J'ai vraiment eu du mal à boucler ce chapitre _

C'est toujours compliqué d'enchaîner après un gros morceau, comme le précédent. J'ai du mal à m'en satisfaire parce que c'est le coup classique du "c'était mieux dans ma tête." Mais j'espère que ça vous plaira.


Katakuri avait du mal à gérer son temps. Il avait l'impression qu'il y avait déjà plusieurs semaines qu'on lui avait appris la mort de Mama alors que ça ne faisait même pas trois jours. Les obsèques de Perospero n'avaient pas encore eu lieu.

Et son manque de sommeil ne l'aidait pas à remettre ses pensées en ordre. Il était très inquiet pour King. Bien plus que pour le reste de sa fratrie, à sa grande surprise. Car il savait que, quoi qu'il puisse arriver, ses frères, ses sœurs, tous pourraient se remettre avec le temps et il saurait les épauler avec l'aide des autres aînés. Mais King... Il ne savait pas comment l'aider.

Après l'avoir consolé sur la falaise, il avait réussi à le ramener jusqu'à sa chambre. Mais il avait eu toutes les difficultés du monde à le faire se relever, si bien qu'ils n'avaient pas bougé avant que la nuit ne soit tombée. Il avait pensé que King avait sciemment attendu le noir complet pour que personne ne le voit pleurer. Mais il n'avait pas fait la moindre remarque. Sa douleur lui avait coupé le souffle à lui aussi, il n'avait pas eu la force de dire quoi que ce soit et il savait que King n'aurait pas aimé qu'il manifeste trop franchement sa pitié. Il s'était contenté de le guider dans les ténèbres.

King n'avait pas dit un mot de tout le trajet, il l'avait suivi, en s'accrochant au pan de sa veste comme un gamin apeuré qui ne veut pas se perdre dans la forêt. Katakuri l'avait raccompagné jusqu'au palais et l'avait vaguement invité à le solliciter s'il avait encore besoin d'épancher sa peine. Il n'avait rien répondu. Il lui avait adressé un regard triste mais reconnaissant, puis il s'était enfermé. Il n'était plus ressorti depuis.

Katakuri devait absolument retourner le voir. Il ne pensait qu'à ça, il n'y avait rien de plus important pour lui en ce moment. Malheureusement, comme toujours : ses frères avaient réussi à le prendre en otage. Il serait incapable de mettre un pied dans la chambre de King avant que Oven et Daifuku acceptent de le laisser seul. Et comme il n'avait pas très envie qu'ils s'aperçoivent de son empressement, il prenait son mal en patience.

Au moins, il était content qu'ils soient tous les trois. Il y avait une éternité qu'ils ne s'étaient pas retrouvés comme ça. Pour rien.

D'habitude, ils ne se voyaient que pour le boulot. Ou quand Mama organisait un évènement où toute la famille était conviée — et là encore, c'était souvent du boulot. Katakuri s'était rapproché de Oven ces dernières semaines en l'absence de leur mère. Daifuku l'avait senti immédiatement. Il avait toujours été plus vif d'esprit que Oven et il avait compris que bien des choses s'étaient passées en son absence. Mais si il était heureux à l'idée de retrouver une complicité fraternelle, il n'en montrait rien. Au contraire, Katakuri et Oven sentaient bien qu'il n'appréciait pas d'avoir été exclu de cette nouvelle dynamique.

Ils s'étaient retrouvés tous les trois dans le salon de Oven — un bar lounge décoré dans les tons orange, dans lequel il avait entreposé tous les trophées de ces victoires en mer, au mépris du bon goût — et ils sirotaient chacun une boisson, sans savoir quelle attitude adopter. Katakuri et Oven étaient tous les deux contents d'être là mais aucun ne voulait l'exprimer trop fort de peur de déclencher les foudres de Daifuku. Il était tout à fait possible qu'il désapprouve un comportement jugé trop extravagant en des temps aussi difficiles.

— Alors, dit-il enfin après avoir avalé une gorgée de bière fraîche. Si vous me racontiez ce qu'il se passe vraiment dans cette famille ?

— C'est à dire, demanda Oven en plissant les yeux, incertain de ce qu'il pouvait balancer ou non.

— Depuis quand vous êtes comme cul et chemise tous les deux ?

Katakuri et Oven échangèrent un regard d'incompréhension. Il n'y avait pas vraiment de secret là-dessous. Qu'est-ce qu'il voulait entendre ?

— On n'est pas spécialement plus proches qu'avant, commença Katakuri en haussant les épaules.

— Figure toi qu'il s'est décoincé de façon spectaculaire, admit Oven, en désignant Katakuri. Du coup c'est beaucoup plus facile de lui parler. Je t'ai pas encore raconté comment il s'est bourré la gueule à la dernière Tea Party.

Oven faisait de son mieux pour ne pas avoir l'air trop guilleret mais s'il se lançait sur ce sujet, il serait bientôt incapable de ne pas rire. Katakuri abandonna directement tout espoir de se défendre. Il savait que ça allait être sa fête et à quoi bon lutter. Maintenant, ils allaient être deux contre un : il n'avait aucune chance. Mais étrangement, ça ne le dérangeait pas. Il avait passé un cap.

— Vous avez organisé une autre Tea Party ? Sans Mama ?

— Ouais, comme les journaux racontaient qu'on était foutus, on a voulu rassurer nos alliés et leur montrer qu'on se portait bien, en espérant récolter des ronds dans la foulée. Puis bon, Katakuri a un peu picolé, c'est parti en couille...

— J'étais contre la Tea Party dès le départ, grommela-t-il dans une pitoyable tentative pour se justifier.

— Il y a une photooo, ricana Oven en réponse.

Daifuku les regardait à tour de rôle, avec l'expression incrédule de celui qui assiste à une mauvaise pièce de théâtre.

— C'est vrai que des photos humiliantes de moi, il n'y en avait pas assez.

— Roh le prend pas comme ça !

— Hum, à ce propos, reprit Daifuku. Katakuri, depuis quand tu ne... ?

Il désigna sa bouche d'un geste discret, certain d'aborder un sujet sensible.

Katakuri réalisa à quel point sa bouche était un non sujet maintenant que Mama était morte. Il n'y avait pas prêté attention depuis longtemps. Il avait toujours le réflexe de la cacher dans les moments où il était mal à l'aise et il n'aimait pas sentir les regards sur lui mais après tout ce qui s'était passé, après la perte de deux piliers de leur famille, qui pouvait encore s'attarder sur quelque chose d'aussi futile et inintéressant que sa mâchoire difforme ?

Il en avait fait, du chemin.

— Je ne la cache plus depuis ma défaite, avoua-t-il avec nonchalance, un peu fier de ne plus ressentir de honte et de lire la stupéfaction dans le regard de son jumeau.

— Je me souviens même plus de la tête qu'il avait avec son écharpe, se moqua Oven.

— Pourtant tu m'as répété que tu ne t'y "ferais jamais" pendant des semaines.

Oven l'ignora en buvant une nouvelle gorgée de son verre.

— J'ai l'impression d'avoir été absent pendant des années, soupira Daifuku. La dernière fois que je vous ai vus, Chapeau de Paille était tout autant votre priorité que la nôtre. Et là on dirait que vous vous en foutez.

Il n'y avait pas de reproche dans son ton. Même s'il n'en avait pas l'air, il leur posait une question.

— On ne s'en fout pas, on en a discuté et on s'est tous mis d'accord pour dire que ce n'était pas une priorité.

— Et ça n'a rien à voir avec le fait qu'il t'a botté le cul ?

Katakuri ne réprima pas son sourire. Au moins, son secret était bien gardé. Personne ne devinerait jamais que sa défaite n'en était pas une.

— Mon orgueil va bien, je te remercie.

— Il s'est rattrapé en empêchant King de réduire Sweet City en cendre, dit Oven pas du tout innocemment, pour lancer le sujet. Maintenant, ils sont très bons amis.

Katakuri lui fila un coup de pied. Pas pour le faire taire mais pour se venger.

— Ouch !

— Tu l'as pas volé.

Maintenant, il allait être obligé de parler de tout ça à Daifuku, qui semblait toujours aussi abasourdi par leur comportement mais tout à fait capable de comprendre les sous-entendus. Et celui-ci ne lui avait pas échappé.

— Vous allez arrêter vos conneries tout de suite et me dire ce que vous me cachez avant que je m'énerve.

Katakuri fusilla Oven du regard pour lui ôter toute envie de répondre à sa place. Il ne savait pas comment présenter les choses mais rien ne pouvait être pire que de voir son abruti de frère résumer sa vie à sa place. Mais maintenant que Daifuku le fixait avec sévérité, il ne savait pas comment le faire lui-même. Il bredouilla un "euh" maladroit pour toute réponse.

Si on lui avait dit, avant leur petite réunion, que la conversation tournerait aussi vite autour de lui, il aurait préparé un petit discours de circonstance. Voir le futur n'était d'aucune utilité en face de ses deux jumeaux, il se ferait chambrer, quoi qu'il choisisse de dire. Et le savoir à l'avance n'était d'aucun réconfort.

— Comment dire...

— Si Mama lui avait arrangé un mariage avec King, il n'aurait pas dit non.

Oven s'éloigna aussitôt en sautant par dessus son fauteuil, pour éviter de se prendre un autre taquet désapprobateur. Daifuku gardait un visage inexpressif, sans lâcher Katakuri des yeux.

— C'est vrai ? Il y une histoire entre vous ?

Il abandonna.

— Je ne l'aurais jamais formulé comme ça, grogna-t-il en fusillant Oven du regard. Mais oui. Est-ce qu'on peut changer de sujet ?

— Tu rêves.

Daifuku réfléchit une minute en sirotant sa boisson — une longue minute. Quand enfin il leva le nez de son verre, Katakuri fut soulagé de voir qu'il n'avait pas l'air trop contrarié par la nouvelle.

— Tu es sûr que c'est raisonnable ?

Oven se détourna d'eux, l'air désespéré par leur sérieux.

— Oh mais c'est pas vrai ! S'exaspéra-t-il en rejoignant le bar pour se servir un autre verre.

— Il y a encore trois jours je t'aurais dit non, avoua Katakuri. Maintenant...

Maintenant il n'était pas plus sûr de leur situation qu'auparavant.

La disparition de Mama et de Kaido, au delà de marquer la fin de deux empires pirates, marquait aussi un nouveau départ pour Katakuri. La perte de sa mère lui permettait enfin de faire ce qu'il voulait de sa vie. S'il voulait se marier, il le pouvait. Il en avait le droit. Il n'avait plus de prestige familial à protéger. Il n'y avait plus de lignée dont la pureté devait être préservée. Tout ça ne le regardait plus. Il savait que plus personne dans la fratrie n'aurait l'audace de lui dire ce qu'il devait faire de sa vie privée. Un nouveau monde se trouvait à sa portée. Et cette liberté lui était délicieuse, même s'il restait trop pudique pour la laisser éclater devant tout le monde et trop prudent pour avouer que la mort de Mama lui profitait.

Les choses étaient différentes pour King. Il l'avait compris après l'avoir consolé. Perdre Kaido ne lui apportait rien, au contraire. C'était une tragédie. Il n'allait pas, comme lui, voir le bon côté des choses. L'évolution de leur relation ne lui avait sans doute même pas traversé l'esprit depuis. Là où Katakuri se réjouissait enfin, lui était sûrement plongé dans une profonde culpabilité.

Il était possible qu'il réalise que Katakuri était là pour lui, prêt à l'accueillir dans sa vie sans plus tarder, mais il était aussi envisageable qu'il se ferme à tout jamais et ne demande à partir, comme un dernier geste de loyauté envers le capitaine qu'il avait perdu. Après tout, il le lui avait promis.

Il n'avait pas le droit d'espérer quoi que ce soit tant que King ne serait pas de nouveau sur pieds.

/

La nuit commençait à tomber. Il essayait toujours désespérément de dormir mais il n'y avait rien à faire.

Dès qu'il fermait les yeux et parvenait à se relaxer un tout petit peu, son esprit lui renvoyait les images du chaos d'Onigashima. Les fourreaux rouges qui surgissent de nulle part pour poignarder Kaido, Marco le Phoenix en personne pour lui tenir tête...

Il visualisait, encore une fois, toutes les erreurs qu'il avait commises la nuit où les samouraïs avaient donné l'assaut. S'il avait été un meilleur second, s'il avait mis son orgueil de côté, rien de tout ça ne serait arrivé. Il avait laissé Kaido mourir seul. Il n'avait même pas été capable d'achever un mioche inoffensif.

A chaque fois qu'il se le rappelait, il avait de nouveau envie de fondre en larmes. Mais il ne le faisait pas, il n'en pouvait plus. Il avait versé tout ce qu'il avait à verser. Il ne lui restait que l'horreur de la vérité. Pour la seconde fois de sa vie, son foyer lui avait été brutalement arraché. Et comme la dernière fois, il ne trouvait rien de mieux à faire que de rester prostré et terrifié dans un coin, sans repères, a prier pour qu'on oublie son existence. Car perdre le seul refuge qu'il ait jamais connu ne pouvait avoir qu'une seule signification : il se trouvait de nouveau à la merci du monde entier. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'on ne se lance à sa poursuite. Sans la protection de Kaido, il redevenait le si précieux cobaye qui avait échappé au gouvernement.

Il allait retrouver le chemin du laboratoire. Des murs glacés et l'inconfort d'une cage en métal, où son seul loisir serait de compter ses plumes tombées au sol. C'était là son avenir, il en était persuadé. Tout ce temps perdu à échapper à un destin qui refusait de le laisser tranquille.

Alors à sa terreur et à son chagrin, se mêlait la colère.

Il était coutumier de la rage et de la haine. Cette fois encore, il en voulait à la terre entière. Pour tout. Les choses aurait dû se passer autrement.

Il était furieux contre Queen, d'avoir organisé cette foutue fête et d'avoir laissé leur équipage tout entier se soûler. Si ce connard avait fait son boulot au lieu de montrer son cul à tout le monde sur scène, ils auraient pu prévenir le raid. Il en voulait à Yamato, d'avoir encore fait son chieur et d'avoir détourné son attention de Kaido. Il en voulait à Kaido lui-même, de s'être détruit avec l'alcool pendant des années et d'avoir négligé ses ennemis... De n'avoir jamais écouté ses conseils et de l'avoir considéré comme un rabat-joie alors qu'il n'avait jamais rien désiré d'autre que de lui rendre la pareille et de le protéger à son tour. Ce à quoi il avait lamentablement échoué. Il était donc encore plus en colère contre lui-même.

Il s'étrangla d'un sanglot sans larmes. Il n'arrivait pas à y croire, pourtant c'était la vérité. Kaido n'était plus là. Alors qu'il avait toujours été là, comme au premier jour, à marcher quelques pas devant lui en repoussant tous les dangers par sa seule présence. Il avait été son seul ami et sa seule famille... celui en qui il avait placé tous ses espoirs de monde meilleur. Il ne pouvait pas mourir. C'était impossible et trop injuste, pourquoi fallait il que tous ses êtres chers le quittent ?

Il se trouva soudain minable et répugnant, à se morfondre dans le noir en maudissant chacun des noms qui lui passait par la tête.

Qu'ils aillent au diable, tous ! Chapeau de Paille pour avoir déclenché tout ça, Roronoa pour lui avoir mis une raclée, Marco pour l'avoir empêché de rejoindre Kaido sur le toit, ces foutus samouraïs, Queen, Yamato, les Tobi Roppo ! Tous !

Il n'oubliait pas non plus de diriger sa haine contre Big Mom et ses imbéciles d'enfants, pour l'avoir amené ici. Contre Pudding, cette gamine insupportable qui continuait de toquer à sa porte pour réclamer une attention qu'il se refusait à lui donner !

...Contre Katakuri.

Il était plus en colère contre lui que contre quiconque.

Car il était celui qui l'avait retenu ici pendant tout ce temps et qui l'avait détourné de qui aurait dû rester sa priorité. C'était lui qui avait fait de King le paillasson pathétique qu'il était devenu ! Il lui avait mis le cœur en vrac, avec sa beauté unique, son charme dont il n'était pas conscient, son attitude de chevalier et son... incompréhensible douceur à son égard. Il l'avait pourtant ignoré pendant des jours, lui avait refusé son affection, et voilà qu'il revenait et lui offrait ce que personne n'avait jamais daigné lui offrir auparavant : de la compassion. Il ne savait plus s'il s'agissait d'amitié ou de cruauté.

Mais si sa colère était violente, elle ne durait jamais très longtemps. Penser à Katakuri l'apaisait plus que ça ne l'enrageait. Quand ses pensées devenaient trop sombres et trop dures pour lui, il se raccrochait au souvenir de son étreinte. Il était son ancre. Il avait du mal à l'admettre mais il n'avait pas craqué dans ses bras pour rien. Personne ne l'avait jamais enlacé avant lui, il n'avait jamais eu le droit de faiblir. Il n'avait pas pu faire autrement que d'exploser. Il s'était retrouvé sans défenses et pour une fois, quelqu'un avait répondu à sa peine. Il aurait dû s'en détourner, mais rien ne lui avait jamais semblé plus accueillant que les bras chaleureux de cet homme. Comment aurait-il pu faire autrement ?

N'importe qui aurait saisit l'occasion d'être aimé dans un moment de désespoir. Il ne faisait pas exception à la règle.

Mais la mort de Kaido avait détruit tant de choses en lui. Qu'est-ce qu'il lui restait ? A part l'amertume et le dégoût de lui-même ? Tomber amoureux de Katakuri lui avait peut-être permis de ressentir autre chose que de la rancœur pendant quelques temps mais à quel prix ? Il était toujours prisonnier. Ses menottes n'avaient pas bougées. Et même si Katakuri acceptait de les lui ôter, quels choix avait-il ?

Partir ? Pour aller où ? Il n'avait plus rien, ni personne, à part des ennemis. S'il mettait un pied en dehors de Totto Land, il prenait le risque de retourner entre les mains du gouvernement et de subir de nouvelles tortures. S'il restait, il devait endurer la culpabilité d'avoir trahi son capitaine en lui préférant un homme qui ferait toujours passer sa famille en premier.

Epuisé par ses réflexions, il ferma les yeux et tenta encore une fois de s'endormir.

Malgré tout ce que ses idées noires lui dictaient et sa certitude de finir malheureux, son corps s'accrochait à la vie de toutes ses forces. A la fin, il avait toujours le réflexe de diriger son esprit vers le peu de réconfort auquel il pouvait penser. Sa colère n'était pas de taille face au titanesque besoin d'affection qui le dévorait de l'intérieur et qu'il faisait semblant de ne pas remarquer. Pendant très longtemps, il avait refoulé les seuls souvenirs de tendresse et d'amour qu'il lui restait, de peur que quelqu'un les lui vole ou s'en serve contre lui. Pire : qu'ils deviennent trop douloureux et qu'ils perdent leur pouvoir. Alors il avait oublié. Il avait résisté à l'envie d'y plonger pendant plus de trente ans mais aujourd'hui, plus rien n'avait d'importance. C'était maintenant que la vie lui était insupportable et il avait besoin de ces images rassurantes.

Heureusement, il n'avait pas besoin de fouiller très loin. Il avait des évènements récents auxquels se raccrocher, il n'avait qu'à songer à ces dernières semaines pour trouver un peu de lumière. Même si cette lumière là aussi, était teintée de déception.

Il se concentra sur la sensation procurée par le contact des doigts de Katakuri sur les siens, priant pour qu'elle ne disparaisse jamais.

/

Katakuri resta un moment devant la porte, sans oser toquer.

Il n'était pas sûr que sa présence soit désirée. Mais il avait assez attendu. Il était toujours aussi inquiet et il était hors de question qu'il le laisse seul avec son deuil plus longtemps.

Personne ne l'avait vu sortir de sa chambre depuis trois jours. Pudding avait essayé de lui rendre visite mais il ne l'avait jamais laissée entrer. Katakuri espérait, égoïstement, avoir le droit de venir le voir quand elle en était dispensée. Il frappa enfin. Le silence lui répondit. Il poussa tout de même la porte, le cœur serré, et entra.

Il pensait trouver une chambre plongée dans la pénombre et King caché sous un désordre innommable, mais c'était tout le contraire. Il avait ouvert les rideaux, les fenêtres et il se tenait assis sur son lit. Les mains jointes et les yeux perdus dans le vide. Katakuri se sentit encore plus mal de le voir comme ça. S'il l'avait trouvé fatigué, négligé et tapi derrière des rideaux fermés, il aurait su comment réagir. Mais il était éveillé, habillé et visiblement douché mais complètement immobile dans une chambre rangée et aussi propre que si elle n'avait jamais été occupée. Il avait fait tout ce qu'il avait pu pour penser à autre chose sans trouver la force de mettre le nez dehors et affronter les regards. Il était donc dans un état bien pire que ce qu'il avait imaginé.

King leva les yeux sur lui, en guise de salut. Il avait l'air d'avoir pris dix ans. Katakuri eut le cœur brisé rien qu'en le regardant. Consoler ses frères et sœurs lui était facile, mais soulager le chagrin de King paraissait impossible. Comment pouvait-il le consoler alors que lui ne ressentait rien ?

— Je ne te demande pas si ça va, dit-il doucement. Tu as dormi ?

King soupira et fit non de la tête. Il avait l'air gêné, voir agacé, par sa présence. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Mais il ne pouvait pas non plus le laisser seul.

— Je venais te proposer de te changer les idées.

Il se sentit ridicule de lui annoncer ça, comme si ça pouvait effacer sa douleur, mais il remarqua une lueur d'intérêt dans son regard.

— La Marine a envoyé une escadre pour nous attaquer. Quelques vaisseaux de guerre, un vice-amiral pour les guider... Rien d'insurmontable. Mais j'ai pensé que ça te ferait du bien de te joindre à nous pour les repousser.

Il se leva, soudain déterminé.

— Montre moi.

/

Katakuri ne lui avait pas offert de lui enlever ses menottes.

Bizarrement, il en était soulagé. Il se demandait pourquoi mais il n'avait plus la force d'y réfléchir. Il était perdu mais reconnaissant que Katakuri lui offre la possibilité de se sortir de sa spirale de chagrin. Affronter la Marine était exactement ce qu'il lui fallait pour se retrouver lui-même. Car c'était ce qu'il était, n'est-ce pas ? Une machine de guerre. A lui seul, il pouvait décimer une armada entière s'il le souhaitait. Et si on lui en donnait l'ordre. A quoi pouvait-il servir, sinon à cela.

Il suivit Katakuri jusqu'à un avant-poste, où se trouvaient déjà ses deux frères jumeaux, prêts à stopper la Marine. A l'horizon, les pavillons blanc et bleu flottaient au vent et progressaient sans difficultés sur la mer sucrée de Totto Land. Personne n'avait l'air inquiet. En temps normal, King en aurait profité pour jouer au jeu des différences entre Katakuri et ses frères mais il avait perdu toute envie de sourire. Il se focalisa sur les navires qui s'approchaient dangereusement des côtes et les étudia en silence, sans se soucier de ce qui se disait à côté de lui.

— ...Une flottille, rien de méchant.

— On demande à Cracker de nous envoyer du renfort ?

— Non, c'est bon on va gérer. Je vais faire bouillir l'eau, ils vont paniquer et s'éparpiller comme des fourmis. Après ça on verra.

— Leurs navires sont équipés pour supporter des pouvoirs comme le tien, il faut qu'on les aborde avant qu'ils ne fassent feu. D'ici dix minutes, ils seront assez proches pour bombarder la cité. Et il est hors de question de dépenser plus de pognon dans la reconstruction. Si ils ont un miroir quelque part, Katakuri et moi on pourra les prendre par surprise. Appelle Brûlée.

— On sait qui est le vice-amiral à bord ?

— Non, pourquoi ? Tu crois qu'il en existe un seul capable de nous prendre tous les trois à la fois ? Moi pas.

— On n'est jamais trop prudents.

King dépassa les triplés et s'avança au bord de la jetée. Il y avait huit navires. Un joli déploiement en soi mais qui était bien insuffisant pour prétendre s'en prendre Totto Land. Ce n'était qu'un coup de pression, rien de plus. Personne au gouvernement ne se souciait assez du pays de Big Mom pour l'anéantir. Ils avaient d'autres chats à fouetter.

C'était si présomptueux, si pathétique. Si humiliant.

Toute la rage que King avait accumulée ces derniers jours ne demandait qu'à exploser.

— Inutile de vous fatiguer, marmonna-t-il en levant le bras en direction de la flotte qui s'avançait vers eux.

A cette distance, les bateaux avaient l'air tout petits dans le creux de sa paume.

— Katakuri, l'interpella-t-il sans se rendre compte qu'il avait depuis longtemps cessé de parler à ses frères pour concentrer toute son attention sur lui. A quelle distance mes menottes me permettent elles d'aller ?

Il n'avait jamais posé la question jusqu'à présent mais le besoin de laisser parler sa fureur le poussait à le faire.

— Pas assez loin pour les attaquer de front, répondit-il.

Son inquiétude était perceptible dans sa voix. King y trouva un nouveau soulagement inexplicable.

— Tant pis.

Sa main prit feu. Il laissa les flammes chauffer et chauffer encore, jusqu'à ce qu'elles soient aussi brûlantes que le magma. Il avait encore assez de force pour brûler le monde s'il le voulait.

Il observa le navire de tête. Le frère de Katakuri avait raison, les coques des navires de la Marine étaient conçues pour résister aux monstres de Calm Belt et fait d'un bois de grande qualité. Il se remémora ses propres voyages à bord des navires du gouvernement, leur charpente, leur structure, leur agencement... comme tous les vaisseaux de guerre, ils étaient bien obligés de transporter une large cargaison de poudre. Tout ce qu'il avait à faire, c'était de viser juste.

Mais où aurait été le plaisir ?

Il lança sa boule de feu. Elle fonça au-dessus de l'eau comme une étoile filante et percuta enfin sa cible : le gigantesque mât du navire de tête, qui explosa aussitôt et s'effondra en sur le vaisseau suivant. Les flammes se propagèrent immédiatement aux voiles et ralentirent considérablement l'avancée de l'escadre tout entière, en proie à la panique. King ne leur laissa pas le temps de déployer leurs roues à aube ou d'organiser une riposte. Il leur envoya une nouvelle flamme dévastatrice pour créer la discorde dans leurs rangs. Puis une autre. Et encore une autre.

Il sentait tous ses muscles se crisper et ses poings se serrer. Ses pouvoirs parlaient pour lui.

Que tous payent pour sa douleur et subissent son incendie. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas eu l'occasion de se défouler. Quelle chance que le gouvernement vienne de lui-même à sa portée pour subir sa vengeance. Que tous ces chiens brûlent en enfer ! Pour la mort de Kaido, pour celle de Big Mom et pour la perte du monde qui était encore le sien il y a peu.

Qu'ils brûlent pour son peuple, pour cette Histoire dont il ne savait rien, pour les années qu'on lui avait volées et l'innocence qu'on lui avait arrachée.

Dans sa frénésie, il atteignit enfin la cargaison de poudre d'un des navires, par pur hasard, et tous explosèrent en chaîne, sans avoir eu le temps de faire quoi que ce soit pour se défendre.

King s'arrêta enfin, un peu surpris par son propre carnage, et constata qu'il s'était essoufflé — les effets du granit marin se faisaient sentir après un effort pareil. Il contempla son œuvre un instant et réalisa avec effroi... qu'il ne se sentait pas mieux.

Même ça, ça ne l'aidait pas.

— Nom de dieu, s'exclama Oven dans son dos, visiblement abasourdi par son efficacité.

Même si ses pensées n'avaient pas été détournées, au moins, sa démonstration de force avait eu l'effet escompté.

/

Katakuri ne pensait pas qu'il était possible pour lui d'être plus inquiet qu'il l'était déjà mais le coup de folie de King lui avait semblé terriblement familier. Il avait une idée très précise de l'état dans lequel il était et du genre de fureur dévastatrice qui s'était emparée de lui. Et il ne devait vraiment, vraiment pas, rester seul avec ses tourments.

Il le raccompagna jusqu'à sa chambre et, au lieu de le laisser à ses pensées, il entra avec lui dans la chambre. King s'en étonna et le fixa avec hostilité. Il ne l'avait jamais regardé avec ses yeux là et Katakuri fit de son mieux pour cacher qu'il était blessé. Il ne pouvait pas lui en vouloir d'être méfiant, il n'en avait pas le droit. De toute façon, il n'était pas dans son état normal.

King regagna son lit et reprit la même place que lorsque que Katakuri était venu le chercher. Visiblement, se battre ne lui avait fait aucun bien. Il était même plus tendu qu'avant. Les flammes de son dos s'élevaient plus haut que d'habitude et traduisaient la colère qui bouillonnait en lui. Katakuri l'aurait bien prit dans ses bras encore une fois s'il n'avait pas eu la certitude d'être violemment repoussé s'il s'y risquait maintenant. Il se contenta de le rejoindre et de s'asseoir près de lui.

— Pourquoi tu fais ça ? Demanda King, un peu froidement.

— Quoi donc ?

— Tu n'as pas mieux à faire que de rester avec moi ?

C'était clairement un reproche ; il jugeait indécent qu'il se préoccupe plus de lui que de son équipage. Mais Katakuri n'était pas dupe, il sentait bien que derrière cette agressivité déguisée, il y avait aussi une pointe de culpabilité indiquant qu'il appréciait sa présence. Bien qu'il ne le reconnaîtrait jamais.

— Si, confirma Katakuri. Pourtant je suis là. Qu'est-ce que tu en déduis ?

Il ne répondit pas.

— Les obsèques de mon frère auront lieu demain, poursuivit Katakuri. Je ne te propose pas de venir parce que la situation risque d'être un peu tendue avec ma sœur Smoothie mais comme je dois faire un discours en l'honneur de ma mère, si tu veux je peux dire quelques mots pour Kaido.

King ferma les yeux et fit non de la tête, comme si entendre ces mots lui infligeaient une douleur insoutenable. Il ne pleura pas mais Katakuri sentit comme il était à fleur de peau.

— Je ne veux pas en parler, dit-il simplement.

— Très bien.

Il acceptait de ne pas aborder le sujet mais il refusait de quitter la pièce. Qu'il le veuille ou non, il avait besoin qu'on s'occupe de lui. Il réfléchit à ce dont il avait besoin et s'en voulut ne pas avoir pensé à prendre de quoi manger. Néanmoins, il remarqua une boîte avec un joli ruban que King avait laissé devant la porte. Une boîte certainement pleine de gâteaux. Il soupira.

— Pudding ? Demanda-t-il en désignant la dite boîte d'un geste de la tête.

King lui accorda un regard timide et soupira à son tour.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi elle persiste à venir me voir.

— Elle s'inquiète pour toi, c'est tout.

— Je ne vois pas pourquoi non plus. En quoi ça la concerne ?

— Peut-être qu'elle se sent redevable parce que tu lui as sauvé la vie et qu'en te voyant être dans le même état qu'elle à l'époque, elle essaye de t'apporter son aide. A sa façon.

Il se tut encore une fois, le temps de réfléchir à sa réponse. Katakuri le sentait tellement loin.

— C'est qu'une gamine, ajouta-t-il. C'est pas son rôle.

— Non, c'est le mien.

Pour la première fois depuis un moment, King posa un regard légèrement amusé sur lui.

— Tu m'as laissé entrer, s'expliqua Katakuri. Je suis là parce que tu le veux bien.

— Comme si je pouvais te foutre dehors de force, plaisanta-t-il, sans sourire.

— Et que si tu veux de mon aide, je suis prêt à te l'offrir.

Sans qu'il ne prononce un mot, Katakuri sentit le poids de sa gratitude dans son regard. Il lui proposait plus que ce à quoi il aurait jamais pu s'attendre. Tout à coup, il avait tout l'air d'un gamin, à qui personne n'avait jamais enseigné à dire merci.

— Je sais, murmura-t-il.

Le silence revint entre eux. Katakuri ne dit rien de plus, il considérait sa dernière déclaration comme une victoire. Il avait réussi à lui faire comprendre qu'il n'avait pas à affronter cette épreuve seul et qu'il pouvait se reposer sur son épaule.

Ce qu'il fit au bout de quelques minutes de calme.

Il laissa tomber sa tête sur son épaule et ne bougea plus. Il était épuisé d'avoir à rester impassible. Katakuri ne pouvait que le comprendre, il lui rendit la pareille et se laissa tomber contre lui à son tour.

— Je suis désolé pour ton frère, dit King dans sa barbe, en étant réellement désolé.

Pour la première fois depuis le retour du Chanter, Katakuri sentit sa gorge se serrer de douleur. Cette compassion lui faisait plus d'effet que lorsqu'il s'était retrouvé en face du corps de Perospero. Elle était réelle et d'autant plus touchante venant d'un ancien ennemi.

— Merci.

Ils ne bougèrent plus et profitèrent du calme et de l'intimité de la pièce pour fermer les yeux. Tous les deux avaient terriblement besoin de la présence de l'autre. Le cœur de Katakuri s'emballa alors qu'il sentait le parfum et la chaleur de King contre lui.

Il avait envie de tellement plus ; il aurait aimé le prendre dans ses bras encore une fois et le chérir jusqu'à la fin des temps. Lui faire toutes les promesses qu'il avait toujours rêvé de faire à quelqu'un. Mais pas maintenant. Pas tant qu'il serait si profondément atteint par le deuil. Mais dès qu'il irait mieux...

King posa sa main sur sa cuisse, reproduisant le geste qu'il avait amorcé la première fois pour lui permettre de pleurer dans ses bras. Katakuri entremêla ses doigts aux siens sans hésiter. Mais son regard s'attarda un instant sur les menottes qu'il portait toujours. Il se surprit à ressentir une pointe d'angoisse. Il n'osait pas lui en parler. Il avait peur de les lui enlever.

Il lui avait fait le serment de l'en libérer mais il n'arrivait pas à aborder le sujet. Ni à l'envisager. Et s'il décidait de partir pour toujours ? Pourrait-il supporter son absence ? Il lui serra la main plus fort, à la fois pour l'assurer de sa présence et pour chasser ses pensées lugubres. Pour le moment, il était là. Ils étaient tous les deux.

Il devait lui donner encore un peu de temps. Juste un tout petit peu.


Je me force pour ne pas rusher les choses et en venir au plus intéressant. Vraiment, je dois me contenir. Mais ce serait trop bête de céder maintenant, l'histoire doit suivre son cours.

Je sais que c'est frustrant pour tout le monde que ce soit si long mais encore un peu de patience. Pour le bien du ship, je ne peux pas aller plus vite, ce serait du gâchis.

Bref, pour ce chapitre c'est King qui m'a donné du mal. D'habitude il est facile à écrire mais c'est tellement le bordel dans sa tête, il m'a un peu échappé. J'avais pas prévu de le laisser péter un plomb sur la Marine mais c'est ce qu'il devait faire. Il n'a pas les outils pour réagir comme un adulte responsable qui doit affronter un deuil. Il ne connaît que la violence.

Katakuri, il n'est pas en reste. Si c'est rigolo de le mettre en scène avec ses deux frères (enfin je peux les laisser interagir tous les trois et être débiles ensemble) ce n'est pas moins la merde dans son cerveau. On découvre qu'il a un petit souci de possessivité...

Pour les chapitres suivants, je prévois un peu de fluff et de moments domestiques mignons avant d'en venir à...

La suite le 03/03 !