Préambule et avertissement : ceci est le 1er chapitre d'une histoire toujours en cours d'écriture. ATTENTION : il s'agit d'une histoire orientée wincest, alors, si cela vous perturbe ou vous déplaît, vous n'êtes pas forcés d'aller plus loin. Cela dit, ce chapitre ne contient aucune scène sensible, car il sert à planter le décor. Le rang actuel (T) évoluera donc en fonction des chapitres.
Bonne lecture si vous souhaitez vous lancer !
Chapitre 1
La chaîne céda sans difficulté, dès lors que Sam eut terminé de forcer les deux cadenas qui la maintenaient solidement entrelacée dans les maillons du grillage. À ses côtés, Dean, arme et lampe au poing, jusqu'ici occupé à éclairer le travail de son frère tout en surveillant les alentours d'un œil à la fois attentif et nerveux, jeta un dernier regard aux abords de l'entrepôt, de l'autre côté du quai, celui-là même qu'ils venaient d'inspecter et où il était presque certain d'avoir perçu une présence obscure, inamicale.
La nuit était claire, sans un nuage, et la lune presque pleine qui se reflétait dans l'eau de la rade, atténuait un peu l'obscurité. La sirène d'un bateau résonna faiblement au loin, un criquet faisait entendre ses stridulations, et Dean finit par se convaincre, sans perdre totalement de vue la menace potentielle dont l'alertait son intuition, qu'il avait peut-être tout simplement pris une ombre banale pour un danger qui n'en était pas un. Ou en tout cas, pas celui qu'ils étaient venus neutraliser.
Allons-y, Dean, c'est bon.
Gloucester, Massachusetts. Les circonstances qui avaient conduit les frères Winchester à s'intéresser à cette petite ville portuaire de l'Est américain avaient, dès le départ, eu quelque chose de singulier. Une soudaine recrudescence d'étranges signalements afférents aux bonnes moeurs dans les comtés voisins, assortis de plusieurs crimes systématiquement passionnels que rien ou presque n'aurait prédit, trois suicides, et la suspicion d'une origine surnaturelle à ces troubles répétés était née. Possession par un esprit tourmenté ? Sorcière psychopathe ? Cupidon dérangé ? Ou vulgaire vent de folie auquel deux chasseurs n'avaient aucun remède à apporter ? Il n'avait guère fallu longtemps à Dean pour abonder à contrecœur dans le sens de Sam, qui avait vu là la nécessité de procéder à une enquête ; et le démon opportunément coincé à deux villes de là, qui avait cherché à négocier son salut en trahissant le secret de la récente présence de quelque force occulte à Gloucester, avait eu le privilège d'écoper d'un exorcisme plutôt qu'un coup de couteau.
- Rencardé par une pourriture de démon, et regarde-nous ! maugréa Dean à mi-voix tandis qu'ils approchaient du grand baraquement à la toiture de verre et d'acier dont ils venaient de forcer la clôture. On rôde au milieu des caisses de poisson comme des chats de gouttière !
Sam ne répondit rien, alors qu'il parvenait aux abords de la petite porte latérale dont était flanqué le bâtiment. Son frère savait aussi bien que lui que c'était moins les affirmations du démon que le sillage de ces fameux incidents, qui s'étalaient comme une tache d'huile, qui les avaient conduits ici, et d'un geste il réclama de la lumière au moment où il entreprit de crocheter la serrure.
- Tu les as tous entendus parler comme moi de ces « choses bizarres » qui se passent autour du port, rappela tout de même le cadet des Winchester. Ça vaut le coup de vérifier.
- Qui, tous ? pesta Dean, désabusé. Le type qui nous a alpagués en arrivant ici ? Le pompiste à moitié stone ? Si y'a un asile pas loin je te parie qu'ils ont des patients manquants !
- Je sais, mais de toute façon on n'a pas d'autre piste.
- Tu appelles ça une piste, toi, rétorqua Dean en roulant des yeux.
- Ok, c'est bon, fit Sam en rangeant ses crochets. C'est ouvert.
Se faufilant avec souplesse et sans bruit, l'aîné des Winchester pénétra dans le bâtiment, les sens aussi affûtés que ceux d'un renard, balayant d'un mouvement rapide de sa lampe-torche son environnement immédiat tout en tenant dans sa main droite, poignets croisés, le Colt 1911 dont il était prêt à vider le chargeur. Un mélange âcre d'odeurs de vernis, de goudron et d'autres substances caustiques emplissait l'endroit, qui se révéla être un grand atelier dédié à la restauration des bateaux. Deux petits navires de pêche bien surélevés se trouvaient rangés parallèlement aux côtés les plus longs de la bâtisse. Tout un tas d'établis chargés d'outils, de produits chimiques et de pots de peinture s'alignaient ça et là, et une barque semblait elle aussi, à l'autre bout de l'atelier, attendre d'être remise à neuf.
Au travers de la verrière, la pâle clarté nocturne teintait en nuances de gris tout ce qui remplissait les lieux. L'un près de l'autre, se couvrant mutuellement et passant progressivement l'endroit en revue comme les deux yeux d'une même tête jaugeant peu à peu la dangerosité d'un endroit inconnu, Sam et Dean avancèrent à pas de loup entre les deux bateaux, évoluant dans un capharnaüm ordonné de cordages, de bâches plastiques et de pièces d'acier. La lumière de leurs torches virevoltait par à-coups pour dévoiler la vraie nature des ombres informes qui les entouraient, leur vigilance à son niveau maximal, mais rien d'anormal - et à fortiori de paranormal - ne semblait vouloir ici non plus se révéler à eux. Nul froid soudain et marqué susceptible de trahir l'existence d'un fantôme dont il était de toute façon difficile d'imaginer à quoi il pouvait bien être attaché, pas de trace d'une présence insolite, quant à sentir le soufre dans cet environnement saturé de fragrances agressives, cela relevait d'une gageure.
Parvenus au-delà des deux bateaux juchés sur leurs étais, ils identifièrent bientôt formellement la barque qui s'était laissée deviner depuis l'autre côté du hangar, placée contre le mur, et c'est lorsqu'ils firent mine de s'en approcher que les choses se mirent soudainement à changer. D'un seul coup, l'odeur qui emplissait la pièce se modifia : les âpres émanations d'enduit et d'époxy cédèrent presque instantanément leur place à des arômes de myrrhe et d'encens, tombés de nulle part comme portés par un vent absent qui aurait chassé l'air fétide, et la température se réchauffa sensiblement.
Ce fut alors que trois grands braseros s'enflammèrent de concert dans un bruit de combustion intense, projetant leurs flammes jaunes avec fureur à plus d'un mètre cinquante de haut.
Les deux frères bondirent dos à dos comme deux chats sauvages et visèrent les trois feux avec un mélange de stupeur et d'angoisse, prêts à se défendre. Il leur fallut un moment pour réaliser ce qui venait de se passer, et bien qu'ils n'y comprirent rien, sinon qu'ils avaient sans conteste bel et bien mis le doigt sur un phénomène surnaturel, ils admirent de façon pragmatique l'existence de ces trois récipients métalliques sur trépied, disposés en un grand triangle autour d'eux, en cherchant d'emblée à définir l'origine de cette manifestation incongrue dans l'atelier du port minable d'une petite ville qui n'avait pour elle que son panorama.
Les Winchester, qui eurent besoin d'un instant pour s'accoutumer au brusque accroissement de la luminosité, passèrent en quelques secondes en revue dans leur esprit les occasions où ils avaient pu être confrontés à des circonstances similaires, leurs deux cœurs battant à tout rompre durant cet instant de vulnérabilité totale où ils ne virent plus rien, quand guidés non pas par leurs yeux mais par leurs oreilles, ils braquèrent tout à coup leurs armes dans la même direction au son de la voix masculine qui prononça soudain ces mots :
- Enfin, vous voilà. Il vous aura fallu davantage de temps qu'escompté.
L'inconnu se tenait juste derrière l'un des trois braseros, celui qui était apparu dans l'axe de l'allée qui séparait les deux bateaux. Le doigt prêt à presser la détente, tendus comme un arc bandé, Sam et Dean rivèrent leurs yeux plissés droit sur l'individu, dont ils devinèrent tout juste la silhouette, haute et élancée.
- Reste où tu es ! somma Dean. Un geste et tu es mort !
Leur cible parut vouloir se montrer conciliante. Tandis qu'avec une extrême prudence, les deux frères se déplacèrent latéralement, chacun de leur côté, pour ôter de leur champ de vison central les flammes qui les aveuglaient, ils purent bientôt visualiser l'homme qui venait de se manifester. Il n'avait pas trente ans et possédait de superbes cheveux blonds impeccablement coiffés, la raie de côté, qui lui donnaient un air de premier de la classe. Ses traits avaient tant l'harmonie que la perfection des plus belles œuvres antiques, et le costume noir taillé sur mesure qui lui donnait fière allure soulignait à merveille les lignes athlétiques de son corps.
Les deux frères pouvaient jurer ne l'avoir jamais rencontré.
- Qui es-tu ! tonna Sam d'un œil noir, son arme braquée en direction du front de l'inconnu.
L'intéressé, à la fois digne et nonchalant, l'observa du coin de l'œil, sans mot dire ni perdre vraiment de vue l'autre Winchester, qui continuait de se déplacer sur son autre flanc.
- T'as entendu, Joe Black ?! vociféra Dean. T'es qui, bordel !
D'un battement de cil condescendant, les mains posées l'une sur l'autre devant son entrejambes, l'homme en costume inspira lentement avant de quérir d'un ton glacial :
- Baissez vos armes, je vous prie. Si vous souhaitez que nous bavardions, je vous saurais gré de vous montrer avant tout plus courtois.
Sam et Dean restèrent sourds à l'injonction de leur opposant. Pourtant, ils commencèrent à abaisser les bras, lorsque, semblant soudain peser le poids d'un homme mort, leurs armes se mirent à exercer une pression considérable sur leurs muscles. Effarés, ils cherchèrent d'abord à compenser cette force invisible qui s'était mise en œuvre, mais elle ne fit que croître et il devint rapidement impossible d'y résister. Les bras des Winchester tétanisèrent ; leurs torches, qu'ils n'avaient pas lâchées, explosèrent littéralement dans leur main, et haletants, grognant de douleur, ils n'eurent d'autre choix que de laisser tomber leurs revolvers devenus enclumes, alors qu'en touchant le sol, ils parurent ne pas peser plus lourd qu'au jour où on les avait assemblés.
- Voilà qui est mieux, n'est-ce pas ? se félicita l'individu d'un léger hochement de tête.
Les deux frères ne bougèrent plus et se tinrent prêts à toutes les éventualités, pantelants comme au sortir d'un effort surhumain. Ils s'avisèrent d'un œil anxieux, inquiets du sort que leur réservait cet adversaire hors du commun, et ignorants de la manière dont ils allaient pouvoir en triompher. Il leur fallait gagner du temps, afin de récupérer et de comprendre. Un indice sur l'identité de cet homme devant eux et la solution leur apparaîtrait peut-être, par le biais d'une incantation à déclamer ou un point faible à exploiter. L'angoisse nouait la gorge de Sam qui, le souffle court, son poitrail ondoyant ostensiblement sous sa veste, lâcha cependant bientôt :
- D'accord, nous voilà désarmés. Et maintenant ?
L'homme au costume haussa un sourcil d'un air satisfait et maintint le regard sur ses opposants, tandis que Dean rejoignit son frère. L'ainé des Winchester ne quitta pas l'étranger des yeux, le fusillant d'un regard noir tout le temps qu'il lui fallut pour se rapprocher de Sam, puis leur agresseur déclara :
- Sam et Dean Winchester... J'ignorais si nous nous rencontrerions un jour.
Ils frissonnèrent au son de leurs deux noms. Dean eut un rictus crispé, comme un fauve sur le point de montrer les dents, et la main déjà prête à s'emparer du poignard suspendu à sa ceinture, sous son blouson, il gronda d'un air féroce :
- Apparemment tu nous connais...
- Qui ne connaît pas les célèbres frères Winchester, hôtes de chair archangéliques, pourfendeurs du Malin et éternelles épines dans le pied des entités étrangères à leur genre...
- Tu nous connais mais nous on ne te connaît pas ! essaya Sam pour la seconde fois. Qui es-tu ? Ces gens qui perdent la tête dans le coin, c'est toi le responsable ?
- T'as intérêt à répondre, vitupéra Dean d'un mouvement de tête menaçant, sinon...
- Je ne suis pas là pour vous nuire, coupa net l'inconnu d'un ton aussi serein qu'implacable, alors abandonnez un peu vos airs belliqueux, voulez-vous ?
Il n'aurait rien pu dire qui rendît les deux frères plus méfiants encore. Ils répondirent à la condescendance par une posture d'intimidation et de promesse de combat à mains nues, mais leur interlocuteur n'en eut cure.
- C'est moi qui vous ai attirés ici, asséna-t-il sans hargne aucune. Tout comme j'ai finalement décidé de me manifester devant vous, las du temps qu'il vous a fallu pour arriver jusqu'à moi.
- On a fait attendre sa majesté ? ironisa Dean au bout de quelques secondes, dents serrées, en ayant la désagréable sensation d'avoir été pris au piège.
- Je ne suis pas roi, détrompa l'homme au costume en inclinant imperceptiblement la tête d'un air vaguement offensé.
Sam sentit le danger poindre soudain et tenta de modérer les provocations de son frère, d'un geste que celui-ci ignora.
- Sans blague ? lança Dean avec animosité. Ce que tu as sur le dos, c'est un costume de valet de chambre ?
- Dean, murmura Sam, en alerte.
L'homme aux cheveux blonds esquissa un rictus mauvais qui hérissa le poil des deux frères. Pour la première fois depuis son apparition, il se mit en mouvement, effectuant trois pas lents en direction de ses contradicteurs, sans les quitter de son regard aussi perçant qu'une pointe de glaive, et en dépassant le brasero derrière lequel il se tenait jusqu'ici il décocha :
- Non. C'est celui d'un dieu.
Sam et Dean blêmirent. La brusque apparition de l'individu et l'influence à laquelle il les avait soumis aurait peut-être pu trahir une action de nature démoniaque ou même angélique, mais le changement d'environnement, la modification subite des odeurs et la brusque apparition des trois cuves de métal en feu, évoquaient davantage les entrées remarquées dont aimaient à se parer les entités dites supérieures, et d'ailleurs, les lieux semblèrent encore avoir changé.
Où était la barque du fond du hangar, celle devant laquelle les Winchester se tenaient encore un instant plus tôt ? Et les deux grands bateaux juchés sur leurs tréteaux ; d'où tombait cette espèce de brume noire et opaque qui paraissait les avoir avalés ? Les deux frères réalisèrent alors qu'hormis le périmètre intérieur des braseros que leurs flammes éclairaient encore, tout le reste s'était effacé, délité comme des constructions de sable diluées dans l'eau, comme si leurs yeux n'avaient plus l'acuité suffisante pour distinguer autre chose que ce qui se trouvait à leur immédiate proximité. Dean leva instinctivement les yeux : la nuit étoilée apparaissait clairement, mais l'armature de la verrière s'était évaporée et il aurait juré se retrouver des années plus tôt, quand il observait les étoiles dans les champs avec Sam.
- Un dieu, dit-il d'une voix étranglée.
Les deux frères n'en étaient malheureusement pas à leur première rencontre avec ces incarnations d'un autre ordre, et ils savaient d'expérience à quel point il était ardu de s'en défaire. En réalité, des alliances fortuites, des circonstances exceptionnelles ou même la chance leur avaient jusqu'ici permis de se tirer de ce genre de situation, mais cette fois ils étaient seuls, non préparés à affronter un adversaire d'une telle trempe, et leurs gorges se nouèrent.
Ils n'étaient pourtant pas au bout de leurs peines. Soudain, une silhouette parut émerger doucement du voile obscur qui avait tout englouti, et la forme, qui se précisa de plus en plus à mesure qu'elle se rapprocha de l'épaule de leur opposant, dans son dos, dévoila bientôt son apparence humaine en se plaçant à la gauche de l'homme aux cheveux blonds. Sam et Dean crurent avoir la berlue mais durent se rendre à l'évidence : le nouvel arrivant était la copie conforme du premier, identique en tous points, de la stature à la ligne des traits, jusqu'à la coiffure. Néanmoins, subsistait une différence, aussi visible que leur ressemblance, car en plus de porter un costume blanc, les cheveux du nouveau venu n'arboraient pas la couleur de l'or, mais celle du noir de jais.
- Nous sommes fils de Cronos, déclama-t-il d'une voix au timbre très proche de celle de son jumeau. J'imagine que ce nom vous est familier ?
Écarquillant des yeux effarés, Sam visa son frère qui manqua défaillir. Chronos. Le dieu du Temps. Pourchassé entre les époques par Dean, et tué par Sam, d'un pieu d'olivier planté dans le cœur. Comment auraient-ils pu oublier ?
- Non, balaya l'homme aux cheveux noirs d'un soupir désabusé et d'un geste désinvolte de la main. Je ne vous parle pas du dieu du Temps...
Les Winchester faillirent s'étonner que leurs pensées aient été si facilement percées à jour, mais plus rien ne devait les surprendre quant aux facultés des créatures dont ils croisaient la route. Surtout lorsqu'elles pouvaient se targuer d'un tel pedigree.
- Cronos, laissa passer Sam comme une quinte de toux entre ses mâchoires crispées. Le Titan.
- Le Titan, effectivement, confirma le porteur du costume blanc. Au moins l'un de vous deux comprend-t-il de qui l'on parle.
- Un Titan, répéta Dean en serrant les mâchoires. Et c'est reparti...
Dean se moquait bien qu'il y ait un, deux ou cent Kronos. Entendre revenir le nom de ces êtres mythologiques lui rappela avec effroi leur rencontre avec Zeus, Artemis et Prométhée, et il n'eut pas besoin de voir l'air sclérosé de son frère pour se convaincre encore plus de la dangerosité évidente des jumeaux.
- Ok, fit-il la voix mal assurée, levant légèrement les mains en signe d'apaisement, tentant de reprendre un rien de contrôle. Si vous êtes ce que vous dites vous pouvez nous balayer d'un claquement de doigt, alors à quoi ça rime, tout ça ? Qu'est-ce que vous voulez ?
Bien qu'il parvint à en dissimuler la plupart des signes, son coeur se mit à tambouriner dans sa poitrine et c'est presque assourdi par le bruit de son sang cognant dans ses tempes qu'il fixa les divinités auto-déclarées, stoïques. Le temps sembla s'arrêter et l'instant durer une éternité, et puis le Blond finit par répondre en toute quiétude, démontrant que le « calme olympien » n'était pas un vain mot :
- Je vous l'ai dit, c'est sans intention de nuisance que nous nous présentons devant vous. Nous ne sommes pas malveillants. Mais, votre propension à nous poursuivre depuis des jours comme deux fourmis courant après le parfum du nectar commence à devenir agaçante.
La menace était à peine voilée, en dépit de ce que l'individu en noir voulait bien prétendre. Les deux frères restèrent en alerte maximale, la peau moite d'une sueur âcre, et Sam, de conclure d'une voix qui ne porta pas si loin qu'il l'aurait voulu :
- C'est bien vous... C'est vous qui provoquez ces comportements étranges chez les gens... Pourquoi?
- Vous a-t-on donné l'impression que nous étions ici pour répondre à vos questions ?
Cette phrase, aucun des jumeaux ne l'avait prononcée, et ils continuèrent de fixer les Winchester qui bondirent de nouveau, jetant les yeux vers la gauche pour voir soudain, avec un effarement extrême, émerger de l'obscurité une troisième tête semblable aux deux premières.
Le troisième frère avait les cheveux roux, aussi rouges que les flammes qui projetaient sur son costume brun des reflets incandescents, et en allant se poster près des deux autres il laissa Sam et Dean digérer son apparition, se contentant un instant de les toiser avec condescendance.
- Regardez-vous donc, leur adressa-t-il d'un regard infiniment hautain. Vous êtes paralysés comme deux souris devant un serpent.
- Trois... serpents, avoua Dean malgré lui, d'un sourire crispé, dans l'une de ses futiles tentatives de se fendre d'un trait d'humour pour amadouer l'adversaire et feindre la bravoure sans faille.
Costume Brun émit un bref soupir nasal en opinant du chef, avant d'admettre :
- Trois serpents, oui... Mais nous n'avons rien à voir avec votre nahash, il est même curieux que j'aie employé cette analogie...
- Le serpent biblique est le symbole du Mal, fit remarquer Sam qui savait de quoi l'on parlait.
- Et tout notre opposé, affirma Costume Noir sur un ton didactique.
Un lourd silence, seulement troublé par le doux tumulte des flammes, s'imposa quelques instants. Tenaillés par l'incertitude et la crainte, les Winchester ne quittaient pas des yeux les trois sosies, qui eux-mêmes les observaient avec un mélange de curiosité et d'irritation, à des dosages variables. Sam musela son angoisse, et pour la troisième fois il demanda :
- Qui êtes-vous, et qu'est ce que vous nous voulez ?
- Qui nous sommes ne vous concerne en rien, répliqua alors Costume Blanc d'un ton cinglant qui hérissa le poil des deux frères. Quant à la raison pour laquelle nous nous présentons à vous, elle est toute simple : nous vous adressons un avertissement. Des plus cordiaux. Cessez d'interférer dans des affaires qui ne sont pas les vôtres et nous nous quitterons bon amis.
Sam réprima un rictus mauvais quand Dean inclina légèrement la tête en signe de désaccord. Et avec retenue mais sans se démonter, il rappela :
- Si vous savez qui on est, vous savez que ce que vous faites par ici, c'est justement nos affaires.
Sam tourna vers son frère un regard empli de fierté et le soutint d'un sourire combatif, prêt à l'épauler de toutes ses forces dans le conflit qui les opposait à cette Triade divine dont ils ignoraient pourtant tout.
- Apparemment vous savez par quoi on est passé, appuya le cadet des Winchester avec un aplomb forcé. On ne renonce pas si facilement.
Costume Blanc, mais surtout Costume Brun, parurent voir rouge. Leurs traits se figèrent d'une indignation patente et ses yeux paraissant sur le point de projeter des éclairs, le roux martela :
- Je peux remédier à votre entêtement de plus d'une façon, fais attention. Restez à votre place, les Winchester. Retournez donc chasser le démon de bas étage et cessez de renifler notre piste, cela vaudra mieux.
- Pourquoi ? provoqua Dean d'un air narquois. Tu as peur qu'on t'arrête ?
Il ne vit rien venir, ni geste, ni coup, mais se retrouva instantanément balayé comme un fétu de paille, arraché à la gravité terrestre comme si la main d'un géant l'avait saisi et jeté aux quatre vents. Sam vit son frère effectuer un vol plané sur plusieurs mètres avant de retomber lourdement au sol, où il glissa encore jusqu'à heurter violemment le pied d'un brasero et rester à terre, à moitié sonné.
- Dean ! cria Sam en se précipitant à son secours.
Le cadet s'empressa de tirer l'aîné de dessous la vasque brûlante puis s'assura qu'il n'avait rien de cassé, et notamment que le sang qui lui coulait du front n'avait pas pour origine une plaie profonde. Il remarqua en effet que le trépied était forgé à l'effigie de personnages graciles et ailés, et craignit que les arêtes tranchantes des sculptures n'aient pu causer une grave blessure à son frère. Regardant les deux humains se démener au sol, Costume Noir haussa les sourcils d'un air navré et chercha à apaiser Costume Brun en disant :
- Je t'en prie, pas de violence inutile... Nous sommes Amour, l'aurais-tu oublié ? Il n'est pas nécessaire de les maltraiter.
Le roux jeta un regard troublé vers son frère et parut soudain contrarié par son propre geste, alors qu'il regarda Sam aider Dean, apparemment indemne, à se remettre sur ses jambes.
- Les humains n'ont fait qu'aggraver leurs travers, depuis notre dernière visite, déplora Costume Noir. Nous avons beau tenter de les guider sur la voie de l'Amour et du Bonheur, ils persistent à s'accrocher aux mâchoires du piège à loup qu'ils ont eux-mêmes assemblé.
La déité s'avança pacifiquement vers les Winchester qui se raidirent face à lui, Dean encore groggy, mais elle conserva avec eux une distance raisonnable de sécurité pour ne pas leur donner le sentiment qu'ils étaient mortellement menacés.
- Vous cherchez à protéger vos semblables contre les dangers ancestraux que vous avez depuis longtemps oubliés, leur dit-elle sur un ton débonnaire. C'est tout à votre honneur, et nous comprenons cela. Mais contrairement à ce que vous croyez, nous ne sommes pas vos ennemis.
- Non ? cracha Dean, pantelant et le regard assassin. Vous ne l'êtes pas non plus pour les gens que vous avez rendus marteau ?
- Le cœur de l'Homme est une petite chose fragile, philosopha avec mélancolie Costume Blanc en s'approchant un peu à son tour. Tous ne sont hélas pas à même de comprendre la nature du cadeau que nous leur faisons, et en certains endroits encore moins qu'en d'autres.
- Un cadeau ? s'indigna Sam. Des gens qui se jettent sous un train ? Qui tuent leur femme, leur voisin ou qui abandonnent tout sans raison ?
- Autant d'événements que vous répétez jour après jour à l'infini et pour lesquels vous n'avez pas besoin de notre influence, décocha Costume Brun.
Les regards hostiles que les Winchester échangèrent avec lui faillirent remettre le feu aux poudres mais Costume Blanc les ignora et répondit d'un ton morne :
- Certains ont parfois l'esprit un peu troublé par le Toucher Divin, c'est exact, mais il ne s'agit que d'une infime minorité... Vous êtes-vous demandé, pour un seul cœur perdu, combien s'en trouvaient gonflés d'allégresse ? Combien de vos sombres vies s'en sont trouvées éclairées ? Non, bien sûr que non. Pour vous, nous ne sommes que malveillance et cruauté... Les millénaires ont eu beau s'écouler, vous demeurez toujours aussi obtus et arrogants.
- Qu'est-ce que vous racontez ! s'emporta Sam. Vous êtes en train de dire que vous faites du bien aux gens ? Que vos actes sont un bienfait ?
- Ils le sont, assura le blond en costume noir. Réellement.
- Vous êtes aussi tordus que tous ceux de votre espèce qu'on a croisés ! pesta Dean, sa vue encore voilée par le choc qu'il avait reçu. Et c'est nous qui sommes arrogants ? Faites-moi plaisir : si un jour vous avez envie de me faire un cadeau, surtout ne le faites pas !
- Cette discussion ne mène à rien, gronda Costume Brun d'un œil sombre. Pourquoi nous abaissons-nous à tenter de faire entendre raison à ces êtres limités ? Leur espèce se complaît à se torturer elle-même et à pervertir sa vraie nature dans un souci hypocrite d'uniformité alors qu'elle n'hésite pourtant pas à s'entretuer, que faisons-nous encore ici ?
Ses frères le visèrent conjointement, et leur silence parut indiquer qu'ils donnaient crédit à ses dires. Costume Noir sembla pourtant regretter la tournure qu'avait prise la rencontre, et tout en donnant le sentiment qu'il renonçait à être entendu, il reprit néanmoins d'un regard pacifique adressé aux Winchester :
- C'est nous qui vous avons attirés ici, sans même que vous vous en aperceviez. Et si nous l'avons fait c'est parce que vos faits d'armes forcent le respect ; que malgré le bruit parasite que votre acharnement à nous débusquer fait résonner à nos oreilles, nous étions quelque peu curieux à votre endroit. Mais force est de constater que les prouesses que vous avez réalisées ne vous ont pas rendus plus ouverts au dialogue que vos coreligionnaires, ce qui est profondément regrettable. Manifestement, tout ce que nous pourrions vous dire est vain et futile, en effet, aussi abrégeons : en gage de bonne volonté nous sommes prêts à libérer cette contrée de notre influence. Vous assumerez la responsabilité de la médiocrité de l'existence de ceux à qui nous aurions pu ouvrir les yeux, et les condamnerez à demeurer prisonniers de leurs sentiments artificiels, dès lors incapables d'accéder à leurs véritables désirs.
Les Winchester cherchèrent à comprendre le sens de cette déclaration surréaliste, voire sibylline, constatant combien le regard des triplés leur renvoyait la même expression de dépit et de sentiment de gâchis. Interloqués, ils ne surent d'abord que dire, ni qu'attendre de leurs opposants, et puis Sam ânonna enfin :
- Que... Qu'est-ce que ça signifie, vous... partez ? Juste comme ça ?
- Il nous appartient de choisir où nous intervenons et s'il vaut la peine de persister, martela Costume Blanc. Notre but n'est ni de causer un tort excessif à vos semblables, ni de livrer une bataille futile. Nous avons bien plus important à faire. Et il existe bien d'autres lieux sur Terre susceptibles de considérer nos bienfaits à leur juste valeur ; des lieux... où vous seriez bien avisés de ne pas interférer.
Les deux frères demeurèrent interdits face à ce renoncement apparent des triplés. Fallait-il les croire? Ils en doutèrent fortement, trop au fait du vice et du cynisme qui caractérisaient les dieux qu'ils avaient croisés ou combattus, mais ils eurent soudain le sentiment que même avant son apparition, la Triade avait décidé de ne pas continuer son œuvre ici, quelle qu'elle fût, et que c'était sans doute même pour cela qu'elle était finalement sortie de l'ombre.
Sam et Dean avaient envie de croire que cette rencontre - qui ne pouvait qu'aboutir à leur trépas si un affrontement physique devait avoir lieu - avait une véritable chance de s'achever aussi aisément, mais tous leurs sens les avertissaient du contraire. Un œil moins ouvert que l'autre, Dean serra les poings, convaincu qu'il leur faudrait chèrement défendre leurs vies, et Sam, une dernière fois, demanda :
- Mais qui êtes-vous, à la fin ? Qu'est-ce que vous voulez !
Costume Brun eut un ricanement supérieur et jeta au cadet des Winchester un regard amer. Alors il se mit à avancer vers les deux frères, d'un pas aussi silencieux que tranquille, et d'un ton fielleux il tonna froidement :
- Il n'est plus temps pour cela, messieurs. Il est temps de nous quitter mais, non sans vous laisser un souvenir de notre rencontre. A vous de voir si vous souhaitez continuer de vous mentir ou si vous aurez le courage de vos véritables aspirations.
Le roux marcha alors dans leur direction, et si jusqu'ici les étrangers avaient veillé à maintenir une certaine distance avec les Winchester, cette résolution appartenait désormais au passé. D'abord passablement incrédules, Sam et Dean crurent naïvement que Costume Brun n'approcherait pas davantage, mais les secondes s'écoulèrent au rythme des pas que leur opposant effectua dans leur direction, et il devint rapidement évident qu'il était cette fois résolu à aller au contact.
Pris au piège, impuissants face à un adversaire de cette trempe, les deux frères se tendirent plus encore à mesure qu'il se rapprocha d'eux, menaçant de bondir pour défendre leurs vies, mais rien n'y fit, ni leurs avertissements inaudibles, ni leurs mimiques agressives, et en un court instant le dieu fut sur eux. À à peine plus d'une longueur de bras de sa position, se sentant totalement acculés, ils passèrent alors à l'attaque, cherchant à abattre sur lui leurs poings serrés, mais leurs gestes parurent soudain déviés, vidés de leur force et, sans comprendre comment, ils se retrouvèrent à glisser sur les flancs de Costume Brun comme l'eau contournant le rocher, tout en sentant simultanément les mains du roux se poser à plat sur leurs deux cœurs.
Alors une force terrible s'exerça, un souffle extrême les soulevant de terre sans qu'ils puissent y opposer la moindre résistance, et aussitôt après ils volèrent à travers la salle, projetés si loin qu'ils disparurent littéralement dans la brume obscure qui les entourait.
Fin du 1er chapitre, la suite sera publiée ultérieurement... Merci de votre temps, n'hésitez pas à me faire par de vos commentaires.
