Chapitre 8.
Un sourire étire mes lèvres et je hoche la tête.
-J'ai une question a te poser.
-On a tous des questions.
-Pourquoi tu t'es levée aussi vite, cet après-midi ?
-Et moi qui croyais pouvoir y échapper.
-Pardon d'insister mais un instant, tu dors paisiblement et l'instant d'après, tu fuis. Je veux simplement savoir si c'est moi qui te dérange.
Je souris et pose une main sur son épaule pour le rassurer.
-Ce n'est pas toi que j'ai fui. Si c'était le cas, je ne t'aurais meme pas demander de me laisser entrer dans ta cabine.
-Alors pourquoi ?
-Ça te suffit si je te dit que c'est a cause d'un mauvais rêve ?
Il prend un temps pour réfléchir et plante ses yeux dans les miens.
-J'ai bien peur que ça aiguise encore plus ma curiosité.
-Malheureusement pour moi.
-Parce que si tu crois que je vais te laisser toute seule avec des mauvais rêves, tu as tort.
-Qu'est-ce que tu pourrais y faire, de toute façon ?
-Je peux déjà te conseiller d'en parler au lieu de t'enfermer. Plus tu en parle, moins tu as de chances d'en refaire.
-Depuis quand tu te poses en psychologue ?
-Je sais que tu ne me parleras pas. Mais tu peux tenir un carnet de tes rêves. Coucher tes cauchemars sur le papier peut t'aider a t'en débarrasser.
Je reste silencieuse et écoute le clapotis de l'eau contre la coque du bateau.
-Pourquoi tu veux m'aider ?
-Parce que c'est mon rôle, tu fais partie de la famille, maintenant.
-Mais je n'ai pas envie de t'appeler grand frère.
-Comme je ne vais pas t'appeler petite sœur. Mais c'est le principe qui compte, pas les normes imposées. Dans une famille, on s'entraide, on partage les bons comme les mauvais moments. Laisse moi t'aider, Jewel.
Je ramène mes genoux contre ma poitrine et pose la tête sur mes bras croisés.
-C'est bon, j'écrirais un carnet. Si ça peut te faire plaisir.
-C'est pour toi que tu le fais, pas pour moi.
-Évidemment.
Il m'observe et je détourne le regard.
-Tu es fâchée ?
-J'ai pas envie d'être fâchée ce soir.
-Alors arrêter de bouder.
Il me pousse avec un sourire et je finis par sourire a mon tour et prends la housse de ma guitare et me laisse glisser sur le pont.
-D'accord, Marco. Alors j'espère que tu est prêt pour une autre chanson.
-Je suis toujours prêt.
Je hausse les sourcils, amusée et retire mes bottines pour sentir le plancher sous mes pieds nus. Je sors ma guitare et change l'accord.
-Ma mère, avant de s'installer a Tortuga, a mené une vie de bohème. Elle était dans une compagnie itinérante d'artistes qui s'appelait "La Caravane" et elle était a la fois danseuse, chanteuse et musicienne. C'est ces voyages qui lui ont formé son réseau. Et c'est elle qui m'a appris la guitare ainsi que tout un répertoire musical. Cette chanson, c'est sa jeunesse.
PDV Externe.
Alors que la musicienne commençait a gratter les cordes et a humer doucement, le second se dit qu'il avait bien fait de sortir pour partager ces moments avec elle.
-Est-ce que j'en ai les larmes aux yeux ? ... Que nos mains ne tiennent plus ensemble... Et moi aussi, je tremble un peu... Est-ce que je ne vais plus attendre ?... Est-ce qu'on va reprendre la route ? ... Est-ce que nous sommes proches de la nuit ?... Est-ce que ce monde a le vertige?...Est-ce qu'on sera un jour punis ?
Sa voix chaude s'élève dans la nuit claire et donne la chair de poule au pirate malgré le climat estival. Il voyait maintenant Jewel comme elle aurait pu être si sa mère était restée dans la compagnie d'artistes. Un sourire ensoleillé réchauffant ses courtes boucles aux rayons de lune, cette voix chaleureuse aux accents estivaux et ses yeux aussi purs que des pierres précieuses pouvant captiver la mer et le ciel. Un véritable trésor qu'il contemplait a loisir dans ce moment hors du temps.
-Est-ce que je rampe comme un enfant ?...Est-ce que je n'ai plus de chemise ? ...C'est le Bon Dieu qui nous fait. ...C'est le Bon Dieu qui nous brise.
C'est sur que pour la musique, elle était douée, il ne restait plus qu'a vérifier les aptitudes au combat mais ils n'étaient pas pressés. Cette douce nuit d'été devait être savourée.
-Est-ce que rien ne peut arriver ?...Puisqu'il faut qu'il y ait une justice... Je suis né dans cette caravane... Et nous partons allez viens...Allez viens.
Elle l'invite a venir danser et il commence par refuser mais il finit par céder devant son insistance et ils dansent, seuls dans l'immensité du ciel étoilé et avec pour seuls compères une musique chargée d'histoire a l'air entrainant et des sourires plein la tête.
-Et parce que ma peau est la seule que j'ai... Que bientôt mes os seront dans le vent... Je suis né dans cette caravane... Et nous partons, allez viens.
La musique continue jusqu'à s'éteindre doucement. D'un commun accord, ils s'asseyent a meme le pont et reprennent leur souffle. Le silence s'installe, les laissant admirer les étoiles, abandonnés a leurs pensées.
-Marco ?
-Hmmh ?
-Merci de ne pas m'avoir prise sous ton commandement.
-Pourquoi ?
-Parce que je sais très bien que si ça avait été le cas, tu ne te serais pas autorisé a t'amuser en ma compagnie.
Le blond sourit et acquiesce.
-Et sinon, tu es télépathe ?
-Très peu pour moi, trop de migraines.
-Je pensais la meme chose alors que je marchais a ta recherche, dans les couloirs.
-Les grands esprits se rencontrent.
-Il semblerait.
Elle sourit et s'allonge, il la regarde faire avec un sourire.
-Déjà fatiguée ?
-C'est une position plus confortable pour observer les étoiles. Et je parie que tu n'as jamais essayé.
-Je n'ai pas vraiment le temps d'essayer de nouvelles choses.
-Mais cette soirée intemporelle s'étire devant nous alors tu as tout le temps qu'il te faut pour perdre ton temps.
-Très poétique.
Mais il reste assis et lève également les yeux.
-Tu sais reconnaitre les constellations ?
-Pas vraiment et toi ?
-Ma mère me les as apprises. Il fut un temps ou les navigateurs se servaient des étoiles pour voyager.
-Je sais mais depuis les logs pose, tout a changé.
-Mmh.
Elle tente alors de masquer un bâillement mais il a déjà remarqué et prends la parole pour l'inciter aller se coucher.
-Je devrai aller dormir.
-Le coup de fouet tardif de l'alcool ?
Il se relève sans rien dire et lui tend la main. Elle le regarde, surprise.
-Ah, moi aussi ?
Il acquiesce, un léger sourire aux lèvres et elle finit par accepter. Il a alors l'occasion de ressentir que la température corporelle de la souris a nettement baissée.
-T'as bon chaud.
-Et toi, tu est frigorifiée.
Elle hausse les épaules a cette remarque, semblant habituée et il secoue la tête puis prend ses mains dans les siennes et les porte a sa bouche pour souffler dessus. Elle le regarde faire, étonnée de cette marque d'affection. Au bout d'un moment, il se rend compte de son geste et lâche les mains de la grise. Il lève les yeux vers elle mais elle ne réagit pas immédiatement.
-Merci... Bonne nuit.
Elle tourne alors les talons de façon automatique et rentre a l'intérieur. Marco réagit quelques instants en retard, stupéfait par la rapidité de Jewel a s'enfuir. Mais il ne peut pas lui en vouloir, son geste a du la surprendre. Meme si il pensait seulement bien faire, il ne voulait pas l'effrayer.
Il s'apprête a rentrer mais un objet, appuyé contre la rambarde, attire son regard. La guitare de la musicienne. Elle a oublié l'instrument dans sa précipitation et cela fait un parfait prétexte pour aller directement éclaircir les choses.
Remerciant secrètement le ciel de lui donner la chance d'arranger ses propres erreurs, il se dirige vers la chambre de la musicienne. Arrivé devant la cabine de Jewel, il toque et attend qu'un silence lui réponde.
-J'ai ta guitare.
Il attend encore quelques minutes et finalement persuadé qu'elle ne lui parlera pas plus avant demain, il se prépare a partir. Mais alors qu'il tourne le dos a sa chance d'arranger le malentendu, la porte s'ouvre, il se retourne pour voir Jewel se tenir dans l'entrebâillement.
Elle l'observe en silence et il s'éclaircit la gorge pour prendre la parole.
-Est-ce que... Tu es fâchée contre moi ?
Elle tend la main, prend la guitare puis lui fais signe d'entrer. Il ferme la porte derrière lui et la regarde s'asseoir. Ne sachant pas trop ou se mettre, il reste debout.
-Jewel, je suis désolé si je t'ai fait peur. Ce n'était pas mon intention, je voulais juste te réchauffer.
Elle le regarde puis finit par sourire et tapote la place a coté d'elle.
-Viens t'asseoir, s'il te plait.
Il s'exécute, intrigué par sa politesse mais surtout par sa petite voix, légère et douce comme de la soie.
-C'est moi qui devrais m'excuser. J'ai réagi trop vite. J'ai pris l'habitude de rejeter toute approche parce que dans un bar, il y a toujours des arrières-pensées. Mais je sais pertinemment que ton intention était sincère et je t'en remercie. J'ai simplement été surprise par ton attention mais je m'en suis déjà remise. Tout va pour le mieux.
-Sure ?
J'acquiesce et il soupire, l'air soulagé puis fais mine de se lever.
-Alors je vais te laisser tranquille, pour ce soir en tout cas.
Je tends la main et attrape sa chemise. Il se tourne vers moi, intrigué.
-Merci de m'avoir amené ma guitare.
-C'est normal. Bonne nuit.
-Bonne nuit, Marco.
Je le laisse partir et il m'offre un léger sourire puis s'éloigne. J'écoute les bruits du bateau et m'aperçois que je ne suis pas fatiguée. Je regarde autour de moi, a la recherche d'une activité a faire mais je n'ai pas grand chose pour m'occuper et je ne vais pas redemander un livre au second, il finirait par croire que j'ai le béguin pour lui. Mes pensées se dirigent vers la cantine, je me demande si il font toujours la fête. Je décide de satisfaire ma curiosité et sors marcher dans les couloirs, jusqu'à arriver devant les portes de la cantine, silencieuse. Enfin pas tout a fait, les divers ronflements éméchés se joignent les uns aux autres pour former une chorale engagée.
Je retiens un rire, pour ne réveiller personne et rends compte de l'imposante montagne de vaisselle qui attend les marins demain matin. Mais je leur dois bien un service en échange de cette soirée mémorable qu'ils m'ont offerte. Je vais m'asseoir sur l'estrade réservée aux musiciens et ferme les yeux, une musique commençant a jouer dans mon esprit.
Alors que je bouge les mains, les plats se mettent a flotter et a trouver leur chemin vers la cuisine, l'eau se met a couler, les brosses et les savons sont manipulés par des fils invisibles et bientôt, c'est tout une chorégraphie muette qui se déroule. Apaisée d'être ainsi productive, je laisse un sourire étirer mes lèvres et continue d'orchestrer cette danse rythmée par le cliquetis léger des couverts propres qui s'empilent sur le comptoir.
Dès lors que ma mélodie interne se termine, je ré-ouvre les yeux et contemple avec satisfaction toute cette vaisselle propre. Puisque la fatigue vient enfin me gagner, je vais déposer mes lèvres sur la tempe de Tatch et le regarde sourire dans son sommeil alcoolisé. Je quitte la salle, une petite douleur sourde dans le bas du ventre et je file m'enfermer dans ma chambre.
