Il pleuvait et l'eau semblait non pas s'écraser sur les vitres sales et usées, mais les frapper. L'impact de chaque goutte résonnait de manière démesurée, aux oreilles de Stiles. De façon générale, chaque bruit lui semblait disproportionné, comme si ici, tout était plus fort… Ou comme si ses sens auditifs s'étaient largement développés. En réalité, Stiles était simplement à fleur de peau et les choses n'allaient pas en s'arrangeant. Il était censé sortir : après deux jours à se rationner autant que possible et à passer le maximum de temps avec Newt, il fallait qu'il retourne à l'extérieur… Car la nourriture n'apparaîtrait pas entre leurs mains comme par magie. Il devait aller en chercher, et c'était dur. C'était dur parce qu'il n'avait pas le moral, parce qu'il ne connaissait pas encore bien le périmètre… Et qu'il savait pertinemment qu'un jour, il n'en trouverait plus. Une pensée malsaine lui effleura l'esprit, mais elle était en réalité si réaliste qu'il ne se sentit pas coupable à l'idée d'y songer… D'espérer que Newt mourrait avant que ce funeste jour n'arrive. Qu'il s'en irait doucement, dans son sommeil, avant qu'il devienne impossible pour Stiles de l'aider comme il le faisait actuellement.

Avant que Newt ait conscience du moment où la fébrile stabilité de cet étrange quotidien s'effondrerait.

Stiles soupira. Il sortirait… Dès que la pluie cesserait de tomber. Il essaya de camoufler son manque de motivation évident derrière des excuses pourtant plus ou moins valables : prendre la pluie pourrait lui faire attraper froid et donc compromettre ses prochaines sorties. Il risquait ainsi de négliger les soins de Newt et… Dans l'état dans lequel se trouvait le blond, mieux valait rester aussi propre et précis que possible, bien qu'il n'y ait plus grand-chose à faire. Stiles tenait à rester droit dans ses bottes et ne pas négliger son hôte plus que nécessaire. Car si, techniquement, personne ne pourrait l'empêcher de faire quoi que ce soit et de considérer ce logement comme le sien tant la propriété de quelque chose ici ne pouvait être vérifiée légalement. D'ailleurs, ce mot ne revêtait plus le moindre sens dans ce monde où tout s'était effondré, y compris la société et toutes les règles s'y apparentant.

Mais Stiles voulait faire les choses bien et rester fidèle à celui qu'il était avant que son existence bascule pour devenir, en quelques jours seulement, un souvenir. Car l'hyperactif n'avait plus l'impression de vivre, mais bien d'être le spectateur d'une vie d'ores et déjà passée. Pourtant, il bougeait, respirait, mangeait, faisait ses besoins dans un coin, se lavait sommairement quand il le pouvait… Sans pour autant être complètement présent. Il agissait d'ores et déjà par automatisme, parce qu'il savait d'instinct que son corps savait survivre, au contraire de sa tête, qui lentement partait en vrille. Alors oui, cette vie n'était plus qu'images et ressentis en décalé.

Voilà pourquoi il se faisait la réflexion qu'il devait véritablement sortir, sans bouger le petit doigt pour autant. La pluie l'hypnotisait tout en continuant de lui faire peur par le vacarme rendu assourdissant par ses sens humains saturés. Stiles était à fleur de peau, ce n'était plus la peine d'en douter. C'était tel qu'il perçut nettement les mouvements derrière lui. La respiration un peu bruyante et irrégulière de Newt. Ses pas, aussi, les rares qu'il arrivait à faire. Stiles se retourna, accrocha son regard de jais où se mêlaient douleur et détermination. Il l'attrapa, le soutint, le poussa à se reposer sur lui.

-Tu es censé m'appeler lorsque tu…

- Je ne suis pas totalement infirme, le coupa directement Newt, un sourire crispé étirant ses lèvres sèches. Je peux marcher.

Parfois, aurait voulu rajouter Stiles. De façon générale, Newt continuait de s'affaiblir et le genre d'efforts qu'il fournissait actuellement ne faisait rien de plus que ralentir sa guérison – dont Stiles doutait vraiment de la finalité. Mais dans un sens, Stiles comprenait pourquoi il se butait à essayer, à dépasser ses propres limites. Puis il commençait à bien connaître Newt, à entrevoir son côté têtu, battant. Ainsi, il ne s'étonnait plus du fait qu'il ait longtemps survécu seul malgré sa blessure : Newt était une tête de mule. Il ne se laisserait pas abattre tant que son corps fonctionnait. Il se reposait, passait la plupart de ses journées allongé, à souffrir le martyr… Mais il avait besoin, parfois, de se lever, de se donner l'illusion d'une utilité. Tant qu'il avait le pouvoir de se mettre debout, tant qu'il y arrivait…

- Qu'est-ce qu'il nous manque ? S'enquit Newt.

Il forçait sur sa voix, faisait de son mieux pour lui donner un peu plus de corps, faire ressortir celle qu'elle était censée être. Une manière pour lui de faire comme Stiles… D'essayer de conserver son humanité et, plus difficilement, son identité – même si les deux allaient de pair tant ils étaient liés. Le jour où ils perdraient l'un, ils perdraient l'autre dans la foulée – et l'ordre importait peu.

- Toujours la même chose, répondit Stiles en faisant au mieux pour dissimuler son mal-être.

En échange, il gagnait en froideur. Pour l'instant, la stabilité devait l'emporter sur l'émotion. Il n'en était pas complètement détaché, mais… Il réduisait provisoirement leur impact à force de désillusions.

- Et ton médicament ? Demanda encore Newt.

Son regard d'ores et déjà aussi noir que la nuit donna l'impression d'être devenu plus sombre encore, comme s'il savait que poser cette question l'envoyait tout droit sur un terrain des plus minés. Stiles n'en fut pourtant pas particulièrement touché : il n'avait plus aucun mal à lui parler de son hyperactivité et des difficultés qu'il rencontrait à cause de ce traitement qui, s'il l'aidait, ne faisait pas complètement effet. Il ne s'agissait pas exactement de la dose dont il avait l'habitude, et… Ses effets différaient légèrement sur certains points. Mais le regard de Newt traduisait quelque chose qui, au fond, devrait le soulager. Il était toujours agréable de constater que l'on comptait pour quelqu'un et que ce quelqu'un… Appréciait véritablement les efforts que l'on faisait pour lui. Stiles prenait soin de Newt, alors Newt prenait soin de Stiles : il y avait dans leur relation une forme de réciprocité naturelle qui, loin de disparaître, continuait de s'amplifier chaque jour qui passait.

- Il m'en reste, répondit-il simplement.

Son stock n'était pas mirobolant, mais suffisamment grand pour qu'il ne s'en inquiète pas. Il avait encore un peu de temps avant de l'écouler complètement. Lors de sa sortie consacrée à cela, il avait rempli le petit sac à dos que Newt lui avait prêté.

Newt hocha alors doucement la tête et Stiles le sentit se reposer un peu plus sur lui. Si son poids était largement supportable, la fatigue qui gagnait davantage l'hyperactif à chaque jour qui passait lui fit bander les muscles. S'il voulait continuer de maintenir Newt debout quelques minutes encore – puisque cela lui faisait plaisir –, il allait devoir forcer un peu.

- A partir de demain, je recommencerai à me bouger, finit par lâcher le blond après quelques secondes d'un silence étrange.

- Pourquoi faire ? Lui demanda tout naturellement Stiles.

- Pour qu'on se relaie.

Mais Newt aurait été un peu plus crédible si sa voix n'avait pas commencé à se casser à nouveau, laissant entre ses derniers mots s'échapper un souffle révélateur… Aussi fébrile que poussé. Il ne l'avait pas fait exprès tant il avait à cœur de minimiser, momentanément bien sûr, l'impact multiple que cette blessure avait sur l'état général de son corps.

Stiles darda alors sur lui un regard sans réelle expression. Il finit par secouer la tête.

- Tu es fatigué, Stiles, insista le blond, l'air véritablement préoccupé.

- Et toi, tu joues avec la mort. Tu essaies de la feinter comme si elle n'était pas sur le point de te faucher à chaque instant.

Si le ton était neutre, le reproche sous-jacent était on ne peut plus clair, si bien que Newt afficha une moue surprise qui, rapidement, migra vers la blessure pure et dure. Mais Stiles n'avait pas tort. Il était même foutrement dans le vrai.

Et c'était peut-être ça, le plus blessant.

Alors Newt baissa la tête, légèrement. Stiles soupira, puis l'aida à marcher jusqu'à ce lit de fortune, qu'ils partageaient chaque fois que la nuit venait, et parfois quelques instants dans la journée. De toute façon, ce cycle d'alternance diurne et nocturne perdait doucement son sens, aux yeux de l'hyperactif, qui aida Newt à se rallonger. Son hôte avait beau vouloir tenter d'être utile, il ne le serait d'aucune manière en prenant des risques. Stiles rit intérieurement avec une amertume certaine à son idée de se relayer. Newt se rendait-il compte de l'ampleur de son état ? Avoir un semblant de regain ne voulait pas dire qu'il allait mieux – et pour avoir changé ses pansements la veille au soir, Stiles pouvait certifier le contraire. Sa blessure n'était vraiment pas belle à voir.

Et alors que Newt le regardait d'un air indéchiffrable maintenant qu'il était correctement installé sur le « lit », Stiles poussa un petit soupir. Il l'avait blessé, bien sûr, il le savait.

Il s'en voudrait plus tard.

Mais pour l'heure, il consentit à faire un effort et détruisit malgré lui un peu de cette barrière qui tentait de le maintenir loin de ses émotions. Parce que sortir, il allait le faire. D'une certaine façon, l'intervention de Newt l'avait décidé. Il allait se bouger, pour lui car il était hors de question que son hôte prenne le moindre risque parce que lui, Stiles, était un peu fatigué. Mais parce qu'il ne voulait pas partir tout en étant en froid avec lui, l'hyperactif déposa un baiser chaste et sans réel amour sur ses lèvres. C'était devenu comme ça, entre eux : parfois, ils s'embrassaient, pour compenser tout ce qu'ils avaient perdu, pour se montrer aussi qu'ils tenaient l'un à l'autre par la force des choses.

Et sa demande prit la forme d'une supplique tant ses mots trahirent ce qu'il ressentait réellement au fond de lui :

- Repose-toi, Newt. C'est tout ce que je te demande.