reporta son attention sur la roche. A l'aide d'un petit scalpel, il détacha délicatement les cristaux opaques qui s'étaient formés sur sa surface. Etait-ce une sorte de quartz ou un minéral possédant d'autres caractéristiques ? Il voulait en avoir le cœur net. Le savant fit glisser les cristaux obtenus dans une pochette rembourrée, à ajouter aux autres échantillons qu'il avait rassemblés. Il étudiera ceux-là lorsqu'il sera de retour à son atelier. Pour le moment, il observa avec attention les anfractuosités de la roche où ils s'aggloméraient. Quel phénomène provoquait donc leur formation…?
« Père ? »
C'était Maitimo. L'urgence dans la voix habituellement posée de son fils aîné interpella Fëanáro et, soudain, il s'aperçut qu'il n'entendait plus ni l'appeau de Makalaurë ni les appels joyeux de Tyelkormo.
L'érudit se leva et se retourna d'un geste, et le spectacle alarmant auquel il assista faillit lui couper le souffle. Une meute de loups des collines s'était glissée jusqu'à eux, silencieusement, tapie derrière les herbes et les roches une meute d'une douzaine de bêtes faméliques. Les fauves affamés les avaient presque encerclés et avançaient lentement vers eux, en grondant sourdement, leurs babines noires retroussées sur leurs crocs luisants. Bien sûr, les loups ne s'attaquaient que rarement aux elfes, réfléchit aussitôt Fëanáro, mais ceux-ci sortaient d'un long hiver et quatre elfes désarmés, dont trois jeunes, présentaient des proies parfaites pour une meute aussi nombreuse. Et, constata-t-il avec horreur, Makalaurë et Tyelkormo étaient les plus accessibles.
Le petit brun et le blondinet s'étaient trop éloignés des chevaux pour jouer avec l'appeau et se trouvaient dangereusement proches des loups. Ils s'étaient figés, effrayés. Tyelkormo semblait pour une fois tétanisé, la main délicate de Makalaurë crispée sur son bras. Un des loups avança d'un pas et Makalaurë, dans un réflexe protecteur, attira immédiatement son petit frère contre lui. Il tremblait. Tyelkormo ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Il s'accrocha de toutes ses forces aux bras de son aîné. Un peu plus proche des chevaux, Maitimo s'était levé, tout prêt à courir au secours de ses cadets. Mais la taille de la meute l'impressionnait, il ne savait pas comment réagir et attendait des ordres, une indication sur la meilleure chose à faire. Il hésitait, perdu, son regard sautant de son père à ses jeunes frères, et son angoisse grandissante se lisait aisément dans l'eau grisée de ses yeux.
Les chiens, se fustigea Fëanáro. Il aurait dû emmener les chiens. Des gardes. Surveiller le trouble des chevaux. Garder les petits près de lui. Il aurait dû…
Pas le temps pour ça.
Maîtrisant son anxiété, Fëanáro parla d'une voix calme et assurée :
« Pas de mouvement brusque, les garçons. Ne quittez pas les loups des yeux. Maitimo, reculez lentement jusqu'aux chevaux. Ne vous retournez pas. Regardez les loups. »
Sans un mot, Maitimo obéit. Pas à pas, très calmement, il recula. Fëanáro en faisait de même, se rapprochant des chevaux qui piaffaient de nervosité.
« Makalaurë, ne bougez pas. Regardez les loups. Ne lâchez pas votre frère. »
Précaution inutile, songea-t-il après coup : les deux enfants s'agrippaient l'un à l'autre avec l'énergie du désespoir. Sentant en eux des proies plus faciles et effrayées, les carnivores manoeuvrèrent pour se rapprocher d'eux, une partie de la meute tâchant de les isoler de leurs aînés. Avec un faible gémissement, Tyelkormo se recroquevilla encore plus entre les bras tremblants de son frère. Fëanáro accéléra le mouvement et rejoignit son fils premier-né près des chevaux.
« Père, souffla Maitimo, pâle, ils veulent les petits !
-J'ai vu. Détachez vos étriers, vite. Nous allons les effrayer. »
Les deux elfes défirent rapidement les sangles de cuir qui rattachaient leurs étriers métalliques à leurs selles. Fëanáro fit signe à son fils de le suivre, et il s'avança silencieusement vers la meute qui encerclait les plus jeunes. Les plus proches des loups les surveillaient et grognèrent à son approche, menaçants. En réponse, Fëanáro entrechoqua violemment les étriers, avançant d'un pas sûr, et criant pour augmenter le boucan déjà assourdissant. Maitimo l'imita.
Surpris par le bruit, les plus peureux des loups décampèrent aussitôt. D'autres hésitaient, pris au dépourvu. Mais, voyant le reste de la meute battre en retraite, ils fuirent à leur tour. Quelques uns parmi les plus proches des deux enfants elfes montrèrent les crocs, grondant plus fort. Fëanáro et Maitimo avancèrent vers eux, claquant toujours leurs étriers et criant autant que possible. Ce fut le moment que Tyelkormo choisit pour voir rouge. Déjà rassuré par la débandade des loups et furieux d'avoir été effrayé, le bambin ramassa une pierre et, poussant un hurlement strident, il la jeta de toutes ses forces sur le plus proche museau. La malheureuse bête qui le reçut détala sans demander son reste, et les derniers carnivores disparurent aussi vite. Tout s'était passé très rapidement.
Fëanáro respira. Le bruit métallique d'une chute lui apprit que Maitimo avait lâché ses étriers, et déjà le grand garçon se précipitait vers ses cadets pour les enlacer. Leur père s'assura d'un regard qu'ils n'avaient rien avant de ramasser les petits objets de fer abandonnés par son fils aîné. Dans les bras de Maitimo, Makalaurë s'autorisait enfin à sangloter. Tyelkormo, lui, s'échappa vite de l'étreinte de son frère. Les yeux jetant des éclairs, il continua à lancer des cailloux en invectivant les fauves absents. Mais, réalisant rapidement qu'il n'avait plus rien sur quoi passer sa colère, il courut rejoindre son père.
« Ils sont méchants, les loups ! cria-t-il, furibond, ses joues rondes rougissant de colère.
-Les loups ne sont pas méchants, Tyelko, lui répondit Maitimo en berçant doucement Makalaurë. Ce sont des loups, c'est tout.
-Je les déteste ! Je déteste les loups ! Ce sont de vilaines bêtes ! N'est-ce pas, Père ? »
Tandis que Tyelkormo tempêtait autour de lui et que Maitimo maternait son autre frère, Fëanáro ne perdit pas de temps pour raccrocher les étriers à leur place. Il attacha la bride du poney à l'une des sacoches de son destrier, et la bride de la pouliche de Makalaurë à la monture de Maitimo. Il fallait maintenant retourner au campement aussi vite que possible, avant que les bêtes sauvages ne se remettent en chasse une fois leur frayeur dissipée.
« Maitimo, rangez vos affaires, dépêchez-vous. Nous partons à l'instant. Vous prendrez Makalaurë en selle avec vous. Tyelkormo, restez ici. Vous monterez avec moi. »
Tout en donnant ses directives, le prince elfe avait rassemblé ses affaires et ses échantillons et les avait rangés dans ses sacoches d'une main aussi preste qu'experte. Puis il hissa le petit Tyelkormo sur le cheval et prit place derrière lui. Il attendit quelques instants que Maitimo achevât de ranger ses calepins, pinceaux et crayons. Makalaurë escalada la haute jument de son frère et, enfin, ils furent prêts à partir.
Ils chevauchèrent dans un semblant de silence pendant plusieurs minutes, seulement troublé par la berceuse que Makalaurë fredonnait machinalement et les ronchonnements de Tyelkormo qui poursuivait inlassablement sa diatribe contre les loups. Un rapide coup d'œil à son fils aîné permit à Fëanáro de s'assurer que Maitimo avait retrouvé ses couleurs. Il avait réagi avec beaucoup de calme malgré sa peur, et sa maîtrise de lui avait bien aidé à arranger la situation, reconnut son père avec une pointe de fierté. Il eut soudain l'envie irrépressible de passer sa main dans les cheveux du grand garçon pour en ébouriffer les mèches rousses, mais Maitimo était maintenant trop âgé pour qu'il se permît ce genre de familiarités. A la place, il ébouriffa les boucles blondes de Tyelkormo. Le petit elfe se démancha le col pour lui adresser un regard noir et tapota sur son bras pour l'écarter de sa tête.
« Et pourquoi y'a des loups, Père, d'abord ? bougonnait-il toujours. Ce sont des bêtes méchantes et dangereuses qui font peur. Oromë est bien stupide de laisser ces monstres vivre à Valinor ! »
Fëanáro haussa un sourcil. Il n'était pas étonné du fait que le bambin connût le nom d'Oromë, son père Finwë aimant raconter toutes sortes de vieilles histoires à ses nombreux petits-enfants. En revanche, que l'enfant fût d'emblée capable d'associer le lointain Vala à leur situation présente dénotait un chemin de réflexion intéressant.
« Tenez-vous bien, Tyelkormo. Je ne veux pas vous voir tomber. Dites-moi plutôt, grand-père Finwë vous a-t-il raconté l'histoire des premiers chiens ?
-Nnn, nnn. »
Le plus petit secoua la tête, faisant voleter l'auréole d'or pâle de ses cheveux. Fëanáro se tourna vers son premier-né.
« Et vous, Maitimo ? »
L'adolescent opina vivement. Un sourire éclatant illumina son beau visage constellé de taches de rousseurs.
« C'était à l'époque où les anciens elfes traversaient le Vieux Continent à la suite d'Oromë, commença le rouquin, pour passer de l'autre côté de la Grande Mer et venir vivre à Valinor. La lumière des Arbres n'est pas aussi forte sur le Vieux Continent, et les elfes étaient terrifiés par les ténèbres. Là-bas vivaient des créatures mauvaises créées par Melkor, qui se tapissaient dans l'ombre et harcelaient les elfes dans leur Longue Marche. Ils craignaient donc la nuit et, souvent, des hommes, des femmes et des enfants y disparaissaient à tout jamais. »
Un frisson parcourut Makalaurë, qui avait toujours été trop sensible, et Maitimo lui caressa gentiment le bras pour le rassurer.
« Oromë guidait la Longue Marche des elfes, et il chassait les dangers des ténèbres en cheminant à leur tête, poursuivit le jeune garçon. Mais les marcheurs étaient nombreux, leur cohorte s'étendait sur des lieues et des lieues, et Oromë ne pouvait à la fois en protéger l'avant, l'arrière et les flancs. Aussi rassembla-t-il ses chasseurs, les loups. Il leur demanda de se disperser dans la cohorte, de la tête à la queue. Il leur ordonna de vivre avec les elfes, de les accompagner et de les protéger aussi longtemps que durera la Longue Marche. »
Les yeux grisés de Tyelkormo s'écarquillèrent d'incrédulité.
« Oromë a donné des loups aux elfes ?
-Pour les protéger ? s'étonna Makalaurë. »
Maitimo hocha sa tête rousse.
« Oui. Les loups s'attachèrent aux elfes, ils demeurèrent avec eux et ils devinrent des chiens, les plus fidèles et loyaux de nos compagnons. »
Les deux enfants échangèrent un regard indéchiffrable avant de se murer dans un long silence pensif. Enfin, Tyelkormo tapota de nouveau sur le bras de son père, déséquilibrant son assise pour le regarder.
« Père ?
-Asseyez-vous correctement, Tyelkormo, et tenez-vous à la selle.
-Alors les loups ce sont un peu des chiens qui sont sauvages, et les chiens ce sont des loups qui ne sont plus sauvages ? »
Fëanáro s'accorda une seconde de réflexion, le temps d'évaluer le niveau de compréhension du plus petit. Il répondit doucement :
« C'est un peu plus compliqué que cela, Tyelkormo, mais c'est effectivement ce que raconte l'histoire.
-J'aime bien cette histoire ! »
Le bambin opina vigoureusement du chef, faisant brinquebaler ses mèches blondes. Makalaurë tira quelques notes mélodieuses de son appeau, mais il s'abstint de tout autre commentaire. Le reste du trajet se passa dans le calme, et Fëanáro se sentit rasséréné lorsqu'il aperçut les tentes du campement se détacher sur le ciel rougeoyant des derniers rayons de Laurelin. Nerdanel les attendait à l'entrée du camp, quelques chiens paresseusement allongés à ses pieds. La princesse Noldo leur sourit et leur adressa un signe de la main, auquel ses trois enfants répondirent avec joie. Mais dès que Tyelkormo aperçut les canidés, il gigota d'excitation.
« Nelyo, Káno ! appela-t-il d'une voix aiguë. J'ai décidé ! On va jouer aux anciens elfes et aux loups ! »
Nerdanel haussa un sourcil interrogateur devant cet accueil inattendu. Fëanáro se contenta d'un sourire en coin.
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Ce texte date, je l'ai écrit il y a trois ou quatre ans xD Il fait partie d'une série d'histoires liées les unes aux autres concernant les différents membres de la maison de Fëanor (honoraires inclus – Peredhil twins, I'm looking at you).
Merci d'avoir lu, je vous souhaite un bon week-end et tous mes vœux pour cette année 2024 !
