Bonjour à tous, ici une revenante !

Eh oui, je n'ai pas laissé tomber cette histoire - j'ai juste été prise dans un sacré tourbillon, ceylavie, mais hé ! me voilà de retour :)

Je ne peux pas promettre de poster de nouveaux chapitres aussi rapidement qu'avant, mais j'espère en tout cas que celui-ci vous plaira ! J'aurais aimé vous en offrir plus mais il est volontairement assez court. Et gros gros Trigger Warning - Skip (Steven Westcott -je vous laisse googler si vous le souhaitez) et abus d'enfant sont abordés dans ce chapitre, il y a d'ailleurs certains passages que j'ai eu beaaaucoup de mal à écrire (et d'autres que j'ai effacés car trop durs).

J'espère tout de même que ça vous plaira, je vous souhaite une belle lecture et une bonne fin d'année !

OOO

Peter referma le zip de son sweat-shirt. Entièrement vêtu de noir, il se faisait l'impression d'être une autre version de lui-même. L'ombre de Spider-Man, peut-être.

Il rajusta ses gants, vérifia que sa cagoule couvrait bien son visage, puis se glissa hors de la ruelle dans laquelle il s'était caché après les cours — il avait au préalable pris soin d'envoyer un message à Happy pour lui dire qu'il passerait la soirée chez Ned. Il courait le risque que son père vérifie son alibi et réalise qu'il avait menti, mais Peter avait décidé de s'en moquer. La colère de Tony Stark était bien dérisoire, comparée au nom qui battait dans ses veines et emplissait son cœur de colère, de terreur et d'un profond désir de violence.

Steven Westcott.

Skip.

Il se souvenait de ses yeux d'un bleu délavé, de ses sourires de guingois, de son odeur d'après-rasage si douce, si rassurante. Ses visites à l'orphelinat étaient toujours très bien accueillies, elles rompaient agréablement la monotonie des journées ponctuées par les cours et les repas. Il était là à temps-partiel, il assistait la bibliothécaire de l'établissement — surnommée unanimement "la vieille chouette" par tous les enfants — et glissait à ces derniers des bande-dessinées bien plus intéressantes que les autres bouquins défraîchis, cent fois rafistolés, qui s'alignaient tristement sur les étagères de la bibliothèque.

Pourquoi Peter n'avait-il jamais cherché à le retrouver ? Pourquoi ne s'était-il pas précipité chez lui dès qu'il était devenu Spider-Man pour le mettre définitivement hors d'état de nuire ? N'était-ce pas ça, être un héros ?

Il avait été lâche. Une véritable poule mouillée, Parker.

Mais cette nuit, les choses allaient changer.

Les premières étoiles scintillaient comme des perles éparses, jetées par une main invisible sur la toile bleu sombre de la voûte céleste. Personne ne prit garde à l'ombre noire qui se faufilait entre les immeubles du Queens, aussi silencieuse qu'un chat. Il n'y avait pas la moindre brise, comme si la ville elle-même retenait son souffle, consciente du drame qui allait bientôt se produire dans l'appartement où vivait Steven Westcott.

Peter avait du mal à réaliser que depuis tout ce temps, il avait été si proche de lui. A portée de mains. Continuant sans doute d'aller à l'orphelinat, de distribuer des comics et des sourires mielleux aux enfants qui se pressaient autour de lui, éblouis par son intelligence et sa gentillesse. Combien s'étaient laissés duper ? Combien de petits garçons, de fillettes brisées par sa faute ?

L'adolescent se souvenait, avec une précision douloureuse, de leur complicité d'antan. Après la mort de Ben, après avoir été abandonné par les Reilly, il était retourné à l'orphelinat, le cœur et le moral en lambeaux. Skip avait trouvé les mots pour le faire rire à nouveau, pour lui donner la sensation qu'il valait toujours quelque chose. Il le complimentait sur ses résultats scolaires, lui offrait des ouvrages scientifiques passionnants, le surnommait Einstein.

Aujourd'hui, ce seul nom lui donnait envie de vomir.

— On a un compte à régler, toi et moi, dit-il tout haut en esquivant la lueur blafarde d'un lampadaire.

Sa voix lui parut étonnement frêle. Aiguë. Elle vacillait, comme pour lui rappeler qu'il n'avait que quatorze ans.

Ce soir, tu n'as pas le droit d'avoir quatorze ans, Parker. Tu es un héros. Un vrai super-héros, parce que tu n'as pas peur de te salir les mains. Que dirait ton père, s'il te voyait trembler ? Lui-même n'a jamais eu peur des dommages collatéraux, tant que sa mission était remplie. Combien de blessés, de morts les Avengers ont-ils répandu sur leur passage ? Moi, je ne te demande même pas de t'en prendre à des innocents. Juste à un homme coupable des pires méfaits…

Il n'avait jamais été aussi seul et, pourtant, il y avait cette voix qui l'accompagnait, le guidait, enfoncée dans son esprit — ou peut-être dans son cœur. Elle était très différente de celle, amicale et mesurée, de Karen ; contrairement à son IA, qui ne cessait de lui suggérer de faire appel à Tony, cette voix-ci lui assurait qu'il valait mieux qu'il règle les choses par lui-même. Personne ne pourrait agir à sa place ; il ne pouvait plus se cacher derrière un adulte, fût-il son propre père.

L'immeuble où vivait Steven Wescott était l'un de ces édifices en pierres rousses et aux balcons bordés de fleurs qui inspiraient un sentiment de sécurité et de confort. Des lumières aux teintes chaudes illuminaient la façade, on devinait des silhouettes qui s'activaient derrière les rideaux pour préparer le dîner.

L'appartement que recherchait Peter était au deuxième étage.

Il passa par l'escalier de secours et, juché dans les ténèbres, entreprit d'observer les scènes qui se déroulaient derrière les fenêtres. Derrière la première, deux fillettes se disputaient une part de gâteau au chocolat sous le regard épuisé d'un homme qui ne présentait aucun trait commun avec Skip — il ressemblait davantage à George Stacy, avec sa grosse moustache noire mêlée de poivre et de sel. Peter décida de passer au balcon suivant ; de l'autre côté des baies vitrées, une femme lui tournait le dos, occupée à fouiller dans un placard. Elle parlait tout haut, demandant à un certain Robert s'il n'avait pas vu sa jupe préférée, celle avec des motifs de fleurs. Peter fronça les sourcils et reporta son attention sur la fenêtre d'à côté.

Au début il ne vit rien — puis tout à coup…

Son corps se recouvrit de chair de poule, son souffle se figea dans sa poitrine. Le temps semblait s'être arrêté, comme si le monde était sur le point de basculer.

Il était là, lové dans un fauteuil, uniquement éclairé par l'écran de la télévision. Les années avaient tracé des sillons délicats sur son visage ; pourtant, Peter l'aurait reconnu entre mille. Ses yeux bleus, presque translucides ; les mèches claires qui battaient son front ; ses mains fines, aux ongles impeccables, dont il revoyait les mouvements au ralenti dans ses pires cauchemars…

L'air commençait à lui manquer, le sang bourdonnait à ses oreilles. Silencieusement, il se glissa jusqu'à la fenêtre suivante. Elle donnait sur une cuisine vide. D'un geste vif, il brisa la vitre et glissa sa main au milieu des morceaux de verre, cherchant à tâtons le loquet. La douleur d'une coupure cingla soudainement sa paume, mais il l'ignora ; il finit par trouver le mécanisme permettant de faire basculer la fenêtre et s'engouffra à l'intérieur de l'appartement, laissant une empreinte rouge sur le plan de travail.

Il s'avança vers le salon, le cœur battant de plus en plus fort. Le son de la télévision était poussé à son maximum, si bien que Skip ne l'avait pas entendu s'introduire chez lui. Lorsque l'adolescent entra dans la pièce, il leva les yeux et ouvrit grand la bouche — mais il était déjà trop tard.

Le lance-toile que Peter avait emporté avec lui n'était pas aussi perfectionné que celui que lui avait fabriqué Tony, mais il était tout aussi efficace : de longs filaments s'échappèrent du petit appareil attaché à son poignet et ligotèrent solidement Skip. Déséquilibré, il tomba à la renverse et poussa un cri de douleur en heurtant le parquet. Moins d'une seconde s'était écoulée depuis qu'il avait aperçu Peter ; il ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait et il se mit à glapir, le teint livide :

— J-je vous en prie, prenez ce que vous voulez, mais ne me faites pas de mal, pitié !

— Pitié ? répéta Peter à voix basse. Pitié ?

Il avança vers l'homme, un goût de bile sur les lèvres.

— Tu as peut-être eu de la pitié pour moi ? Pour tous les enfants que tu as abusés ?

Les yeux de Skip s'écarquillèrent de plus belle. Peter s'accroupit à ses côtés. Un désir sourd de violence brûlait sa poitrine, un seul mot battait dans ses veines : vengeance, vengeance, VENGEANCE.

— J'aurais dû venir plus tôt. J'aurais dû te punir depuis bien longtemps, souffla-t-il.

— Qu'est-ce que vous racontez ? Qui êtes-vous ?

Peter retint un sourire amer.

— Peu importe mon prénom. Je suis tes victimes, toutes tes victimes. Chaque petite fille, chaque petit garçon auquel tu as fait du mal.

Une lueur de compréhension s'alluma au fond des yeux de Skip alors que la main de Peter effleurait sa gorge, désireuse de s'enfoncer dans la chair, de broyer les cordes vocales qui lui avaient fait tant de promesses, autrefois, enrobant ses mensonges de gentils surnoms qu'il avait eu la bêtise d'apprendre à aimer.

— Tu es l'un de ces gamins de l'orphelinat, réalisa Skip, et un frisson remonta le long de l'échine de Peter lorsqu'il réalisa qu'il disait cela sans la moindre crainte, sans le moindre remord — au contraire, il semblait presque soulagé.

Les yeux de Skip rencontrèrent les siens. Le bleu des iris envahit son champ de vision et tout à coup, Peter n'était plus un super-héros, il n'était plus Spider-Man, il n'était plus le fils de Tony Stark.

Il était un enfant apeuré, abandonné, trahi. Il était terrifié, il avait mal, il ne comprenait pas pourquoi l'homme qui prétendait être son ami s'accaparait ainsi son corps et son innocence.

Les larmes brûlèrent ses paupières. Comme s'il devinait sa détresse, Skip ajouta, de cette voix douce et onctueuse que Peter connaissait si bien :

— Voyons, sois raisonnable… je suis sûr que ceci n'est qu'un immense malentendu. Je vous ai toujours aimés, à l'orphelinat, tous autant que vous êtes. Vous étiez tous comme mes propres enfants. Mes propres petits. Jamais je ne vous aurais fait du mal volontairement. Tu le sais, n'est-ce pas ?

— J-je… je…

— Alors s'il te plaît, sois un gentil garçon et libère-moi. Nous pourrons discuter ensuite.

Peter ne répondit pas. Skip insista :

— Qui que tu sois, j'étais ton ami, non ? Le seul qui te considérait comme autre chose qu'un numéro. Pas comme tous les autres membres du personnel de l'orphelinat qui étaient incapables de se souvenir de vos prénoms... Tu ne voudrais tout de même faire du mal à un vieil ami ?

C'était les mêmes mensonges qu'autrefois. Peter se souvenait des images que lui avait montrées Skip et qu'il n'arrivait pas à comprendre. Il avait même ri, au début, croyant à une plaisanterie. Il se souvenait de la main de l'homme qui s'était alors posée sur la sienne, du malaise qui l'avait envahi lorsque la voix de Skip s'était faite plus douce, lui demandant s'il voulait essayer un nouveau jeu avec lui, un jeu auquel seuls les véritables amis pouvaient jouer. Il suffisait de faire comme sur les images…

Le reste était flou, comme un mauvais rêve. Des flashs et des sensations envahies par le brouillard.

Peter secoua la tête.

— Tu n'as jamais été mon ami, laissa-t-il échapper à voix basse. Tu n'es qu'un sale… un sale… un…

Mais les mots se dérobaient sous sa langue, incapables de dire tout haut ce que Skip lui avait fait dans le secret de l'orphelinat.

Ce sera notre petit secret, Einstein…

Peter s'était mis à trembler. Les souvenirs le paralysaient, il n'avait qu'une envie : partir d'ici, se réfugier dans la Tour des Avengers, se blottir contre son père et le laisser s'occuper de tout.

Mais Tony n'est pas là. Tu es tout seul, Peter Parker. Et c'est à toi — et à toi seul — de régler la situation.

La voix était devenue plus insistante, plus forte. Elle lui faisait mal au crâne.

Pense à ce qu'il t'a fait. A ce qu'il a fait à tous les autres enfants. Tony Stark ne pourrait pas comprendre. Il n'a jamais connu l'orphelinat, la solitude, les adultes qui te traitent de menteur et te tournent le dos lorsque tu essaies de leur faire comprendre que quelqu'un t'a fait du mal. Personne ne pourrait comprendre.

Son poing se serra.

L'heure de la vengeance a sonné. Vengeance… vengeance… VENGEANCE !

Toutes les couleurs semblaient avoir disparu, comme si on avait déposé un voile noir sur ses rétines. Peter ne ressentait plus rien, hormis une rage pénétrante qui ressemblait curieusement à de la faim.

Devant lui, Skip continuait d'essayer de parlementer, usant de toutes les nuances de cette gentillesse factice qu'il savait si bien manier :

— Je sais que tu es un bon garçon. Tu peux comprendre, n'est-ce pas ? Tu peux comprendre qu'un homme seul comme moi ait pu avoir envie d'un peu de tendresse ? Sois raisonn…

Il fut interrompu par le claquement sec du poing qui s'abattit sur son visage.

Peter ne réalisa ce qu'il avait fait que lorsqu'il vit le sang sur ses phalanges et il fixa un long moment sa propre main, hébété. Ce fut la toux de Skip qui le ramena à la réalité. Un mince filet de sang zébrait son visage, son œil gauche était tuméfié.

— O… Okay, petit, je… je suis désolé, d'accord ? Je sais que j'ai été faible, je n'aurais pas dû de me montrer aussi familier mais j'étais si seul et… et nous… nous étions amis…

— TU N'ETAIS PAS MON AMI !

Son poing s'abattit encore, encore et encore. Le Skip du passé se superposait au visage ensanglanté qui lui faisait face, il ne savait plus très bien où il était, ni même s'il avait huit ou quatorze ans. Il savait seulement qu'il n'avait jamais ressenti une telle joie, une exultation sauvage alors qu'il frappait Skip et ignorait ses hurlements, ses supplications, ses gémissements et ses râles de douleur. Il n'avait jamais été aussi heureux et pourtant, les larmes dévalaient ses joues, tout son corps était secoué par des sanglots incontrôlables.

— Plus jamais… plus jamais tu ne toucheras à un enfant… plus jamais, jamais, jamais…

Skip était devenu complètement silencieux. Peter leva le poing et frappa, encore et encore et encore…

— Peter !

Et encore, et encore, et encore…

— Peter, non, arrête !

Encore…

Peter !

Une poigne d'acier se referma autour de ses poignets, l'empêchant de frapper une nouvelle fois. Peter se débattit, se cabra, chercha à mordre, mais la poigne ne se desserra pas d'un pouce.

— Lâchez-moi ! hurla-t-il en désespoir de cause, tremblant de colère et de frustration. Lâchez-moi, je n'en ai pas fini avec lui !

— Si, Peter. C'est terminé, lui répondit-on, et Peter se figea en reconnaissant la voix de son père.

Il entendait les battements de son cœur, derrière lui, qui se superposaient aux siens. Il hoqueta et parvint à articuler, aveuglé par les larmes :

— Non, tu ne comprends pas, je ne peux pas le laisser partir, il faut que je l'arrête, je dois l'arrêter, s'il te plaît, Tony…

— Tu l'as arrêté. C'est fini, Peter.

Peter secoua la tête. Les mains de Tony relâchèrent ses poignets mais, avant qu'il ne puisse esquisser le moindre geste, il fut emprisonné dans une étreinte étroite, presque désespérée, qui lui coupa le souffle. Tony le serrait dans ses bras comme s'il craignait qu'il ne disparaisse, comme si Peter était la chose la plus précieuse au monde.

L'adolescent s'aperçut alors que les vêtements de Tony étaient couverts de sang — du sang qui provenait de ses propres mains, coulant tel un ruisseau macabre entre ses doigts. Effaré, Peter leva les yeux et réalisa que son père le fixait d'un air étrangement inexpressif.

— T… Tony ?

L'homme secoua la tête.

— Je suis désolé, Peter.

— Qu'est-ce que…

La douleur d'une piqûre transperça sa nuque. Il écarquilla les yeux, voulut se dégager des bras de son père, mais il était trop tard : déjà, une chape de plomb se répandait dans ses veines, son corps ne lui obéissait plus. Le sol se déroba sous ses pieds ; sa tête, soudainement trop lourde, roula sur le côté. Les mains de son père avaient resserré leur étreinte autour de son corps, et c'était probablement l'unique raison pour laquelle il tenait encore debout.

— P… Pa… bafouilla-t-il, mais il n'arrivait plus à articuler correctement, comme si sa langue était paralysée.

Le regard de son père rencontra le sien. Il voulut lui demander pourquoi il semblait si triste, mais n'en eut pas la force. Le monde se referma autour de son visage, et Peter ferma les yeux.