Le cauchemar

Buck était resté dans le magasin aussi longtemps que possible, avant que l'agent de sécurité ne le repère. Il avait à peine eu le temps de se réchauffer. Ses pieds étaient toujours aussi gelés mais il ne pouvait pas rester plus longtemps.

Il comprenait.

C'était suspicieux de le voir tourner en rond dans les allées, sans rien prendre dans les rayons. Il avait fini par récupérer le lait et le beurre de cacahuète et à se rendre à la caisse. L'agent de sécurité ne l'avait pas quitté des yeux jusqu'à ce qu'il soit hors du magasin et Buck soupira.

Il ne pouvait pas se sentir encore plus comme un paria qu'en ce moment et ça piquait vraiment. Il resta immobile quelques minutes le temps de se reprendre, avant de rejoindre sa voiture.

Il parvint juste à temps à se stabiliser alors qu'une personne venait de le bousculer violemment et courrait à présent vers sa voiture, en jetant à peine un 'désolé' dans sa hâte de rejoindre son véhicule.

Buck aurait pu en être amusé si ses maigres vivres de la semaine ne venaient pas de se pulvériser sur le sol. Il resta figé les yeux rivés sur les dégâts, alors que les larmes le brûlaient. Il n'y arriverait pas, c'était fichu et il ne pouvait pas y arriver.

C'était trop difficile.

– Buck ? questionna une voix féminine le faisant sursauter.

Il se mit à trembler alors que Karen, la femme de Hen, se tenait devant lui, un caddie vide en main.

– Est-ce que tout va bien ? insista-t-elle.

Il se contenta d'acquiescer, en resserrant ses bras sur son corps pour se ressaisir.

Il ne savait pas vraiment comment se sortir de cette situation. Il sentait son regard le transpercer. Elle l'évaluait sans doute. Ses yeux rouges, son teint cireux et sa perte de poids étaient évidents.

– Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquit-elle en découvrant les dégâts sur le sol.

– Accident, articula-t-il. Pas grave.

– Buck… ?

– Je… Je ne savais pas… Que tu… Je croyais que tu allais sur Mapple. Pour tes courses, je veux dire.

– Oui et bien, c'était avant que Denny ne se découvre une passion pour une nouvelle marque de céréales que l'on ne trouve qu'ici, rit-elle. Tu es sûr que tout va bien, tu as l'air… ?

– Oui, je… désolé. Ne lui dis pas s'il te plait, lâcha-t-il suppliant.

– Quoi ?

– A Hen, ne lui dis pas. Je t'en prie, je… Je ne reviendrai pas ici, je le promets. Vous ne me reverrez plus jamais, mais je ne savais pas, je jure que je ne te suis pas ou…

– Oh hey Buck ralentis ! De quoi tu parles ?

– Je… Pas important. Je vais partir, je…, lâcha-t-il en marchant sur les morceaux de verre.

– Fais attention, s'inquiéta-t-elle en le faisant reculer. C'est dangereux.

– Oui, beaucoup trop, admit-il. Des enfants pourraient se blesser.

Il se baissa et ramassa rapidement le verre souhaitant disparaitre au plus vite. Karen repoussa son caddie pour l'en empêcher mais il s'entailla la paume de la main, avant qu'elle ne l'atteigne et il se figea sous la douleur.

– Oh Buck, lâcha-t-elle en le forçant à se redresser. Laisse-moi voir !

– Pas grave, articula-t-il en retenant encore ses larmes.

Ça ne s'arrêterait donc jamais.

Il allait passer de galères en galères jusqu'à la fin. Il ne pouvait s'empêcher de penser que la plaie allait sûrement s'infecter, faute de soins.

Karen insista en tirant sa main pour mieux voir.

– Tu saignes beaucoup Buck. Je vais t'emmener à l'hôpital.

– Non, je… C'est les anti-coagulant.

– Bon sang, siffla-t-elle en retirant son foulard pour l'appliquer sur la plaie.

– Non Karen, tu vas la tâcher, tu…

– Tu es plus important qu'un morceau de tissu, gronda-t-elle en l'enroulant autour de sa main. Serre bien, je vais aller leur demander leur trousse de premier secours. Tu ne bouges pas d'ici !

Elle lui lança un regard appuyé et Buck acquiesça, en serrant sa main blessée contre sa poitrine. Karen disparue à l'intérieur et Buck tenta de se calmer. La douleur de sa main était lancinante et il se demandait si un morceau de verre n'était pas resté prisonnier de la plaie.

Si c'était le cas ça ne devait surtout pas rester là.

Il retira délicatement le tissu imbibé de sang et inspecta la plaie. Le saignement reprit et Buck le regarda s'échapper de son corps, comme absorbé par la vie qui le quittait par flots ininterrompu.

Il ne sait pas combien de temps, il resta là, à seulement se regarder mourir avant que deux mains de femme replacent le foulard de Karen sur sa blessure, avec douceur, et le forcèrent à refermer son poing dessus, pour faire pression.

– Voilà, murmura-t-elle. Nous ne voulons pas que tu te fasses trop de mal, n'est-ce pas ? Ça serait vraiment dommage, nous n'avons pas encore eu le temps de nous revoir.

Buck leva les yeux vers la voix, l'esprit embrumé et se figea sur son sourire.

Les larmes roulèrent sur ses joues et les tremblements le reprirent. C'était un cauchemar, ça ne pouvait pas être autre chose.

Il était dans la pire situation de sa vie parce qu'il refusait de la revoir mais elle le retrouvait dans son pire moment de vulnérabilité.

– Tu n'as pas pris ton rendez-vous, Buck, le gronda-t-elle. Ce n'est pas bien, regarde dans quel état tu es maintenant. Tu sais que je peux t'aider. Je l'ai déjà fait. Tu vas venir avec moi, je vais te faire du bien, tu verras.

Buck ne voulait pas.

Elle avait glissé sa main sur son bras, pour tâter ses muscles à présent disparus et il était tétanisé, incapable de bouger ou de lui dire d'arrêter.

Cette fois, il voulait mourir.

******911-118-118-911******

Karen courrait à travers le magasin, la trousse de soin serrée contre sa poitrine, le directeur du magasin et l'agent de sécurité sur les talons. Buck semblait véritablement mal en point et elle devait admettre que depuis sa dépression, à la suite de l'annonce de l'impossibilité d'une grossesse, elle n'avait pas vraiment pris de ses nouvelles.

Elle doutait que sa femme sache dans quel état déplorable se trouvait celui qu'elle avait souvent qualifié de petit frère ou elle aurait écumé la ville à sa recherche et l'aurait trainé de force à la maison.

Il semblait si terrorisé à la simple idée qu'elle lui parle de leur rencontre fortuite.

Elle arriva enfin devant le magasin, où Buck se tenait tremblant face à une femme qu'elle ne connaissait pas. Elle vit sa main sur son bras et les larmes de son ami.

Sans réfléchir une seconde, elle s'interposa entre eux, la faisant lâcher prise.

– Que… ?

– Reculez ! lui ordonna-t-elle. Reculez ou je vous arrache les yeux.

– Il y a un malentendu, se défendit-elle alors que l'agent de sécurité apparaissait et semblait évaluer la situation. Je suis sa thérapeute. Docteur Wells. Buck est dans un état dépressif avancé et j'allais l'emmener à l'hôpital.

– Je ne crois pas me souvenir que les thérapeutes et leurs patients peuvent avoir ce genre de contact physiques, cracha Karen.

– Buck a besoin de contact pour aller bien. C'est une forme de thérapie qui a fait ses preuves, contrattaqua-t-elle. Je suis la professionnelle, je sais ce que je fais.

– Buck n'a pas l'air de vouloir vous suivre, si j'en juge par sa posture défensive et les larmes sur ses joues. Mais je vais appeler le sergent Grant de la police, elle me dira ce qui est le mieux pour son fils, lâcha-t-elle en sortant son téléphone.

Elle vit la jeune femme jeter un regard à Buck et put presque le sentir se recroqueviller dans son dos. Elle sentit un frisson glacé, tout le long de sa colonne vertébrale.

La jeune femme se redressa.

– Très bien, faites comme bon vous semble, je m'en vais, claqua-t-elle. Vous serez responsable si ce jeune homme se fait du mal.

Elle tourna les talons et Karen rangea son téléphone dans sa poche avant de se tourner vers Buck.

Le jeune homme fondit dans ses bras en pleurant et elle le serra contre elle.

– Merci, sanglota-t-il. Je ne pouvais pas… je ne peux plus, je n'en peux plus.

– Ça va aller Buck, le rassura-t-elle. Je t'ai, je ne te lâche plus.