Le plan de Lyanna est imparable. Après tout, les chevaliers mystère sont une longue tradition des tournois, rien n'excite davantage la valetaille, rien ne fait palpiter le cœur des damoiselles en mal de romance, rien n'embrase les imaginations des bien-nés comme un preux refusant de dévoiler son visage et son nom.
Lyanna doit bien reconnaître qu'elle-même n'est pas immunisée à ce charme. De très mauvaise grâce, car Brandon adore la taquiner sur ses tendances de jouvencelle, seriez-vous donc femme en fin de compte ma chère sœur, et elle se retrouve contrainte de lui rappeler encore et encore qu'elle ne se laissera nullement aplatir les orteils et rabaisser à une poupée minaudière comme il en séduit tant. Tel est le premier-né de Rickard Stark, abandonnez-lui un doigt et il s'empressera de saisir le bras entier plus la portion de l'épaule qui s'y rattache directement.
Sur ce point, Sebas Arryn s'avère bien plus aimable, probablement à cause des préceptes chevaleresques du Val lui imposant de se faire le serviteur des dames et de s'abstenir de la moindre critique en ce qui concerne leur conduite. Enfin, il ose la critiquer, mais ses mots s'adressent davantage à la partie pratique de l'entreprise, pas au fait qu'elle a osé formuler le plan pour commencer.
« Il existe une différence non négligeable entre l'exercice d'agrément et la brutalité d'une joute, madame. Sans oublier que ce sera votre première participation, tandis que vos adversaires jouiront de bien plus d'expérience sur le terrain. Que ferez-vous donc si d'aventure vous veniez à perdre ? Le vainqueur serait dans ses droits de vous contraindre à ôter votre casque. »
L'impétueuse louve du Nord souhaite grincer des dents alors qu'elle écoute son complice, mais si elle manifeste trop bruyamment son déplaisir, un serviteur quelconque ou pire, un lord engoncé dans ses bonnes intentions en tirera la conclusion fâcheuse et on ne peut plus fausse que la jeune lady Lyanna nécessite un sauveur et interviendra dans la conversation, l'obligeant à reporter l'organisation de son aventure à plus tard.
Elle ne peut pas perdre trop de temps, elle qui en dispose de si peu déjà. Quand son père ne la garde pas auprès de lui, elle a ses frères pour lui souffler dans le cou – et Benjen pourrait comprendre, pourrait trouver son projet assez drôle pour s'en mêler, mais Brandon ne manquerait pas de tout flanquer à l'eau, il n'a aucune idée de la définition du terme subtil ou discrétion, et Ned, bon… c'est à cause des lettres de Ned que Lyanna se retrouve coincée avec Robert Barathéon en guise de promis, alors elle n'éprouve aucun désir de le mêler à cela.
Remarque, Ned a eu le goût assez prudent pour se lier d'amitié avec l'Héritier du Val, alors peut-être lui pardonnera-t-elle, en fin de compte. Mais l'heure n'est pas à conjecturer sur sa relation avec ses frères, c'est à préparer son identité de chevalier mystère, le preux inconnu qui affrontera trois adversaires dans les lices et émergera vainqueur, il n'est pas d'autre option.
D'abord car Howland mérite vengeance, cela est indiscutable. Ensuite car le jeune lord Arryn dit vrai, si elle vient à perdre elle court le risque d'être dévoilée en face de toute la noblesse des Sept Couronnes et Père n'acceptera jamais pareil remue-ménage entourant le nom de sa fille, elle imagine facilement sa colère et son dégoût et cela, non merci.
« Pour que je perde » déclare-t-elle de sa voix la plus contrôlée, « il faut que je tombe de mon cheval. Du moment que les lances ne me touchent guère, et pour ce faire je n'ai besoin que d'être agile et de disposer d'une monture rapide, mon assiette s'avérera parfaitement à la hauteur. »
Sebas Arryn fronce ses sourcils blonds.
« Vous mentionnez une monture, mais le palefroi sur lequel vous êtes venue à Harrenhal dispose-t-il du tempérament adéquat ? Je gage que la bête a été dressée pour le confort et les longues routes qui nécessitent plus d'endurance que de vigilance afin d'en venir à bout, qualités certes excellentes mais tout à fait impropres aux exigences d'un tournoi. Si votre destrier manque de nervosité, autant combattre à pied. Ce qui serait fort dommage, puisque vous souhaitez rejoindre les épreuves de monte. »
Lyanna grimace brièvement alors qu'elle soupèse la tactique capable de lui fournir un cheval approprié à ses besoins dans les plus brefs délais. Demander franchement au jeune lord Arryn de lui en prêter un ? Se mêler aux palefreniers pour repérer un animal convenable et dérober celui-ci une fois le moment venu ?
« Et ce qui serait plus navrant encore, ce serait de voir votre jambe pulvérisée ou votre torse réduit à une gigantesque meurtrissure par absence de protection adéquate. Un chevalier, mystérieux comme renommé, se doit de monter à l'assaut de ses ennemis en armure s'il désire éviter le plus gros des blessures. Or, vous n'êtes pas bien grande, madame. Si je voulais vous porter secours en vous offrant ma propre maille, celle-ci vous arriverait aux genoux et ne parlons même pas du casque, vous ne pourriez pas du tout voir à travers le métal. »
Il n'est malheureusement aucun remède à la fine charpente de Lyanna, elle le sait trop bien. Sa féminité lui défend de rivaliser en taille avec ses frères, le seul mâle plus gracile encore qu'elle a eu l'opportunité de rencontrer n'est autre que le petit Paludier dont elle s'apprête à défendre l'honneur et le combat comme enseigné dans le Neck ne privilégie pas du tout l'armure lourde, mais bien plutôt les vestons épais de cuir bouilli pour se protéger du froid et des éclaboussures. Si Howland Reed a amené de la cotte de mailles dans son fardeau de voyage, la fougueuse louve Stark veut bien se proclamer une septa amatrice de broderie et de chansons de geste.
Et la perspective de s'annoncer au grand public, bien-nés et petites gens confondus, fagotée dans une armure si grande qu'elle menace de lui glisser des épaules et des jambes à chaque pas, s'exposer au ridicule et aux quolibets qui ne manqueront guère de suivre, alors là, non !
Pourtant, elle ne saurait se passer de protection. Le Nord n'aime guère les tournois, trop frivoles en vérité, mais Lyanna n'est point ignare des blessures occasionnées par la monte à cheval, et elle a écouté les récits d'anciens combattants à moult reprises, elle sait parfaitement à quels aléas se risque l'imprudent qui se passe de casque ou de jambières, un ennemi bondira sur la faiblesse la plus accessible sans une once de remords et vous n'avez plus qu'à regretter les beaux jours où vous pouviez marchez sans le besoin d'une cane, ou admirer le ciel avec deux yeux intacts plutôt qu'une orbite creuse boursouflée par une cicatrice.
S'estropier si bêtement, ce n'est plus de la mauvaise fortune, c'est le juste châtiment des dieux pour un manque délibéré de réflexion. Lyanna ne tient pas à inciter la colère des barrals et des esprits qui y demeurent, pas pour une si petite chose qui peut être évitée sans guère de mal.
Mais où diantre trouver une armure ? Si elle s'efforçait de superposer les vestons matelassés, peut-être… mais non, à entasser les couches d'habits, elle y perdrait de la réactivité et bien pis, elle aurait trop chaud et se laisserait distraire par l'inconfortable sensation. Soudoyer un forgeron ? Mais le forgeron serait dérouté par la demande, poserait des questions, et aurait-il le temps de terminer la tâche quand assurément les épées et les éperons à polir et réparer ne doivent pas manquer, dans pareil événement ?
Ou encore passer en revue les jeunes écuyers avides de faire leurs preuves, pour en dénicher un moins large d'épaules que sa cohorte et le dépouiller sans vergogne de son paquetage ?
Lyanna cligne des paupières.
« Madame ? Votre expression ne me réconforte guère. »
Elle pense tenir un bon candidat. Qui plus est, un candidat qui pourrait juste lui prêter une oreille attentive.
