Et c'est enfin reparti pour un nouveau chapitre ! J'ai pris la bonne résolution d'écrire plus régulièrement cette année, alors j'espère que vous n'aurez plus aussi longtemps à attendre la suite, mais ce n'est pas garanti :)

Meilleurs vœux à tous !

Katymyny : Sirius et Alifair sont faits pour s'entendre, ce n'est pas le regretté Lupin qui dirait le contraire !


Chapitre 12

Une journée ordinaire dans la vie de Rita Skeeter

« Cette transgression des normes juridiques et des lois naturelles que l'on nomme magie noire a connu et connaît encore de très nombreuses applications pratiques, professait la petite Russe. Les Sortilèges Impardonnables n'en sont qu'un exemple parmi d'autres… »

Par elle-même, cette dissertation n'intéressait guère Rita Skeeter : si le mystérieux expert ès magie noire auquel Viesnaya servait d'agent de liaison avait progressé dans son travail, ce n'était pas aux apprentis Aurors qu'elle l'annoncerait en premier. Harry Potter, en revanche, buvait les paroles du petit professeur. Voyait-il en elle un substitut de sa mère partie trop tôt ? Se sentait-il attiré malgré lui par cette femme plus mûre à la carrière brillante ? Ou cette fascination pour tout ce qui touchait aux arts obscurs était-elle un vestige de l'instabilité qui avait marqué son adolescence, le poussant à des conduites toujours plus dangereuses ? Après tout, ne murmurait-on pas que Vous-savez-qui avait envisagé d'enrôler la chasseuse Viesnaya parmi ses Mangemorts ?

« Je voudrais vous dire quelques mots au sujet de ce que les praticiens de la magie noire appellent communément la "pompe à magie", ou "l'extracteur de magie", continuait la petite sorcière blonde. Comme la Pierre Philosophale, la fabrication d'une pompe à magie est extrêmement complexe. En réalité, les réflexions théoriques n'ont débouché que sur un nombre très limité de réalisations concrètes. D'un coût exorbitant, ces exemplaires s'avéraient, du fait même de leur nature, à usage unique. En effet, l'extracteur, qui fonctionne par magie, finit, dès qu'il est activé, par extraire de lui-même sa propre substance… Un paradoxe que même la magie noire n'est pas parvenue à résoudre. »

Perchée sur le pupitre du banc derrière Harry, Rita le voyait griffonner à toute vitesse sur son parchemin, avide de ne rien perdre du discours de la petite étrangère ; une Plume à Papote lui aurait grandement facilité le travail. La journaliste en aurait bâillé si son apparence le lui avait permis : depuis une demi-heure qu'elle assistait au cours, elle avait acquis la certitude de ne rien apprendre d'intéressant, ni sur le consultant occulte recruté par le Ministre, ni sur le tout aussi mystérieux fiancé du professeur de défense contre les forces du Mal. Mais elle devait rester vigilante et, surtout, bien cachée : si quelqu'un l'apercevait et criait au scarabée, Potter pourrait se souvenir qu'il s'agissait de sa forme d'Animagus. Comme tout le monde, il était certainement au courant que Rita Skeeter était sortie de sa retraite pour suivre avec attention l'affaire Alifair Blake.

« Vous vous demandez peut-être à quoi sert, au juste, une pompe à magie ? suggéra la petite Viesnaya, et la nuque de Harry s'inclina tandis qu'il hochait doucement la tête.

– À pomper la magie ? » rétorqua une voix féminine d'un ton dédaigneux signifiant que la question était stupide.

Une insolence pareille aurait fait monter la moutarde au nez de Rita, mais l'intervenante se contenta d'en sourire. Après tout, en tant qu'enseignante, elle devait avoir l'habitude.

« Le fait est, Miss Verpey, convint-elle. L'utilité d'un tel artefact consiste à extraire la magie d'un objet ou d'un être vivant. Notez bien qu'il ne s'agit pas, par exemple, de capter la magie résiduelle d'un lieu imprégné de sortilèges, tel que Poudlard ou le ministère de la Magie. Il existe pour cela des procédés tout à fait légaux qui permettent de récupérer ce surplus magique afin d'alimenter des enchantements secondaires, sans causer aucun dommage. Un extracteur, au contraire, aura pour fonction de siphonner la magie constitutive de Poudlard ou du ministère : c'est-à-dire aussi bien les propriétés magiques des matériaux que tous les sorts de construction, de maintenance, d'ornement, de protection et que sais-je encore, qui leur auront été appliqués. Autant vous dire qu'aucun bâtiment n'y résisterait. »

Dissimulée derrière la trousse de l'étudiant assis sur le banc immédiatement supérieur à celui de Harry, Rita écouta le silence de l'amphithéâtre s'épaissir pendant que le public s'efforçait d'imaginer l'effondrement de ces hauts lieux de la sorcellerie subitement privés de la magie qui les faisait tenir debout. Un pouvoir pareil faisait froid dans le dos. Y avait-il moyen de broder autour une histoire publiable ?

« Aucun extracteur de cette puissance n'a jamais été construit, assura la petite Russe pour calmer ses étudiants. Il semble que ce soit impossible. »

Une main tendue émergea de la petite forêt de têtes tournées vers l'oratrice. D'un geste, celle-ci donna la parole à son propriétaire.

« Je ne comprends pas bien l'intérêt, avoua-t-il. Je veux dire, emporter d'un coup les défenses du ministère, bien sûr que ça doit intéresser les mages noirs, mais si c'est impossible… Si tout ce qu'on peut faire avec un extracteur, c'est détruire un objet ou un être vivant, il y a des moyens plus simples et moins coûteux de s'y prendre, non ? »

Un murmure approbateur suivit cette remarque, et Harry ajouta quelques points d'interrogation à sa feuille de notes. Même Rita était à présent curieuse d'entendre la réponse de Viesnaya.

« Vous avez tout à fait raison, reconnut celle-ci. La finalité ultime de la pompe à magie, pour ses théoriciens, est la réutilisation de la magie ainsi extraite. Le but est non seulement d'annihiler l'adversaire, mais aussi de récupérer son énergie magique au bénéfice du jeteur de sort. Une façon, d'après eux, de s'approprier les pouvoirs de sorciers plus puissants que soi. »

À nouveau, les murmures des étudiants troublèrent le silence, et Rita profita de l'inattention générale pour ramper d'une trousse à l'autre en direction du mur. À cette époque de l'année, les fenêtres de la salle étaient fermées, mais il lui serait plus facile de voler discrètement jusqu'à la porte si elle longeait la bordure inoccupée des gradins. Quant à ce que racontait à présent le petit professeur, pures fadaises ! Il était évident que, si une telle chose existait, Vous-savez-qui l'aurait ajoutée à son arsenal ; Viesnaya cherchait seulement à impressionner ces jeunes blancs-becs. Une journaliste d'investigation aussi expérimentée que Rita Skeeter ne s'en laissait pas compter, elle. En outre, elle avait mieux à faire que d'écouter raconter n'importe quoi.

« À notre connaissance, personne n'a jamais réussi cet exploit, avoua d'ailleurs la petite ex-chasseuse avant même qu'on lui pose la question. La magie se dissipe sitôt extraite, quel que soit l'enchantement ou le dispositif de récupération utilisé. Il est possible que, là encore, l'échec soit inévitable. Pour autant, certains praticiens de la magie noire continuent d'explorer cette voie. Peut-être un jour y serez-vous vous-mêmes confrontés. »

La perspective de se retrouver face à un extracteur de magie, même imparfait, fit grimacer plusieurs étudiants. Rita avait assez perdu de temps. Après un dernier coup d'œil craintif en direction de Harry – qui rêvait tout éveillé devant la petite sorcière aux yeux couleur miel – elle ouvrit ses élytres, déploya ses ailes et s'envola. Filant le long du mur de pierre, elle atteignit la porte sans que personne la remarque et n'eut plus qu'à se faufiler sous le panneau pour sortir.

Le cours finissait à dix-sept heures. Cela lui laissait largement le temps d'aller boire un ou deux verres au Chaudron Baveur et de prêter l'oreille aux rumeurs des conversations : Rita ne connaissait pas de meilleure méthode pour prendre le pouls de l'opinion publique. Ensuite, elle n'aurait plus qu'à se poster près de la sortie de l'académie des Aurors afin de guetter l'apparition de la blonde intervenante. Avec un peu de chance, le fiancé-mystère viendrait attendre sa belle et, avec beaucoup de chance, il y aurait là matière à article.

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« Que devons-nous faire ? » interrogea Samuel Stevens.

Le gouverneur lui adressa un sourire amusé qui se refléta sur la surface lustrée de son bureau.

« À propos de souvenirs obtenus par une intrusion mentale aussi subtile qu'illégale ? Tu sais aussi bien que moi qu'ils sont juridiquement irrecevables. »

Le directeur de la Sûreté magique lui rendit son sourire.

« Et tu sais aussi bien que moi que ce n'était pas le sens de ma question, répliqua-t-il. Devons-nous creuser dans cette direction jusqu'à trouver de quoi déclencher une action légale – éventuellement ? »

Corneille Avisée réfléchit, ses yeux sombres plongés dans la contemplation du lustre au design contemporain qui, en ce jour pluvieux, éclairait la pièce. Les informations glanées par le jeune Malefoy indiquaient plusieurs pistes à suivre si l'on voulait mettre au jour les malversations financières des gobelins et leur implication dans l'économie de la Californie non-maj' – pas tout à fait illégale, puisqu'ils n'avaient aucun contact direct avec leurs partenaires d'affaires ignorants du monde magique, mais bien trop poussée pour être conforme à l'esprit des lois sur la protection des Non-Maj'. Lever ce lièvre ne faisait toutefois pas partie des objectifs à court ou moyen terme du gouverneur.

« Un peu de renseignement ne fait jamais de mal, déclara-t-il en choisissant ses mots. Sans aller déjà jusqu'à collecter les preuves ou recueillir les témoignages, il serait bon de s'assurer d'être en mesure de le faire, le cas échéant. »

Stevens hocha la tête : il s'attendait à cette réponse.

« Je vais mettre Brosnan sur le coup : il est la discrétion même. Mais, honnêtement, je doute que ce soit nécessaire. »

Avec un léger gloussement, Silver Douglas croisa les jambes dans son fauteuil en cuir.

« Je sais ce que tu penses des gobelins, Sam ! Trop opportunistes pour ne pas sauter à pieds joints sur l'occasion.

– Et fiers, renchérit Stevens. Sans compter la perspective alléchante d'accroître leur pouvoir…

– Ça, il faut encore que nous en discutions, tempéra le gouverneur. Mais ces gaillards sont durs en affaires, et bien trop prudents pour foncer tête baissée dans un projet pareil. Peut-être auront-ils besoin d'un peu de… persuasion. Dans tous les cas, dès qu'ils seront au courant, nous aurons besoin d'être assurés de leur silence. »

Le directeur de la Sûreté magique afficha une moue songeuse.

« Je ne crois pas qu'ils nous dénonceraient, dit-il, même s'ils refusent de se rallier à notre projet. Ils seraient trop contents de voir les sorciers s'écharper entre eux ! »

Douglas s'esclaffa. Il tendit la main vers l'élégante carafe en cristal qui luisait doucement sur son bureau et leur resservit à tous deux un verre de Thunderbird Spirit. Produit par la distillerie dont il était propriétaire, il s'agissait du meilleur bourbon de l'État – et du plus cher.

« Je ne serais tout de même pas contre le fait de disposer de quelques moyens de pression, insista le gouverneur. Juste au cas où.

– Tu les auras », assura Stevens.

Silver Douglas trempa les lèvres dans son verre. Il fit rouler l'alcool dans sa bouche, en appréciant la brûlure sur sa langue.

« À propos du jeune Malefoy, reprit-il. Le contrat est signé ? »

Ce fut au tour de Stevens de glousser de rire, apparemment très amusé par quelque chose, ce qui éveilla aussitôt l'attention du gouverneur.

« Comme tu le sais, nous vérifions toujours que nos futures recrues ne sont soumises à aucun conflit d'intérêt : pas de Serment Inviolable en cours, ni de contrat de loyauté ou tout autre moyen magique de coercition, expliqua Stevens. Or, quelle ne fut pas notre surprise quand nous avons découvert… »

Il laissa sa phrase en suspens, attisant ainsi la curiosité du gouverneur.

« Oui ? relança celui-ci, les yeux brillants d'intérêt.

– Un rituel de haute magie, annonça Stevens avec emphase.

– Rien que ça ? s'ébahit Douglas.

– Rien que ça, confirma le directeur de la Sûreté. Je n'ai pas compris tous les détails mais cela semble découler d'un litige avec un ancien camarade de classe. Il est possible que sa mère soit également concernée… Bref, jusqu'en juin prochain, Mr Malefoy ne peut passer que trois heures par mois dans le monde magique, et lui et sa mère doivent se partager une seule baguette. »

Silver Douglas en resta pantois.

« Par les plumes de l'Oiseau-Tonnerre ! émit-il enfin. Et nous n'avions rien remarqué…

– Ils sont forts, reconnut volontiers Stevens. Pour en être arrivés là où ils sont malgré ces contraintes…

– Remarquable, abonda le gouverneur. Et remarquable d'avoir obtenu de lui qu'il vous confie tout ça.

– Nous avons nos méthodes, répondit Stevens, sibyllin.

– Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler », fit innocemment Corneille Avisée.

Quoi de mieux que le Veritaserum pour tester la fiabilité de futurs agents secrets ? Pas très réglementaire, peut-être, mais tellement efficace…

« Quoi qu'il en soit, voilà qui compromet nos plans, soupira Douglas. Quel dommage, alors que nous tenions enfin un vrai legilimens ! »

Devant le sourire énigmatique qui flottait encore sur les lèvres du directeur de la Sûreté, le gouverneur songea qu'à tout problème, il y avait une solution. Si Brosnan était la discrétion même, Stevens, lui, ne manquait pas de ressources.

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C'est à regret que Rogue avait laissé Viesnaya emporter la cage de Faraday pour la rendre aux Aurors ; à regret aussi qu'auparavant, il l'avait regardée noter noir sur blanc leurs conclusions, qu'elle communiquerait à l'analyste. Les héroïques chasseurs de mages noirs du ministère ne comprendraient jamais la finesse, la subtilité de ce qu'ils avaient entre les mains. Quant aux mystères qui restaient à percer, ils leur passeraient allègrement au-dessus de la tête. Par chance, il n'en allait pas de même pour les portraits de la maison Faraday.

« Mais comment peut-on faire une chose pareille ? s'effara Mona Faraday après que Rogue leur eut expliqué en quoi consistait une pompe à magie.

– Avec une débauche de maléfices majeurs impliquant une multitude de substances rares, prohibées et affreusement chères, additionnées de quelques sacrifices, expliqua posément le sorcier depuis son fauteuil attitré. Ou bien d'une manière relativement simple et, reconnaissons-le, élégante. Deux enchantements seulement : une formidable économie de moyens. Le fait que cette pompe n'ait pas été destinée à recueillir la magie, mais à la faire disparaître, a certes dû grandement faciliter les choses…

– Il n'en reste pas moins que modifier l'enchantement Siphon ne s'est pas fait sans recourir à quelques maléfices majeurs et interdits, remarqua le portrait de Roger Dunbar.

– Et des sacrifices ? Il n'y en a pas eu ? voulut savoir Georgina, frétillante d'excitation.

– Pour une manipulation de cette ampleur, c'était inévitable, répondit Rogue avec un rictus sinistre. Il est des transgressions que seul le sang peut acheter.

– Sur ce point, nous vous croyons sur parole, glissa Roger d'une voix douce.

– Ça me semble tout de même bien compliqué, marmonna le portrait de Tommy. Si le but n'était pas de récupérer la magie de Crickey puisque c'est impossible, pourquoi se donner tant de mal ?

– C'est une démonstration de force, c'est évident ! asséna le colonel Fennimore. Guerre psychologique, comme dirait Alifair !

– C'est aussi ce que j'ai pensé, reconnut Roger Dunbar, mais…

– Pour impressionner les autorités, il aurait déjà fallu que celles-ci comprennent ce qu'elles avaient sous le nez, compléta Rogue. Ce qui, vu leurs compétences en matière de magie noire, n'était pas gagné d'avance…

– Et les milieux de la magie noire, justement ? rebondit le portrait de Tommy. Est-ce qu'eux n'auraient pas pu comprendre ? C'est peut-être à eux que le message était destiné ! »

Le colonel se rallia bruyamment à cette hypothèse, mais Rogue restait sceptique.

« Le peu d'informations diffusé par la presse ne permettrait à personne de deviner la nature de ce que contenait l'artefact, objecta Roger Dunbar, donnant voix sans le savoir aux doutes du sorcier.

– Mais s'il s'agissait d'attenter à la vie de Crickey, pourquoi s'y prendre d'une manière aussi complexe ? » s'étonna Mona Faraday.

Dans le cadre au-dessus de la cheminée, les autres portraits demeurèrent silencieux. Blottie près de l'âtre crépitant, la principale intéressée tisonnait le feu d'un air distrait. Rogue se demanda ce que Crickey avait entendu de la conversation ; il savait que son esprit était tout entier tourné vers sa précieuse maîtresse, où qu'elle se trouvât en cet instant. L'elfe n'avait rien manqué de crucial : ils tournaient en rond. Plus ils en décryptaient le mode opératoire, plus cet attentat devenait insensé. C'était à n'y rien comprendre.

« À moins que… »

Tous les regards convergèrent aussitôt vers le visage rond et débonnaire de Roger Dunbar qui venait de murmurer pour lui-même.

« À moins que quoi ? l'encouragea Rogue.

– Oh, je ne sais pas trop…, fit Roger, embarrassé. Rien, en fait… Juste une idée qui m'est passée par la tête…

– Ne vous faites donc pas prier, que diable ! rugit le colonel si brusquement que tout le monde sursauta. En temps de crise, toutes les idées sont bonnes à prendre !

– Et si celle-ci est mauvaise, on l'oubliera, voilà tout », renchérit Georgina.

Roger Dunbar eut un sourire timide.

« Eh bien, je me demandais juste… D'après ce que j'ai compris, le principal problème qu'ont rencontré tous les concepteurs de pompe, outre la redirection de l'énergie magique vers un dispositif de stockage qui permettrait son utilisation, c'est le fait que l'extracteur s'autodétruit en quelques instants, n'est-ce pas ? » résuma-t-il à l'adresse de Rogue.

Bien qu'il eût fallu le payer très cher pour qu'il daigne l'avouer, le sorcier avait été impressionné par l'aisance avec laquelle le portrait avait intégré ses explications concernant les extracteurs de magie. Roger avait deviné la nature du dispositif d'après les éléments d'analyse qu'en avait tiré Rogue ; il en savait bien moins qu'un mage noir sur le sujet, mais n'avait eu aucune difficulté apparente à digérer le surplus de renseignements apporté par l'ancien espion.

« C'est exact, confirma celui-ci, curieux d'entendre la suite.

– Admettons que la personne qui a construit notre pompe n'ait pas réussi à résoudre cette difficulté, poursuivit Roger. Admettons qu'elle en ait eu parfaitement conscience. Elle savait donc que, comme ses prédécesseurs, son extracteur s'effondrerait rapidement sur lui-même après avoir fait disparaître sa propre magie via Evanesco. Ce qui signifie que, comme ses prédécesseurs, il ne parviendrait pas à pomper la totalité de la magie d'une créature aussi complexe qu'un elfe de maison. Il n'en aurait pas le temps.

– Je ne vois pas ce que ça change, objecta Rogue. L'extraction est un processus violent qui ne laisse pas indemne l'objet ou l'être qui y est soumis. Que la totalité de sa magie lui soit arrachée ou pas, Crickey n'aurait pas survécu.

– Eh bien, je me le demande, répliqua Roger de sa voix douce. Qu'est-ce que tu en dis, Crickey ? »

À la mention de son nom, l'elfe se redressa. Rogue s'attendait à ce qu'elle s'excuse de n'avoir pas suivi les derniers échanges, aussi fut-il surpris de l'entendre répondre, le plus simplement du monde :

« Cela dépend de la quantité de magie dont il est question, Monsieur. Les elfes de maison peuvent survivre quand on leur coupe un bras ou une jambe, ce qui correspond à la perte durable d'une certaine quantité de magie. Crickey croit savoir que quelques-uns ont même survécu à la perte simultanée de plusieurs membres, mais il devait s'agir d'individus particulièrement résistants.

– Oh, Seigneur ! » gémit Mona Faraday, livide.

Rogue imaginait sans peine la tête que ferait la propriétaire de Crickey, à l'entendre ainsi parler tranquillement de mutilations abominables infligées par des maîtres sadiques. La maltraitance séculaire qu'avait subi cette espèce aboutissait à de bien curieux effets, songea-t-il.

« Il faut savoir, continuait Crickey sur sa lancée, que, plus les dommages sont importants, plus la guérison sera lente, et pendant tout ce temps l'elfe ne sera pas en mesure d'employer sa magie à autre chose. C'est pourquoi, bien souvent, les elfes amputés décident de stopper le processus de guérison avant la repousse du membre coupé, afin de pouvoir retourner travailler plus tôt.

– Tu veux… tu veux dire que… vous pouvez faire repousser vos membres ? balbutia le portrait de Tommy, éberlué.

– Oui, Monsieur, confirma Crickey avec un hochement de tête. Mais cela consomme beaucoup de magie, ce qui peut rendre l'elfe moins efficace qu'auparavant : raison de plus de ne pas aller jusque-là. Mieux vaut perdre un bras que ne plus pouvoir jeter de sorts de nettoyage », conclut-elle, pragmatique.

Tous les portraits la dévisageaient, bouche bée ; les yeux peints de Georgina et de sa mère brillaient de larmes. Rogue, lui, tâchait dignement de conserver un visage impassible.

« Vu les capacités de résistance des elfes, je pense que vous conviendrez tous que mon hypothèse tient la route, déclara alors Roger Dunbar, rompant le silence. Le but n'était peut-être pas de tuer Crickey, mais plutôt de lui donner une leçon. Une leçon dont elle ne sortirait pas indemne. »

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Le soir tombait sur Londres. Après s'être gelé les élytres pendant presque trois quarts d'heure sur un rebord de fenêtre exposé au vent glacial, Rita était de retour au Chaudron Baveur. D'abord une Bièraubeurre chaude pour se mettre en train, puis un Dragon's Lair pour y noyer sa frustration : elle se sentait un peu mieux à présent, bien que l'après-midi se soit révélée décevante.

Viesnaya avait transplané à peine sortie de l'académie sans que son fiancé ait montré le bout de son nez. Ce solitaire qui intriguait tant les commères de Pré-au-Lard était pourtant bien une bague de fiançailles ! Comble de malchance, la première incursion de Rita au Chaudron Baveur n'avait été qu'une perte de temps : avant la sortie des bureaux, le bar était presque vide, sauf pour un trio de vieilles à moitié gâteuses venues s'encanailler autour d'une camomille (Rita détestait jusqu'à l'odeur de la tisane) et une famille de touristes gallois à la conversation insipide. Rita en était tellement écœurée qu'elle avait failli rayer le pub de la liste de ses points de chute favoris. En véritable professionnelle, elle s'était cependant refusée à rester sur un échec, et avait donc accordé une deuxième chance à l'établissement. Si elle en ressortait sans tuyau, au moins pourrait-elle rendre un avis éclairé sur la qualité des cocktails – qui n'allait pas en s'améliorant, se dit-elle en sirotant son verre.

De plus en plus dense à mesure que la nuit s'épaississait et que le froid se faisait plus mordant à l'extérieur, la foule des consommateurs ouvrait enfin de nouvelles perspectives. Comme Rita elle-même, les Gallois étaient revenus – ils logeaient à l'étage, sans doute – mais il y avait bien plus intéressant : un troupeau de gobelins de Gringotts près de la cheminée, le grand dadais qui servait d'esclave à cet étonnant elfe libre de Dr Osborne – il faudrait que Rita obtienne une interview de lui, un de ces jours, il y aurait certainement matière à en tirer quelque chose de bien scabreux – quelques employés du ministère assez haut placés pour avoir des secrets à cacher, et…

Telle la truffe d'un limier, le regard de Rita se braqua sur une petite table à laquelle une femme seule était assise. Ce visage maigre, cireux, ces épais sourcils noirs, ces lèvres fines, ce menton : sur les vieilles photos que Rita avait exhumées au cours de son travail préparatoire, elle arborait déjà ces traits caractéristiques dont son fils avait hérité. D'après la rumeur, après des décennies d'absence, elle venait d'amorcer un retour timide dans le monde de la sorcellerie. Rita n'y avait pas cru, et voilà qu'elle en avait la preuve juste sous les yeux.

« Eileen ! Mais c'est merveilleux de vous voir ! » s'exclama-t-elle après s'être frayé un chemin jusqu'à la table, son verre à la main.

Eileen Rogue leva vers elle un regard étonné et un peu effrayé.

« Je… Excusez-moi mais… est-ce… est-ce que nous nous connaissons ? balbutia-t-elle d'une voix timide.

– Pas encore, ma chère, mais cela ne saurait tarder », assura Rita avec un large sourire.

Sans cérémonie, elle prit place sur la chaise vide en face d'Eileen.

« Oh, euh…, protesta faiblement celle-ci, éperdue. C'est que j'attends quelq…

– Figurez-vous que j'ai un grand projet, et qui vous concerne, l'interrompit Rita avec entrain. Mais d'abord, je me présente : Rita Skeeter, journaliste d'investigation.

– Rita Skeeter ? répéta Eileen, si effarée qu'elle n'osa même pas serrer la main aux ongles rouges et pointus que lui tendit la journaliste.

– En chair et en os, répondit Rita sans se démonter. Le projet dont je parle porte sur votre regretté fils, ce héros si injustement méconnu. Voyez-vous, j'envisage de lui consacrer une biographie. Vous avez peut-être eu l'occasion de parcourir le livre que j'ai publié sur Albus Dumbledore…

– Un ouvrage édifiant ! intervint une voix enthousiaste. Je n'imagine pas le travail d'enquête que cela a dû vous demander ! »

Une blondinette à l'air à peine sortie de l'école venait d'apparaître près de leur table. Les yeux de Rita s'écarquillèrent derrière ses lunettes ornées de fausses pierres précieuses.

« Ça, par exemple ! Agent Wilde ! Si je m'attendais…

– Vous connaissez Nora ? s'étonna Eileen que ce fait sembla rassurer quelque peu.

– Je ferais bien mal mon travail si ce n'était pas le cas ! s'esclaffa Rita dans son Dragon's Lair. Vous savez sans doute que je couvre l'affaire Alifair Blake ? Je connais le nom de tous les agents de la BPM qui assuraient la sécurité ce jour-là, et aussi celui d'une bonne partie du public. Leur nom et bien d'autres choses… Mais vous, agent Wilde, vous êtes pleine de surprises, ajouta-t-elle d'un air entendu. Qui aurait cru que vous comptiez parmi vos relations la mère du célébrissime professeur Rogue ?

– Nous sommes parentes, se rengorgea aussitôt Nora. Eileen est la petite cousine par alliance de ma mère.

– Vous m'en direz tant…, murmura Rita en la couvant d'un regard calculateur.

– Nora m'aide à reprendre pied, précisa Eileen. Depuis la mort de mon époux, l'été dernier, j'ai décidé de… de renouer avec mes racines magiques, et… enfin, c'est un peu compliqué quand on… on est parti depuis longtemps… »

Sa voix s'étrangla devant les yeux perçants que braquait sur elle la journaliste.

« Fascinant, déclara Rita à mi-voix. Vous savez, Eileen, j'aimerais beaucoup que nous prenions rendez-vous pour en discuter. Un parcours comme le vôtre, c'est tellement exotique, tellement riche d'enseignements ! Nous pourrons en profiter pour parler plus en détail de la biographie de votre fils. Je suis sûre que vous avez énormément de choses à nous apprendre à son sujet ! »

Eileen ne paraissait guère convaincue mais Nora applaudit à cette idée.

« Oh, ce serait formidable ! En plus, tu pourrais peut-être en tirer un petit intéressement financier, tantine ? suggéra-t-elle en regardant, non pas Eileen, mais Rita.

– Nous en discuterons plus tard, susurra celle-ci sans perdre son sourire. Eh bien, mesdames, je ne vais pas vous déranger plus longtemps, déclara-t-elle en se levant pour laisser sa chaise à Nora. Eileen, je vous contacterai très bientôt pour fixer ce rendez-vous ! »

Extrêmement satisfaite de la tournure qu'avait prise sa soirée, Rita fila vers le bar commander un autre verre. Un peu éclipsé par les déboires de la commission à l'émancipation des elfes puis les dernières mésaventures de la plus turbulente des Moldues, son projet de biographie de Severus Rogue semblait prêt à repartir sur de bons rails ! Il faudrait sans doute pousser un peu la terne Mrs Rogue pour qu'elle consente à coopérer, mais elle paraissait assez facilement manipulable ; et puis, la petite cousine par alliance serait sans doute trop heureuse d'aider Rita à la convaincre !

La journaliste vida la moitié de son whisky Pur Feu avant de parcourir la salle d'un regard circulaire. Les Gallois étaient montés mettre leurs enfants au lit, Nora et Eileen papotaient ; le groupe de gobelins avait disparu, l'esclave d'Osborne était en train de lever le camp, et les employés du ministère lui semblaient du menu fretin sans intérêt maintenant qu'elle les regardait mieux. Rita n'avait pourtant pas envie de rentrer chez elle tout de suite, après que cette agréable rencontre avait chassé le souvenir de son pénible après-midi passé à surveiller vainement la petite Viesnaya. Viesnaya…

Dans le milieu journalistique, il se disait qu'elle s'était tout récemment rendue plusieurs fois à une certaine adresse. Pour y tenir une certaine elfe au courant de l'avancée de l'enquête sur la disparition de sa maîtresse ? Ou rencontrer ce fameux consultant que personne à part elle n'avait jamais croisé et dont le lieu de résidence restait inconnu ? Tant de questions sans réponse…

Rita regarda sa montre : à cette heure, les gens laborieux buvaient un dernier verre au coin du feu avant d'aller se coucher, surtout les étrangers qui ne connaissaient personne avec qui sortir. Le moment était donc parfait pour une petite excursion clandestine du côté de la maison Faraday.


"Ciel, quel suspense ! Mais que va-t-il se passer ?" Je ne sais pas, à votre avis ? ;)