Derek n'avait pas pour habitude de rester au chevet d'un compagnon de meute blessé. Cette attention, il la réservait uniquement à sa petite sœur – Peter, de son côté, n'en avait pas besoin. Et pourtant, il choisit de l'accorder sciemment à Stiles. Il avait une justification, bien sûr… Pour se convaincre lui-même que l'hyperactif n'était pas quelqu'un de spécial. En toute honnêteté, il l'appréciait – sans pour autant le mettre sur le même piédestal que Cora. Elle, elle avait le droit de connaître sa douceur, celle d'un grand frère qui ne désirait qu'une chose, la protéger. Un grand frère qui avait grandi trop vite et qui ne se permettait un relâchement total qu'à ses côtés.
La raison pour laquelle il avait choisi de rester auprès de Stiles était par conséquent fort simple : ses blessures, sans être véritablement sérieuses, devaient tout de même être surveillées. Il y avait aussi la bizarrerie de cette situation, sa parfaite incongruité. Bien sûr que Derek n'avait qu'une envie, à savoir éclaircir cette histoire, en dégager toutes les ombres. A vrai dire, il avait les moyens d'en connaître les tenants et les aboutissants sans attendre. Cependant, une part de lui lui soufflait de ne pas contacter la meute, de ne parler de sa rencontre avec Stiles à personne pour l'instant. Logiquement, Scott aurait dû être le premier au courant dès le départ et… S'il ne s'agissait pas de Stiles, Derek aurait appelé l'alpha sans attendre. Mais l'hyperactif, au-delà de ses élans impulsifs et de ce côté un peu fouineur qui ne disparaîtrait sans doute jamais, était loin d'être stupide. Derek le connaissait suffisamment pour savoir que chacune des décisions qu'il prenait était murement réfléchie et qu'il aimait sa meute comme personne.
S'en détacher volontairement auprès d'une autre meute était donc sacrément étrange… D'autant plus que son appartenance à celle de Beacon Hills, s'il l'avait revendiquée, aurait pu lui servir de protection. Dans le monde lupin, chaque acte avait ses conséquences… Et chaque agression sa vengeance. Or, Derek ne pouvait pas réaliser celle-ci – il avait donné sa parole à cette alpha, Maïa.
Et le bêta ne lâchait pas l'humain du regard. Un humain qu'il savait honnête de nature et que cette qualité avait peut-être manqué de tuer. Ces abrutis de loups auraient pu. Ils auraient pu parce qu'ils en avaient la force et que le nombre faisait également la puissance. Seul contre tous, quelle chance Stiles aurait-il eu de s'en sortir ? Derek savait qu'il s'en était fallu de peu et qu'un coup porté un peu trop fort aurait pu lui être fatal. La force d'un loup-garou, ce n'était pas celle d'un humain. Parfois, on perdait la maîtrise de son animal et on commettait l'irréparable.
C'était d'autant plus miraculeux que Stiles soit là, dans cette chambre – en vie. Un autre jour, il n'aurait peut-être pas eu cette chance. Qu'importe : il était en sécurité, désormais.
Mais Derek n'aimait pas voir son visage ainsi coloré. Et puis cette immobilité, cette faiblesse, ce mutisme dont lui avait parlé Peter… Ça ne lui allait pas. Ce n'était pas Stiles, ça. Lui, il avait la vie et le soleil dans le sang. Une énergie épuisante. C'était l'étoile de la meute, celle qui brillait tellement en permanence qu'on n'y faisait plus attention. Derek avait l'impression de la découvrir… Juste parce qu'elle était éteinte.
Le mutisme de cet idiot l'agaçait, d'ailleurs, tout autant que ce besoin qu'il avait eu de faire semblant de dormir lorsqu'il était entré. Alors oui, Derek avait compris son intention ferme de se reposer, mais… Pourquoi n'avait-il pas demandé à ce qu'on soulage sa douleur ? Pourquoi avait-il cherché à évité la famille Hale, l'autre jour ? Pourquoi avait-il fui ?
Pourquoi se comportait-il comme s'il ne faisait plus confiance à personne ?
Quant au mutisme en lui-même, Derek le mettait sur le compte du traumatisme de son agression. Même en tant que loup, l'ancien alpha pouvait se mettre à sa place et imaginer aisément le choc que cela avait pu lui causer. Nul doute qu'il en garderait des séquelles… Plus psychologiques que physiques. Si les premières étaient invisibles, il ne fallait pas les oublier pour autant. Derek était d'ailleurs très bien placé pour savoir que les blessures de l'esprit étaient particulièrement douloureuses… Surtout lorsque l'on ne les prenait pas au sérieux ou qu'on les négligeait. C'était là que la nécessité de briser le silence rentrait en jeu. Derek comprenait donc son mutisme, mais ne le tolèrerait pas longtemps. L'air de rien, il connaissait l'humain et savait parfaitement que celui-ci avait tendance à abuser dudit silence. De son hyperactivité, aussi, et plus particulièrement de sa tendance à parler, qu'il utilisait pour détourner l'attention d'autrui de ses problèmes à lui. Jusqu'ici, Derek ne pouvait que comprendre sa démarche, dans la mesure où il agissait de la même façon. Cependant, la situation actuelle exigeait une exception : on ne pouvait pas se relever comme ça d'une agression, encore moins lorsqu'elle était aussi violente. Puis Derek ne pouvait de toute façon pas laisser passer un tel évènement, surtout après ce qu'il avait appris, cette zone d'ombre qu'il se devait d'éclaircir au plus vite car quoi qu'il en soit, l'éloignement manifeste de Stiles avec la meute était ce qui l'avait mené ici. Et c'était parce qu'il s'en était allé de Beacon Hills qu'il avait fini par se faire passer à tabac dans cette ville, par une meute hostile à son odeur. Ça, c'était si l'on schématisait de façon rapide.
Une tension soudaine dans le visage de l'humain lui fit comprendre que la douleur revenait – elle risquait de le réveiller. Presque automatiquement, Derek s'empara de son poignet et absorba cette vague plus que désagréable. A lui qui avait tant vécu, elle ne lui fit pas grand-chose mais il ne minimisa pas l'impact qu'elle devait avoir sur l'hyperactif. Leur condition physique différait, aussi, ce qui rendait leur perception de la douleur fort différente. Alors il n'hésiterait pas à lui prendre sa souffrance tant qu'elle serait aussi difficile à supporter pour lui – les premiers jours du moins.
Par chance ou non, Derek ne saurait le dire, Stiles s'éveilla au lieu de replonger dans les limbes du sommeil, comme le faisait régulièrement la prise de douleur. Avant de le voir, Derek le sentit, mais il en eut la confirmation lorsque le jeune homme ouvrit péniblement les yeux. Ses paupières semblaient fort lourdes, à tel point qu'il les referma avant de les rouvrir et ce, plusieurs fois. Derek dut attendre une bonne minute avant que Stiles ne finisse par poser son regard des plus fatigués sur lui. Les émotions s'y succédèrent à une vitesse folle, mais ce qui prédomina rapidement, ce fut la peur… La terreur. La façon dont il le regardait était sans équivoque. Et Derek ne comprit pas. Il ne comprit pas comment sa simple vue pouvait le mettre dans un tel état… Car elle accélérait les battements de son cœur, rendait sa respiration discrète hachée, écarquillait ses yeux… Elle changeait tout sur son visage et l'empêchait de cacher son ressenti comme Derek l'avait pourtant si souvent vu le faire lors de réunions de meute ou de missions en tout genre. Il savait que Stiles avait besoin de garder certaines choses pour lui et il le comprenait, puisqu'il faisait la même chose – il n'aimait pas étaler ses émotions au grand jour. A ses yeux, ce qu'il pouvait ressentir ne regardait que lui.
- Tout va bien, se sentit-il toutefois obligé de lui dire sans lâcher son poignet. Calme-toi.
Car si Stiles n'était pas capable de dissimuler ses émotions de façon consciente, c'est bien qu'il lui fallait essayer de l'aider. Tant pis si Derek n'était pas doué pour ça, il se devait au moins d'essayer… D'étouffer cette terreur qu'il ne comprenait pas. Que s'était-il passé avec la meute pour que Stiles réagisse ainsi ? L'humain n'arrivait pas à détacher son regard plus que craintif de lui, comme s'il avait peur de ce qu'il pourrait lui arriver s'il osait détourner les yeux.
Alors Derek fit de son mieux pour rendre sa voix « douce » même s'il n'était pas dans ses habitudes de faire ce genre d'efforts. Il répéta alors ce qu'il venait de lui dire tout en resserrant légèrement son étreinte sur son poignet. Bien sûr qu'il n'oubliait pas sa douleur et qu'il tenait à la lui prendre dans son entier. Maintenant, restait à savoir comment il allait réussir à lui faire comprendre qu'il n'avait rien à craindre… Ce qui le poussait d'ores et déjà à s'armer de patience, car les prochaines minutes promettaient d'être longues.
