Prologue :
Dans une des chambres du manoir au bout du couloir, deux êtres se font face. Une faible lumière éclaire la pièce, le néon clignote de temps à autre et fait apparaître sur le mur blanc, deux ombres qui se superposent pour n'en former qu'une. Un homme à la peau albâtre se tient debout devant une jeune femme aux longs cheveux bruns. Il la fixe de ses yeux brillants, on dirait qu'il attend quelque chose d'elle. Face à lui, la jeune femme maintient son regard, la respiration lente et contrôlée.
L'atmosphère de la pièce est pesante. L'homme la scrute toujours, sans cligner des yeux, puis commence à la détailler de bas en haut. Il prend son temps pour l'admirer comme on admire un objet précieux, à travers ses prunelles ocres, la jeune femme aperçoit la bête silencieuse mais prête à attaquer. Elle sent son cœur battre plus vite et avec difficulté, elle essaie de contrôler son souffle.
Le regard de l'homme remonte petit à petit le long de son corps, elle porte une robe rouge, fendue au niveau de la cuisse. Ses yeux s'arrêtent à ce niveau-là. Il ne dit rien, n'émet aucun commentaire. Elle se sent nue face à lui, son cœur s'emballe, des images commencent à apparaître dans sa tête mais elle les met de côté. Doucement, il relève la tête et continue son observation, tel un chasseur observateur son gibier. Ses yeux s'arrêtent au niveau de sa poitrine, la robe offre un joli décolleté en V. L'homme contemple quelques instants et ne dit toujours rien. La femme lutte avec elle-même pour rester calme. Il ne sourit pas, ne murmure rien. Elle sent qu'il est différent, que quelque chose est en train de se passer, son estomac se tord. Les yeux ambrés de ce dernier atteignent son visage et s'attardent sur ses lèvres.
Merde ! Crie-t-elle intérieurement. Trop tard, une succession d'images s'entremêle dans sa tête. Une image passe, elle veut qu'il l'embrasse, une autre, elle veut qu'il lui dise qu'il n'est pas indifférent à elle, que depuis ses quelques mois ou ils étaient loin de l'autre, il avait cherché par tous les moyens à la revoir. Elle se ressaisit et une dernière pensée lui vient à l'esprit s'il savait tout ça, il partirait loin d'elle ou pire il la tuerait.
Perdue dans ses pensées, elle ne remarque pas qu'il fait un pas en avant et se rapproche dangereusement de sa proie. Sortant de ses songes, elle l'aperçoit, une brève hésitation la fait presque reculer mais elle se reprend, elle ne bougera pas, elle est sûre d'elle, sa mâchoire se serre.
Cette fois, le regard de l'homme se fait redoutable, il s'avance encore, il la teste et elle le sait. Leurs deux corps se touchent presque, ils sont si proches, si proches qu'elle se bat intérieurement pour ne pas le toucher. Il effectue un dernier pas en avant et se retrouve tout près de son visage.
Dans cet espace, le temps s'arrête. Elle sent son aura qui l'enveloppe, leurs deux énergies se mêlent. Dans sa bouche, elle a un goût de sang, il a toujours ce goût de métal qu'elle aime tant.
Soudain, elle capte qu'il fait un mouvement de côté et voit du coin de l'œil son bras qui se lève tout doucement pour se diriger vers son visage, il rapproche sa main et de ses doigts fins, lui frôle délicatement la joue. La jeune femme sent la chaleur sur sa peau et frisonnes.
Puis d'un coup sec sans qu'elle s'y attende, il lui coupe la joue avec l'ongle de son index.
Surprise, elle émet un souffle discret mais se garde de dire quoi que ce soit, elle ne cille pas. L'homme la fixe intensément, guette une réaction, elle est sa proie et lui son prédateur. Elle sait que si elle fait un pas de côté, il lui sautera dessus.
À ce moment-là, elle se demande s'il a déjà repensé à la première fois ou ils se sont laissés aller à leurs désirs. D'autres images refont surface et elle repense aussi à ce moment au clair de lune quand pris d'une pulsion communes, ils se sont retrouvés à mi-chemin au milieu de la forêt, lui était blanc comme neige et elle, elle était trempée de rouge, le sang de ses ennemis.
Il rapproche son visage de sa joue, elle peut sentir son souffle sur sa peau, il entrouvre ses lèvres et la, elle la sent, elle sent sa langue qui commence à lécher le sang qui coule de sa blessure.
D'autres souvenirs lui viennent à l'esprit, cette langue qui a tant dansé dans sa bouche de nombreuses fois. À cet instant, elle ne désire qu'une chose, le plaquer contre le mur.
Lui, prend son temps, joue doucement avec sa langue et enfin il colle ses lèvres sur la coupure comme pour la soigner, pour refermer ce qu'il lui a fait. Son visage se recule mais ses lèvres sont toujours proches de son visage, elle remarque qu'il tourne sa tête en direction de sa bouche. Elle voit ses yeux perçants qui la regardent de biais pour voir sa réaction. Il attend qu'elle effectue un mouvement, il tourne tout doucement la tête, bientôt ses lèvres toucheront les siennes, bientôt elle pourra sentir le goût du bubble gum dans sa bouche.
Son cœur bat de plus en plus vite, la jeune femme va pour fermer ses yeux, se laisser aller quand elle aperçoit furtivement, les yeux ocre de l'homme, se tourner en direction de la porte.
À son tour elle regarde dans sa direction et à ce moment, son cœur rate un battement.
La, dans l'embrasure se tient deux yeux rouges, deux yeux qu'elle reconnaît parfaitement, deux yeux qui brûlent de rage. Elle reste choquée, les pensées se bousculent, la gorge se serre.
Non pas ça, pas lui, comment ça se fait qu'il est là, est-ce qu'il a tout vu ?… À cette dernière question, les yeux écarlates disparaissent de son champ de vision.
La jeune femme revient à elle, se recule d'un pas et repousse l'homme des bras. Il ne riposte pas, il se laisse même faire. Elle le regarde encore sous le choc pour comprendre ce qu'il vient de se passer. Face à elle, l'homme à la peau blanche, la fixe avec des yeux sournois et un sourire se dessine sur ses lèvres.
Prise d'une montée d'adrénaline, elle le contourne et commence sa course, elle ouvre en grand la porte qui claque contre le mur et fait écho dans ce grand couloir sombre. Elle a envie de crier, d'hurler que c'est impossible, que c'est juste un mauvais rêve.
Tant de question et surtout pourquoi elle n'a pas senti sa présence quand il les regardait ? Peut-être qu'elle était trop concentrée sur le visage de cet homme.
Tout à coup, elle prend conscience de la scène qui s'est déroulée sous ses yeux. En vérité, il savait, il était au courant que cette personne les épiait. Il a voulu jouer avec lui et avec elle. Devant cette révélation, son cœur se serre, les larmes commencent à monter.
Personne ne devait être au courant de cette histoire et surtout pas lui. Elle ne voulait pas qu'il l'apprenne comme ça. Elle aurait d'ailleurs voulu qu'il ne l'apprenne jamais. L'esprit ailleurs, ses jambes continuent de courir, ses talons tapent sur le parquet du couloir.
Elle se sent trahie. Elle diminue sa course jusqu'à s'arrêter. Je suis tellement désolée dit-elle dans un souffle.
Elle ne ressent plus son aura, il a quitté le manoir.
Elle comprend à cet instant qu'elle a perdu, elle a joué et elle a perdu. Mon Dieu se dit-elle, commenter on en est arrivé là ?
