Le jour venu, ils se retrouvèrent tous à la gare de Paris Bercy pour le train de 16h. Leurs voix se mêlaient au brouhaha général, aux grondement sourds des moteurs, aux souffles des suspensions des trains, au bruit ambiant causés par le vas et vient des voyageurs assortis de leurs valises et parfois de leurs compagnons de voyages. Ils étaient nombreux à se retourner pour dévisager leur groupe incongru. Odd s'était décidé après une nuit d'expérimentation pour des lunettes de soleil trop grande pour lui accompagnées d'un trenchcoat beige afin de "se mêler à la foule", tandis que d'autres comme Ulrich portaient leur défroque habituelle. L'excitation se faisait sentir dans le groupe. Certes ils avaient chacun vécus de nombreuses aventures ensemble par le passé, mais c'était pour la plupart d'entre eux le premier voyage qu'ils faisaient sans être accompagnés.. Ils allaient enfin être en mesure d'en apprendre plus sur cet être mystérieux qu'était Franz Hopper. Leur train n'étant pas encore arrivé, ils décidèrent de l'attendre au café de la gare.
- Beurk, mais quelle est cette mixture immonde ? demanda Sissi
- Un café torréfié en gare, lui répondit Odd
- C'est un crime contre mes papilles, oui !
- Le café ne semble pas au goût de madame, Ulrich aurais-tu l'amabilité d'aller nous chercher un grand cru de suite répliqua Odd
- Arrétez de vous disputer, les coupa Jérémie, notre train est là
Ils se précipitèrent pour entrer dans le train et prendre leurs places.
Pour Aelita, ces deux heures et demie de voyage furent chargées d'appréhension. Maintenant que leur périple était engagé, elle s'apercevait que rien n'était garanti. Ils ne connaissaient presque rien de ce… Pierre Germains. Il pouvait bien avoir déménagé, être décédé, qui sait…. Et quand bien même ils parviendraient à le contacter, voudrait-il seulement leur parler ? Et qu'aurait-il à dire ? Aelita ne savait pas ce qui serait pire : qu'il n'ait rien à lui apporter, ou qu'elle finisse par apprendre des choses sur son père qu'elle aurait préféré ignorer ? Après tout, son père avait participé au développement de technologies militaires, et ses travaux avaient fini par donner naissance au cruel X.A.N.A.
La voix du contrôleur la sortit de sa torpeur :
- Nous arrivons en gare de Tracy !
Ils descendirent du train, direction Sancerre, où devait se trouver Pierre Germain.

Au bout d'une heure de marche sur des sentiers bordés de vignes appartenant aux notables locaux, ils arrivèrent à destination. Les rues désertes, à l'exception de quelques passants, donnaient à l'endroit l'aspect d'une ville fantôme, coincée entre un passé ancien sur lequel elle s'était bâtie, et un futur incertain… Un parfait décor de film d'horreur. On pouvait par ailleurs apercevoir aux abords du village d'anciennes fortifications, témoins de l'histoire mouvementée de la région traversée par les guerres de religions.
Après un bref tour du village, les amis se rendirent à l'hôtel, y déposèrent leurs affaires, avant de commencer leur investigation du côté de l'office du tourisme. En entrant, ils furent étonnés du nombre démesuré d'attractions proposées considérant le peu de visiteurs qu'ils avaient croisés jusque-là : du monorail, du kayak sur la Loire, sans oublier les différents châteaux longeant le fleuve.
Derrière le comptoir se tenait un homme, les cheveux grisonnants. Il eut un air intrigué quand il vit entrer ce groupe de jeunes, qui devait détonner avec la faune habituelle.
- Excusez moi monsieur, je souhaiterai vous poser quelques questions concernant la région, amorça Sissy en arrivant au comptoir.
L'employé se pencha par-dessus son bureau, étonné de l'assurance de son interlocutrice qui contrastait avec sa petite taille :
- Qu'est-ce que je peux faire pour vous mademoiselle ?
- Nous cherchons un certain Pierre Germain, il habite dans la région, savez-vous où nous pouvons le trouver ?
- C'est pas la mairie ici, gamine ! Nous on a que ce qui concerne les loisirs. c'est plutôt là-bas, dans leurs registres, que vous devriez regardez si vous cherchez des infos sur quelqu'un… Mais je doute qu'ils vous répondent.
- Vous êtes sûrs de ne pas savoir où il habite ? c'est pour un de ses anciens amis… Ils se sont perdus de vue au lycée et il voulait reprendre des nouvelles.
- Tu peux m'expliquer pourquoi il m'envoie ses marmots au lieu de venir directement ?
- Il fait des courses dans le coin, du coup en l'attendant on s'est dit qu'on allait vous demander pour gagner du temps.
- Mouais, admettons. Désolé je ne sais vraiment pas qui c'est, ni où il habite. Vous aurez probablement plus de chance en allant demander à la mairie.

Il se rendirent directement à la mairie qui se trouvait à quelques pas de l'office du tourisme. L'employé municipal les informa qu'il existait bien un ancien bâtiment enregistré au nom de Pierre Germain. Il les avertit cependant :
- J'connais pas ben l'bonhomme qui crèche là-bas, mais j'ferais attention si j'étais vous. C't'énergumène y cause pas beaucoup, moi j'fais pas confiance à ces gens-là. Quelque chose
- Merci monsieur
- C'tun étrange individu… c'est qu'il est pas du village, vous savez ! Il est arrivé comme ça un matin, il a à peine dit bonjour, pis l'est allé s'enfermer près d'la vielle ferme, qu'avait appartenu à la famille Martin dans l'temps, ah ça c'était quelque chose !
Les Lyoko guerriers se regardèrent, incertains de l'attitude à adopter face au radotage de l'employé.
- Eux, au moins, ils avaient des manières, pas comme vot' Germains là ! ça c'était pas n'importe qui ! Ils étaient polis eux, enfin tout ça pour dire… faites attention. Je vais pas vous retenir plus longtemps
- Ok, monsieur, on va y aller nos parents nous attendent, bonne journée ! répondit Odd

Les comparse décidèrent néanmoins de s'y rendre le lendemain matin après un repos bien mérité à l'hôtel.
Ils s'étaient rassemblés dans la chambre réservée pour Aelita, Sissi et Yumi pour discuter du plan d'action pour le lendemain. Aelita pris la parole la première, s'adressant à Sissi :
- Avant de commencer la réunion, il faut qu'on t'avoue quelque chose, Sissi. On ne t'as pas dit toute la vérité concernant les recherches que l'on est en train de mener. Tu sais qu'on est là pour en apprendre plus sur mon père disparu. En fait, je l'ai perdu récemment lors de notre dernière aventure sur un monde virtuel…
Ainsi les lyokos guerriers lui contèrent leur terrifiantes aventure sur le monde virtuel de Lyoko, de leur rencontre initiale à leur victoire sur X.A.N.A.
- Donc si je comprends bien vous êtes des sortes de héros qui agissez dans l'ombre pour la paix quoi ! dit Sissi avec émerveillement.
- On peut voir ça comme ça, lui répondit Aelita en souriant. En attendant il faut se préparer à dormir, la journée de demain pourrait s'annoncer assez éprouvante.

Le lendemain matin, Aelita et ses amis partirent en direction du domicile de Pierre Germains. Ils étaient tous excités à l'idée d'en savoir plus sur le passé de Franz Hopper. La météo, non. Le ciel était obscurci par des nuages noirs qui leur crachaient dessus une pluie diluvienne, les forçant à courir.
Cette fuite sous les gouttes, quoique désagréable, leur évita toute hésitation. Leurs souvenirs de Lyoko, accompagnés de leurs peurs, de leurs angoisses, n'avaient plus de place dans leur course. Enfin, après seulement quelques minutes, ils arrivèrent dans un complexe agricole crasseux, où on pouvait apercevoir ça et là ce qui semblait être d'anciens silos délabrés, fixés au sol par de longues tiges de métal. Au milieu de ces tours blanchâtres, un hangar immense donnait l'impression d'être habité par des géants.
En avançant, ils remarquèrent une timide masure jouxtant le hangar. Aelita approcha une main hésitante de l'entrée de la demeure. Elle sentit une main se poser affectueusement sur son épaule. Le regard rassurant de Jérémie l'accueillit lorsqu'elle se retourna, et elle fut agréablement surprise de cette sollicitude venant de son ami.
Rassemblant sa détermination, elle toqua à la porte.
Au bout de quelques instants, elle entendit le bruit d'une serrure, puis deux, puis trois... La porte s'ouvrit. Apparut alors devant eux le visage d'un septuagénaire coiffé d'une masse informe de cheveux blancs. Il portait un pull décoré de motifs de noël duquel dépassait une chemise trop grande. Un pantalon de velours beige complétait l'ensemble, qui les dévisagea avant de demander d'un air bougon :
- Bonjour, c'est pour quoi ?
- Vous êtes bien Pierre Germain ? répondit Aelita. On souhaiterait vous parler d'un de vos anciens amis : connaissiez-vous Franz Hopper ?
- Hopper… Ha ! Ça faisait longtemps que j'avais pas entendu ce nom. Qu'est ce qu'il est devenu ?
- Il est mort avant que je n'ai vraiment pu le connaître… Mon père s'est sacrifié pour nous sauver et arrêter une dangereuse menace. Je suis venu pour en apprendre plus sur son passé.
- Ton père ? Attends, c'est toi, Aelita ? Mais, comment ça se fait ? Tu devrais avoir plus de vingt ans !
Très vite, la surprise qu'affichait le vieil homme se teinta de sympathie.
- C'est une longue histoire, et je n'ai pas tous les détails. Il y a eu … un accident, et j'ai oublié une grande partie de mon enfance.
Pierre Germain sembla réfléchir quelques instants avant de répondre :
- Rentrez, on sera mieux à l'intérieur pour discuter de tout ça. Vous pouvez vous asseoir, dit-il en leur montrant des chaises éparpillées à travers la salle de séjour. Vous voulez quelque chose à boire ? Je n'ai pas souvent de visiteurs, donc il ne me reste que du café, du thé et de l'eau.
Après qu'ils furent entrés et avant de refermer la porte, Aelita vit Pierre Germain jeter un dernier coup d'œil au-dehors.
- Je veux bien une tasse de café, s'il vous plaît, demanda Sissi qui n'avait pas digéré le café de la gare.
Les autres amis échangèrent un regard, et Ulrich se fit leur porte-parole :
- On prendra juste de l'eau.
Pierre Germain acquiesça et commença à remplir des verres.
- Franz Hopper… Pour tout te dire je ne l'ai connu qu'assez tardivement… Il était déjà membre du projet Carthage lorsque l'on m'a intégré à l'équipe il y a de ça 20 ans. Il était assez connu dans le milieu de l'informatique, un vrai visionnaire ! C'est le premier type à avoir réussi à matérialiser un être vivant dans un espace virtuel, et rien que pour ça il mériterait au moins un Nobel !
Ta mère, c'était la cheffe du projet Carthage et ils m'ont mis dans l'équipe en tant qu'assistant pour ton père : je l'aidais à conduire les différentes expériences, et je préparais les rapports qu'on envoyait à la direction. On était tous très excités de participer à cette aventure qui allait révolutionner le futur de l'informatique ! Regardez ! dit il, désignant une photo posée sur une étagère, on est là tous les trois. Il sembla se perdre un instant dans sa mémoire, avant de reprendre son récit.
À partir d'un moment, on a commencé à se rendre compte que le but de l'organisation pour laquelle on travaillait n'était pas forcément aussi louable que le nôtre. Aveuglé par son ambition peut-être, Hopper pensait qu'il pouvait convaincre nos commanditaires d'utiliser leurs recherches à des fins thérapeutiques, notamment pour des soins psychologiques poussé avec des mises en situation de patient atteint de troubles importants ; mais l'organisation pour laquelle on travaillait - on n'a jamais trop su qui s'était - voulait utiliser ses recherches dans un but militaire. Ça allait leur rapporter gros, qu'ils disaient… Il a fallu plusieurs années pour que ton père réalise son erreur… lui et ta mère démissionnèrent.
L'organisation les garda quand même sous haute surveillance afin qu'ils ne puissent pas divulguer les découvertes à des concurrents. Personnellement je m'étais déjà écarté du projet. Étant donné que je n'étais pas très haut placé, ils m'ont laissé partir sans trop de problème. Ça m'a permis d'aider ta famille à fuir l'organisation.
Au dehors, un vrombissement se fit entendre parmi le bruit des gouttes de pluie frappant le sol.
- On a réussi tant bien que mal à te permettre d'avoir un semblant d'enfance normale, même si t'as dû déménager plus d'une fois. Quoique si t'es là c'est que ça n'a pas si bien réussi. Au bout d'un moment, les services de sécurité de l'organisation nous ont retrouvés et m'ont placé sous surveillance, ce qui m'a empêché d'aider tes parents. Avant d'arriver à l'ermitage, vous aviez changé d'adresse de nombreuses fois pour brouiller les pistes. J'ai vu ton père pour la dernière fois dans une ferme du Larzac. J'ai décidé ensuite d'arrêter de le voir, la surveillance de l'organisation se faisait trop importante.
- Vous ne savez donc pas comment il a disparu ? Ou pourquoi on s'est enfuis sur Lyoko ?
- Non, j'ai préféré par la suite garder mes distances par crainte de dévoiler là où se cachait Hopper. C'est qu'ils me surveillaient sérieusement les salauds après ! Heureusement, au fil du temps, ils m'ont de plus en plus laissé tranquille, et j'ai pu reprendre un semblant de vie normale. Il semblerait que ça ne lui ait pas évité les ennuis pour autant. Si j'avais su… bah ! C'est trop tard maintenant.

Une lumière forte vint traverser les volets fermés dans la pénombre de la maison.
Soudain, un son strident ; plus rien à part les lumières qui semblaient fixer l'obscurité. Les Lyoko guerriers et leur nouveau compagnon restaient silencieux.
Pierre Germain chuchota en direction du groupe :
- Qu'est ce que c'est que cette histoire… attendez là je vais regarder…
Il revint paniqué, comme désorienté. Néanmoins sur son visage se lisait une autre émotion, plus subtile, il semblait comme réjoui de l'occasion.
- C'est l'organisation ! Votre présence a dû les alerter, il faut partir.
- Mais comment ? objecta Jérémie, ils doivent nous attendre dehors.
- Suivez-moi ! dit-il en se dirigeant vers la cuisine, pour ouvrir une porte dérobée au moyen d'une machinerie complexe à base de poulies.

Ils descendirent les escaliers se trouvant derrière la porte pour se retrouver dans les égouts.
- Peuh mais quelle odeur ! s'exclama Sissi
- Belle observation Sherlock junior, on est dans les égouts, fit remarquer Odd avec un sourire narquois
- On est vraiment obligé de passer par là ? C'est dégoûtant ! Toute cette puanteur, et puis…
- Pas le choix, la coupa Pierre Germain. Suivez-moi, j'ai un plan : hors de question de me retrouver entre leurs mains !
Après une quinzaine de minutes à tourner dans ce labyrinthe de couloirs tous semblables les uns aux autres, Pierre Germain s'arrêta :
- On est arrivé !
Il sortit des égouts pour se diriger vers une camionnette rouge garée sur le bord d'un trottoir.
- Voilà votre carrosse. Entrez, dépêchez vous, ils risquent d'arriver d'un moment à l'autre
Ils s'exécutèrent pendant que les lumières se rapprochaient ; il fallait partir…

- Où va t-on ? Demanda Sissi après plusieurs minutes.
Les grands faisceaux de lumière qui les avaient mis en fuite avaient disparu pour laisser place à des phares de voitures.
- Si on continue vers le sud encore quelque temps, on arrivera à un refuge que j'avais préparé au cas où. On y restera quelques jours pour se reposer, puis on partira ensuite, toujours plus au sud. Je vous renverrai chez vous lorsqu'on sera certains qu'ils ne sont plus sur nos traces.
Une fois l'adrénaline retombée, Yumi se fit la réflexion que Pierre Germains avait été forcé d'abandonner sa maison. Il ne pourrait sans doute jamais remettre la main sur les affaires qui lui tenaient à cœur, comme la photo qu'il leur avait montrée. Était-ce de leur faute si l'organisation l'avait retrouvé après toutes ces années ? Heureusement, l'ancien scientifique semblait étonnamment à l'aise avec ces événements.
Après plusieurs heures de routes, voyant que Sissi était encore éveillée, Yumi se décida à engager la conversation :
- Ça va ? Tu tiens le choc ?
- Je… Je ne sais pas. On vient de se faire poursuivre par des gens inconnus et… On sais pas ce qu'ils nous veulent, on sait pas si on réussira à s'enfuir, on sait rien au final !
- Ah, ne t'inquiètes pas, on va s'en sortir ! Toutes ces histoires avec X.A.N.A, ça nous a appris qu'en se faisant confiance, on pouvait se sortir de beaucoup de situations désespérées.
Les inquiétudes de Sissi et le bravado de Yumi furent emportés par la camionnette roulant à toute vitesse dans la nuit.