Six
_Tu ne peux pas être sérieuse !
_Je le suis.
La conversation tournait en rond. Au beau milieu du salon, Hinata et Naruto se disputaient. A peine Hinata avait annoncé son envie de divorcer que Naruto les avait entrainer dans l'intimité de leur maison. Là, seuls chez eux, il pouvait hurler encore et encore. Il n'avait même pas pris le temps de se débarrasser de sa cape d'Hokage qui lui retombait encore sur les épaules. Son regard d'ordinaire si clair, semblait comme assombri.
Hinata détestait ce regard.
_Tu n'as pas le droit de demander le divorce, rugit-il finalement en s'approchant d'Hinata.
Elle pouvait sentir sa colère. Son chakra se manifestait comme un manteau orangé. Il était en colère, furieux même, mais surtout il semblait triste. Dévasté.
Hinata combla alors l'espace qui les séparait et posa sa tête contre le torse de son mari. Naruto referma ses bras autour d'elle et l'étreignit avec force. Des larmes coulaient sur leurs deux joues.
_Naruto, murmura-t-elle après un moment.
Il lui remonta le visage pour la regarder dans les yeux. Et il fut surpris. Là où il s'attendait à voir un air aussi désolé que le sien, il vit de la détermination.
_Tu n'as pas le droit de briser notre famille, lui dit-il la voix cassée.
Il lui enserra alors la main comme pour l'intimer à rester là, avec lui. Sa poigne était forte—trop forte.
_Nous n'avons plus de famille Naruto. Ce mariage n'est pas une famille. Tu n'es pas heureux, lui dit-elle finalement en se dégageant de son étreinte.
« Et moi non plus » pensa-t-elle amèrement.
Naruto tomba alors dans une sorte de transe. Les yeux écarquillés et les mâchoires serrées. Des larmes ruisselaient sur son visage en continu, noyant ses yeux bleus. Hinata, en revanche, avait cessé de pleurer. La détermination avait pris le pas sur la tristesse.
Alors qu'elle s'apprêtait à faire un pas pour s'éloigner, Naruto tomba à genoux. Il était à genoux devant elle, les mains rassemblées dans une supplique, son manteau d'Hokage trainant sur le sol derrière lui.
Il était à genoux. Il l'a suppliait. Naruto était à genoux. L'Hokage était à genoux. Le ninja le plus puissant était à genoux. Pendant un court instant, elle sentit sa volonté vaciller. Elle eut envie de s'agenouiller à ses côtés, de l'enlacer, de lui assurer qu'elle ne l'abandonnerait pas, jamais. Elle voulut lui dire qu'elle l'aimait, plus que tout, plus que sa propre vie.
Elle n'en fit rien.
Furtivement elle posa un baiser sur les mèches blondes de son mari.
_Je vais passer quelques jours dans la maison de mon père. Je voudrais que tu prennes ce temps pour réfléchir au divorce, dit-elle en s'éloignant.
_Hina attends ! Je-je-je suis désolé, cria-t-il.
_Moi aussi.
Sans un mot de plus, ni un regard, elle partit.
La vie au domaine Hyuuga était paisible. Il n'y avait jamais de mot en trop, de mot plus haut que les autres. Peut-être aussi car il n'y avait quasiment jamais de mot du tout. La maison était silencieuse, empreinte d'un silence respectueux et digne.
Hiashi était en fin de vie. C'était la demeure d'un mourant. Hinata ne s'en émouvait pas outre-mesure, c'était le cours de la vie. Les pères vivaient et les pères mourraient. Et les enfants restaient. C'était ainsi. La vie était ainsi faite. Ou du moins aurait du l'être.
Assise sur l'engawa, Hinata frissonnait. C'était une matinée fraiche, l'herbe était encore gelée par endroits et une légère brise soufflait contre la jeune femme. Sa peau était frigorifiée, mordue par le froid. Elle ne semblait pourtant pas y prêter attention.
Quand une main ferme se posa sur son épaule, elle sursauta. Elle se retourna pour découvrir son père—les traits tirés. Il s'assit près d'elle et lui tendit une fasse fumante. Avec un sourire et un hochement de tête, Hinata le remercia silencieusement.
Elle posa alors son regard blanc sur la figure de son père. Celui qui avait autrefois régné sur la maison Hyuuga d'une main de fer ressemblait maintenant à un vieillard. De longs filets argentés avaient remplacés la chevelure noire d'antan. Son visage était creusé comme abimé par le poids des années. Ses yeux, aussi blanc que l'étaient les siens, semblaient las. Alors qu'Hinata observait les traits de son père, elle se rendit compte qu'il faisait de même. Elle se demanda alors ce qu'il pouvait bien penser du reflet qu'elle renvoyait.
L'a trouvait-il lasse elle aussi ?
_Pourquoi ne rentres-tu pas chez toi ?
La question avait été posée avec douceur, calme et retenue. A la manière des Hyuuga. Hinata ne répondit pas tout de suite. Elle but de longues gorgées du thé, se réchauffant grâce au breuvage.
_Je ne suis pas heureuse chez moi, dit-elle finalement en regardant son père. Je-nous-notre mariage ne fonctionne plus, ajouta-t-elle alors qu'elle sentait un sentiment de honte venir la consumer.
_N'y a-t-il pas de solution pour faire en sorte que ça fonctionne à nouveau ? interrogea-t-il en observant sa fille.
Hinata prit le temps de réfléchir avant de répondre. Elle rassembla ses pensées avant de donner une réponse à son père.
_Non. Je ne pense pas, répondit-elle finalement avant de pousser un léger soupir.
_Les Hyuuga ne divorcent pas.
_Je ne suis plus une Hyuuga.
Un léger sourire se dessina sur la figure fatiguée de Hiashi. Pour la première fois de sa vie, Hinata pensa que son père était beau. Pendant cet instant, elle fut sur de voir en lui ce que sa mère avait pu voir elle aussi. A son tour, sa bouche forma un sourire. Elle était heureuse d'avoir pu être le témoin privilégié de cette scène. Elle était heureuse d'avoir pu voir que son père pouvait aussi être doux. Qu'il n'était pas seulement l'homme strict et froid qu'il avait été lors de son enfance. Qu'il était plus que cela.
_Je ne te l'ai jamais dit, dit-il d'une voix tremblante.
Hinata fronça les sourcils, ne comprenant pas là où son père voulait en venir. Ses lèvres se pincèrent.
_Quoi ? lui demanda-t-elle pour l'inviter à préciser sa pensée.
_Je ne t'ai jamais dit que j'étais désolé pour Kazuya. Et pour l'autre.
_L'autre avait un prénom aussi. Elle s'appelait Mei.
Elle crut que son cœur allait exploser. Et il explosa. Encore et encore et encore. Elle étouffait—elle mourrait encore et encore.
_Je vais marcher, parvint-elle à balbutier alors qu'elle se levait maladroitement.
Les jambes tremblantes, le cœur en vrac, elle s'enfuit.
Elle marcha longtemps elle avait perdu toute notion du temps. Elle semblait comme possédée, comme prise dans un genjutsu. Ses pieds l'avaient entrainés jusque dans la forêt qui bordait le village. C'était dans cette forêt qu'elle avait passé le plus clair de son temps à s'entrainer quand elle était enfant, c'était là encore qu'elle se réfugiait quand elle était adolescente, là qu'elle se réfugiait quand la douleur devenait trop insoutenable.
Là, au milieu des arbres, elle s'écroula. Elle tomba au sol, et sombra. Un cri était bloqué au fond de sa gorge.
Elle voulait crier, hurler, éructer. Mais aucun son ne parvint à franchir la barrière de sa gorge.
Alors que des images lui revenaient en tête, qu'elle revoyait tous le sang qui s'était écoulé ce jour-là, qu'elle vit la minuscule figure de Kazu-
Elle vomit.
Un son assourdissant lui vrillait les tympans – le son strident d'une alarme qui ne s'arrête jamais. Et puis le silence—encore plus assourdissant.
Elle vomit à nouveau.
Elle pouvait sentir le gout amer de la bile sur sa langue. Elle eut aussi l'impression de sentir ses entrailles se déchirer—à nouveau. Elle passa une main sur son ventre et s'étonna de le trouver si plat.
C'est là qu'elle cria. Elle hurla. Encore et encore.
Elle hurla tellement que sa gorge lui brulait. Mais au moins c'était sa propre voix qui lui vrillait les tympans, et pas le cri guttural qu'elle avait entendu ce jour-là. Un cri qui n'avait été le sien, mais qui aurait pu l'être.
Un afflux de chakra l'a pris par surprise. Les yeux embués et l'esprit embrumé elle se força à se redresser. Concentrant son chakra dans ses paumes, elle s'apprêtait à-
_Hinata !
Elle tomba. Ses dernières forces l'avaient lâchés, elle était vidée. Elle sombra alors qu'elle eut l'impression qu'on l'appelait encore et encore.
Il l'avait rattrapé juste avant qu'elle ne tombe. La tenant fermement contre lui il pouvait sentir sa peau qui brulait. Elle était brulante—fiévreuse et à bout de force. Sa respiration était saccadée et bruyante. La sueur lui perlait le front, et il avait l'impression de sentir des relents de vomi.
C'étaient les hurlements qui l'avaient alertés. Elle n'était pas venue à leur séance quotidienne d'entrainement, et en cherchant son chakra il avait fini par rejoindre la forêt. C'est là qu'il avait entendu crier. Des hurlements douloureux à lui faire vriller les tympans. Il s'était précipité vers l'origine des cris, et en approchant il l'a vit se mettre en position de combat. Il l'avait appelé par son prénom, et elle s'était écroulée. Il avait juste eu le temps de la rejoindre pour la rattraper.
Elle murmurait des paroles inintelligibles alors qu'il la positionnait sur son dos. Son corps était mince et léger.
_Accroches toi bien, lui intima-t-il plus pour lui que pour elle.
Il ne savait même pas si elle l'entendait. Elle semblait comme enfermée dans un genjutsu, prise dans un coma délirant. Pourtant elle enroula quand même ses bras autour de son cou, avant de poser sa tête sur son omoplate.
_Sasuke
Elle murmura son prénom. Il s'envola. Ou presque. A toute vitesse il emmenait la jeune femme à l'hôpital de Konoha. Après avoir murmuré son prénom, elle s'était remise à murmurer des paroles inaudibles. Il pouvait sentir son souffle erratique contre lui, sentait sa peau bruler la sienne, sentait son cœur battre à un rythme effréné comme s'il faisait tout pour sortir de sa cage thoracique. Pourquoi était-elle dans un état pareil ? Que faisait-elle dehors dans un état pareil ? Où était Naruto ? Pourquoi n'était-il pas auprès d'elle ? Pourquoi était-elle seule ? Pou-
_Ils sont partis pour toujours.
Sa voix s'était brisée sur le dernier mot. En jetant un regard par-dessus son épaule il pouvait voir qu'Hinata avait toujours les yeux fermés, les joues baignées de larmes et de sueur. Elle délirait. Elle devait voir un médecin de toute urgence. Il savait bien que la fièvre pouvait avoir un effet néfaste si elle n'était pas contrôlée. Elle pouvait griller le cerveau du plus petit des enfants comme du plus puissant des ninjas. Contre la fièvre on ne pouvait rien. Devant la maladie, tous les hommes sont égaux. La maladie avait emportée Itachi, et il n'avait rien pu faire. A part attendre que Sasuke vienne lui donner le coup fatal. Itachi était mort et-
_Mais moi je ne pars pas.
Sasuke ne comprenait pas ce qu'elle racontait. Il se demanda si elle n'était pas coincée dans un cauchemar. Elle était en détresse contre lui, son corps recroquevillé sur le sien, elle était minuscule. Elle n'avait plus rien de la femme qu'il avait commencé à entrainer. Plus rien de celle qui chaque jour se battait contre son katana. Elle n'était qu'une coquille, qu'une enveloppe charnelle vide. Il détestait cette impression. Il détestait cette Hinata. Il détestait la faiblesse.
_Hinata, tu dois tenir bon. Je t'emmène à l'hôpital, Naruto pour-
_Non, pas pas l'hôpital, pas Naruto, non non, Hyuuga, Hyuuga, gémit-elle en sanglotant.
Sasuke savait que certains clans n'aimaient pas envoyer leurs ninjas à l'hôpital. Surtout ceux avec des attributs héréditaires. Ils traitaient leurs malades dans l'intimité et le secret de leurs domaines. A bien y réfléchir il avait toujours trouvé ce raisonnement plutôt stupide. Les meilleurs médecins ninjas se trouvaient à l'hôpital, se passer de leurs services en situation de danger était idiot. Mais après tout pour lui ça voulait dire peu de choses car il n'y avait plus de secrets à protéger pour les Uchiha. Il n'y avait plus de clan du tout. Plus rien du tout.
_D'accord, dit-il simplement.
Il changea alors de direction pour l'emmener au domaine Hyuuga. Après ça, elle ne dit plus rien, et il sut qu'elle s'était évanouie. S'assurant qu'elle était toujours bien accrochée il accéléra jusqu'à se retrouver devant les portes du domaine. Trois gardes lui faisait face prêts à en découdre, il les dépassa sous leurs regards médusés, et pénétra dans le domaine. Il eut alors l'impression qu'une centaine d'yeux le fixèrent, et ce fut certainement le cas. On ne pouvait échapper au byakugan. Le dojutsu voyait tout, savait tout.
« Tant pis pour les formalités » pensa-t-il alors qu'il arrivait devant la porte de la maison principale.
_Uchiha.
Une voix forte interrompit le fil de ses pensées. Il se retrouva alors nez-à-nez avec une jeune femme—byakugan activé—et en position de combat. Elle portait la tenue traditionnelle de son clan tout comme la chevelure réglementaire. Il savait qui elle était. C'était Hanabi Hyuuga, la nouvelle chef du clan au Byakugan. Elle était jeune, mais Sasuke ne s'y trompa pas, une aura de puissance l'entourait. Elle n'était pas une simple adolescente, c'était une kunoichi d'exception. Il s'arrêta devant elle, et baissa furtivement la tête dans un signe de reconnaissance. C'est alors que Sasuke l'entendit étouffer un juron et se précipiter vers lui pour attraper Hinata comme si elle n'était qu'une simple poupée de chiffon. Elle la porta avec facilité, la maintenant fermement contre elle.
_Que s'est-il passé ? Demanda-t-elle alors qu'elle tirait sur les paupières de sa sœur pour les forcer à s'ouvrir.
Elle vérifiait que sa sœur avait toujours ses yeux, une priorité pour les clans possédant des dojutsu. Sasuke avait envie de vomir. « Les yeux, les yeux, toujours les yeux » pensa-t-il amèrement. Dans son clan aussi c'était comme ça autrefois. L'attribut génétique était la priorité. Plus maintenant. Il n'y avait plus aucune priorité pour les Uchiha.
_Je l'ai trouvé errante dans la forêt. Elle était incohérente. Elle a vomi. Elle a de la fièvre aussi, résuma-t-il en observant des membres anonymes du clan emporter Hinata dans l'intimité dans la demeure.
Il avait envie de les suivre, mais savait que là n'était pas son droit. Il sentit son cœur se serrer sous l'effet de cette réalisation. Il avait pu toucher des doigts la détresse d'Hinata, la laisser maintenant lui paraissait presque criminel. Il devait pourtant le faire. C'était à Naruto de s'occuper d'elle. Où était-il d'ailleurs ? Il sentit ses poings se crisper et sa mâchoire se serrer. « Où est encore passé cet idiot ? » pensa-t-il avec colère. Il était souvent en colère contre Naruto ces derniers temps. Il n'aimait pas cela.
_Merci, répondit finalement Hanabi.
La jeune leader planta alors son regard dans celui de Sasuke et baissa cérémonieusement la tête. Faire la révérence ne devait pas être dans ses habitudes, cela se voyait à son attitude, pourtant par ce geste elle montrait sa reconnaissance à Sasuke. Elle lui était redevable. La chef du clan Hyuuga était redevable envers Sasuke Uchiha—l'ex ninja déserteur. Quelle ironie.
Puis sans un mot de plus elle se retourna et prit congé. Sasuke se retrouva seul et compris que si son entrée non réglementaire avait été tolérée au vu des circonstances, c'était maintenant temps pour lui de se retirer. C'est ce qu'il fit, non sans un dernier regard pour la maison où il avait vu disparaitre le corps inanimé d'Hinata.
