Stiles n'eut pas le temps de passer les portes du restaurant. On l'attrapa, on le tira violemment en arrière. On le plaqua contre un mur et si le geste lui rappela vaguement un ancien alpha qu'il avait appris à apprécier, la façon dont c'était fait n'était pas la même. Car il fut poussé avec une telle violence que son souffle s'en retrouva coupé en un instant. La rapidité de tout cela l'empêcha de ressentir de peur… Pour le moment. Son cœur rata un battement. Un frisson violent le parcourut.
- Qui t'envoie ?! Lui demanda-t-on de manière agressive.
Stiles ferma les yeux une seconde et fut obligé de prendre le temps de retrouver son souffle.
- Je…
- Pas ici, Driss. Faites ça ailleurs, grogna-t-on un peu plus loin.
Sans comprendre ce qui était en train de lui arriver, Stiles se retrouva solidement attrapé et traîné hors du restaurant. On l'emmena derrière le bâtiment et l'hyperactif fut trop sonné pour réagir. Pour résister. Tenter de démêler le vrai du faux. On le jeta à terre sans vergogne, avec une violence telle que Stiles eut à nouveau le souffle coupé. Il… Pourquoi ?
- Qui t'envoie ?! Répéta-t-on.
Stiles releva la tête vers ses agresseurs, sonné. Leur regard transpirait la haine, la prédation, la colère, mais ce n'était pas vraiment ce qui inquiéta l'hyperactif à cet instant.
Non, c'était plutôt cette aura sauvage qu'ils dégageaient. Une aura qu'il connaissait bien mais qu'il refusa de voir réellement. Il choisit alors d'être honnête.
- Personne, je… Je cherche juste du travail. Je n'ai pas imprimé de CV mais…
- Ne te fous pas de notre gueule ! S'exclama l'un d'eux. Tu pues le loup à des kilomètres alors avoue-le. Avoue que tu es venu provoquer notre meute. Mais que la tienne le sache : nous ne cèderons pas la moindre parcelle de notre territoire.
- Mais je ne suis pas…
- Ferme-la, humain, cracha un autre.
- Euh… Je suis désolé de vous décevoir mais je ne suis pas du genre à me taire, ne put s'empêcher de lâcher Stiles.
Sa franchise et son hyperactivité parlaient pour lui, un peu à sa place d'ailleurs. Stiles avait toujours eu du mal à se réfréner, à retenir une parole lorsqu'elle voulait sortir. Si ses récents malheurs l'avaient calmé, sa personnalité n'avait pas changé et Stiles se sentait obligé de leur apprendre qu'il n'était pas très coopératif. Pour lui, interdiction rimait avec transgression.
Sauf qu'il aurait dû faire l'inverse. S'écraser. Ne pas lâcher un mot de trop. Faire attention à ces loups-garous peu commodes. D'autant plus qu'il était toujours à terre, dans un petit espace derrière le restaurant et qu'il s'était seulement redressé. Dans sa tête, de nombreuses alarmes résonnaient et tiraient sur le rouge. Mais Stiles n'y faisait qu'à moitié attention. Il aurait définitivement dû.
Parce que le peuple lupin n'était jamais tendre et qu'il ne fallait pas le provoquer, encore moins lorsque certains de ses membres étaient en colère, à cran.
Stiles n'eut pas mal tout de suite et à vrai dire, il mit un peu de temps à comprendre ce qu'il venait de se passer. A réaliser qu'on venait de le frapper, lui faire mordre la poussière. Lui, l'humain trop bavard, celui qu'on rêvait de réduire au silence.
- A partir de maintenant, fit un homme au crâne rasé. Tu te contentes de répondre à nos questions et t'as pas intérêt de mentir.
Il l'attrapa par les cheveux et le redressa durement en tirant sa tête en arrière. Stiles fit le fier et ne fit que grimacer. Pas un gémissement ne passa la barrière de ses lèvres. Un coup de chance qu'il ait réussi à se contrôler pour cette fois. Toutefois, qu'en serait-il du reste ? Stiles n'avait pas une carrure impressionnante et l'on pouvait même dire qu'il était de fine constitution. Le sport et lui, ça faisait dix et à côté de ça, il mangeait sans compter. Pourtant, il n'arrivait pas à se remplumer. Disons surtout que par rapport à des loups-garous, eh bien… Il faisait tout, sauf le poids. Faire le fier n'y changerait rien, bien au contraire.
- Ta meute. Dis-nous où elle est.
Le ton était sombre, menaçant. Emplie de cette chose singulière qui ressemblait à un appel au meurtre, quelque chose de si sauvage que Stiles en frissonna – et qui l'empêcha de faire une remarque sur son nez un peu tordu. Oui, ce ton lui sauva probablement la vie puisqu'au final, l'hyperactif eut l'intelligence de répondre et de choisir la carte de l'honnêteté :
- Je n'ai plus de meute.
Il avait du mal à parler à cause de cette position plus qu'inconfortable. S'il avait peur ? Pas vraiment, pas encore. Pas trop. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait au bord de l'exécution, pas la première fois non plus qu'il affrontait un danger mortel. Aucune menace lupine était à prendre à la légère, et c'était l'habitude qui l'empêchait de paniquer. Et puis… N'avait-il pas vécu une scène semblable, quelques jours plus tôt ? Un instant, le visage de son agresseur fut remplacé par celui, bien moins sauvage et bien plus sombre dans son expression, de Scott. Là, Stiles eut un frisson acéré, une espèce de décharge électrique qui le traversa de part en part. Ça, ça lui faisait peur. Un rire gras parvint à ses oreilles. Ça aussi, ça le tétanisa.
- C'est que le petit humain ne doit pas être très fiable… Etonnant qu'il n'ait pas été tué, entendit-il.
Stiles se souciait assez peu de qui parlait. Il se concentrait surtout sur ses réflexions intérieures et un moyen de se sortir de cette situation. Sa priorité restait de trouver du travail. Vraisemblablement, ce n'était pas ici qu'on accepterait sa présence.
- Je suis parti, articula-t-il aussi bien qu'il le pouvait, ce qui était assez difficile dans cette position.
Et surtout, il essayait de garder son calme car si la peur ne l'avait pas saisi de prime abord, le jeune homme commença doucement à basculer. Il n'aimait pas ces regards sur lui… Surtout que sa révélation n'eut pas l'air d'apaiser les tensions, bien au contraire. Autour de lui, on se tendit et l'animosité, loin de diminuer… Il la sentit le traverser. Pourquoi réagissait-on ainsi ? Stiles s'efforça de ne pas céder à cette espèce de panique qu'il frôlait déjà. Il n'avait pas de souci à se faire : il avait dit la vérité.
Une partie de la vérité.
- Je crois que tu ne nous dis pas tout humain alors un conseil si tu veux garder ta gorge intacte : sois honnête avec nous.
Stlies ouvrit les yeux en grand. Bien sûr qu'il leur avait tout dit ! Certes, on l'avait aussi un peu renié, mais… C'était lui et lui seul qui avait pris la décision de s'en aller, tout quitter… Rompre le contact avec sa meute pour sauver sa peau. Ainsi, Stiles trouvait son explication parfaitement complète en ce sens-là. S'il était assez lucide pour comprendre toutefois que quelque chose devait lui avoir échappé, il savait qu'il ne pouvait en vouloir à cette meute d'autant se méfier de lui. Le monde surnaturel n'était pas tendre et les guerres qu'il pouvait y avoir entre meutes pouvaient s'avérer très sanglantes, chacune protégeant jalousement son territoire. En revanche, Stiles ne voyait pas comment il pouvait encore porter l'odeur de ses anciens amis sur lui. Cela faisait des jours qu'il ne les voyait pas, des jours qu'il avait coupé les ponts avec eux. Blague à part, cette position qu'on lui imposait était extrêmement inconfortable et l'empêchait de réfléchir à fond. Tout ce qu'il savait, c'est que son ancienne appartenance à la meute de Scott risquait de lui coûter très cher… Pour rien, au final. Enfin… La crainte pour une meute de perdre son territoire était légitime mais Stiles… Il cherchait juste un boulot, merde ! Comment les choses avaient-elles pu déraper ainsi ? L'hyperactif avait pris quelques coups qu'il avait, fort heureusement, peu sentis – son corps aurait toutefois tout le loisir de s'en souvenir plus tard – à cause de l'adrénaline et de l'étonnement. Cependant… Eh bien, il ne comprenait pas.
Alors forcément, il ne savait pas quoi répondre. Lui qui d'ordinaire parlait sans s'arrêter se retrouvait dépourvu de tout mot.
Et ça, ça ne plut pas aux loups-garous.
La seconde d'après, Stiles mordit la poussière. Un gémissement rauque passa la barrière de ses lèvres. Cette fois, il ressentait la douleur… Ou parce qu'il avait finalement un peu peur, ou parce que ce coup-ci était plus fort que les précédents. Il avait l'impression que l'on avait totalement écrasé son estomac et que l'intégralité de ce qu'il contenait allait remonter jusqu'à exploser hors de sa bouche.
La seule chose qui en sortit fut une gerbe de sang après qu'un poing ait rencontré son visage toujours aussi pâle.
Là, Stiles se demanda fugacement comment diable il allait se sortir de là. De cette situation qu'il avait provoquée sans savoir comment. Dans ce cas précis, il ne pouvait rien faire à part tenter comme il le pouvait de protéger sa tête. Du reste, tenter de se défendre et, par conséquent, de provoquer ses assaillants était une mauvaise idée. Ils étaient déjà suffisamment en colère, pas besoin d'en rajouter… D'autant plus que Stiles n'avait ni le physique, ni la force adéquate pour tenter de rivaliser avec eux. Le plus perturbant, c'était de savoir qu'ils se retenaient. Les coups pleuvaient sur son corps humain mais… Pas aussi fortement qu'ils pourraient l'être.
Chacun de ces loups pourrait lui briser les os en un geste. Mais aucun ne le faisait. Parce qu'il était humain. Parce que ce qu'on voulait, c'était le faire parler et, hypothétiquement, l'amocher suffisamment pour envoyer un message d'avertissement à sa meute. Car quoi que ces gens-là avaient sous-entendu, ils ne comptaient pas le tuer. Non, il fallait qu'il serve d'exemple. Ignorant les geignements et plaintes de Stiles, ils continuèrent de s'atteler à la tâche alors même qu'ils lui aboyaient des ordres, le sommant de leur révéler ses véritables intentions. D'arrêter de mentir. S'ils prenaient la peine d'écouter les battements complètement désordonnés de son cœur, sans doute auraient-ils compris que l'humain ne faisait rien de plus que leur dire la vérité, mais… Faire attention à ce genre de détails, ce n'était pas leur truc.
Pour être honnête, Stiles n'avait pas beaucoup d'options et il songea brièvement malgré lui à lâcher le nom de Scott, juste… Juste pour qu'on le laisse tranquille. Dire que son ancienne meute se trouvait à Beacon Hills. Qu'ils l'avaient renié et qu'il avait par la suite lui-même décidé de partir. Qu'il n'avait rien demandé. Que l'alpha qu'incarnait son ex meilleur ami méritait bien le genre de torgnoles qu'on était en train de lui infliger, à lui.
Mais il ne dit rien. Ne trahit pas son ancienne famille.
Stiles se recroquevilla sur lui-même, se protégea la tête comme il le put. Ne pas perdre connaissance. Il ne devait surtout pas perdre connaissance. Ainsi, il répéta péniblement et difficilement ce qu'il avait déjà dit. Chaque mot fut entrecoupé par un gémissement de douleur et l'hyperactif devint si bruyant qu'un loup se saisit de lui, l'entoura d'un bras et plaqua brutalement sa main libre sur sa bouche pour étouffer ce qui se transformait peu à peu en cris. Il y eut un instant de flottement, un instant où il ne se passa rien. Cette fois, Stiles ne pouvait plus nier l'évidence : il avait peur de la suite. Impossible pour lui de contrôler la situation, ni même de faire entendre raison à ces hommes. Il était victime d'un malentendu et… On ne comptait pas le lâcher. Alors là, pendant cette seconde d'inertie, il laissa son corps s'exprimer. Trembler. Perçut à peine la sonnerie agaçante d'un téléphone, qui lui rappela qu'il ne pouvait pas attraper le sien. Et même s'il l'avait pu, qui aurait-il appelé ? Il n'avait plus personne.
Ce seul constat lui écrasa le cœur et suffit à lui faire ressentir une douleur plus grande encore que chacun des coups qu'on lui avait assenés.
Il était seul et si jamais il disparaissait… Eh bien dans un sens, c'était déjà le cas. Alors, on ne le chercherait pas. On ne le trouverait pas. On ne se demanderait pas où il était passé puisqu'il était parti de son plein gré avec le souhait explicité de ne pas être retrouvé. Parce qu'il voulait être seul, libre. Loin de ces gens qui le considéraient comme un monstre. Libre, pour vivre sa vie au lieu de tenter chaque jour d'y survivre.
Le poing qui s'enfonça durement dans son ventre lui fit voir les étoiles une longue seconde, faisant ainsi valser son horrible prise de conscience.
Si on voulait le tuer, on n'aurait aucun mal à le faire.
Autour de lui, le monde commença à tanguer et sa tête, à tourner. Son regard bougea lentement. Les hommes n'étaient plus que des ombres informes. Une silhouette abstraite s'approcha d'eux d'un pas rapide. Stiles n'espéra rien, il commençait déjà à partir. La main de celui qui le maintenait prisonnier commençait à sérieusement le gêner dans sa respiration.
- Les mecs ! On a un problème…
C'était bête, parce que les coups n'étaient pas si forts. Stiles en avait juste reçu beaucoup… Et ne les ressentait pas complètement, comme s'il n'était qu'à moitié présent. Peut-être était-il également en train de céder à une espèce de crise de panique ou quelque chose s'y apparentant. Son cœur battait trop vite. Il respirait mal. Si la peur lui avait été étrangère au départ tant il avait si souvent été en mauvaise posture dans sa vie, elle le traversait désormais de part en part. Ses yeux se révulsèrent. La main sur sa bouche l'étouffait. Il se revit soudain face à Scott. Se rappela sa main à lui, enserrant son cou sans vergogne.
Stiles perdit pied et sentit ses dernières forces quitter son corps tremblant.
- Oh oui, fit soudain une voix de femme qu'il entendit à peine, une voix forte. Vous avez un problème… Un gros problème.
