Bellatrix ne s'attendait pas à tomber enceinte. Il faut dire qu'elle a pourtant pris des précautions – les potions n'ont jamais été son meilleur sujet à l'école et elle ne s'est pas améliorée depuis, mais elle s'y connaît suffisamment pour préparer un philtre contraceptif qu'elle ingurgite religieusement toutes les deux semaines.
Rodolphus est au courant de ça, mais n'a jamais tenté de la dissuader ou de l'empêcher. Contrairement à ce à quoi elle pensait endurer une fois mariée à l'héritier Lestrange – ce que son propre père aimait faire endurer à sa mère – il ne lui impose pas de contraintes, n'essaie pas de diriger sa vie. En fait, il paraît plus admiratif que contrarié devant le caractère de cochon de sa femme.
Pour cela, Bellatrix le respecte, l'estime même un peu, mais ça ne veut pas dire qu'elle souhaite porter son enfant. Ni celui d'un autre, d'ailleurs ; elle… n'est pas intéressée, voilà. Que ferait-elle d'un rejeton ? Et puis, ce n'est pas comme si le nom Lestrange menace de s'éteindre, Rabastan pourra toujours continuer la lignée de son côté, Rodolphus en a souvent parlé comme si c'était inévitable, et ça aurait dû l'être.
Sauf que ce beau rêve se heurte à l'incontournable réalité de la grossesse de Bellatrix. Comment a-t-elle fait ça, elle n'en a pas la moindre idée.
La graine de vaurien s'est en plus montrée sournoise, refusant de signaler sa présence par les habituels vomissement ou étourdissements, si bien que lorsqu'elle a cédé aux récriminations de Cissa et accepté de consulter un médicomage pour sa prise de poids, elle en était déjà à presque cinq mois de grossesse, beaucoup trop tard pour le faire passer sans risquer que Bellatrix elle-même y laisse des plumes ou carrément la vie.
Au début, elle pense que c'est une farce stupide, mais le guérisseur persiste dans son diagnostic en dépit d'un maléfice urticant sévère. Après être allé voir trois guérisseurs différents et une sage-femme, impossible de se voiler davantage la face : elle va devenir maman.
Elle ne sent pas prête. Elle n'en ressent même pas l'envie, si bien que toutes ces félicitations malvenues lui portent rapidement sur les nerfs. Elle finit par casser le nez à Lucius Malfoy quand son mielleux beau-frère la visite pour lui exprimer tous ses vœux de bonheur – le résultat étant que Cissa décide de la bouder, mais vraiment ce n'est pas une punition si grave que ça, la plus jeune fille de Cygnus Black peut se montrer gavante à la longue.
Ce qui est plus grave, c'est la décision du Maître de ne plus faire appel à elle dans le cadre de ses opérations. Oh, il assure que ce n'est pas définitif, juste le temps qu'elle accouche et récupère de la naissance, mais elle n'en sent pas moins son cœur se serrer.
Elle est faite pour le combat, elle est faite pour l'action, pas pour rester cloîtrée entre quatre murs à regarder son ventre grossir. Mais son Maître a parlé, lui a dit que l'enfant qu'elle porte doit naître en bonne santé – son sang est pur et son hérédité lui donne une bonne chance d'être magiquement puissant, il ferait un serviteur puissant et tout indiqué pour le Seigneur des Ténèbres. Alors elle obéit – elle se cantonne au Manoir Lestrange, elle avale sans se plaindre les plats « sains » que prépare l'elfe de maison, elle ne pratique plus les sorts de magie noire qui pourraient exercer une influence néfaste sur sa personne fragilisée.
Druella Rosier Black est ravie de voir sa fille aînée rebelle se conduire enfin de manière responsable. Ni Cygnus Black ni Romulus Lestrange, pourtant les grand-pères de l'engeance qu'elle va mettre bas, ne lui accordent une visite ou même un mot pour la congratuler – en ce qui les concerne, elle a enfin accompli son devoir. Derrière sa bouderie, Cissa se révèle également enceinte – y aurait-il quelque chose dans l'air, à la fin – et s'imagine déjà leurs bambins jouant ensemble, en incorrigible romantique.
Rodolphus… est compliqué à lire. Il n'est pas franchement contrarié devant cette paternité s'abattant sur lui, pas comme Bellatrix se désole d'avoir procréé, mais elle le sent plus confus que réjoui à la perspective d'interagir avec un enfant lui étant apparenté. Elle peut accepter ça.
Rabastan est un livre ouvert : il a toujours été un suiveur, le grand nigaud, en second fils typique. Voir la menace de devenir chef de famille s'écarter de lui a injecté une certaine allégresse dans sa démarche et son regard, dont Bellatrix le punit en lui jetant à la tête la première chose qui lui tombe sous la main. Si c'est le chat, soit.
Quand elle entre en travail le dernier soir de novembre, elle accueille la douleur comme une délivrance ; encore une semaine de cette situation et elle serait vraiment devenue folle. Alors oui, elle préfère se tortiller dans le lit, couverte de sueur et les tripes en train de se dissoudre à l'acide, pendant une nuit qui refuse d'en finir.
Un jour grisâtre commence à s'infiltrer par la fenêtre alors que le moutard se décide enfin à quitter son nid douillet, et Bellatrix est si fatiguée qu'elle ne parvient pas à garder les yeux ouverts.
« C'est un fils, madame. »
Elle entend à peine les mots avant de s'endormir.
Si quelqu'un avait un jour annoncé à Rodolphus Lestrange dans quelles circonstances il aurait connu la pire anxiété possible, il aurait probablement changé la pauvre âme en cornichon pour l'envoyer à la cuisine. Avoir peur alors que vous vous tenez devant le plus grand mage noir de votre génération, soit. Mais devant un nourrisson incapable de se torcher seul, ça sonne plus ridicule que plausible.
Et pourtant.
Il se sent désemparé depuis que la grossesse de Bellatrix a été découverte – oh, il ne fuira pas sa responsabilité future. Mais… comment s'y prendre exactement ? Il ne sait pas comment un père doit agir – le sien s'est débarrassé de lui et Rabastan sur leurs tuteurs autant que possible.
Alors il rumine cette angoisse qui lui pince le fond de l'estomac, et qui a empiré au fur et à mesure de la nuit qu'il a passée dans le couloir menant à la chambre de sa femme. Pour sa part, Rabastan a tenté vaillamment de monter la garde à ses côtés, seulement pour piquer du nez et être envoyé au lit vers trois heures du matin.
Quand la sage-femme émerge, un paquet blanc dans les bras, il ne se sent pas du tout soulagé. Plutôt sur le point de vomir.
« Vous avez un fils, monsieur. Un beau garçon bien robuste. »
Un fils. C'est au moins ça – la lignée de Romulus Lestrange est assurée pour une autre génération, voilà qui ne manquera pas de réjouir le patriarche.
« Et Bellatrix ? »
« Votre femme se repose, le travail a été aussi long que fatiguant. Vous voyez bien que le jeune homme n'est pas du genre fluet, ça complique toujours l'affaire. »
Bellatrix fatiguée, c'est un spectacle qui ne lui est pas familier, une perspective étonnamment dérangeante qu'il décide de chasser en demandant à tenir le nouveau-né.
Celui-ci est… lourd, pour un si petit être. Rougeaud de l'effort dépensé pour venir au monde, mais laissant déjà entrevoir le teint pâlot typique des Black. Une touffe de cheveux très noire, qui parvient à boucler en dépit du bon sens. Des paupières bouffies obstinément closes, créant une expression contrariée.
« Avez-vous déjà choisi un nom, monsieur ? Pour le certificat de naissance. »
En vérité, Rodolphus n'y avait pas songé du tout, et il est certain que sa femme non plus – quoique, vu la tradition de sa famille, ce serait sans doute un corps céleste ou autre météore. Mais alors qu'il contemple le petit visage encore mal dégrossi, cette insolente frisette lui remet un souvenir en mémoire.
Chandra Lestrange née Singh, grand-tante des frères Lestrange, avait toujours tiré une incommensurable fierté du refus qu'avait son indomptable chevelure de blanchir sous le passage du temps. Ils ne l'avaient pas visitée si souvent que cela – Romulus ne cachant pas son mépris pour cette pièce rapportée de la famille – mais néanmoins assez souvent pour que Rodolphus éprouve une affliction non négligeable à la mort de la vieille dame.
Un nom Hindi se tenait sur le bout de sa langue, un dont il se rappelait vaguement le sens. Lumière de l'aube.
« Il s'appelle Roshan. »
