Chapitre 11

« La vie, c'est comme une bicyclette. Il faut avancer pour ne pas perdre l'équilibre »

La douleur allait et venait au rythme de mes respirations, et si elle était encore bien présente, elle me semblait considérablement amoindrie par rapport à mes souvenirs. J'avais mal au ventre, et au dos, avec l'impression de m'être faite écrasée sauvagement. C'était pénible, et très peu agréable.

Les souvenirs me revenaient en mémoire, et n'étaient pas plus avenants. Je me souvenais le quartier général de la Section 31, puis Airiam, véritablement possédée, se jetant sur nous. Je me souvenais la combattre, puis je revoyais le canon de son arme pointé sur moi. Avant l'horrible douleur.

Airiam.

Je grimaçais, et bougeais légèrement la tête en clignant des paupières. Mes pupilles mirent quelques secondes à s'adapter à la lumière vive qui m'entourait, et je finis par comprendre que j'étais à l'infirmerie.

- Hey ! Clama la voix de Paul, et je tournais doucement la tête dans sa direction, et avisais son visage soulagé. Comment te sens tu ?

- Airiam, murmurais-je, la voix un peu éteinte. Où est-elle ?

Immédiatement, le visage de Paul se ferma, et ses yeux se chargèrent de tristesse. Je compris instantanément ce que cela signifiait, et je me sentis me tendre. Un sanglot m'échappa, brutalement bloqué par la douleur qu'il occasionna dans mes côtes.

- Il n'y avait pas d'autres solutions ? Demandais-je, dévastée. On ne pouvait pas l'aider ?

- Son système amélioré avait été piraté par le Contrôle, m'expliqua Paul en prenant mes doigts dans les siens. Il n'y avait rien à faire sur le moment. Elle était sur le point de réussir à pirater le système, et elle aurait tué Mickaël et vous auraient achevées. C'était la seule solution. Elle le savait.

Je fermais les yeux et ne répondis rien. Bien que je n'ai pas été aussi proche d'elle que je l'étais de Keyla, Airiam était néanmoins une amie à laquelle je tenais beaucoup.

Sa perte était terrible, d'autant plus que la dernière vision que j'avais d'elle était le canon de son arme pointé sur moi.

- Je n'ai rien vu…, murmurais-je. Comment un officier-en-second n'a rien pu voir ?

- Le Capitaine Pike non plus n'a rien vu venir, contra Paul. Tu n'es pas…

- Le Capitaine Pike ne connaissait pas Airiam comme je l'a connaissais, coupais-je, un peu brutalement. Elle était mon amie, nous avons servis ensemble pendant plusieurs années.

- Aucun d'entre nous n'a rien vu, renchérit Paul fermement. Tilly qui était très proche d'Airiam n'a rien vu. Personne ici n'a rien détecté. Tu n'y ai pour rien. Personne n'y ait pour rien.

Je ne répondis rien, mais je ne cesserais pourtant pas de m'en vouloir.

- Ilyana ? Demanda soudainement une voix qui me fit frémir.

Je relevais les yeux sur Pike, qui venait d'apparaître au pied de mon lit. Paul me fit un sourire, serra mes doigts, m'embrassa sur le front, avant de céder sa place.

Mon lit était le plus reculé, les rideaux tirés, sans doute afin de ne respecter le grade qui était le mien et de m'isoler des regards. Cela avait pourtant peu d'importance à mes yeux. J'étais humaine, à l'instar de tout l'équipage. Je ne valais pas plus qu'eux.

Mais à cet instant précis, je remerciais ma position dans la hiérarchie. Peu de personnes étaient au courant de ce qui se passait entre Pike et moi, et je préférais autant que ça reste ainsi.

- Je ne te demanderais pas comment tu te sens, fit-il en prenant le fauteuil que Paul venait de quitter. Je t'ai entendu répondre à Stamets.

- Je vais bien, répondis-je néanmoins. Toujours mieux que Airiam…

Une nouvelle fois, un sanglot voulu me secouer, mais le pic de douleur qui m'occasionna me calma immédiatement.

Je n'avais même pas le droit de pleurer mon amie en paix.

Une grimace m'échappa, ainsi qu'un geste d'humeur. Je détestais être soumise ainsi aux caprices de mon corps et de la souffrance.

- Je ne peux qu'imaginer ce que tu ressens, mais il faut que tu te calmes, murmura Pike en attrapant ma main et je vrillais mes yeux aux siens.

Furieuse, j'allais lui répondre, mais ma colère s'étouffa en voyant l'inquiétude et l'angoisse dans son regard. Ainsi que les sentiments plus profonds que j'y lisais.

- Tu as faillis mourir, continua-t-il sans détourner les yeux, bien qu'il sache ce que j'y lisais. L'impact du tir était mortel, c'est un exploit que le docteur Culbert ait réussis à te récupérer et te soigner. Je sais que la mort d'Airiam t'affecte beaucoup, et je l'entends totalement, mais je suis incapable d'ignorer qu'à l'heure qu'il ait, nous aurions pu pleurer deux officiers au lieu d'un. Et te perdre…

Je détournais les yeux, trop envahie par ses sentiments. Ce qui fit que je sursautais quand ses doigts effleurèrent ma joue.

Je ne pu m'empêcher de le regarder de nouveau, et ne fis rien pour l'empêcher de baisser la tête vers moi.

Ce fut un bruit derrière le rideau qui nous indiqua que quelqu'un approchait qui le fit s'éloigner, et quelques secondes plus tard Hugh apparaissait avec un sourire, content de me voir consciente.

Je laissais Pike quitter l'infirmerie sans rien ajouter.

oOoOo

J'étais restée inconsciente trois jours, si bien que l'hommage à Airiam avait été rendu sans moi. J'en gardais un goût amer, même si j'en comprenais très bien la raison. Tilly, dans un élan de spontanéité et de gentillesse qui m'étonnerait toujours, m'avait donné l'écusson de la jeune femme, se doutant qu'il me serait plus compliqué de faire mon deuil sans avoir pu voir mon amie.

La dernière image que j'avais de Airiam, elle était encore en vie et en pleine forme physique. Il m'était très difficile de l'imaginer morte. D'enregistrer le fait que je ne la reverrais plus.

La première fois que je remis le pied sur la passerelle, je sentis une bouffée d'angoisse me monter à la gorge en voyant la place qu'elle occupait avant, remplacée désormais par une jeune femme tout aussi compétente.

Je n'avais pas eu à cœur de la saluer autrement que par un hochement de tête.

Et elle avait compris.

oOoOo

J'avais traversé des épreuves inimaginables au cours des onze dernières années, à l'instar des membres de l'équipage de ce vaisseau. Et pourtant, mon esprit semblait vaciller aujourd'hui, alors même que l'on avait besoin de moi, en possession de toutes mes compétences et facultés.

Devant mes difficultés à surmonter l'épreuve que je venais de surmonter, et afin de ne pas perturber plus l'équipage qui avait été lourdement secoué par la mort d'Airiam, Saru avait été nommé temporairement à mon poste d'officier-en-second tandis que son poste revenait à Burhnam. J'avais été éloignée des fonctions de commandement, à la demande et sur conseil de Hugh, contre lequel je n'avais pas trouvé la force de lutter.

J'étais épuisée, et totalement anéantis par la mort de mon amie.

La culpabilité ne cessait de m'étouffer, et ce, malgré les longues discussions avec Katrina ou Keyla. Comme pour Gabriel, je ne cessais de m'en vouloir de n'avoir rien vu. Je considérais ne pas être digne des fonctions d'officier-en-second.

Sortant de l'infirmerie où j'avais été faire contrôler ma blessure, je me contentais de errer dans les couloirs, sans réel but.

La soirée était bien avancée, et l'équipage vaquait à ses occupations nocturnes. La nuit, il était réduit à l'effectif minimum, et le silence qui était tombé sur les couloirs m'étouffait.

Décidant finalement de gagner ma chambre où je me terrerais jusqu'au lendemain matin, je sortis de l'ascenseur, marchant sans réelle conviction jusqu'à elle.

Au moment où je posais la main sur le détecteur me permettant de déverrouiller la porte, celle située jusqu'en face de la mienne s'ouvrit, et j'y découvris Pike.

- Est-ce que ça va ? Me demanda-t-il, inquiet, en avisant mon visage pâle et mes yeux fatigués.

Je ne trouvais plus le sommeil depuis les trois jours qui s'étaient écoulés, et les cernes qui se dessinaient suffisaient à lui donner réponse.

- Ça va, répondis-je néanmoins d'un ton morne. Bonne nuit Capitaine.

- Ilyana, souffla Pike en sortant de sa chambre et en attrapant mon poignet, me faisant pivoter sans difficulté vers lui. Ça ne va pas, je le vois bien.

Je ne répondis rien, refusant de parler pour ne pas risquer de fondre en larmes ou de perdre pied. Je ne savais pas ce que je voulais.

Je souhaitais me réfugier dans ses bras autant que je voulais être seule à pleurer dans mon lit. Je voulais sentir son étreinte rassurante autour de mon corps autant que je souhaitais qu'il me lâche.

- Viens ici deux minutes, m'ordonna Pike en m'entraînant à sa suite et en refermant la porte dans son dos.

Mes yeux examinèrent sa chambre.

A l'instar de la mienne, il possédait une suite : une chambre, une cuisine, un salon et une salle de bain.

Seuls les officiers de commandement possédaient leur propre suite. Les autres membres d'équipage devaient se partager à deux leur chambre.

A l'instar de la personnalité de Pike, tout était propre, rangé et ordonné.

Je pinçais les lèvres, me sentant de nouveau vaciller.

- Viens par là, souffla Pike en ne lâchant pas mon poignet pour me forcer à m'asseoir dans l'un des fauteuils avant de me tendre quelques minutes plus tard un chocolat chaud.

Surprise, je pris lentement la tasse dans mes mains et fus surprise du bien que me fit la chaleur qui s'y diffusait. Je le laissais s'asseoir à mes côtés, sans rien dire.

- Il faut que tu arrêtes de t'en vouloir, fit-il en caressant lentement mon bras. Tu ne peux pas continuer ainsi Ilyana. Airiam n'aurait pas souhaité cela. Pour personne.

- Je n'en saurais rien puisqu'elle est morte, soufflais-je, amère en détournant les yeux. Par ma faute...

- Elle est morte à cause du Contrôle, rectifia fermement Pike. C'est le Contrôle qui a pris possession de son augmentation. Qui l'a poussée à faire ce qu'elle a fait. C'est le Contrôle qui nous a obligé à l'expulser dans l'espace pour éviter qu'elle ne vous achève toutes les trois. Ce n'est en rien de ta faute. Parce que dans ce cas-là, on pourrait aussi dire que Tilly est responsable, puisqu'elles étaient proches…

Je ne trouvais rien à redire, mais cela ne changea rien à ma façon de penser. Tilly n'était pas officier-en-second.

- Moi aussi je m'en veux, rajouta-t-il et je fronçais les sourcils. Si je t'avais écouté, je n'aurais pas suspecté Tyler, et aurais cherché le véritable coupable. Cela aurait peut-être évité la mort d'Airiam. C'est moi qui aie mis vos vis à toutes les quatre en jeu. C'est mon ordre qui a condamné Airiam à mort, et qui a failli entraîner la tienne. Pourtant, j'ai fait ce qui paraissait cohérent, ce qu'on attendait d'un capitaine. J'ai fait ce qui était logique. Parce que jamais je n'aurais deviné que Airiam puisse être piratée. Tu n'en n'ai pas responsable. Être officier-en-second ne te rend pas plus devin que les autres.

Je ne répondis rien, me contentant de fixer sans but devant moi. Ce fut cela qui força Pike à prendre mes doigts entre les siens. Tournant les yeux vers lui, je me plongeais dans ses iris d'un gris fer.

Pendant quelques secondes, le temps sembla s'arrêter de courir, et je me rendis à peine compte que mon souffle se coupait. Dans la cohue de mes pensées et de mes sentiments, l'évidence de ce que je ressentais pour lui s'imposa à mon esprit. Et je sentis la barrière que je m'étais imposée pour ne pas m'effondrer se disperser en cendres.

Papillonnant rapidement des paupières, je reposais la tasse sur la table basse, avant de me lever rapidement. Je devais quitter cet endroit au plus vite où je ne contrôlerais plus rien. J'étais totalement incapable de réfléchir de façon raisonnable.

- Je dois y aller, soufflais-je en m'avançant vers la porte à grands pas, incapable de retenir mes larmes.

Il paraissait évident que Pike ne me laisserait pas partir ainsi. Pas dans l'état dans lequel j'étais. Ce fut sans surprise que je sentis ses doigts se refermer sur mon bras, me forçant à lui faire face.

Il avisa immédiatement les larmes qui coulaient le long de mes joues, avant qu'il ne m'attire dans ses bras.

Sa poigne autour de ma taille était ferme, mais douce, et cela suffit à anéantir mes dernières défenses.

Je m'agrippais à son uniforme alors que les sanglots me secouaient violemment. Je le sentis placer une main autour de ma nuque, me plaquant contre lui, tandis que son autre bras entourait ma taille, me soutenant.

- Tout va bien, murmura-t-il contre mes cheveux. Tout va bien, je suis là.

Il répéta cela en boucle sans s'arrêter, ne desserrant pas son emprise autour de moi. J'eus vaguement conscience qu'il bougeait, m'obligeant à en faire de même, et qu'il s'asseyait, m'attirant contre lui. Mais les nerfs cédant, je ne luttais pas et ne cherchais pas à en savoir plus.

J'étais fatiguée, submergée par les responsabilités qui étaient les miennes et que j'assumais depuis tellement d'années. Les liens avec ma famille brisés, la guerre face aux Klingons, les morts qui s'étaient succédé à cause d'elle, le passage dans un univers parallèle et la mort de Gabriel de ma propre main, le fait d'avoir dû soutenir Paul quand Hugh était mort, encaisser le fait que Ash soit possédé par Voq, le soutenir lui aussi… La mort d'Airiam venait briser en éclats le fragile équilibre que je m'imposais jour après jour.

Je ne sus pas exactement combien de temps s'écoula, avant que je ne me sente m'endormir contre lui. Je sentis comme une chape de plomb sur mes épaules, ma tête se fit lourde, et ce fut la dernière chose dont je me souvins.