Barty Croupton Jr n'avait jamais craint la nuit. Jusqu'à celle-ci.

Une nuit cruelle ou la lumière accusatrice de la lune révélait le coup de folie qui l'avait pris et qui l'avait recraché tremblant, imprégné de la senteur lourde de la magie noire, du poison nocif du pouvoir rampant dans ses veines, le fourmillement de la folie au bout de ses doigts, au coin de ses yeux, là où il ne regardait pas. Pas de sang ; que de la sueur qui perlait à sa chemise, et pourtant.

Il était impossible que le Maître se soit volatilisé. Pas comme ça. Pas sans lui, pas sans lui dire au revoir.

Mais le faisceau inondait la pièce, désormais. Pleine, pâle et brillante, la lumière descendait comme un châle sur un monde qui basculait dans les ténèbres alors même que la lumière emportait les lauriers de la victoire. Les dalles du carrelage s'illuminaient sous l'évanescence de son aura seulement troublée par les autres ombres tourmentées. Les pas incessants d'une femme aux longs cheveux bruns. Et, plus tranquilles, plus statiques, les silhouettes des deux frères, se mouvant d'un même accord, unis en gestes comme en pensée.
Les grognements de frustration, les cris de joie. Les hurlements de douleur, les suppliques silencieuses. Les braillements d'un enfant bataillant contre les parois du silence. Il avait vu les corps tomber à terre, grincer, ramper, se tordre, à moitié nus contre le sol, surpris en plein milieu de leur sommeil - les nuages recouvrant l'astre, l'arrivée imminente du désastre.

Quelque chose l'avait pris par le bras, invité à s'ajouter au cercle. Bellatrix.

Le désespoir devait toujours trouver une issue. N'est-ce pas ?

Depuis que la nouvelle terrible était tombée, il était devenu nerveux. Impatient. Bouger, bouger, bouger. Quelque chose lui interdisait d'y croire. Il reviendra. Il ne t'a pas oublié. Tu dois le chercher ! Quelque chose lui interdisait de sombrer, de se paralyser. Il ne le laisserait pas gagner.
Les mâchoires serrées à s'en raidir les muscles, plus tendu qu'un élastique prêt à lâcher, quelque chose en lui avait fini par céder. Par mordre, une fois que toutes les lumières se fondaient dans l'éclipse.

L'œil unique de la Lune était ensuite revenu, et Barty ne pouvait plus que contempler leur œuvre. Son œuvre. Les regards hagards. Sonnés. Frappés.
Rabastan près de la sorcière à terre, accroupi à côté d'elle, murmurant quelque chose, alors que la femme regardait dans le vide, cherchant un point fixe, comme aveugle, bouche bée. Le corps recroquevillé de l'homme non loin, le filet brillant de bave coulant sur le menton. Des yeux bleus et des yeux verts. Troubles.
Bellatrix minaudait, occupée en pourparlers avec son mari. Les exclamations légères lui parvenaient, perçantes, la glace rayant la glace.


-Ils ne diront rien ! fulminait la femme Lestrange.

-C'est peut-être mieux ainsi. Vois le bon côté des choses, maintenant, ils ne peuvent plus rien dire, en effet. Incapables de quoi que ce soit. Nous avons été si efficaces, ce soir... Il aurait été fier de nous.

-Mais il a disparu, et nous ne savons toujours rien de là où il pourrait être. Il n'est pas mort !

-Je sais.

Chacun avait lâché sa baguette - le couple Lestrange avait rangé les siennes, comparant plutôt leurs avant-bras, Rabastan gardait la sienne dans la manche de son costume tandis qu'il parlait à la femme en pyjama, brisée. Tous, sauf lui. L'élégant morceau de bois se trouvait toujours pointé en direction du carré de lumière dessiné par la grande fenêtre. En direction de sa dernière victime.

Sa main, auparavant si sûre, brûlante, trembla.

-Croupton, ramène-toi, sonna la voix de Rabastan. J'aurais besoin de toi pour...

Ils n'avaient eu aucun indice. Aucun.
Et la Marque n'avait jamais été aussi pâle sur sa peau.

L'envie de - de quoi ? Hors de question de fuir. Où aller ? Que faire ? Il devait y avoir quelque chose. Une suite à tout ça. Mais où était passé le Maître ?

-Barty..? Barty !

D'abandon, il n'y aurait pas. Telle avait été la promesse du nouveau père. Celui qu'il avait choisi - et qui l'avait reconnu parmi les siens.
Brusquement, une eau chaude lui monta aux yeux, qu'il essuya promptement, dégageant enfin sa baguette du champ de tir.

Le regard que la coquille vide autrefois nommée Frank Londubat lui renvoya depuis le sol aurait fait pâlir d'envie un Détraqueur. Fascinant, l'effet prolongé de la douleur. Mais ça n'était rien, rien du tout, un fragment de poussière, une molécule dans l'océan aérien du monde.

-Reviens ! Mais quel idiot..!

La voix de Rodolphus dissuada Bellatrix de partir à sa suite.

-Il ne déserte pas. Il... est affecté.


Devait-il à présent craindre la nuit ? Sans leur Maître pour les guider, il semblait qu'ils allaient désormais s'y fondre jusqu'à la perte totale. Tout était sens dessus-dessous ; ce n'était qu'une question de temps avant la dissolution.

Il avait toujours adoré le chaos. Mais pas celui-ci.

Attablé à un bar sorcier d'une petite ville du nom de Holyhead, la nuit ne se lassait jamais de se poursuivre. Nuit de malheur, où même le fond de son verre peinait à noyer les larmes qui menaçaient de surgir à tout moment, à diluer ses souvenirs en feu, à engourdir ses sens.

Comment en étaient-ils arrivés-là ? Pourquoi fallait-il toujours que les pères soient si... décevants, quand sa fidélité à lui ne connaissait aucune faille, dès lors qu'il l'accordait ?

Le verre se remplit. Whisky Pur Feu, évidemment. Le brun ambré, qui s'accordait avec les boiseries et l'ambiance chaude du pub, ne suffit pas à le réchauffer de l'intérieur. Il ne sentait que le vide et le froid de la nuit pour l'étreindre.

Il avait bien regardé d'un œil distrait ces filles qui gloussaient en lui jetant des regards en biais. Il n'avait jamais accordé d'importance à ces visages avides, à ces embrassades parfumées.

Peut-être qu'il pouvait se distraire de l'étau nocturne. De l'embrasement et de l'étouffement. Peut-être.