Chapitre 1 : Link contre les vagues

Le crépuscule enflammait l'horizon lorsque Link vit s'amonceler au loin les noirs nuages qui engloutissaient les premières étoiles, portant avec eux la promesse d'une nuit périlleuse. La mer était encore calme mais les premiers vents de la tempête gonflaient la voile de la légère embarcation qui devait ramener Link à Hyrule. Cela faisait déjà quelques jours que son voyage de retour avait commencé. Seul à bord de son voilier, il profitait de ce dernier périple avant d'enfin pouvoir savourer le repos du héros, de rentrer auprès des siens, dans son royaume, avec le sentiment du devoir accompli.

Lorsque la nuit fut complètement tombée, la tempête annoncée s'abattit sur le héros. La mer gonflait son ventre, et son mugissement était comme le cri désespéré des milles fantômes de marins perdus. Tout n'était plus que ténèbres et chaos. Link s'accrocha de toutes ses forces au mât, mais les vagues étaient terribles et rapidement brisèrent la barque. Link, celui qui avait vaincu l'esprit de l'ombre dans le monde des ténèbres, qui avait fait danser les saisons et le temps, trouva pour le première fois un ennemi plus fort que lui, et contre lequel son épée ne pouvait rien. Dans le ventre du monstre, il lutta désespérément pour rejoindre la surface et réussit à attraper une planche de salut, à laquelle il s'agrippa de tout son être.

Il lutta contre la mer toute la nuit.

À l'aube, il perdit connaissance.

« Ah ! il revient à lui ! »

Quand Link reprit ses esprits, il se trouva à sa grande surprise dans un lit confortable et propre. Il entendit la voix d'une femme toute proche de lui : « Enfin … J'ai cru que tu n'allais jamais te réveiller ». Il ne se rappelait pas très bien, mais peut-être était-il arrivé à Hyrule. Probablement que la Princesse l'avait retrouvé et l'avait installé au château où elle l'avait veillé. Rassemblant ses efforts, Link marmonna :

- Zelda ?

- Quoi ? Zelda ? Tu dois être encore patraque. Je m'appelle Marine, et tu te trouves sur l'île de Cocolint.

La voix rieuse de la jeune femme lui parut si aimable qu'il ne prit pas immédiatement la mesure de sa situation. Cocolint... Ce nom ne disait rien à Link qui avait pourtant longuement étudié les cartes marines. Il observa la maisonnette dans laquelle il se trouvait : Toute la structure et les murs étaient en bambou. Quelques fentes laissaient par endroit se glisser un morceau de soleil qui brûlait dans la pénombre. La table sur laquelle était posé un service à thé, les tonneaux remplis de denrées séchées et le pot de fleur posé sur le rebord de l'unique fenêtre laissaient Link imaginer la vie douce et paisible que l'on menait ici.

Après quelques minutes, il parvint à se redresser. Il ne remarqua pas immédiatement qu'il ne portait pas ses vêtements et se sentit particulièrement honteux lorsqu'il le réalisa. Marine s'en excusa, elle avait l'air confuse et baissant la tête, lui expliqua qu'elle les lui avait lavés et fait sécher au soleil. Elle alla les lui chercher et le laissa s'habiller. Il enfila son tricot de peau marron et sa tunique verte, boucla son ceinturon autour de la taille et se coiffa de son bonnet. Ses bottes de cuir avaient été lavées et graissés.

Lorsque Marine entra à nouveau, il prit le temps de l'observer plus attentivement. Elle avait de longs cheveux roux dans lesquels elle avait glissé une grande fleur rouge. Elle portait une grande robe bleu ciel et avait noué autour de sa taille un ruban rose. Elle lui raconta sa promenade sur la plage ce matin même, qu'elle l'avait retrouvé échoué, au milieu de débris, qu'elle avait appelé son père et que tout deux l'avaient ramené à la maison. Elle a voulu y retourner ensuite, voir si elle ne trouverait pas d'autres rescapés, mais la plage était soudainement envahie de monstres.

Tarkin, le père de Marine entra alors dans la maisonnette. Il se présenta et demanda à Link s'il allait bien. Il attrapa un objet glissé derrière un meuble et lui tendit « tiens Link il me semble que c'est à toi ». Il s'agissait de son bouclier. Link se demanda comment pouvait-il connaître son nom, et comme s'il avait lu dans ses pensées, il s'expliqua soudainement « c'est le nom qui était gravé sur ce bouclier ».

Avec une hospitalité sans pareille, père et fille partagèrent avec lui leur repas qui consistait en une soupe aux champignons et au lait de coco. Link, qui s'était complètement rétabli, leur assura qu'il irait sur la plage les débarrasser des monstres, et qu'il en profiterait pour glaner les quelques débris réutilisables. Il garantirait leur protection le temps qu'il se construise un nouveau bateau pour retourner d'où il vient. Marine et Tarkin semblèrent surpris mais acquiescèrent.

Ragaillardi, Link sorti de la maisonnette à la découverte de Cocolint. Il se promena d'abord dans le village, qui au dire de ses habitants, se nommait le village des Mouettes. Il y découvrit tout ce qu'il est habituel de trouver dans un petit hameau : des enfants qui jouent, des marchands derrière leur comptoirs, des vieillards bavards, une bibliothèque … Les échanges commerciaux se faisaient ici aussi à l'aide de rubis. Il acheta les quelques vivres nécessaires à la survie, des outils élémentaires. Personne ne semblait surpris de le voir, les visiteurs ne devaient pourtant pas être légion sur cette île du bout du monde. Certaines choses toutefois lui procura une certaine confusion. Comme le « chien » de Mme Miaou Miaou. Il ne savait pas pourquoi tout le village s'accordait à appeler cette espèce de boule métallique aux dents acérées un « chien ». Il se demandait si ce n'était pas plutôt un monstre que les villageois avaient adoptés et pris pour un animal de compagnie. Mais monstre ou chien, Link n'avait jamais rien vu de tel. Il rencontra aussi Mme Mamounette et M. Papounet, les parents de quadruplés. En les quittant, M. Papounet lança à Link « Tu viendras me sauver quand je serai perdu dans la montagne n'est-ce pas ? ». Link acquiesça en souriant, même si cela ne lui semblait avoir aucun sens.

Au nord du village, se trouvait un vieil édifice en pierre dont l'entrée était condamnée. Au centre, la statue d'un coq, entouré par une petite place pavée.

Puis il prit la direction du Sud pour rejoindre la plage où il avait échoué comme le lui avait indiqué Tarkin. Il espérait pouvoir y trouver son épée. Le soleil était encore haut dans le ciel lorsqu'il arriva sur le littoral. La première vision qu'il en eut le frappa par sa beauté, même si la plage brûlait sous une lumière ardente et qu'il fallait plisser les yeux pour ne pas être ébloui. Des monstres erraient sur le sable. Link n'était pas inquiet : son bouclier et un bâton solide seraient suffisant face à quelques Octoroks. Il longea le rivage, un peu étourdit par le soleil et la chaleur moite. Il marcha un temps qui lui sembla impossible à définir, durant lequel il vint à bout d'une dizaine de monstres. Il remarqua que le soleil descendait dans le ciel. L'île se teinta alors de couleurs plus vives encore. Au loin, il aperçut des débris amassés par les vagues sur une minuscule plage coincée dans une crique. Il accéléra le pas et put voir plus distinctement un éclat brillant au milieu des rebuts. C'était son épée, à demi enfoncée dans le sable. Le ciel était toujours plus rougeoyant. Il s'approcha alors de son arme et retenant son souffle, l'extirpa de son socle de sable.

-Hou Hou

Link leva les yeux et vit un gigantesque hibou passer comme une ombre devant le soleil et atterrir en haut d'un haut rocher noir. Il s'approcha du somptueux animal

- Cette épée est donc à toi ?

- Oui

- Je comprends mieux pourquoi les monstres s'agitent tant : le héraut, celui qui doit réveiller le Poisson-Rêve, est arrivé !

Link le regarda perplexe. S'il ne comprenait pas vraiment de quoi parlait le hibou, il s'efforçait de mémoriser ses mots.

Le grand Hibou poursuivit son annonce :

- On dit que le héraut ne pourra pas quitter l'île tant qu'il n'aura pas accompli sa mission … Viens me voir dans la forêt enchantée au nord du village. Je t'y attendrai.

Puis sans attendre une réponse de Link, le Hibou agita ses immenses ailes, son corps se souleva dans les airs et l'oiseau parti en hululant.

« "Réveiller le Poisson-Rêve", en voilà une quête étrange » se dit Link. Autour de lui, il ne vit plus aucun monstre, alors il se risqua à enlever ses bottes et se rafraîchit les pieds dans l'eau. Puis finalement, se déshabilla complètement et plongea. Il s'éloigna de l'île de quelques brasses. L'eau était calme, malgré les grandes vagues que l'on pouvait apercevoir au loin. Il se retourna vers la terre et admira son contour qui se détachait du ciel de feu. Au nord se dressait un somment pointu, en haut duquel se trouvait ce qui lui semblait être un œuf immense. Cette vision assombrit son esprit, car bien que trônant paisiblement au milieu des cieux, l'œuf avait quelque chose d'inquiétant. Il resta un moment dans l'eau le contempler. « J'ai rempli ma part du contrat, je me suis occupé des monstres de la plage. Inutile de revenir au village, je construirai une barque avec les débris et partirai demain dès l'aube. Le Hibou s'est trompé, cette quête n'est pas pour moi, je ne suis pas le héros de cette île. » Alors il revint sur la plage et profita des dernières lueurs du crépuscules pour commencer la construction de son embarcation.

Lorsque la nuit tomba, il s'allongea sur le sable pour contempler ces étoiles qu'il ne reconnaissait pas et la lune, qui au lieu de s'étirer en croissant, proposait un large sourire, ou un berceau, dans lequel Link plongea toute sa perplexité.

Link se leva dans l'aube grise, où le soleil n'est encore qu'une promesse, et se remit au travail. Il finit avant les heures chaudes et prit la mer sans tarder. Elle était aussi calme qu'un lac, aucun vent ne soufflait dans la voile. Il n'entendait que le bruit de sa rame qui perturbait ce calme lourd. Au loin, les vagues qu'il avait aperçu la veille semblaient toujours aussi féroces. Il progressait lentement sur cette mer lourde et visqueuse, comme s'il s'était accroché à un élastique invisible autour de l'île, et quand s'en éloignant, il tirait de plus en plus dessus. Même l'air semblait s'épaissir. Mais à la force de ses bras, il lutta. Toutes ses pensées étaient déjà à Hyrule, il avait oublié la si gentille jeune femme qui avait pris soin de lui. Il n'avait aucun remord à s'être enfui sans un mot car il n'y pensait déjà plus.

Il commença à percevoir le grondement rocailleux des vagues qui le tira de sa rêverie. Il ne s'était pas aperçu qu'il avait fini par les atteindre. Face à lui, ce n'était pas des vagues, c'était un mur, des milliers de tonnes d'eau qui s'élevaient prodigieusement et qui retombaient avec fracas. La tempête de la veille n'était en comparaison qu'un léger tremblement. Il était à quelques mètres seulement de ce bouillonnement colossal, pourtant autour de lui la mer était lisse, sans remous. Soudain, la barque sembla glisser en avant, comme si l'élastique qui la retenait jusque-là avait rompu, et fila droit vers le mur. Link ne put rien faire que s'accrocher. La mer sembla se retirer devant lui, creusant son énorme ventre, pour laisser place à un abyme, un piège dans lequel, impuissant, il tomba. Il releva la tête et vit la vague gigantesque s'abattre sur lui. Le piège se referma. Tout devint noir.

Quand Link réouvrit les yeux, il était allongé sur la plage de Cocolint, probablement comme lorsque Marine l'avait trouvé après la tempête. Il trouva miraculeux d'être encore en vie, car la vague qui s'était abattue sur lui avait largement la puissance de broyer ses os. À part la confusion qui troublait son esprit, il n'avait rien. Il se releva et leva les yeux vers la montagne sur laquelle était posé le grand œuf.

« Ce n'est donc pas une halte mais bien une quête qui m'attend sur cette île étrange. Bien que je n'en comprenne pas la signification, il semblerait que je sois coincé ici tant que je ne l'ai pas accomplie. »