Chapitre 38 : Polyam
Il y a des jours où tout est lourd, des jours où tout est léger. Il y a des semaines simples et des semaines qui contiennent un mélange de cette lourdeur et de cette légèreté. Cette semaine en avait certainement été une!
La semaine précédente, Izzy et Mage m'avaient chacun dit qu'ils avaient vu d'autres gens. Izzy m'avait parlé de son gars queer trop cute avec qui elle avait couché et avec qui ça avait été plaisant. Mage m'avait plutôt parlé du fait que plusieurs personnes lui avaient écrit en manifestant le désir de le voir. Autant j'étais contente pour eux, autant un sentiment de jalousie naissait en moi au fur et à mesure de leurs histoires. Mais une jalousie de quoi?
Étais-je jalouse d'Izzy? Jalouse de Mage? Jalouse des partenaires d'Izzy? Des partenaires de Mage? Je réalisai au courant de la semaine que j'étais en fait jalouse de la facilité avec laquelle ils semblaient rencontrer des gens. Je constatai également que je pouvais avoir aussi cette facilité si je faisais un effort. J'avais l'impression que je n'étais pas capable de rencontre-personne parce que j'avais passé 10 ans à éviter toute rencontre, mais j'étais maintenant prête à autre chose. Je repensai aux quelques dates que j'avais eues par le biais des apps de rencontre au fil de ces 10 ans. Potentiellement que chacune d'entre elles aurait pu déboucher à quelque chose, mais j'avais à tout coup coupé toute possibilité d'évolution.
Il y avait aussi certainement une part d'insécurité de ne pas être « assez bien » pour rencontrer quelqu'un, mais j'avais pourtant bien deux choses dans ma vie qui me montrait quelque part que je devrais être assez bien : tous les commentaires sur mes vidéos de porno abondaient en ce sens, mais, surtout, je fréquentais Mage. En toute franchise, comment pouvais-je penser que je ne pourrais pas être assez bien pour rencontrer des gens alors que je fréquentais – en toute objectivité évidemment – une personne aussi parfaite qu'elle!
Dans ces doutes et ces sentiments, je me mis à retourner, une fois de plus, sur les apps de rencontre. J'eus un match avec un gars qui semblait quand même beau et sympathique. Il proposa qu'on se voie pour un café et j'acceptai. Après tout, si je voulais moi aussi avoir des dates, il fallait bien que je commence par les accepter quand quelqu'un me le proposait!
La journée même, je n'avais plus envie de faire l'effort, mais en même temps j'avais le gout de voir ou cela mènerait. J'allai à sa rencontre. En arrivant, il attendait près de la porte et il m'accueillit d'une salutation chaleureuse. De cette simple salutation empreinte d'aisance et de stress, je savais que je passerais un bon moment.
Nous parlâmes de plusieurs sujets banaux et d'autres plus profonds. Il me rappelait beaucoup mon meilleur ami dans sa gestuelle et le premier gars avec qui j'avais couché dans son physique; c'était un drôle de mélange. La rencontre qui devait durer une heure en dura plutôt presque trois. Je me surpris à avoir espéré qu'on fasse plus que simplement prendre un café ensemble.
J'avais dit à Mage que j'allais rencontrer quelqu'un et il me demande si c'était son genre. Comment pouvais-je répondre? Je ne savais pas exactement quel était son genre, mais je supposai que oui. Il me répondit alors, sans surprise, qu'il serait content que j'aie d'autres partenaires si cela pouvait mener à des activités sexuelles de groupe. Je ris à ce commentaire qui traduisait ce kink qu'il aimait rappeler qu'il avait. Évidemment, si j'avais un partenaire qui accepterait la chose, ça me ferait plaisir de m'adonner à de telles activités. Mon problème avec la chose était lorsqu'il était question de cela avec des gens que je ne connais pas, ou encore pires que je ne connaissais pas, mais que Mage connaissait. D'ailleurs, plus tard, je demandai à ce nouveau gars si ce serait une éventualité qui pourrait l'intéresser et il ne répondit pas non de soi, mais ce n'était pas non plus un oui de manière imminente. En même temps, c'était logique, il m'avait dit que ça faisait très longtemps qu'il n'avait pas eu de relations sexuelles et que la dernière fois cela remontait à sa dernière relation qui s'était mal terminée.
Une fois la rencontre terminée, nous nous laissâmes après une courte étreinte et je retournai à la maison.
Le soir venu, Mage me dit qu'il avait finalement du temps libre si je voulais passer le voir, mais ma mère ne pouvait pas garder alors je déclinai. Comme toujours, j'aurais bien aimé le voir, mais je ne pouvais pas me dédoubler.
Je décidai d'écrire à l'autre gars pour voir quand on se reverrait. Comme j'avais plusieurs choses de prévues dans les jours suivants, je lui proposai de venir cette soirée-là et il accepta. Je mentionnai au passage que ça pouvait simplement être une date comme en après-midi ou une date plus sexuelle, comme il voulait. Il me réexpliqua vaguement la situation de sa dernière fin de relation et me dit qu'il verrait en temps et lieu.
Je pris par contre la peine de mentionner quelques points importants. C'était maintenant clair et limpide les attentes de Mage par rapport à la protection et aux rapports sexuels. De toute manière, je ne prenais pas de contraception et je n'allais pas être enceinte. Ce fut alors très clair que s'il voulait qu'il se passe quelque chose, ça devait être protégé. De plus, je mentionnai qu'il n'y aurait aucune possibilité de quoique ce soit oral puisque ce n'est pas commun de se protéger et je ne voulais absolument rien de non protégé. Plus tard, je rediscutai avec lui d'itss et il me dit que ses derniers tests remontaient à il y avait 3 mois alors que sa dernière relation remontait à plus d'un an. Ça n'aurait donc été aussi peu risqué d'avoir des relations non protégées avec lui que Mage avec moi au début de notre relation, c'est-à-dire pratiquement aucun risque. Mais peu importait, ça allait toujours être protégé de toute manière.
Il arriva à la maison et nous discutâmes, puis il alla à la salle de bain. C'est à ce moment que je vis le message de Mage. Il me dit en quelques mots qu'il préférait ne pas avoir de détails sur les autres personnes que je voyais parce qu'avec la situation de la chlamydia, cela lui faisait vivre des émotions négatives. Ces mots furent comme une brique qui me tomba sur la tête. Soudainement, je n'avais plus envie de voir ce nouveau gars qui était juste à côté dans ma salle de bain.
Et ce sentiment n'était pas généré par Mage en soi, c'était ma réaction à moi, à sa demande tout à fait légitime, qui était étrange. C'était comme si dans cette demande de ne simplement pas relater les faits, je me retrouvais à me juger par rapport à cela. Qui plus est, je n'aurais jamais rien voulu faire qui pourrait déranger Mage. Je savais bien qu'il ne me disait pas en ces mots de ne plus voir d'autres personnes, mais bien seulement qu'il ne voulait pas en entendre parler, mais, pour moi, les deux avaient la même valeur; ça me faisait simplement avoir envie de ne plus voir d'autres gens.
Je lui répondis clairement que s'il avait un jour le besoin ponctuel que je ne voie pas d'autres gens, ça ne me dérangerait pas de le faire. L'idée même de cette proposition était stupide! Quel plus gros redflag que quelqu'un qui demanderait de ne pas voir d'autres gens? Évidemment il déclina. Mais, le vrai problème dans la proposition était en fait la sincérité de la chose : pour moi, Mage était plus important que toutes mes autres possibilités de partenaires, alors si c'était quelque chose qui l'empêcherait de vivre des émotions négatives, je le ferai. Et c'était encore une chose qui demandait réflexion. Je savais que j'aurais été prête à dépasser beaucoup de mes limites pour lui et chaque nouvelle chose ou proposition devait être réfléchie plusieurs fois pour être certaine que ce n'était pas cet effet qu'il avait sur moi qui me faisait faire une chose, mais que je la faisais bien parce que je voulais. Cette proposition venait vraiment de moi et d'un moi qui sait très bien que je peux vivre sans aucune relation pendant très longtemps. Ça n'aurait donc même pas été un effort ou une privation d'arrêter de chercher à fréquenter d'autres gens.
Le gars finit par sortir de la salle de bain et nous montâmes dans ma chambre. Les choses progressèrent vers une relation sexuelle. J'avais oublié comment cela pouvait être non fluide et stressant. Je n'étais pas du tout stressé, mais lui l'était. J'avais aussi oublié que les condoms semblaient m'irriter, voire me faire mal. C'était bien vrai que les quelques fois que Mage en avait mis ça avait été un peu douloureux. Avec ce gars, ce n'était pas insupportable, mais c'était certainement plus douloureux que ça ne l'avait jamais été avec Mage. Il prit donc son temps. Au final, ce fut majoritairement positif. J'aurais décrit la chose comme « bien ».
Le problème survint après. Alors qu'il venait de finir, je sentis les larmes commencer à couler sur mes joues. Je me retiens de pleurer devant lui, mais je ne pouvais que penser à Mage et au fait qu'il n'était pas présent : il aurait dû être là lui aussi. Ça me semblait complètement farfelu d'avoir une relation sexuelle en absence de Mage. Je ne pouvais pas vraiment dire ce qui causait cette tristesse : un mélange des hormones spm, l'absence de ce sentiment de sécurité propre à Mage, l'absence de son odeur, de ses sons, de ses touchers, de ses paroles. Autant de manque qui lui était propre.
Une chose était certaine, je n'allais pas ravoir de relation sexuelle avec quelqu'un d'autre que Mage de si tôt! Bien que j'accepterais de revoir ce gars, ça resterait sans sexualité tant que je vivrais cette émotion.
Le gars finit par quitter et j'éclatai en sanglots. Toujours incapable de mettre des mots sur cette émotion, je décidai d'écrire à Mage pour lui partager certaines réflexions en lien avec lui. Je lui dis entre autres choses que j'étais encore convaincue de ne pas être en amour avec lui, mais que, pour la première fois, j'envisageais que ça pourrait devenir une possibilité. Je lui rappelais également l'importance qu'il avait pour moi et je lui rappelai également que je l'aimais.
J'étais complètement assommé par l'odeur de cet autre gars : c'était trop. Trop fort, trop inconnu, trop pas Mage. Je me lavai et je changeai mes draps en espérant faire partir son odeur. Ça fonctionna à moitié. Je me rappelai les premières fois où Mage était venu chez moi. J'avais aussi senti le besoin de me laver, mais jamais le besoin d'enlever son odeur au contraire : il avait toujours été MON odeur.
