Ecrit pour Calimera pour le mème de Noël sur le thème "Fêtes de fin d'année"
C'est Noël, et Stede a préparé pour le bar un menu spécial, poisson grillé et cocktails au fruits et rhum. Il a collé des affiches sur l'évènement, et est certain d'avoir trois fois plus de clients que d'habitude ; c'est-à-dire environ trois. Peut-être même six. Ou aucun. Celui des maris de Jackie qui a reconstruit son bar leur fait une dure concurrence.
"Ils ne savent pas ce qui est bon !" se plaint Stede.
"Le chemin est plus long pour venir d'ici depuis le port, et en pente." explique Ed, tapotant doucement la main de Stede pour le calmer.
"Exactement ! Ils n'ont aucune idée d'à quel point l'exercice serait bon pour eux. Sans même parler de ces délicieuses grillades !"
Il se saisit d'un petit poisson et l'avale d'un coup, pour appuyer ses dires. Ed est devenu bon en pêche, et il sait choisir les meilleures herbes aromatiques.
"La nuit est encore jeune," murmure Ed, entrelaçant ses doigts avec ceux de Stede. "Mais s'ils ont décidé que tout cela était pour nous, tant pis pour eux !"
C'est très tentant de répondre par un baiser passionné, pense Stede. Dans le pire des cas, cela fera repartir un client qui serait venu sinon... cela en vaut la peine, ce ne serait pas un client de bonne qualité.
Quand le long et tendre baiser s'interrompt, Stede réalise qu'il a sous-estimé la pire des situations possibles, parce qu'en ce moment même, une quarantaine de mouettes les fixent d'un regard déterminé.
"Je crois... qu'il y a une tradition... selon laquelle le jour de Noël on doit offrir l'hospitalité ?" demande Stede, indécis. "De plus, je suis presque certain qu'un d'entre eux est mon ancien second."
"Nous tenons un bar !" répond Ed. "N'importe qui d'autre peut accorder l'hospitalité !"
Il se sent un peu nerveux, cependant. Il n'est pas habitué à surveiller ses paroles devant des mouettes, mais elles ne sont pas censées pouvoir le comprendre.
"Tu penses que c'est lequel ?" demande-t-il à l'oreille de Stede.
"C'est toi qui étais là quand il s'est transformé !" rétorque Stede. "Je n'en ai aucune idée !"
"D'accord. Et les autres ? Ce sont ses enfants ? Ses amis ?"
"C'est possible. Mais pour ce que je sais de Buttons, cela pourrait aussi bien être les âmes des morts qu'il guide vers l'au-delà."
"Oh. Cela change tout. Probablement pas une bonne idée de faire de l'oiseau rôti. Nooon, de toute façon cela a très mauvais goût dans mon souvenir, en plus des malédictions diverses et variées."
Stede prend une décision, et s'avance d'un pas. "Vous êtes tous cordialement invités à goûter la nourriture du Stede and Ed's bar and gril !"
Les mouettes attendaient ce moment pour foncer sur les poissons et se les arracher mutuellement. Clairement, ce n'étaient pas des mouettes ordinaires.
"Buttons !" s'exclame Stede. "Est-ce que c'est toi ?"
Cela doit être la douzième mouette à qui il demande cela. Mais celle-ci, au lieu de le regarder d'un air d'incompréhension, lance un criaillement entendu.
Stede n'est pas encore entièrement convaincu. Il est - presque - un esprit rationnel.
"Hoche la tête trois fois pour oui ?" demande-t-il.
La mouette s'exécute, et Stede est forcé d'accepter que c'est bien Buttons, ou alors une mouette qui comprend le langage des humains et a décidé de lui jouer un mauvais tour. Mais il a bu beaucoup trop de rhum pour se concentrer sur cette dernière hypothèse (les mouettes ne s'intéressent qu'au poisson, et il ne faut pas laisser perdre).
Buttons se perche alors sur sa tête, et Stede est maintenant persuadé que c'est bien lui. De plus, il se sent étrangement béni par le dieu de la mer, alors qu'il ne navigue même plus. Etait-ce ce que Buttons ressentait tout le temps ?
Cela s'accompagnait-il d'une crainte perpétuelle que l'oiseau défèque ou régurgite ? Non, Stede est persuadé que c'est juste lui.
Par politesse, par amitié sans doute, il se retient de sauter en l'air et de le chasser. A la place, il boit un verre de rhum supplémentaire, et se dit qu'au point où il en est, il peut aussi bien lui raconter ce qui s'est passé depuis son départ.
"C'est difficile de communiquer comme ça," s'excuse Stede. Buttons lui a-t-il dit qu'il avait tout vu de loin, ou a-t-il essayé de lui donner ses propres nouvelles dans un langage inconnu de l'homme ? Qui peut le dire ? "Même si c'était aussi un peu difficile de communiquer quand tu étais humain. Dis-moi, ce sont de vraies mouettes ici, pas les âmes des morts ?"
Buttons émet un criaillement suffisamment horrifié pour pouvoir être presque certainement être entendu comme un non, même si tous les cris de mouettes ressemblent à un non, dans une certaine mesure.
"Je dis ça juste parce qu'Ed aurait bien dit bonjour, ou au revoir, à son second aussi, si c'était possible, mais bien sûr, je ne te demande pas de le faire si ce n'est pas ton... travail ? Vocation ? Le monde des humains changés en mouettes est un mystère pour moi. Et je suppose qu'il serait déjà en train de lui becqueter la tête."
Buttons descend sur la table, happe un poisson. Puis il lève fièrement la tête, et fixe Stede d'un oeil noir, rond, et profond. Stede se demande à quoi ressemble l'expression d'une mouette qui veut donner des coups de bec.
"Je me rappelle !" s'exclame Stede en buvant un verre de cocktail de plus. "Tu en avais parlé à l'équipage ! Les âmes des morts, c'est pour le Nouvel An !"
Peut-être que quand on a trop bu la communication devient beaucoup plus facile, parce que Stede a l'impression de comprendre ce nouveau regard, qui a cessé de porter la promesse de coups de becs.
"J'aurais pensé que tu passerais plutôt au bateau," murmure Stede. "Je veux dire, si j'avais pu penser à l'avance que tu reviendrais pour Noël, ce qui n'était pas dans mes prévisions du tout. Mais je suis content que tu sois là. Avec tous tes bruyants amis. Si tu ramènes Izzy pour le Nouvel An, cela fera plaisir à Ed. Et si tu vas au bateau et que tu les informes qu'Ed ne t'a pas assommé et jeté dans un fossé, cela me fera plaisir à moi. Je crois qu'ils n'en ont jamais été persuadés. Oh, si je te mets une petite bague et que j'y écris cette mouette est Buttons, tu penses que tu peux finir de les convaincre ? Je suis sûr que tu peux... mais surtout n'y va pas pour le Nouvel An... trop de risques de confusions..."
Stede n'est pas certain de quand il s'est endormi sur une table, mais quand l'aube le réveille, les mouettes sont toutes parties. Sauf trois parmi les plus jeunes. Ed est en train de leur apprendre à faire des tours. Aucune d'entre elles n'est, visiblement, Buttons.
"Je pense que ce dont le bar a besoin pour décoller vraiment, c'est une mascotte." dit Ed. "Tu aimes ce mot ? Je viens de l'inventer. En bref, tout le monde sait qu'être un homme aux mouettes inspire un respect un peu inquiet. Cela entraîne-t-il l'envie d'acheter de l'alcool ? Je vais parier que oui. Je vais immédiatement nous dessiner une nouvelle enseigne pour refléter cette nouvelle orientation."
"Je t'aime," répond Stede, le sentiment clair même depuis les brumes de la gueule de bois. Il peut survivre à toutes les mouettes, toutes les peintures du monde, et pire.
Et puis il se rendort, et rêve qu'il convainc Ed de dessiner un bonnet rouge à la mouette, pour une raison probablement due à la qualité du rhum.
