Ecrit pour ladiesbingo sur le thème "Kinks". Contenu sexuel très présent mais peu explicite.


Ma Reine Ysandre, pendant les longs mois où son mari la quittait pour gouverner son propre royaume, ne prit jamais un seul amant, une seule amante. Oh, nombreux pourtant furent ceux qui le souhaitèrent, et la rumeur en ajouta plus encore ! Mais chacun d'entre eux fut rejeté avec une élégance courtoise, et s'ils se sentirent humiliés de ne pas remporter la préférence sur un Roi étranger, ce n'est point la faute d'Ysandre.

Je ne comprenais pas. J'étais jeune, et il y avait de nombreuses choses que je ne comprenais pas. Parce que j'étais naïve, je demandai. Je concevais que pour Ysandre, personne ne se comparait à Drustan, mais pendant les longs mois de solitude, était-elle vraiment de marbre, ou restait-elle fidèle par devoir ?

"Peut-être que je parle de politique dans le feu de la passion, et je n'ai confiance en personne," dit-elle d'un ton léger, éludant la question.

"Vous pourriez avoir confiance en moi !" m'exclamai-je.

Ma réaction était candide, et elle en rit. "Oh, Phèdre, mon amie, tu me désires ? J'ai toujours été si douce avec toi, pourtant."

Je rougis, un peu exprès, pas entièrement.

"Vous êtes belle, vous êtes admirable, et vous êtes ma reine," dis-je, comme si cela pouvait tout expliquer. J'étais sincère. Ysandre était d'une grande beauté, une peau de neige, un col de cygne et des yeux de violettes que tout le royaume chantait. Et j'étais sa vassale. Elle pouvait me donner n'importe quel ordre, et je lui obéirais, à genoux, pour son bien et celui du royaume, et même quand je n'y pensais pas, mon sang le savait.

"Oh, et est-ce tout ?"

Ce n'était pas tout. Drustan était mon roi aussi, Drustan avait la même autorité, et avait le charisme d'un commandant, mais pas de la même façon. Ysandre était du sang de Kushiel. Jamais ses ordres, fer sous le velours, ou ses menaces enrobées de douceur et de respect n'avaient été lancés contre moi, mais je l'avais vue utiliser ses talents sur d'autres, avec fierté et honneur, et j'avais redouté qu'elle en joue sur moi, tout en en rêvant parfois.

Et maintenant, je savais qu'elle était aussi consciente que moi de la situation ; elle avait choisi de me le montrer, et j'espérais.

"Et je me soumettrais avec plaisir à vos ordres et plus, si vous me le demandiez. Mais, parce que je suis votre amie et que je sers Naamah, le plus important pour moi est de savoir ce que vous désirez vraiment, et je vous jure qu'en commençant cette conversation, je le souhaitais rien d'autre."

Oh, son rire avait une toute nouvelle résonance, je le promets. Un accent de la plus douce humiliation. Je frémis. Elle ne m'avait pas même frôlée. Ma peau avait soif de ses ongles roses.

"Tu peux essayer de me comprendre en tant qu'amie, tu peux te soumettre à mes ordres en tant que servante passionnée de Kushiel. Pendant six mois, aucun homme, aucune femme ne me touche, et tu ne le comprends pas. Je serai raisonnable. Un mois seulement pour toi. Aucun contrat, aucune étreinte passionnée, aucune main sur les sources de plaisir de ton corps, pas même la tienne."

J'eus peur. Je n'en suis pas fière, mais je voulus fuir. "J'ai un compagnon, ma reine. Que lui dirai-je ?"

Oh, elle ne me touchait toujours pas, et je savais qu'elle ne le ferai pas, mais elle était si proche, et sa voix coulait directement de sa langue dans mon oreille, comme une caresse. "La vérité. Que c'est un jeu de ta reine. Que tu aurais pu choisir de ne pas t'y soumettre, que tu peux l'interrompre à n'importe quel moment. Je t'assure qu'il comprendra. Les Cassilins connaissent les frustrations volontaires de la chair."

Ses paroles étaient des fils d'araignée autour de moi, si tentantes et douces, et j'inclinai la tête, choisissant de m'y plonger, de m'y laisser lier.

"Un mois," acceptai-je.

Ce jour-là, je quittais vite sa compagnie. Ysandre aurait continué sur un autre sujet comme si de rien n'était, et chaque mot résonnait en moi. Je pourrais te toucher, maintenant, et c'est toi qui refuserais, n'est-ce pas ? Je pensais que les premiers jours seraient faciles, mais ma peau brûlait déjà.

Ce fut un très long mois.

Ysandre avait eu raison, et Joscelin n'émit aucune objection quand je lui dis ce qu'il en était. Il sourit, même, et oh, combien facilement il se contint, maître de lui, maître des chastes baisers et des accolades fraternelles.

Combien je ne me contenais pas.

J'avais déjà connu les morsures du désir et la joie de l'attente, mais même une nuit entière n'est rien comparée à un mois. Quand je me retrouvais seule, les ordres d'Ysandre, qui m'interdisaient même de me toucher, en augmentaient mon désir écrit en lettres de feu.

Je me plongeai dans l'étude. Je crois n'avoir jamais autant traduit de philosophes anciens, jamais non plu deviné combien d'entre eux parlent du désir entre les lignes.

Je rencontrai Ysandre plusieurs fois, lors de cérémonies publiques. Jamais en privé. A chaque fois, sa conversation était normale, des plans de politique ou de divertissement, mais il me semblait voir son oeil cligner, son sourire évaluer le mien. Et moi, je brûlais. Elle n'était pas plus belle qu'elle l'avait toujours été, mais pendant ce mois, je n'étais qu'à elle.

J'ai été tentée, plus d'une fois, d'écrire mon signal dans un pli privé adressé à la reine, de compter les minutes qu'il faudrait au messager pour les lui envoyer, pour trouver un moment privé pour la lui remettre, pour qu'elle le lise. Je n'écris jamais, mais je comptais les minutes tout autant, inventant une attente courte dans mon attente longue, pour me tromper moi-même.

Je parvins à tenir le mois, à la force de mon orgueil, de mon plaisir étonné peut-être. Et quand il fut passé, au lieu d'être dans les bras de Joscelin, ou même seule entre mes draps, j'étais dans les appartements d'Ysandre.

Elle aurait pu me faire attendre. C'était la reine, et qu'était une heure de plus, auprès d'un mois ? Mais non, je fus informée qu'elle m'attendait, dans le même boudoir où elle m'avait fait savoir sa volonté.

"J'ai échoué, ma reine," dis-je. "Pas à suivre vos ordres, je veux dire, à vous comprendre. Je ne sais pas pourquoi vous restez si chaste, mais je sais pourquoi je l'ai fait, et cela avait tout à voir avec les injonctions de Kushiel. Et ce n'est pas le cas pour vous - je le saurais."

Je la désirais tellement. C'était pour elle seulement que je m'étais plongée dans cette frustration, et ce n'aurait été que justice qu'elle me renverse sur ses coussins si soyeux. Mon esprit ne l'espérait pas, et mon cœur n'en éprouvait pas de vrais regrets, mais mon corps ne suivait pas leur ordre, et je léchais mes lèvres sans m'en rendre compte, mes cuisses humides de désir débordant.

"Est-ce tout ?" demanda-t-elle, comme la dernière fois, joueuse et distante.

"Et parce que vous êtes mon amie." Je n'avais pas eu de réponse à ma question, et je le regrettais.

"Oh, Phèdre..." dit-elle avec tendresse. "Ma chère amie, je n'ai pas besoin que tu comprennes plus que cela. L'amitié et l'amour nous font faire des folies. Cela ne te suffit pas ?"

Pendant un instant, le désir de mon corps sembla rayonner, non plus dirigé vers elle mais vers le monde entier, et j'eus un soupir très doux. J'étais toujours jeune ; je ne comprenais toujours pas, mais je n'en avais plus besoin.

"Je suis contente," dis-je avec un faible sourire.

Et puis Ysandre se pencha vers moi, réduisant en miettes tout mon progrès et mes espoirs de sagesse.

Ses lèvres ne touchèrent les miennes que très brièvement, presque trop, une caresse douce comme une plume, et je promets que ce fut cela qui m'amena au coeur de l'extase, et non le frottement de mes cuisses. Le plaisir fut un honneur et une humiliation tout à la fois. Je restai immobile comme une statue, n'osant m'approcher ni m'éloigner d'elle, haletante pourtant.

Ysandre, une autre statue, si différente, semblait intouchée par mon émotion, comme si ce baiser n'était allé que dans un sens.

Non, ce n'était vrai qu'en apparence. Les signes les plus discrets étaient là, une flamme dans ses yeux violets, une fossette à ses lèvres souriantes, et je sus que son émotion n'avait pas à être semblable à la mienne pour être réelle.

L'aurais-je remarqué avant ? A ce jeu de maîtrise de soi, j'avais gagné, en plaisir et en perception, et en cet instant, je ne regrettais rien.

Il eut fallu m'offrir beaucoup, pourtant, pour qu'on me surprenne à y jouer une seconde fois.