Disclaimer : l'univers de Saint Seiya que vous reconnaîtrez aisément appartient à Masami Kurumada. Je ne retire aucun profit de l'utilisation de cette œuvre si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.


Note de l'auteur : j'ai un peu mélangé les quatre groupes de personnages, les Chevaliers, les Marinas, les Guerriers Divins et les Spectres. Ne chercher aucune rivalité entre eux si ce n'est autour des tables de poker. Ils vous paraitront parfois OOC, mais à une table de poker personne n'est vraiment lui-même. Je ferai de mon mieux pour limiter le décalage avec ce que nous connaissons. Il y aura également quelques personnages de The Lost Canvas et de Soul of Gold uniquement parce que je ne veux pas créer d'OC si je peux l'éviter. Je leur ai aussi conservé leurs couleurs de cheveux de l'animé. ^^

Dans les dialogues, j'ai tenté de retranscrire notre langage de tous les jours avec des négations absentes et des syllabes avalées, ce qui crée un contraste avec la narration d'un style plus habituel. Je trouve que ça donne plus de réalisme à l'histoire et aux personnages. Il y aura également certains mots et certaines expressions typiques de Marseille et la région provençale qui seront expliqués en fin de chapitre. Je ne suis pas une professionnelle du poker aussi si vous constatez des erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part afin que je corrige.

Les flashbacks seront en italiques. S'il y a des conversations téléphoniques dans les dialogues, et il y en aura, le correspondant sera également en italique, mais vous ferez la différence, j'en suis sûre.

Les termes "poker, pokériste, jeu, jouer, joueur, cartes, tournois, tables, Casino, tripots" et quelques autres vont revenir souvent. Ils ne possèdent pas énormément de synonymes, voire même aucun, aussi vous voudrez bien excuser leur répétition inévitable dans le texte.

Les cartes auront une majuscule pour les distinguer du reste de la narration. Par exemple : une paire de Deux. Un Roi. Un Neuf. Le vocabulaire spécifique au poker sera annoté et expliqué à la fin de chaque chapitre lorsque ce sera nécessaire. Les mises à jour ne seront peut-être pas régulières tout simplement parce que j'ai une vie en dehors de l'écriture de fanfictions. Merci de votre compréhension.


Fealina07 : merci pour ton gentil commentaire, ça me touche beaucoup. Tu tentes l'aventure du poker ? Ça me fait plaisir d'avoir réussi à aiguiser ta curiosité et que tu trouves ça amusant. Et il vaut mieux aller sur des sites où on te donne des jetons gratuitement, c'est beaucoup moins risqué quand on débute. Concernant la thérapie d'Angelo, comme je l'ai dit, elle ne sera pas au centre de l'histoire, mais j'y reviendrai de temps en ne sais pas si ce sera riche en rebondissements, mais il y en aura. J'aime les histoires simples, mais il ne faut pas non plus que ce soit trop linéaire. Encore merci pour ta review. Je te laisse avec ce nouveau chapitre. Bonne lecture.


Poker

Chapitre 3

Lundi 22 janvier 2029, Marignane, à vingt-cinq kilomètres environ au sud-ouest d'Aix-en-Provence, France…

Il venait de récupérer sa valise sur le tapis roulant de l'aéroport Marseille Provence et marchait d'un bon pas dans l'immense hall. Lorsqu'il franchit les portes automatiques pour prendre un taxi, une brusque rafale de vent le bouscula. Depuis trois jours, un violent Mistral soufflait avec des pointes à cent-dix kilomètres par heure. Les gens de la région connaissaient bien ce vent, ils en avaient l'habitude. Mais les touristes étaient surpris. L'été, il pouvait faire tomber la température de l'eau de vingt-cinq degrés à dix-huit en vingt-quatre heures tant il remuait la mer et faisait remonter de l'eau plus froide des profondeurs. Et c'était souvent ces jours-là que des incendies dévastateurs défiguraient la région mettant en danger les civils, mais surtout les pompiers et les pilotes de canadairs et d'hélicoptères bombardiers d'eau. Il était environ quinze heures, et l'hiver était bien installé mais il restait relativement doux. Il ne faisait pas plus de sept degrés Celsius et avec ce vent, on se serait cru sur la banquise. Mais ce n'était que le mois de janvier et il fallait espérer que bientôt la météo plus clémente.

Il n'aimait pas du tout la chaleur. Sa peau très pâle ne supportait pas le soleil malgré ses origines latines. Il avait peut-être des ancêtres qui venaient du nord de l'Europe. Mais ce vent et ce froid ne lui plaisait pas non plus. Malgré tout, il aimait trop l'argent pour ne pas faire un effort. Après tout, il n'était pas obligé de faire du tourisme. L'hôtel climatisé avec une température correcte lui convenait parfaitement. Et puis cette compétition, il ne fallait pas la manquer. Le dixième Ten Cities France Poker Tour (1) serait doté d'un prix plutôt intéressant. Soixante millions d'euros étaient garantis aux joueurs qui atteindront la bulle, mais le partage ne sera pas à parts égales. Le vainqueur à la table finale empochera le plus gros montant. Ce n'était certes pas Las Vegas ni le World Series Of Poker avec des prize pool hallucinants flirtant ou même dépassant les cent millions d'euros (2), mais c'était un magnifique tournoi qui emmenait les inscrits dans dix métropoles françaises qui abritaient les plus beaux Casinos du pays. Tous les participants ne feraient pas le circuit complet. Dans chaque ville, il y aurait de nouveaux joueurs. Seuls les plus aisés pouvaient se permettre de faire les dix cités pour le prestige d'avoir fait ce tour de France et d'essayer de se retrouver à la table finale à Paris.

Le tournoi se déroulait en deux parties. Été et hiver. Cette année, il commençait le samedi deux juin avec cinq villes visitées en cinq week-ends et il reprenait le dernier samedi de novembre pour les cinq villes suivantes. La finale se jouait à Paris juste avant la Saint Sylvestre. Autant dire que le vainqueur terminera bien l'année ainsi qu'il commencera la suivante. Le montant de l'inscription était de dix mille euros ce qui pouvait en freiner beaucoup, mais pas lui. Il allait faire quelques parties qui lui garantiraient de gagner au moins cette somme pour qu'il ne touche pas à sa bankroll, ou à peine. Il se fit conduire à l'hôtel Rotonde où il avait ses habitudes, pas très loin du Pasino Grand (3). C'était un quatre étoiles et tout y était très correct. Inutile d'aller dans un palace hors de prix bien que celui-ci en était presque un. Il régla le chauffeur et entra dans l'établissement.

— Monsieur Lyumnades ! s'exclama le réceptionniste. C'est un plaisir de vous voir encore chez nous cette année…

— Bonjour…, plaisir partagé…

— Vous venez pour les tournois en marge du Ten Cities, je suppose, dit l'homme en lui donnant sa clé. Cette année, c'est vraiment exceptionnel…

— C'est ça…

— En tout cas, je vous souhaite bonne chance…

— Merci… c'est très gentil…

Kassa Lyumnades. Originaire du Portugal d'une famille relativement aisée, il n'avait pas fait de grandes études. Il était plus intéressé par les sorties avec ses amis. À l'âge de seize ans, et comme il paraissait plus vieux, il jouait dans les casinos de Lisbonne où il entrait avec une fausse carte d'identité. Il avait le poker dans le sang. À dix-neuf ans, il quitta son pays pour Reno, en Amérique, un des lieux incontournables des jeux d'argent. Il vivait déjà de ses gains et il continua sur sa lancée, acquérant dollars et réputation et fit le tour des villes avec des Casinos réputés. Ses parents l'avaient laissé faire. De toute façon, ils n'avaient plus aucune autorité sur lui. Quand votre fils vous crache à la figure qu'il ramasse en deux heures ce que vous gagnez en six mois sur un ton méprisant, vous comprenez qu'il ne vous respecte plus et que vous l'avez perdu. Tenter de le freiner aurait donné lieu à de violentes disputes.

Alors ses parents s'étaient résignés, gardant un œil protecteur et inquiet sur leur rejeton qui avait fini par s'envoler définitivement pour le pays de la liberté. Il les appelait de temps à autre, mais les conversations ne duraient guère longtemps, un peu comme s'ils n'avaient plus grand-chose à se dire. Kassa s'était fait tout seul, sans l'aide de personne. Il avait aussi laissé tomber ses amis qui, finalement, ne voyaient en lui qu'une bonne poire qui réglait les restos et les entrées en discothèques. Et eux, il ne leur téléphonait même pas. C'était un solitaire et ça lui convenait très bien. Mieux valait être seul que mal accompagné, n'est-ce pas ? Et quand il avait besoin d'un peu de chaleur humaine, eh bien… il payait. Mais c'était rare. Ce genre de chose ne lui manquait pas particulièrement. Il prenait plus facilement son pied devant un carré d'as ou une quinte flush qu'avec une fille ou un mec en train de lui tailler une pipe. Il défit sa valise et alla prendre une douche. Il était presque dix-huit heures…


Même jour, Aix-en-Provence…

Dans le hall d'accueil du Pasino Grand (4), un homme marchait paisiblement d'un air serein. Toutes les têtes se retournaient sur son passage. On aurait dit qu'il sortait tout droit d'un conte de fées. Ses longs cheveux blonds flottaient dans son dos et ondulaient de droite et de gauche au rythme de ses pas. Ses yeux d'un bleu pur et étincelant semblaient vous percer jusqu'à l'âme quand vous les croisiez. Un tikka ornait son front, un point rouge, signe d'une appartenance religieuse ou spirituelle. Mais en y regardant de plus près, il s'agissait en réalité d'un rubis fixé sur un implant microdermal. Il portait des vêtements traditionnels hindous de couleur blanche richement brodés d'écarlate et de motifs complexes (5) en fil doré. Il y avait une sorte d'aura mystique qui l'enveloppait. Il se déplaçait avec tant de grâce qu'il semblait flotter.

Il prit la direction de l'immense salle de poker sans hésiter comme s'il connaissait déjà les lieux. Il s'arrêta devant le long comptoir où se trouvaient les caisses et fouilla dans son sac pour en sortir une pochette en cuir noir d'où il extirpa plusieurs billets qu'il tendit à l'employée. En échange, la jeune femme lui donna une boite remplie de jetons et un ticket. Il la remercia avec un sourire et une légère inclination du torse.

Un coin de la vaste salle était réservé aux parties de cashgame (6) avec les variantes les plus connues du Texas Holdem, le limit, le pot limit et le no limit (7) où bien souvent des amateurs ou des touristes tentaient de se faire un peu d'argent. Ou beaucoup. L'homme se dirigea vers la table dont le numéro figurait sur le ticket qu'il lui avait été remis. Elle pouvait accueillir neuf joueurs et six étaient déjà assis. Il montra une pièce d'identité au croupier, salua poliment et s'installa. Il posa ses jetons sur le tapis, devant lui et sortit de son sac un téléphone portable. Il brancha des écouteurs dessus et en cala un dans son oreille. Il y avait une main en cours et il devait attendre qu'elle se termine pour entrer dans la partie. Voilà, son voisin de droite rafla le pot. Le croupier mélangea les cartes et les distribua. Shaka Virgo commença à jouer.

Assis deux tables plus loin, un autre homme n'avait pas raté l'apparition de l'Anglo-Hindou dans l'immense salle. Kassa Lyumnades, arrivé deux jours plus tôt, le connaissait bien. Ils avaient déjà été à la même table et à trois reprises, Shaka l'avait éliminé. Il n'avait jamais gagné contre le blond et il aimerait bien. Pour l'instant, il avait triplé son stack et ça règlerait son inscription au tournoi. Ça, c'était une bonne chose, faire payer par les autres son éventuelle future victoire. Autant continuer sur cette lancée. Mais un nouveau joueur à la table le contraria. Une femme. Très belle et redoutable, elle était d'origine italienne. Shaina Ofiucci était une professionnelle comme lui. Elle se soumit au rituel de la pièce d'identité et s'installa. Vêtue d'un sweat ample à capuche de couleur bistre, elle mit ses lunettes de soleil presque assez grandes pour lui cacher tout le visage. Elle aussi attendit la main suivante pour entrer dans la partie. À leurs côtés se tenait un homme qui ne devait pas avoir trente ans et qui avait participé, l'année précédente, à sa première table finale à l'un des tournois européens à Londres. Baian SeaHorse n'était pas à prendre à la légère, mais Kassa s'estimait meilleur que lui. Il avait plusieurs tables finales à son actif et deux titres WSOP. Il joua quelques mains, ramassant des jetons supplémentaires et décida que ça lui suffisait pour le moment.

La table où se trouvait Shaka Virgo fut complétée par l'arrivée de deux joueurs qu'il connaissait de réputation. Valentine Harpiès et Albior Céphée, des professionnels tout comme lui, et plutôt coriaces. La partie s'annonçait intéressante. Il ne les avait jamais affrontés, voilà qui lui permettrait de préciser les données qu'il avait déjà sur ces hommes. Avec sa tablette qu'il avait fini par sortir, il s'était connecté au wifi de l'hôtel pour avoir accès à toutes sortes d'informations via Internet. C'était très pratique, mais il n'était pas le seul à faire ça. Il apprit que l'Argentin, Albior Céphée, avait participé à de nombreux tournois à travers le monde avec de la réussite. L'autre homme, un Chypriote, avait un curriculum tout aussi impressionnant. Mais pas autant que celui de Shaka. D'ailleurs, ce Valentine Harpiès sortit une tablette semblable à la sienne, peut-être pour faire la même chose que lui.

Les premières mains étaient des tests, une récolte d'informations sur chaque adversaire à la table. Et puis les choses s'emballèrent un peu. Plusieurs amateurs étaient venus occuper les places libérées par les perdants. Dans l'intervalle, les trois hommes étaient allés encaisser leurs gains pour ne pas présenter un stack trop volumineux qui aurait pu effrayer d'autres joueurs. Le temps passait vite quand on s'amusait et le blond décida d'arrêter pour l'instant.

— Bien messieurs, fit Shaka en se levant. Je vais m'en tenir là pour aujourd'hui… Merci et bonne chance pour la suite… Pour le croupier, termina-t-il en laissant quelques jetons sur la table.

— Bonne chance à vous aussi, répondirent les deux joueurs.

— Merci, monsieur, sourit le croupier.

Shaka retraversa la salle de la même démarche aérienne et sortit du Pasino. Il prit dans un taxi et lui indiqua l'adresse de l'hôtel Villa Saint-Ange, un cinq étoiles, situé non loin du Cours Mirabeau. Il monta au premier étage et pénétra dans sa chambre.

— Salut champion, fit la voix d'un homme.

— Déjà là ? sursauta-t-il, surpris d'entendre quelqu'un lui parler.

— J'ai pas été jouer, j'avais mal à la tête…

— Ça va mieux ? demanda le blond en caressant les cheveux bleus de son compagnon.

— Ouais… J'ai pris de l'aspirine et j'ai fait une sieste… Ce soir, je serai en forme…

— Je l'espère, sourit Shaka en l'embrassant.

— Et pour faire quoi ?

— Devine…

En riant, les hommes basculèrent sur le lit l'un sur l'autre et s'embrassèrent tendrement. Les vêtements semblaient être de plus en plus encombrants, mais l'un des deux fut plus raisonnable que l'autre bien qu'il lui fût difficile de s'arracher aux bras qui l'enserraient et à la bouche qu'il le faisait délicieusement frissonner.

— Mmh… Ikki… Laisse-moi aller prendre une douche…

— Si j'la prends avec toi…

Shaka eut un petit rire et se leva pour aller à la salle de bain.

— Toi t'appelles le roomservice… J'ai faim…

— Moi aussi j'ai faim !

— C'est c'que j'avais cru comprendre… T'as des nouvelles de ton frère ?

— Demi-frère… J'l'ai eu en début d'après-midi, il savait qu'on était arrivé… Il a été nommé responsable de la station météo de Marignane y a deux mois, j'te l'ai dit ?

— Non, t'a oublié… Il est fasciné par le climat, sourit Shaka en laissant la porte de la salle de bain ouverte.

— Pas par le climat, par la prédiction du temps qu'il fera demain ou dans une semaine… C'est pas pareil… Il travaille sur des programmes de simulations et cherche à mettre au point des instruments toujours plus performants…

— C'est lui le petit génie de la famille ?

— Mouais… mais il est aussi très bon au poker… Il a dit qu'il viendra en juillet pour le début du tournoi, il a posé quelques jours de congés…

— T'as appelé le roomservice ?

— Je l'fais…

Quelques instants plus tard, ils dinaient tranquillement d'un repas italien en regardant par la fenêtre le vent se déchainer sur les arbres qui donnaient parfois l'impression qu'ils allaient être déracinés. Un Mistral à décorner les bœufs comme on disait en Provence.

— Alors ? Ta partie ? demanda Ikki

— J'ai quadruplé, ça paiera nos buy-in (8) et j'ai eu deux adversaires intéressants…

— Qui ça ?

— Harpiès et Céphée.

— Ouh ! S'ils sont là, c'est pour le tournoi des Ten Cities…

— De toute évidence… Ils viennent prendre la température…Comme les mille participants qui s'inscriront au Pasino…

— C'est curieux comme concept quand même…

— Comment ça ?

— Dix villes, donc dix Casinos qui accueillent chacun mille joueurs…, commença Ikki. Ça fait donc dix mille flambeurs avec un buy-in de dix mille euros et un prize pool de soixante millions d'euros si on enlève les frais de fonctionnement de tous les établissements…

— Et il n'en restera qu'mille pour la finale à Paris… Certains s'inscriront dans plusieurs villes et pourront être remboursés plusieurs fois de leur buy-in s'ils atteignent la bulle…

— Il faut y parvenir plusieurs fois pour que ce soit rentable… Si j'l'atteins la (9), je serai content…

— Tu peux aller plus loin si t'es bien concentré…

— On verra…

— Pars pas battu…, le gronda gentiment Shaka.

— Tu sais bien qu'non… Je f'rai d'mon mieux… Pfiou ! J'me suis régalé ! s'exclama Ikki en se tapant sur la panse.

— C'était délicieux…

— Bon, je vais aller m'habiller… Où on va ?

— Au Pasino ? Ça m'gêne pas d'y retourner…

— On pourrait aller à Carry-le-Rouet ou à La Ciotat…

— J'aime bien Carry, c'est intime par rapport à ici…

— Va pour Carry alors… Comme ça, j'te rembourserai…

— Inutile…

— Hé ! Ho ! C'était clair dès le départ… Pas d'histoire d'argent entre nous, s'énerva légèrement Ikki.

— T'as raison, c'est vrai… Très bien… Alors tu m'dois dix mille euros…

— J'te dois rien du tout… J'vais les gagner ce soir…

— C'est tout c'que j'te souhaite, sourit Shaka en regardant son amant s'habiller.

Une fois prêts, les deux hommes prirent un taxi pour le Casino de Carry-le-Rouet…


Même jour, Marseille…

Cela faisait un peu plus de trois ans qu'Hilda Polaris avait avoué à son père qu'elle et sa sœur connaissaient ses activités illégales depuis de nombreuse années. Dorbal Polaris avait violemment réagi et avait giflé sa fille ainée. Mais la jeune femme n'avait pas bronché. Pas une plainte n'était sortie de sa bouche. Ses yeux n'étaient même pas humides de larmes sous l'effet de la douleur. Elle continuait à afficher ce petit sourire arrogant qui rendait son père fou de rage. Il comprit alors qu'elle ne le craignait pas. Qu'elle ne le craignait plus. Depuis quand ces filles l'avaient-elles exclu de leur vie ? Il ne s'était pas aperçu qu'elles avaient tant grandi. Elles vivaient encore chez lui parce que c'était pratique et qu'elles pouvaient faire ce qu'elles voulaient et Dorbal respectait leur intimité. Elles étaient célibataires, elles avaient un emploi, mais elles n'avaient plus besoin de lui. Son aide ou son avis n'étaient plus requis depuis longtemps C'était pourtant ce que faisaient tous les enfants même lorsqu'ils devenaient adultes. L'opinion de leurs parents était une référence sûre en principe. C'était vers eux qu'ils se tournaient, vers l'expérience, vers la sagesse même si cette dernière était parfois toute relative. À côté, Freya s'était tassée sur elle-même, légèrement en retrait de sa sœur, craignant un autre geste de violence.

— Laisse-moi t'aider, avait dit Hilda. J'suis certaine qu'on peut agrandir le réseau dans la discrétion la plus totale…

— Tu te prends pour qui ? avait hurlé Dorbal. Parce que tu connais mes affaires, tu penses peut-être tout comprendre de ce milieu…

— Papa, j'étais tout juste majeure quand j'ai commencé à évoluer dans tes cercles clandestins… J'me suis bâtie une solide réputation et une très confortable bankroll…

— Et toi tu la soutiens ? Tu l'encourages ? cria-t-il à sa cadette. J'te croyais plus sensée, Freya…

— Ne lui en veux pas… J'partage avec elle…

— Hilda, je ne comprends pas, poursuivit Dorbal d'un ton radouci. Vous ai-je jamais refusé quelque chose ? Pourquoi prendre ces risques alors que vous avez tout ce que vous voulez ?

— Parce que c'est amusant ! C'est aussi simple que ça ! s'écria-t-elle. J'aime jouer et je savais très bien que tu me l'interdirais… Je suis peut-être prof de physique-chimie dans la journée, mais j'ai des loisirs et le poker en est un…

— Hilda… ma p'tite fille… gémit l'homme d'affaires en couvrant ses yeux d'une main. J'avais espéré vous protéger toutes les deux de ce monde…

— Pour ça, il aurait fallu qu'tu changes d'activité… Tu croyais vraiment qu'on s'en apercevrait pas tôt ou tard ? Papa ! Ouvre les yeux bon sang... Mais rassure-toi, je joue aussi dans des Casinos, au grand jour…

— Que j'me rassure… Qui d'autre est au courant ?

— Siegfried… C'est mon garde du corps attitré depuis le début…

— Sale fils de p...

— Arrête ! cria la jeune femme en colère.

— J'avais confiance en lui…

— Il n'y est pour rien…

— Pour rien ? C'est lui qui t'conduit quand tu vas jouer, non ? J'vais l'buter !

— Tss tss… Tu f'ras rien du tout… J'l'ai menacé de te dire qu'il avait tenté de me violer… Depuis, il fait tout c'que j'lui dis et il remplit parfaitement son rôle auprès de moi… Et de Freya…

— J'ai toujours cru que mes filles étaient gentilles et bien élevées avec…

— Oui, d'adorables potiches que tu sors lors de tes réceptions mondaines pour les exposer comme des joyaux rares et inestimables et leur trouver un mari… Ou devrais-je plutôt dire un acquéreur avec qui t'aurais des intérêts en commun…

— J't'interdit de dire ça ? Vous êtes la prunelle de mes yeux, Hilda ! J'vous aime tellement… Tout c'que je veux c'est votre bonheur !

— Papa, arrête les violons, s'te plait ! C'que tu fais est passible de la prison ! C'est là-bas qu'tu veux qu'on aille te voir ?

— Freya, tu ne dis rien ?

— Qu'est-ce tu veux qu'je dise ? Moi aussi, je joue et j'aime ça… J'veux juste qu'on soit heureux tous les trois… Et puis, trois cerveaux pour réfléchir à comment agrandir et améliorer le réseau Asgard, c'est mieux qu'un seul, non ?

— Freya !

— Odin Tourisme et Transport International est une très grosse société qui te sert de couverture, intervint la cadette. Elle est en pleine expansion et toi tu continues ton réseau clandestin… J'avoue que j'comprends pas. Quel est l'intérêt d'être dans l'illégalité ?

— Ça rapporte beaucoup plus d'argent, avoua Dorbal d'une voix basse. Tu crois que c'est OTTI qui paye vos voitures et vos voyages quand vous en avez besoin ? Non, c'est Asgard !

— À plus forte raison alors, murmura Hilda en regardant sa sœur qui opina de la tête. On va t'aider… Occupe-toi d'OTTI, j'me charge d'Asgard…

Polaris était anéanti. Il ne put dire non à ses enfants. Leur détermination eut raison de sa capacité à refuser leur aide. Ces filles, sa chair et son sang, la prunelle de ses yeux, son trésor le plus inestimable, avaient hérité de la tare de leur mère. Ce fut ainsi que la famille Polaris mit sur pied l'un des plus grands réseaux de jeu d'argent clandestin du département des Bouches du Rhône bien caché derrière une entreprise de transports internationaux florissante tant en fret qu'en tourisme. Hilda se souvenait encore comment tout ça avait commencé…

Elle venait de fêter ses dix-huit ans en juin. Son père, Dorbal Polaris, avait voulu qu'elle ait une somptueuse fête pour ça. C'était un âge important, celui où on devient adulte. Du moins sur le papier. On a le droit de voter, de passer son permis de conduire, d'être jugé comme un grand si on fait des bêtises. Mais Hilda était une gentille fille, sage, obéissante, et studieuse puisqu'elle venait d'avoir son bac. Tout comme sa jeune sœur, Freya qui avait seize ans. Mais c'était aussi un âge où on avait oublié d'être idiot. Où on comprenait ce que faisaient les adultes qui vous entourent et comment déjouer et endormir la surveillance et la méfiance paternelle. Et pour ça Hilda était la plus forte. Aidée par Freya qui lui vouait une véritable adoration.

Elle avait tout d'un ange. Un visage aux traits doux et harmonieux. De longs cheveux d'un gris clair bleuté, de grands yeux bleus où s'inscrivait aussi bien l'innocence que la roublardise et l'intelligence. Elle avait deviné, depuis quelques années, qu'elle avait un certain ascendant sur les personnes qui entouraient son père. Des gardes du corps. Pourquoi était-elle accompagnée et récupérée tous les jours à l'école? Au collège? Au lycée? À la fac? Et petit à petit, elle avait deviné, plutôt que réellement compris au départ, que son père était un homme d'affaires probablement jalousé par ses concurrents. Mais ça ne faisait que deux ans qu'elle avait découvert, par hasard, les véritables activités de Dorbal Polaris. Elle avait surpris une conversation avec un homme qu'elle ne connaissait pas et au lieu de partir comme une jeune fille bien élevée, elle était restée à côté de la porte du salon entrebâillée pour écouter. Il était question de machines à sous, de jeux, d'argent. Puis, un jour que son père n'était pas là, elle était entrée dans son bureau et avait fouillé son ordinateur. Elle-même en possédait un depuis plusieurs années et elle savait parfaitement s'en servir. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver les fichiers comptables. Elle fut d'abord choquée, puis déçue. Elle aimait son père et ne pouvait imaginer qu'il puisse tremper dans des affaires louches. Mais en se rappelant de la conversation qu'elle avait surprise, elle dut se rendre à l'évidence.

Au lieu de garder ça pour elle, elle en parla à Freya en lui disant qu'elles pourraient peut-être en tirer profit. Était-ce une partie du caractère de leur mère qui ressortit à cet instant? Possible. Brunhilde Polaris n'avait pas été une mère exemplaire. Elle trompait régulièrement son mari, jouait dans les Casinos, flambait l'argent comme si elle avait une planche à billets à la cave. Elle avait ça dans le sang. Son mari la retrouva sans vie dans leur lit, suite à une overdose d'alcool et de médicaments quand les filles n'avaient que sept et neuf ans. Elles avaient en mémoire le souvenir d'une femme gentille, mais sans véritable tendresse, qui se lassait vite de la présence de ses enfants à côté d'elle. Brunhilde était aussi une charmeuse. Elle brillait comme une étoile lors des réceptions que donnait son mari. Toujours habillée avec élégance et recherche, le sourire éclatant, le mot pour faire rire. Elle était très belle. Dorbal était fou amoureux de sa femme et lui pardonnait tous ses travers. À son décès, il se rapprocha encore plus de ses filles, comme s'il voulait les protéger pour deux.

Le vice du jeu était-il héréditaire? Existait-il un gène qui gouvernait cette activité, ce désir de se défier soi-même, d'aller encore plus loin, d'en vouloir encore plus ? Toujours fut-il que les deux sœurs se laissèrent glisser sur cette pente particulièrement savonneuse. Hilda commença par demander à son père si elle pouvait aller en discothèque avec ses amis. Dorbal fut réticent au début, mais elle lui proposa de se faire accompagner par un des gardes du corps. Siegfried, le plus jeune et celui qu'elle trouvait surtout séduisant. Il accepta. Un soir, elle changea de programme et dit à Siegfried de l'emmener au Pasino Grand d'Aix-en-Provence. Celui-ci refusa tout net, mais elle le menaça de dire à son père qu'il avait tenté de profiter d'elle.

Ne fais pas l'hypocrite! lui assena-t-elle. Tu sais parfaitement qu'mon père dirige un réseau d'jeux clandestin. Et un jour, ce sera à moi et à ma sœur…

Vous n'savez même pas comment il faut jouer, avait encore protesté le garde du corps.

Vraiment? Et à ton avis, d'oùça vient, ça? dit-elle malicieusement en agitant sous son nez une dizaine de billets de deux cents euros.

Où avez-vous eu tout cet argent? scria Siegfried.

T'es pas censé l'savoir, mais mon père m'a émancipé à ma demande y a presque deux ans… Bizarrement, j'ai pas beaucoup insisté… J'ai un compte bancaire avec une carte de crédit. En fait j'en ai même plusieurs, mais ça, il l'ignore. Depuis toutes petites, avec Freya, on joue beaucoup à divers jeux de cartes avec nos baby-sitters et les gardes du corps. Et depuis quatre ou cinq ans avec nos amis… En particulier, au poker… J'ai trouvé un site de jeu en ligne et je me suis inscrite. C'est des jetons fictifs bien sûr. Mais comme je suis une bonne joueuse, j'ai rapidement augmenté mon stack. Et quand j'ai eu mon compte en banque, j'ai été directement sur les sites où tu peux t'amuser et gagner gros pour une modique somme de départ.

Vous jouez au poker en ligne avec de l'argent réel? Mais vous pouvez tout perdre!

Eh ! Regarde la route, s'te plait! Va à Aix et tu verras comment je joue… Tu vas vite comprendre…

Et Siegfried vit effectivement comment la fille de son patron jouait. Assise à la table, elle n'était plus la Hilda qu'il connaissait. Elle était glaciale et impitoyable. En neuf mains, elle rafla le tapis de trois types qui ne l'avaient pas prise au sérieux. Les quatre autres se montrèrent alors beaucoup plus prudents. Peine perdue. Elle les pluma jusqu'au dernier jeton.

En regagnant la voiture bras dessus, bras dessous avec Siegfried, Hilda disait que ça avait été trop facile et qu'elle ne s'était pas vraiment amusée. Elle avait eu l'impression de jouer contre des débutants.

Que voulez-vous faire maintenant? lui demanda-t-il en démarrant la BMW.

Je crois que je vais aller faire une partie de cashgame… Je connais une adresse que j'ai trouvée dans les fichiers de mon père…

Les fichiers de… Hilda! Vous vous rendez compte qu'en me disant tout ça vous faites de moi votre complice? Si votre père le découvre, je serai viré. Dans le meilleur des castermina-t-il dans un murmure.

Comment tu veux qui l'apprenne? Tu vas lui raconter? se moqua-t-elle gentiment.

Bien sûr que non! J'peux pas…

Alors y saura rien… T'inquiète… fais-moi confiance… Aller, roule!

Ils revinrent à Marseille et la jeune fille lui indiqua une adresse dans le sixième arrondissement. Dans la rue, il y avait pas mal de voitures garées, mais Siegfried trouva une place. Hilda lui demanda de sortir et elle se changea rapidement. Elle troqua sa robe de casino pour un jean, un sweat à capuche, une paire de bottes et attacha ses cheveux. Le garde du corps avait un jean également, une chemise et une veste qui faisait assez décontracter.

Tu m'laisses parler, d'accord?

Mmh...

Elle appuya sur le bouton d'ouverture de la porte de l'immeuble, monta au deuxième étage et toqua à une porte qui s'ouvrit sur un type qui ne devait pas faire loin des deux mètres.

Oui? fit-il d'un ton peu avenant.

Fenrir m'a donné l'adresse, déclara Hilda qui avait trouvé le nom du responsable de la salle dans les dossiers de son père et qu'elle avait contacté en se faisant passer pour une collaboratrice de Dorbal.

T'aimes les chiens?

Le sien s'appelle Jing, non ?

C'est qui lui?

Mon frère, mais c'est moi qui joue.

C'est bon…

Il laissa passer le couple Hilda croisa le regard ambre et agressif d'un autre homme assis derrière une sorte de comptoir qui ressemblait à un bar. C'était le caissier.

T'es envoyé par qui?

Fenrir…

Pourquoi tu vas pas chez lui ?

Ici, c'est plus pratique pour moi…

C'est cent cinquante pour t'asseoir…

Tu rends la monnaie? le nargua Hilda en agitant un des deux billets de deux cents euros qu'elle avait préalablement glissé dans la poche arrière de son pantalon pour ne pas avoir à sortir toute la liasse.

Cinquante… Il reste une place à celle fond… Mime? C'est bon! fit l'homme à celui qui semblait faire office de croupier.

Siegfried croisa son regard. Il fut agréablement surpris, surtout qu'en restant derrière le siège d'Hilda, il pouvait le regarder. Leurs yeux se rencontrèrent à de nombreuses reprises et le dénommé Mime avait un micro sourire sur les lèvres dont il n'arrivait pas à se départir. Hilda s'assit et salua poliment les joueurs qui la regardèrent. Certains avaient du mépris dans les yeux – qu'est-ce qu'une gamine venait faire à une table de cashgame? d'autres avaient plutôt l'air d'apprécier la vue. Le prénommé Mime lui donna son stack. Deux heures plus tard, la gamine les avait presque tous ratissés. Sentant que l'ambiance devenait tendue, Siegfried lui conseilla discrètement de se retirer. Elle laissa quelques jetons au croupier et prit son gain pour l'échanger contre de l'argent bien réel. En passant à côté du croupier, Siegfried sentit qu'on lui glissait quelque chose dans la main. Une petite carte sur laquelle il jeta un rapide coup d'œil. Il y avait un nom et un numéro de téléphone. Il la glissa dans sa poche et suivit la jeune femme.

J'pourrai revenir? demanda-t-elle.

Comment tu t'appelles?

Hilda… Et toi?

Bud… J't'ai vu jouer… T'es réglo… Reviens quand tu veux…

OK… Merci…

Et c'est ainsi qu'Hilda fit son entrée dans le monde des Casinos et dans celui du jeu clandestin. Ainsi que Siegfried. Il n'était que quatre heures trente du matin lorsqu'ils arrivèrent à la villa de Dorbal Polaris. Le garde du corps rentra la voiture dans le vaste garage, mais aucun des deux passagers ne fit mine de descendre.

J'ai l'impression qu'tu veux m'dire quelque chose, mais qu'tu sais pas comment t'y prendre, fit-elle pour briser le silence pesant.

Ce soir, j'vous ai accompagné… Mais j'ai eu peur pour vous… Peur qu'il vous arrive quelque chose… Surtout dans cet appartement…

Il m'aurait suffi de prononcer le nom de mon père… Tu les as entendus parler… Polaris par-ci, Polaris par-là… Ils connaissent Dorbal, mon cher papa… fit-elle, sarcastique.

Ils pourraient ne pas vous croire… Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte du danger d'la situation…

Mon père a une phrase fétiche, un truc qu'il dit et que j'entends depuis qu'je suis toute petite… Je l'ai entendu ce soir entre le caissier et le videur…

Et c'est quoi?

Ils doivent jouer pour que ça rapporte Les joueurs la connaissent pas… Il parle uniquement avec ceux qui travaillent pour lui… et puis j'ai ma carte d'identité… Y a pas beaucoup d'Polaris dans la région…

Et c'était quoi cette phrase… ce "Jing" que vous avez dit à l'entrée?

Le mot de passe…

Ah…

Siegfried, j'ai bien conscience que cette soirée t'a pas plu et qu'tu t'es inquiété pour moi… J'suis désolée de t'avoir mis dans cette situation… Si tu veux plus m'accompagner à l'avenir, j'comprendrai…

Pas question… J'suis votre complice maintenant, non? fit-il en se retournant, un petit sourire aux lèvres auquel Hilda répondit bien volontiers.

Merci… J'serai plus prudente pour que tu t'fasses pas d'souci… J'me contenterai des casinos et du jeu en ligne…

Vous pourrez me montrer?

Tu sais pas jouer au poker?

Si, si, bien qu'je sois loin de votre niveau… Non, sur Internet…

Avec plaisir…

En une soirée, leur relation avait évolué. Grandement. Ils le ressentaient sans en avoir réellement conscience. Et ça ne leur déplaisait pas. Particulièrement Hilda qui trouvait Siegfried vraiment très attirant. Chacun gagna sa chambre pour une bonne nuit de sommeil… Dorbal Polaris avait finalement accepté l'aide de ses filles. Et les années passèrent…

Hilda et Siegfried étaient partis quelques jours à Barbentane, au nord-ouest de Marseille, pas très loin de la frontière avec le département du Gard, pour affaires justement et étaient en route pour rentrer. C'est là que tout bascula. Avec un simple appel téléphonique de Freya.

— Salut p'tite sœur… Ça va ? Oui, on rentre à la maison… Quoi ? Où ? T'es là-bas ? On arrive ! Siegfried à l'hôpital de Clairval aussi vite que tu peux, s'te plait, s'écria-t-elle après avoir raccroché.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Siegfried, inquiet de voir la jeune femme pâle comme la mort.

— Mon père s'est écroulé chez nous… Freya a appelé les pompiers et ils l'ont emmené aux urgences.

— Bordel ! C'est pas vrai… Je suis désolé…

— Ce doit être de la fatigue, se rassura Hilda. Finalement, Freya et moi avons bien fait de le seconder dans ses affaires…

— J'suis certain qui va s'remettre très vite, ajouta-t-il accélérant.

Freya se jeta dans les bras de sa sœur lorsque celle-ci entra dans la salle d'attente. Elle était en larmes et n'arrivait pas à se calmer.

— Ma chérie, respire calmement et raconte-moi comme c'est arrivé…

— Il… On parlait… son regard est devenu fixe… et… et ses yeux se sont révulsés, il a mis les mains sur sa tête et il est tombé au sol, hoqueta la jeune femme.

— Les médecins ont dit quelque chose ? demanda Siegfried à son tour.

— Non, pas encore…

— Viens là, murmura Hilda en prenant sa sœur dans ses bras. Ça va aller, je suis sûre qu'c'est pas grave… Ça va aller…

— Il avait repris connaissance quand les secours sont arrivés… Il disait qu'il avait très mal à la tête… qu'il avait la nuque raide et parfois, il disait n'importe quoi… Il m'a appelé Brunhilde…

Ils attendirent ainsi pendant plus d'une heure, tentant de se rassurer comme ils le pouvaient. Enfin, un médecin arriva.

— Mademoiselle Polaris ?

— Oui ? firent les deux jeunes femmes.

— Vous êtes ? demanda le docteur en regardant Hilda et Siegfried.

— Sa sœur ainée et c'est un ami qui nous accompagne…

— Venez, allons dans mon cabinet…

— Comment va notre père ? interrogea Freya à peine entrée dans la pièce.

— Eh bien… il n'est pas encore tiré d'affaire… Il a fait un AVC... Un anévrisme existant non détecté s'est rompu dans son cerveau et a provoqué une hémorragie… Il est au bloc opératoire… Mademoiselle, vous avez dit aux secouristes qu'il était diabétique…

— Oui, depuis quelques années…

— Le diabète est un facteur aggravant… Je ne vous cacherai pas que s'il s'en sort, il en gardera certainement des séquelles…

— Il peut mourir ? souffla Hilda, incrédule.

— À tout moment malheureusement… Les détails que vous nous avez donnés nous ont permis de rapidement localiser l'hémorragie… C'est tout à fait opérable…

— Quel genre de séquelles risque-t-il ? s'enquit Siegfried, voyant que les deux sœurs étaient effondrées et incapables de poser d'autres questions.

— S'il survit, le pire scénario serait qu'il reste dans un état végétatif… Maintenant s'il reprend connaissance, il peut avoir des troubles de la mémoire, des difficultés à contrôler ses membres ou encore être hémiplégique.

— C'est pas vrai…, pleura Freya.

— Pour l'instant, notre priorité est de le garder en vie, reprit le médecin. Quoiqu'il arrive, vous serez épaulées et conseillées par nos psychologues et nos assistantes sociales…

— Bien, parvint à dire Hilda en essuyant son visage mouillé de larmes. Combien de temps va durer l'intervention ?

— Difficile à dire… De toute façon, il ira en soins intensifs… Inutile de rester ici… Et dans son cas, les visites ne seront pas autorisées… Nous vous appellerons pour vous tenir informées…

— À n'importe quelle heure, docteur… Je vous en prie… Même en plein milieu de la nuit…

— J'pourrai pas dormir tant qu'on ne saura pas s'il est vivant, fit Freya en se levant.

— Nous vous téléphonerons, soyez sans crainte…

— Merci docteur, le salua Siegfried en sortant du bureau avec les deux jeunes femmes.

De retour à la résidence Polaris, Hilda avait réussi à convaincre sa sœur d'avaler un léger calmant. Épuisée, Freya avait fini par s'endormir sur l'un des canapés du salon et Siegfried était allé prendre une couverture pour qu'elle n'ait pas froid. Il s'assit aux côtés de l'ainée qui vint se caler contre son épaule en poussant un profond soupir. La première fois qu'elle s'était montré aussi familière, elle avait senti le garde du corps se tendre, comme si le contact l'incommodait. Ce n'est que quelques semaines plus tard qu'elle avait compris pourquoi…

Elle venait de sortir d'un conseil de classe dans le collège où elle enseignait depuis peu. Les avis sur certains élèves avaient été un peu long et il était presque vingt heures trente. Elle se dirigea vers le parking où elle savait que Siegfried l'attendait lorsqu'elle l'aperçut, appuyé contre la voiture avec un homme dans les bras. Le baiser qu'ils échangeaient ne laisser rien à l'imagination concernant leur relation. Elle s'arrêta, plus déçue que choquée. Choquée non, parce qu'elle n'avait absolument rien contre les relations homosexuelles entre hommes ou entre femmes. Plutôt déçue parce qu'elle avait toujours trouvé son garde du corps très attirant, mais elle n'avait jamais osé le lui faire comprendre. Maintenant, elle se disait qu'elle s'était évité une situation humiliante s'il avait dû la repousser. Il l'aurait fait avec délicatesse, elle n'en doutait pas, mais sa déconvenue aurait été très embarrassante. Soudain, elle reconnut cet homme. Il s'agissait du croupier qui travaillait dans la salle de cashgame où elle jouait, de temps en temps à l'insu de son garde du corps.

À sa connaissance, ils ne s'étaient vus qu'une seule fois, quand elle avait emmené Siegfried avec elle quelques années plus tôt. Ils se fréquentaient depuis tout ce temps et elle ne s'était rendue compte de rien. Elle ne savait pas si elle devait en vouloir à Siegfried de lui avoir caché sa relation depuis tout ce temps. Elle comprenait bien que la vie privée était privée par définition même pour un homme qui travaillait pour elle quasiment vingt-quatre heure sur vingt-quatre. Elle croyait qu'ils avaient une relation de confiance et assez profonde pour qu'il se confie à elle. Le fait qu'il s'agissait de ce croupier ne la rassurait pas. Il aurait pu la reconnaitre et savoir qu'elle était la fille de Dorbal Polaris alors que jusqu'à présent ils avaient tout fait pour que cette information reste secrète. Elle lui avait même dit qu'elle n'irait plus dans les tripots de son père, mais elle avait menti, elle y était retournée sans lui. C'était risqué, elle était seule et elle ne perdait pas souvent. Ça aurait pu énerver des joueurs et attiser la méfiance des tenanciers de ces salles clandestines. Aussi, ne s'y était-elle rendu que rarement.

Elle fit du bruit pour être entendue des deux hommes et elle vit Mime s'en aller rapidement. Elle se dirigea vers la voiture en souriant et monta.

Désolée, ça n'en finissait plus, dit-elle à Siegfried une fois qu'il eut démarré.

C'est pas grave… c'est pas toujours facile de noter un élève, je suppose…

Non, en effet… J'suis crevée…

On sera vite à la maison…

Elle s'appuya sur le repose-tête et ferma les yeux. Elle revoyait cette scène et elle se demandait comment elle allait bien pouvoir aborder le sujet. Parce qu'il fallait le faire. Elle devait savoir si le croupier connaissait son identité. Surtout qu'il avait pu dévoiler à Siegfried qu'elle se rendait de temps en temps dans ce tripot. Elle avait bien dit à Bud, le responsable de la salle, de ne rien dire à son "frère" si par le plus grand des hasards, il se pointait chez eux. Il lui avait certifié qu'il avait prévenu ses hommes, mais pouvait-on réellement faire confiance à quelqu'un qui vit et travaille dans l'ombre ? A priori oui, puisque jusqu'à présent Siegfried ne lui avait rien dit. C'est qu'il n'était pas au courant de ces petites incartades.

Siegfried, j'ai reconnu le croupier qu't'embrassais tout à l'heure…

Elle croisa son regard dans le rétroviseur. Il ralenti et se gara le long du trottoir. Le silence était un peu pesant. Les mots étaient sortis de sa bouche sans qu'elle le veuille vraiment, mais elle n'avait pas pu les retenir. Il fallait qu'elle sache.

Depuis tout c'temps, j'pensais pas qu'tu t'souviendrais de lui…

Et moi j'pensais qu'tu m'faisais assez confiance pour m'dire que t'étais gay…

J'vois pas en quoi ça t'regarde… C'est ma vie privée…, rétorqua-t-il, abrupt.

Non, c'est pas c'que je veux dire…, répondit-elle plus gentiment. T'es auprès de moi et de Freya du matin au soir et t'as même ta propre chambre dans la maison d'mon père…

Et tu te demandes quand j'ai pu avoir le temps d'avoir une relation amoureuse ?

C'est un peu ça…

On trouve toujours le temps pour les choses importantes…

J'suis d'accord… Mais c'est un peu dur… J'pensais qu'on était plus qu'employeur et employé… Tu m'accompagnes depuis des années de partout où je joue au poker…

Je suis pas tout le temps avec toi, Hilda… Quand t'es au collège, je fais ce que je veux de mon temps libre… La première fois qu'on est allé dans cette salle, Mime m'a glissé une carte dans la main avec son téléphone… Il m'a fallu du temps pour oser lui envoyer un simple SMS… On s'est vu à plusieurs reprises… pas très souvent au début et de plus en plus… Rassure-toi, il sait pas que j'travaille pour ton père ni qui t'es… Je lui ai juste dit que j'bossais comme chauffeur et garde du corps pour la fille d'un homme d'affaires de la région et que je pouvais pas dévoiler son identité…

Et il a gobé ça ? fit-elle avec un petit rire.

Il bosse dans la clandestinité… poser des questions, c'est mal vu…

Pas faux… T'envisages de vivre avec lui ?

On en a parlé, mais juste comme ça, rien de sérieux… De toute façon, j'travaille pour les Polaris… Et lui aussi…

Si on rentrait…

Finalement, lui avouer qu'elle éprouvait des sentiments pour lui n'était pas ce qu'il fallait faire. Cela aurait même pu détériorer leur relation. Ils auraient été moins francs et directs l'un envers l'autre. Elle les enfouit au fond de sa poche et mit un mouchoir par-dessus. S'il était heureux, c'était le principal.

Elle sourit à ce souvenir et profita de la présence rassurante de Siegfried. Et avec ce qu'elle comptait faire, les identités allaient être dévoilées et il y aura des explications à donner.

— Qu'est-ce qui va s'passer, maintenant ? demanda-t-il.

— Faut que l'réseau continu à fonctionner… J'vais remplacer mon père jusqu'à ce qu'il soit capable de reprendre les rênes…

— Et si y peut pas ?

— On verra à c'moment-là…

— Tu vas informer les responsables de chaque salle ?

— Va falloir… Je vais les inviter à une réunion dans deux jours dans la salle de Bud… Inutile que des rumeurs farfelues commencent à courir… Autant leur dire la vérité rapidement…

— J'espère qui contesteront pas ton autorité…

— Ils me connaissent depuis des années qu'je joue chez eux… Oui Siegfried, j't'avais dit que j'irai plus dans les salles de cashgame… j'ai menti ! s'exclama-t-elle en voyant que le garde du corps allait faire une remarque. On a chacun nos petits secrets, non, lui envoya-t-elle en faisant allusion à sa relation avec Mime. Ce qu'ils ignorent, c'est qui est mon père… poursuivit-elle. La surprise jouera en ma faveur… Et j'ai toujours été réglo avec eux… Hormis ce petit détail…

Siegfried grimaça. Est-ce que Mime lui pardonnera de ne lui avoir rien dit au sujet de leur employeur commun ? Il ne serait pas à cette réunion mais Bud, son responsable, dira tout à ses hommes une fois de retour.

Les sœurs Polaris avaient reçu régulièrement des nouvelles de l'hôpital. Leur père avait supporté l'intervention, son état était stable, mais il était toujours inconscient et les visites interdites. Elles avaient eu des psychologues au téléphone qui tentaient de cerner leur état d'esprit, savoir si elles tenaient le coup.

Trois jours près l'opération chirurgicale, elles se préparaient à recevoir les responsables de chaque tripot du réseau de jeu de leur père dans la salle de cashgame de Bud. Il fallait les informer de l'état de santé de leur patron. Siegfried vint leur dire qu'ils étaient tous arrivés et attendaient dans le grand salon. Ils avaient commencé à se servir des boissons au bar et la plupart discutaient entre eux, très curieux de cette réunion. Dissimulé plus haut dans l'escalier de l'immeuble, Hilda respira plusieurs fois profondément et entra dans la pièce.

— Bonjour messieurs, lança-t-elle alors que la surprise se lisait sur tous les visages. La plupart d'entre vous m'connaissent en tant qu'joueuse dans leur salle, mais vous ignoriez que j'étais la fille de Dorbal Polaris… J'pense que si vous l'aviez su, votre attitude à mon égard n'aurait pas été naturelle… Asseyez-vous s'il vous plait, j'ai quelque chose à vous dire…

Dans un brouhaha de murmures, les invités prirent place sur les chaises autour des tables tandis qu'Hilda se mettait devant eux.

— Mon père a été victime d'un AVC il y a trois jours… Il est actuellement à l'hôpital de Clairval en soins intensifs… J'vais l'remplacer jusqu'à c'qu'il soit en mesure de reprendre ses activités avec vous tous…

— Excusez-moi, mademoiselle, mais j'sais pas si vous serez capable de gérer l'réseau, intervint Albéric.

— Effectivement, ma sœur est plus une joueuse qu'une gestionnaire, s'interposa Freya d'une voix ferme, mais elle s'occupera d'Asgard et je l'aiderai avec vos conseils bien sûr…

— Êtes-vous bien certaines toutes les deux d'connaitre suffisamment l'activité pour qu'elle perdure ? demanda Bud, pas très convaincu lui non plus.

— Tout sera fait dans ce sens, reprit Hilda. Il s'agit de notre avenir à tous… Certes l'activité est parfaitement illégale et nous savons tous c'que nous risquons… Mais jusqu'à présent notre discrétion nous a mis à l'abri des flics et ça doit continuer… Restez vigilants quant à vos joueurs… Vous avez assez d'flair et d'expérience pour sentir ceux qui sont de vrais flambeurs ou des indics pour les flics… Asgard a besoin de nous tous… Il doit se développer davantage et à faire des bénéfices…

— Nous ferons au mieux, poursuivit Freya. Dans le cas contraire, vous comprenez bien que si nous sommes obligés de fermer des salles pour une raison ou une autre, cela voudra dire que nous devrons également nous séparer de certains de nos… collaborateurs si nous ne sommes plus en mesure de les payer.

— Même si cette activité est illégale, reprit Hilda, mon père l'a toujours gérée comme une entreprise avec des employés, des charges à payer et des bénéfices à faire... Donc nous allons continuer de la même façon… Si certains parmi vous pensent que c'est voué à l'échec et veulent nous quitter, nous comprendrons… Nous souhaitons juste que vous gardiez tout ceci pour vous pour la sécurité des autres…

— Notre père a toujours été honnête avec chacun d'entre vous… Dès l'départ vous saviez dans quoi vous vous engagiez et c'que vous risquiez… Aujourd'hui, il a besoin de vous plus que jamais tout comme Hilda et moi… Nous avons besoin d'votre aide, de votre expérience, mais nous ne vous supplierons pas… Par contre, nous devons connaitre votre décision aujourd'hui… Si certains d'entre vous s'en vont, nous devrons les remplacer sans perdre de temps…

— Nous allons vous laisser en parler entre vous… Lorsque vous aurez fait votre choix, Siegfried viendra nous prévenir… Un dernier détail… Nous aidons notre père depuis trois ans environ et nous avons réussi à étendre le réseau sur tout le département alors qu'il ne couvrait que la région marseillaise… Cela vous aidera peut-être à prendre la bonne décision…

Les deux jeunes femmes sortirent de la pièce, laissant derrière elles des hommes plutôt décontenancés. Pour certains, leur choix était déjà fait. Ils continuaient avec Dorbal. D'autres, une toute petite minorité, se posaient quand même des questions. Ils discutèrent sous les yeux attentifs du garde du corps. Moins de deux heures plus tard, Hilda et Freya savaient à quoi s'en tenir et elles étaient assez fières d'elles…


Vendredi 28 janvier 2029, Marseille…

— Kanon ! Ralenti !

— Dépêche-toi, c'est juste un peu plus loin !

— Le quartier du Panier est un vrai labyrinthe…

— Pas avec un GPS, mon petit Mû…

— T'es déjà entré dans une salle de cashgame ?

— Évidemment ! Depuis l'temps qu'je joue au poker, ce s'rait l'comble, non ? Et toi ?

— Jamais… J'ai toujours été dans les Casinos et c'est pour ça que j'suis pas du tout rassuré…

— De quoi t'as peur ? Les problèmes, c'est pas l'but de ceux qui gèrent ces salles, crois-moi…

— J'm'en doute, mais imagine qu'un gars qu't'as plumé t'attende dehors pour récupérer son fric ?

— Ben on s'bastonne et y perd…

— T'as vraiment trop confiance en toi…, murmura le jeune homme en soupirant.

— Écoute-moi ! s'arrêta brusquement Kanon en se tournant vers son ami. Une fois, ça m'est arrivé, y a huit ou dix ans… Tout était clair, sans problème à la table, mais le type a pas supporté d'perdre. Il a appelé des potes et quand j'suis sorti, y m'ont mis une raclée comme t'as pas idée ! Deux côtes cassées, le nez fracturé et l'arcade ouverte… cette cicatrice, là, tu vois ? Tu t'rappelles ?

— Oui, j'me souviens qu't'étais dans un sale état…

— Pourquoi tu crois que depuis ce jour-là, je sue comme un bœuf dans un dojo ?

— Pour prendre moins de coups ? grinça Mû.

— Surtout pour être capable de les éviter et de les rendre en faisant très mal… J'ai peur de dégun (10) ! Et toi, tu devrais recommencer l'aïkido si tu te mets à fréquenter les tripots…

— Et Saga ? Pourquoi il pratique ? demanda Mû en suivant son ami qui s'était remis à marcher.

— Faire un sport de combat te permet d'acquérir une certaine confiance en toi, de gérer ton stress et même ta peur… Ça t'aide à garder l'esprit clair quand tu dois prendre des décisions rapides en fonction de la situation… Tu verras jamais un moine Shaolin hystérique courir dans tous les sens… La capacité de concentration qu'tu peux atteindre te sert dans de nombreux domaines comme le travail par exemple, quand tu passes un examen important ou pour faire face à quatre mecs armés de démonte-pneus… Voilà ! On y est…

— Là ? C'est un fleuriste !

— En apparence… Bonjour, fit le jeune homme en entrant dans la boutique.

— Bonjour, messieurs, fit la femme derrière le comptoir avec un grand sourire commercial. Que puis-je pour vous ?

— Eh bien… nous voudrions… un brelan de roses rouges...

Envolé le sourire commercial. Son regard était devenu aussi coupant qu'un rasoir comme Kanon en avait rarement vu. Elle prit le temps de les dévisager l'un et l'autre avant de leur annoncer le prix.

— C'est cent cinquante euros le bouquet.

— C'est c'qu'a dit la personne qui nous a recommandé votre magasin…

— Oh… Et de qui il s'agit ? Le bouche-à-oreille est important dans le commerce, vous savez…

— Oui, c'est évident, répondit Mû en souriant. C'est Argol...

— Il ne vous a rien dit d'autre ?

— Si… il a dit qu'il y avait parfois des méduses sur les plages de l'Estaque, rétorqua Kanon en énonçant le mot de passe sur le ton badin de la conversation.

— Parfait… Je vais vous préparer votre bouquet…

La femme disparut dans l'arrière-boutique et revint quelques instants plus tard en compagnie d'un gars à la stature impressionnante.

— Suivez-moi, fit l'homme.

Kanon et Mû obéirent sans discuter bien conscients que l'homme devant eux était tout à fait capable de leur broyer le crâne d'une seule main. Ils le virent tirer sur le cordon d'allumage d'une applique du couloir dans lequel ils se trouvaient et un panneau en bois pivota en silence. Ils pénétrèrent dans une salle passablement enfumée avec quatre tables de poker de dix places chacune presque toutes pleines.

— Rune, ils sont envoyés par Argol.

— Merci Gordon… Cent cinquante euros, s'il vous plait, fit le dénommé Rune.

Mû et Kanon sortirent chacun la somme convenue et ils furent dirigés vers des tables où il y avait encore des places libres. Malheureusement, ils furent séparés. Les adversaires de Mû étaient très variés. Il y avait deux jeunes qui ne devaient pas avoir plus de vingt ans, un homme genre cadre supérieur avec une paire de lunettes qu'il n'arrêtait pas de remonter sur son nez, trois autres qui ressemblaient plus à des piliers de bar qu'à des joueurs, mais il ne fallait surtout pas se fier aux apparences, une punk à en juger par sa coupe de cheveux, ses vêtements, ses tatouages et ses multiples piercings et un homme plutôt discret dans son style vestimentaire avec un joli papillon multicolore tatoué sur l'avant-bras droit. Celui-ci retint l'attention de Mû. Il paraissait trop effacé pour être mauvais sans parler du stack plutôt conséquent qu'il avait devant lui. Le croupier lui donna ses jetons et il entra dans la partie au coup suivant.

Pour Kanon, c'était peu ou prou le même genre d'énergumènes. Sauf deux peut-être. L'un transpirait l'assurance dans son comportement un peu trop peut-être. L'autre portait une paire de lunettes noires et avait l'air plutôt fin. À vrai dire, Kanon n'aurait su dire s'il s'agissait d'un homme efféminé ou d'une femme plutôt masculine jusqu'à ce qu'il entende sa voix annoncer un "tapis" clairement. Il était habillé simplement et ses vêtements de qualité reflétaient une élégance discrète. Il prit son stack et il intégra la partie. Cinq heures plus tard, les deux amis ressortaient de la salle, pas mécontents du tout de leur soirée.

— Finalement, ça s'est bien passé, fit Mû qui caressait amoureusement la jolie liasse de billets qu'il avait dans la poche.

— J'te l'avais dit ! C'est vrai qu'c'est complètement illégal, mais tu peux ramasser en trois heures plus que le SMIC d'un mois de travail.

— Y avait deux gars à ta table qui sont partis avec une petite fortune.

— Mouais, j'ai vu et à la tienne aussi, le type avec le papillon…

— Très bon joueur… Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

— Oh ! Oh ! Toi t'as encore envie de t'amuser ! le chambra Kanon en riant.

— Ben quand tu sens qu't'es dans un bon jour, c'est normal…

— C'est clair… C'est à peine minuit, tu veux qu'on file à Aix ? Ou à la Ciotat ?

— Aix...

Une heure plus tard, les deux hommes s'asseyaient à la même table de poker cette fois-ci, dans le Pasino Grand d'Aix-en-Provence. Et bien qu'amis, ils ne se firent pas de cadeau. Ils n'en partirent qu'à la fermeture avec les poches pleines. En faisant un rapide calcul, ils avaient joué pendant presque huit heures si l'on ne comptait pas le trajet entre Marseille et Aix. Après avoir tant fait travailler leurs esprits, arrivaient-ils seulement à aligner deux pensées cohérentes ? Arrivaient-ils seulement à penser tout court ?

À suivre…


(1) Ten Cities France Poker Tour = Je me suis inspirée d'un tournoi existant pour créer celui-ci pour cette histoire. Une des raisons pour lesquelles ça se déroule en 2029…

(2) À l'heure actuelle, les prize pool n'atteignent pas cette hauteur, mais en 2029, ils auront certainement augmenté. Il s'agit donc là d'une pure spéculation de ma part, mais je ne dois pas être loin de ce qui sera peut-être une réalité dans quelques années.

(3) Pasino Grand Groupe Partouche = Accueil 100 tables de poker Texas Holdem pour être choisi pour faire partie du tournoi des Ten Cities. Ceci est une pure invention de ma part, ça se passe en 2029, c'est pratique ^^…

(5) La tenue de Shaka.

(6) Cashgame = Un joueur peut s'asseoir à une partie de cashgame et la quitter à n'importe quel moment, si tant est qu'il ne se lève pas dans le seul but d'éviter de payer les blinds. Lorsqu'un joueur se lève d'une partie de cashgame pour faire une pause, son tas de jetons reste à table et les blinds n'en sont pas prélevées.

(7) Le no limit = les mises et les relances n'ont aucune limite.

Le limit = les mises et le relances sont limitées à la hauteur de la grosse blind

Le pot limit = Les mises et les relances sont limitées à la hauteur du pot et donc elles augmentent tout au long de la partie à chaque tour d'enchères.

(8) Buy-in = montant de l'inscription à un tournoi.

(9) Bulle = Dans les tournois, tous les joueurs ne sont pas payés. Seuls un petit nombre l'est. La bulle, c'est le moment d'un tournoi où il ne reste qu'un joueur à éliminer avant que tous les autres encore en lice soient payés. Dans les tournois à fort enjeu, le moment est tendu car tout le monde espère être "dans l'argent" (ou ITM qui signifie In The Money) et ainsi être remboursé de son inscription dans les places les plus basses. Lorsque tout le monde a (enfin) atteint les places payées, on dit que la bulle a été crevée.

(10) Dégun = mot typiquement marseillais qui signifie "personne" Dans le texte "J'ai peur de personne"


Au Poker les quatre couleurs sont PIQUE, CARREAU, TREFLE et CŒUR et non pas rouge et noir. ^^ En anglais, puisque c'est la langue du poker c'est, dans le même ordre : SPADES, DIAMONDS, CLUBS, HEARTS.

Hiérarchie des mains

— Une CARTEHAUTE = si aucun joueur n'arrive à former ne serait-ce qu'une paire, celui qui à la carte la plus élevée remporte le pot.

— Une PAIRE = deux cartes de même valeur. Par exemple 2 DAMES.

— Un BRELAN = trois cartes de même valeur. Par exemple 3 HUIT

— Une QUINTE = 5 cartes qui se suivent de couleurs différentes. Par exemple 5D 6C 7H 8D9 S toutes couleurs confondues.

— Une COULEUR = 5 cartes qui ne se suivent pas, mais de la même couleur. Par exemple 7 – VALET – 10 – 2 – DAME toutes à COEUR. La couleur avec la hauteur la plus élevée remporte le pot.

— Un FULLHOUSE ou FULL en abrégé = Un BRELAN associé à une PAIRE. Par exemple un FULL aux HUIT par les VALET c'est un brelan de HUIT et une paire de VALETS. Il faut associer les cartes servies au joueur avec celles découvertes sur le tapis.

— Un CARRE = 4 cartes de la même valeur. Par exemple le plus beau 4 AS. Mais 4 DEUX peuvent aussi très bien faire l'affaire et gagner le pot.

— Une QUINTEFLUSH ou QUINTE à la COULEUR = 5 cartes qui se suivent de la même couleur. Par exemple 8 – 9 – 10 – VALET – DAME à CARREAU

— Une QUINTE FLUSH ROYALE = 5 cartes qui se suivent de la même couleur hauteur AS. Par exemple 10 – VALET – DAME – ROI – AS à PIQUE. Elle est appelée royale parce qu'elle est hauteur AS. C'est LA combinaison imbattable au poker. Statistiquement, il existe 1 chance sur 30 000 de l'obtenir, mais qui sait… La chance peut avoir envie de vous faire un magnifique sourire.

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