Ce n'était pas que Stiles n'aimait pas discuter avec son père. A vrai dire, il appréciait l'idée.
L'idée, oui. Parce que père et fils n'avait pas une relation qui mettait en valeur cette communication que l'on prônait dans la plupart des familles et qui rythmait la vie de tout un chacun vivant ensemble. Noah et Stiles étaient deux êtres de même sang gravitant l'un autour de l'autre sans jamais rentrer en contact. Le jour, chacun avait ses occupations : le premier travaillait en tant que shérif tandis que le second allait au lycée. Souvent, le premier rentrait du poste tard le soir – le second sortait faire mille et une choses, souvent des enquêtes liées au surnaturel. Un monde qui terrifiait Noah de par sa nature aussi incongrue qu'inconnue. Il s'agissait d'une chose qu'il avait mis du temps à accepter et l'adaptation au nouveau mode de vie de son fils – dormait-il de temps en temps ? – avait été lente, très lente. Quelque peu difficile, si on lui demandait son avis de père. Bien que l'on puisse le qualifier d'absent, Noah tenait à être aux côtés de son fils lorsque celui-ci n'allait pas bien, à l'aider s'il en ressentait le besoin. Qu'il travaille beaucoup n'était pas une excuse.
Alors voilà, Noah voyait bien qu'il y avait des choses qu'il avait manquées, un tas d'erreurs à réparer. La nervosité qu'il lisait sur le visage de son fils ne devrait même pas être là. La peur de le déranger ? Il devait la bannir de son esprit encore juvénile. Car il avait eu beau mûrir de par les différentes expériences qu'il avait vécues au niveau surnaturel, il n'en restait pas moins jeune. Un enfant, son enfant, à ses yeux. Il s'agissait de la vision que la plupart des parents avaient, mais que Noah avait oubliée un moment. Il était finalement temps qu'il la retrouve, n'est-ce pas ?
- Fiston, commença-t-il maladroitement, enlève-toi de la tête l'idée que tu me déranges, s'il te plaît.
Noah n'était pas un très bon orateur, l'on pouvait même dire que s'exprimer était un véritable défi, pour lui. Faire comprendre ses pensées à autrui n'avait jamais été chose facile. Dans la famille, c'était de feu Claudia qui communiquait. Oui, c'était elle qui parlait lorsque l'un ou l'autre de ses deux hommes avait un problème. Elle maniait la langue et la rhétorique avec une excellence rare sans jamais mettre de côté sa maîtrise instinctive des émotions. Pour elle, il était facile de les voir, les deviner, les analyser. D'y répondre, de les traiter, de les apaiser.
Mais elle n'était plus là et c'était bien ça, le problème de la famille rétrécie que Noah formait avec Stiles.
Le concerné détourna le regard, l'air tout aussi gêné qu'au départ.
- Tu as mieux à faire que… Ça, finit-il par lâcher en esquissant un geste vague de la main.
Et même si ce n'était pas vraiment ce qu'il voulait dire, l'idée générale était là. Stiles ne voyait pas pourquoi Noah irait perdre son temps à lui rendre service, à l'aider dans cette galère incompréhensible. Père et fils avaient toujours eu leurs problèmes à eux, qu'ils traitaient toujours séparément, chacun de leur côté. La seule chose qu'ils avaient plus ou moins gérée à deux concernait Claudia et plus précisément, leur deuil de cette femme incroyable dont la perte continuait toutefois de se faire sentir chaque jour qui passait.
Noah poussa un soupir. Pourquoi son fils paraissait-il si fragile, si… Cassé ? Il ne le voyait pas complètement brisé, mais devinait sa confiance en miettes. Car c'était elle qui dictait son attitude si basse, ce manque d'assurance inhabituel qui ne devait pas dater d'hier.
- Jusqu'à preuve du contraire, tu es mon fils et il n'y a rien de plus important que toi à mes yeux.
Et même s'il n'avait pas l'habitude d'être démonstratif, que ce soit dans ses paroles ou ses actions, Noah comprenait au fur et à mesure de ses observations qu'il se devait de changer. Il n'évitait jamais Stiles à proprement parler, simplement… Il était vrai qu'aller vers lui n'était pas un réflexe et puisque son fils faisait de même avec lui, le shérif s'était jusque-là dit que leur relation fonctionnait ainsi. Or, il semblait s'être fourvoyé… Happé par l'illusion rassurante qui ne lui demandait aucun effort superflu. Alors il fallait qu'il s'exprime, qu'il rappelle la vérité à Stiles tout en se la remémorant lui-même. Parce que son fils était son monde… Et il avait eu tendance à l'oublier, mais ce qu'il découvrait peu à peu tendait à lui ancrer ce fait dans la peau. Sa négligence n'était peut-être pas ce qui avait provoqué directement ce manque d'assurance flagrant, cependant… Elle faisait sans doute partie du lot.
La réalisation était dure. Dure, mais nécessaire. Noah n'était pas un mauvais bougre : il fallait cependant avouer qu'il n'était pas pourvu de ces automatismes qu'avaient en eux un grand nombre de papas. L'on ne pouvait toutefois pas lui enlever l'amour qu'il portait à son fils et ce lien qui, sans parler d'une dimension surnaturelle, serait éternel. En somme, Noah n'avait juste pas la pratique – c'était quelque chose qu'il aurait dû travailler dès le départ. Au lieu de cela, il avait laissé Claudia se saisir des rênes de la famille du temps où elle était en vie. Et il avait fait quelques efforts à sa mort, certes… Sans jamais prendre toutes ses responsabilités non plus.
Et voilà où ils en étaient, Stiles et lui. Un père et un fils plus ou moins étrangers l'un à l'autre, avec la certitude de s'aimer et de se soutenir, mais sans les efforts derrière. Honnêtement, Noah n'en voulait pas à Stiles : leur attitude l'un envers l'autre était partiellement la raison de leur relation quelque peu distante. Pour autant, c'était à lui, l'adulte, de le mettre en confiance et d'instaurer un climat favorisant la discussion et les échanges.
Alors oui, même si c'était tardif, Noah se rendait compte qu'il ne voulait rien de plus que Stiles sache qu'il pouvait compter sur lui à tout instant.
L'émotion qu'il lisait maladroitement dans les yeux de Stiles était difficile. Le lycéen ne pleurerait sans doute pas, mais ses yeux s'étaient suffisamment embués pour que Noah le remarque. Il savait son fils fier et très peu démonstratif quant à ce qui pouvait le rendre mal et s'il comprenait, il fallait que les choses commencent à changer. Stiles ne devrait pas avoir l'air… Surpris de ses paroles et Noah ne devrait pas avoir autant de difficultés à les dire parce que… Parce qu'il s'agissait de mots qu'il pensait sincèrement. Il fallait juste qu'il prenne l'habitude de ne pas les garder pour lui. Ce serait bien mieux ainsi.
- Qu'est-ce qui t'a fait croire que tu ne pouvais rien me demander ? S'enquit Noah.
C'était une question fondamentale qu'il se devait de poser depuis le départ et à laquelle il venait de penser. Il s'était lui-même rapidement interrogé mais c'était à Stiles de lui répondre – lui seul pourrait véritablement lui expliquer cette tendance au secret.
Stiles baissa les yeux, encore. Il ouvrit la bouche :
- Tu n'es pas souvent en repos.
Ces quelques mots, si peu nombreux, en recelaient en réalité beaucoup d'autres. Stiles avait l'habitude de lire entre les lignes, de décrypter avec peu : Noah fit l'effort de faire de même, malgré le fait que la chose ne soit pas naturelle pour lui. Il était un homme très terre à terre qui prenait les choses aussi simplement qu'elles venaient, sans forcément se dire qu'elles en cachaient d'autres.
Mais cette fois, il essaya de se mettre dans la tête de Stiles, de faire comme lui.
Et il comprit.
Stiles partait vraisemblablement du principe que Noah passait avant lui ce qui, dans une relation parent-enfant, était censé être l'inverse. Le boulot de son paternel était très prenant et ne lui accordait que peu de repos : il privilégiait donc ce fait par rapport à son propre bien-être. Or, ce n'était pas à Stiles de s'occuper de cela. Le constat frappa alors Noah avec une violence inouïe : c'était bien son fils qui se comportait comme un père.
Et ça, c'était un problème.
