Eawyn revint vers les siens en milieu d'après-midi. Les nains et le mage avaient dû s'arrêter une petite heure pour dîner et se dégourdir les jambes et permettre aux poneys de s'abreuver et de se nourrir. Elle aussi avait pris le temps d'une petite pause plus en avant. Elle fit signe que la voie était libre et reprit sa place dans la file tout à l'arrière. Le message était clair : elle ne voulait pas converser pour le moment.

Les chants avaient repris de plus belle, mais elle ne les écoutait que d'une oreille distraite. On ne lui demanda de chanter à nouveau et elle en fut satisfaite. On ne lui demanda pas non plus de se justifier bien que son départ et sa réaction aient piqué la curiosité de ses compagnons.

— Attendez ! Attendez !

Eawyn fit arrêter Nahald et regarda derrière elle.

— Pourquoi vous arrêtez-vous, grogna Dwalin qui l'avait vu faire alors qu'il la surveillait du coin de l'œil. L'heure de la pause est passée.

— J'attends le dernier membre de notre compagnie, Maitre Nain. Il semblerait que notre ami Hobbit ait changé d'avis et décidé de nous accompagner.

— Attendez ! Attendez !

Cette fois toute la compagnie se stoppa. Très vite leur hôte de la veille apparut. Il avait visiblement couru tout du long et était légèrement essoufflé. Il arriva vers eux tout sourire, son contrat à la main. Il le tendit à Balin.

— Je l'ai signé, annonça-t-il.

— Eh bien tout me semble en ordre, déclara le nain aux cheveux blanc après vérification. Bienvenue Monsieur Sacquet dans la compagnie de Thorin Oakenshield.

La jeune femme lui offrit un sourire indulgent, certains félicitèrent et d'autres se contentèrent d'un haussement d'épaule. Eawyn n'était pas certaine qu'il ait fait le bon choix en décidant de les rejoindre. Elle ne doutait pas qu'il devait avoir les ressources nécessaires pour ce voyage, Gandalf l'avait choisi lui en particulier, mais pour sa survie, la Comté était un meilleur choix. Elle décida de veiller sur lui, consciente que les nains ne le feraient pas tous. Et Gandalf… C'était un magicien qui avait toujours quelque chose derrière la tête.

— Qu'on lui donne un poney, ordonna Thorin.

Elle rit doucement en passant devant le Hobbit en l'entendant se justifier sur le fait qu'il n'avait pas besoin de poney. Il n'eut finalement pas le choix quand Fili et Kili le soulevant chacun par un bras le posèrent sur le dernier poney. Et au vu de sa manière de tenir les rênes, cela devait être une première pour lui.

Ayant pitié, elle fit ralentir Nahald pour se retrouver à côté du dernier arrivé. Elle entreprit alors de lui donner un cours rapide sur la façon de se tenir à cheval. Si bien que quelques minutes plus tard le hobbit avait déjà meilleure allure. Évidemment, il restait bien du travail à faire, mais les nombreuses heures de chevaucher à venir allaient arranger cela.

Les bourses d'argent volèrent d'un cavalier à l'autre. Ceux qui avaient parié sur la venue de leur cambrioleur ricanaient en recevant leur dû. Gandalf eut un large sourire satisfait. Eawyn se contenta de les observer, amusée. Elle avait fait le choix de ne pas miser le peu d'argent qu'elle avait avec elle.

— Attendez ! Arrêtez-vous !

Dans un soupir, Thorin fit signe à tout le monde de stopper leur monture. Il se retourna agacé vers le hobbit. Le roi nain pesta mentalement : il n'aurait jamais dû l'emmener, il les ralentissait déjà. Au moins la femme avait-elle la qualité de ne pas les ralentir pour… Pourquoi d'ailleurs ? Le descendant de Durin osait espérer qu'il avait une bonne raison de le faire !

— Il faut faire demi-tour, exigea Bilbon.

— Bon sang, mais que se passe-t-il ?

— J'ai oublié mon mouchoir.

Eawyn haussa un sourcil, se retenant d'ajouter le moindre commentaire, tout ça pour un mouchoir. Elle secoua la tête doucement pour chasser son envie de rire. Chose difficile à la vue de la tête que tiraient les nains. Elle allait lui proposer le sien, mais fut devancée par Bofur :

— Tenez ! Prenez ça, réagit-il en lui lançant un bout de tissu qu'il venait d'arracher de sa tenue à la propreté discutable. Il faudra faire avec ça.

Eawyn grimaça, le dégoût se peignant sur ses traits. Elle n'osait pas penser à quoi avait bien pu servir ce bout de tissu. Après réflexion, il valait mieux rester dans l'ignorance.

Thorin ordonna sèchement que tout le monde se remette en route. Gandalf entreprit d'expliquer au hobbit qu'il allait se passer de bien des conforts lors des prochains mois. Cet épisode passé, ils poursuivirent la route sans qu'elle ne fût entravée par autre chose. L'allure lente fit presque somnoler Eawyn et seul le fait de savoir que des orques n'étaient peut-être pas loin l'empêcha de s'endormir sur sa monture. Ca n'aurait pas été la première fois, mais ce n'était pas la meilleure idée qui soit.

Elle observa le ciel et constata que le soleil avait déjà bien entamé sa descente. Ils s'arrêteraient bientôt pour la nuit. Il était temps. Les nains, tout comme elle, avaient perdu leur entrain. La journée avait été bien longue. Elle talonna Nahald pour qu'il gagne l'avant de la file et se mit à hauteur de Thorin. Il lui jeta un regard mauvais avant de reporter son attention droit devant lui.

— Pensez-vous vous arrêter bientôt pour la nuit, demanda-t-elle malgré tout.

— Déjà fatiguée, répliqua-t-il, dédaigneux.

Eawyn soupira et prit sur elle pour feindre l'indifférence.

— Je pensais simplement aller chasser un peu pour notre repas du soir. Nous n'en aurons certainement plus l'occasion par la suite, argumenta-t-elle. Il vaut mieux conserver nos aliments non périssables.

Le nain ne trouva rien de désagréable à répondre à cela. Elle avait raison, il ne pouvait le nier.

— Faites, consentit-il. Kili !

— Mon oncle ?

— Tu l'accompagnes.

Le jeune nain acquiesça sans en connaître la raison. Il ne souhaitait pas contrarier Thorin plus que nécessaire. Il talonna son poney pour rattraper Eawyn qui avait déjà quitté le chemin pour s'enfoncer dans le sous-bois. Ils ne devaient pas rester éloignés du groupe trop longtemps et surtout, ils devaient être au campement avant la nuit.

— Que cherchons-nous, questionna-t-il finalement le brun.

— De quoi faire un bon repas, répondit-elle, évasivement.

Elle était déjà concentrée, à l'affût d'un bruit ou de traces qui pourraient la mener à une proie. Enfin une activité qui allait la tirer de sa torpeur. Il était temps. Et puis, elle devait impérativement se rendre utile. Elle observa les arbres avec attention puis reporta son attention sur le sol.

Eawyn tira une flèche de son carquois, banda son arc et tira. Un bref couinement retentit. Elle récupéra la flèche et attacha le lapin à sa ceinture avant de poursuivre sa traque. Un seul ne suffirait pas. Elle veilla à rester non loin de Kili, ce n'était pas le moment qu'ils se séparent. Il s'avéra lui aussi être un chasseur particulièrement adroit.

— Je pense que nous en avons suffisamment, déclara le nain après avoir récupéré une dernière proie.

— Nous n'avons plus le temps pour plus en tout cas. Hâtons nous avant la nuit, ordonna-t-elle en remontant sur Nahald.

Kili avait attrapé trois lapins, elle revenait avec deux lapins et un faisan. Ça constituerait l'un de leur meilleur repas lors de cette aventure. Elle avait aussi pris le temps de ramasser des baies qu'elle savait sans danger pour en avoir fait l'exclusivité de ses repas lors d'une escorte. Pouvoir chasser pour avoir un peu de viande lors des repas était un luxe. C'était loin d'être toujours possible. Au moins ici, il y avait du gibier et des plantes comestibles. Les terres du nord n'avaient ni l'un ni l'autre. Pour cela ce voyage était plus simple. Pour le moment en tout cas.

— Vous êtes adroite avec un arc, Dame Eawyn, la complimenta Kili.

— Je vous retourne le compliment, Maître Nain. Voilà une arme qu'on voit bien peu souvent aux mains de votre peuple.

— C'est pour cela que je devais apprendre, sourit-il.

Elle comprenait qu'il soit difficile de se démarquer en ayant un oncle digne d'une légende et en étant le petit dernier d'une fratrie. Utiliser une arme que personne ne savait manier était une bonne idée.

— L'arc est-il une arme courante chez vous ?

— Oui, tous les rohirrims savent l'utiliser avec plus ou moins de précision, confirma-t-elle. Ensuite, nous apprenons à utiliser la lance et l'épée. Les cavaliers du Rohan, la force armée, doivent être capables d'utiliser tout cela avec une grande précision afin de ne pas blesser leur monture. Le poulain qui est remis au guerrier à la fin de son apprentissage est son bien le plus précieux.

Elle observa le nain du coin de l'œil. S'intéressait-il vraiment ou venait-il récupérer des informations pour les plus méfiants. Elle haussa les épaules, elle avait bien peu de choses à cacher au final.

— On vous a remis Nahald à ce moment-là ?

— Sa mère, oui.

Eawyn se mordit l'intérieur de la joue, violemment. Bon sang ! Kili la regarda en fronçant les sourcils, mais n'ajouta rien à ce sujet.

— Cela n'a-t-il pas été trop compliqué de convaincre tout le monde que vous vouliez être guerrière ? Je sais que les Hommes sont comme nous et préfèrent garder les femmes loin des champs de bataille…

— Compliqué, c'est le mot.

Elle demanda à Nahald d'aller plus vite. Elle ne voulait pas repenser à cela maintenant. Il suffisait de ces questions !

— Le campement ne devrait plus être très loin.

Elle fut soulagée de voir apparaître le campement quelques minutes plus tard. Elle pourrait enfin échapper aux questions du brun. Cela lui éviterait d'en dire trop sur son passé. Elle avait fait bien trop de bourdes en une seule journée et il lui restait des mois de voyages. Bénie soit le fait qu'elle ait chanté en rohirique pour pas que le nain fasse le rapprochement entre les paroles et ce qu'elle avait dû faire pour rejoindre l'armée du Rohan. Elle devait vraiment faire attention à ce qu'elle disait.

— Aah vous revoilà, s'exclama Gloin. Le feu est prêt, j'espère que vous avez trouvé quelques petites choses à faire cuir !

Eawyn descendit de Nahald et posa son butin devant lui, Bombur et Bofur eurent un sourire satisfait.

— Nous nous occupons du reste !

Eawyn, qui allait les aider à dépecer et vider leur futur repas, fit un pas en arrière. Elle haussa les épaules et fila à l'extrémité du camp pour s'occuper de Nahald. Il l'avait bien mérité. Elle vérifia qu'il n'avait aucune blessure et lui donna une pomme.

.

Après avoir discuté avec son oncle, Kili rejoignit son frère, qui après s'être occupé des poneys, s'était installé sur un rocher pour fumer tranquillement. Il avait les yeux rivés sur les étoiles.

— Alors cette chasse ?

Le blond regrettait de ne pas avoir été de la partie.

— Je n'ai pas obtenu autant d'informations que Thorin l'aurait voulu…

— Hum ? Qu'as-tu appris ?

Fili était curieux, elle l'avait intrigué dès qu'elle était entrée chez le hobbit. Néanmoins, il ne se voyait pas aller l'interroger directement. En tout cas, n'osait-il pas pour le moment.

— A part me confirmer qu'elle venait bien du Rohan et qu'elle maîtrise plusieurs armes, je n'ai pas appris grand chose…

— Mais, demanda Fili qui connaissait son frère par cœur.

— Elle m'a expliqué une tradition du Rohan, c'est à la fin de son apprentissage que le guerrier reçoit un poulain. Quand je lui ai demandé s'il s'agissait de Nahald, elle m'a dit que non qu'il s'agissait de sa mère. Mais…

— Son apparence nous trompe sûrement sur son âge réel ou elle a fini son apprentissage bien plus jeune que nous le pensons. Nous ne sommes guère habitués aux coutumes humaines.

— C'est plus qu'elle a eu l'air de s'en vouloir et après elle a fui.

Un silence.

— Je ne l'ai pas dit à Thorin.

— Tu as bien fait, confirma l'aîné.

Fili s'enfonça dans ses pensées. Il avait vraiment envie de savoir ce qu'elle cachait. Il devrait sans doute faire comme son oncle l'avait demandé et tenter de lui soutirer des informations. Il serait sans doute plus facile d'être son ami pour qu'elle se livre à lui. Ça n'allait pas plaire à Thorin.