« Est-ce que c'est compliqué, d'être un Auror ? »

Pour la visite de ce mois-ci, Perry a choisi d'avoir l'entretien dans le salon avec la longue tapisserie médiévale, qui est couverte de plantes blanches sur un fond noir avec des lapins, des renards et des chats jouant à cache-cache entre les fleurs, l'adulte et son interlocuteur pré-pubère confortablement installés dans des fauteuils bouffis recouverts de couvertures au motif de damier blanc et noir, parfaitement assorti au tapis recouvrant les dalles froides.

À titre personnel, le diplômé de Poufsouffle trouve cette tapisserie désespérément perturbante, surtout quand l'un des chats ou des renards parvient à attraper un lapin et commence à l'éventrer joyeusement – oui, la nature n'est pas exactement idyllique et le cercle de la vie nécessite des morts dans la relation entre prédateur et proie, mais ce n'est pas quelque chose auquel on aime penser… Ou peut-être que ça dépend de votre tempérament.

Roshan ne semble pas du tout dégoûté par le carnage brodé au fil blanc sur noir, mais Perry choisit d'y voir l'habitude d'un gamin ayant grandi entre ces murs, plutôt qu'une marque de sociopathie. Plus d'un collègue se rappelant trop bien l'arrestation et le procès des Lestrange le traitera d'incorrigible optimiste, mais l'Auror observe le garçon grandir depuis des années alors il pense pouvoir rendre un jugement plus informé et certainement plus digne de confiance qu'une bande de gars n'ayant même pas rencontré le petit.

Roshan se tient très droit dans son fauteuil qui menace de l'engloutir dans ses replis moelleux – Circé et Morgane, c'est absolument adorable et l'homme adulte déplore l'absence d'un appareil photo – et darde sur son vis-à-vis ses yeux orangés qui brillent autant que des braises dans la cheminée.

« Faut-il que j'interprète ta question comme une envie de m'aider dans mon travail ? » interroge aimablement Perry. « Parce que j'adorerais te prendre comme apprenti, mais le règlement interdit aux Aurors qui n'ont pas cumulé dix ans d'ancienneté d'influencer la jeunesse sans défense. Les gens nous croient invincibles, tu vois, alors si je permets à un pauvre petit aspirant de me voir pourchassé par des oies qui n'aiment pas que j'empiète du côté de leur ferme, ça brisera son moral et je ne pourrais pas vivre avec ça sur la conscience. »

Le coin des lèvres du garçon frémit – le type de frémissement indiquant que quelqu'un se mord l'intérieur de la joue pour ne pas éclater de rire ou sourire sarcastiquement parce qu'il vient d'entendre une belle ânerie. Pour sa part, l'homme adulte sourit largement et sans la moindre honte. Pourquoi réprimer son côté ridicule quand la vie peut être profondément ridicule ?

Et puis, parfois, c'est rire ou pleurer, et si vous commencez à pleurer, vous trouverez très vite de nombreuses raisons pour ne plus vous arrêter, et vous finirez par mourir de déshydratation ou causer un nouveau Déluge de proportions bibliques.

« Ce n'est pas ça du tout » précise Roshan. « C'est juste – je me demandais… »

Le garçon s'arrête, se mâchouillant la lèvre inférieure, et Perry attend qu'il remette de la cohérence dans ses pensées. Lorsqu'on bouscule son interlocuteur pour obtenir plus vite des réponses, celui-ci a de fortes chances de se montrer confus et pas tellement clair. C'est mieux d'apprendre la patience, un art si difficile quand vous êtes jeune et débordant d'envie de passer à l'action.

« Les lois disent ce qui n'est pas permis » articule soigneusement Roshan. « Mais il y a quand même des gens qui refusent de les suivre. Je sais que parfois, c'est pas exprès, mais… quand tu sais que c'est mal, et tu décides quand même, non, c'est mon avis qui compte... »

Il s'arrête et regarde l'Auror par-dessous de longs cils noirs. Perry s'autorise à pousser un soupir.

« C'est un point de vue très simplifié de la loi et des criminels que tu me proposes là. »

« Mais est-ce que c'est un faux point de vue ? » insiste le garçon.

« Non, pas dans la plupart des cas. Le plus souvent… Le plus souvent » admet l'employé des forces de l'ordre, « quand un criminel enfreint une loi, il le fait en sachant que c'est mal. Mal du point de vue de la société, parce que comme tu l'as dit tout à l'heure, ce criminel a décidé que c'est son opinion qui compte avant celle des autres. Mais quand tu vis dans une société, quand tu habites avec d'autres gens, tu ne dois surtout pas oublier que ces autres gens ne pensent pas pareil que toi. Ne ressentent pas les choses pareil que toi. »

Roshan grimace. Il essaie de reprendre une expression neutre, mais le bambin n'est encore qu'au début de son entraînement de politicien, il manque de contrôle sur ses muscles faciaux, et Perry exploitera cette faiblesse aussi longtemps que possible, les enfants apprennent fatalement à mentir et c'est toujours bon de savoir quand ils ne vous disent pas la vérité sur les bêtises qu'ils ont l'intention de commettre ou ont potentiellement commises, ça évite de punir un innocent ou d'avoir à remplacer une maison ou une armoire irréparablement endommagée.

« Oui, c'est difficile et c'est fatigant, mais c'est important » déclare l'adulte. « Une personne est une personne, et ça ne change pas même si elle lit tes livres sur les pirates et les trouve stupides. »

« Les pirates ne sont pas stupides » grommelle Roshan, arborant la mine butée du gamin qui va sauter par la fenêtre pour ne pas avoir à ranger sa chambre parce que les enfants n'ont absolument aucun sens de la mesure.

« Pour toi, ils ne le sont pas » nuance Perry. « Et pour certaines personnes, ne pas frapper quelqu'un juste parce que cette personne respire trop fort alors que tu veux dormir, c'est stupide. Mais le truc, c'est que personne n'aime se faire frapper, surtout pas pour une raison auquel tu n'as pas pensé vu qu'elle semblait évidente, ou pas. Et le rôle des Aurors, c'est ça – quand quelqu'un fait du mal à quelqu'un d'autre, peu importe sa raison ou la manière dont il s'y prend, il faut que j'intervienne avec mes collègues. »

Roshan fronce les sourcils.

« Mais si la personne qui fait du mal à l'autre, cette autre personne a commencé par lui faire du mal à elle ? Quand quelqu'un casse la fenêtre de son voisin, alors son voisin lui casse la fenêtre, tu arrêtes qui ? »

Perry fait la moue.

« Ça, c'est un problème pour les juges, décider qui est le plus coupable dans l'histoire. Un Auror intervient quand il y a du dégât, pour empêcher que les dégâts aillent plus loin. »

« Tu ne peux pas intervenir avant les dégâts ? »

« Seulement si on me prévient, et ça n'arrive pas si souvent » admet tristement l'adulte. « C'est pour ça que je préfère quand il n'y a pas de criminels du tout, de la sorte rien n'est cassé et personne n'a besoin d'être consolé. »

« Sauf que tu ne travailles pas, et donc tu n'es pas un élément utile à la société » glisse perfidement Roshan qui ne cille pas en disant cela.

« Pas vrai » se défend nonchalamment Perry. « Si je n'étais pas devenu un Auror, j'aurais rejoint un restaurant pour faire la cuisine et le ménage. Je me débrouille plutôt bien, quand le balai ne se casse pas dans mes mains à force d'usure... »

Vraiment, il faudrait songer à remplacer ce satané balai un de ces jours, il avait beau le réparer d'un geste de sa baguette, c'était déjà la troisième fois que la tête sautait pour aller se promener ailleurs.

Au bout de trois fois, ce n'était plus de la coïncidence mais l'œuvre de l'ennemi, comme disait l'autre.